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Le présent texte n'est absolument pas "lore friendly", toute ressemblance avec des évènement du lore en crous serait purement fortuite.
Le lendemain, le soleil se leva sur les deux flottes engagées en plein combat. Les premières escarmouches avaient eu lieu à la faveur de l'obscurité qui précède l'aube. Pour le moment, l'astre diurne se cachait encore derrière les lointaines montagnes, mais il n'en éclairait pas moins la bataille dont l'issue était presque déjà jouée.
Le Ciryaher Menel Dalhanil poussa force de juron, du haut de son poste d'observation, avant d'ordonner à trois de ses navires de remonter au vent pour ne pas se faire coincer contre les côtes. A ces ordres, on commença à agiter les drapeaux pour faire passer le signal aux navires encore en réserve.
La bataille ne se passait pas bien du tout. S'il perdait encore un navire, l'amiral allait être forcé de se replier. Il ne doutait pas de pouvoir laisser derrière lui mais l'échec de son plan lui laissait un goût amer.
Il avait eu l'intention de mettre à mal la flotte cathayenne, mais cette dernière connaissait suffisamment la côte environnante pour savoir qu'elle courait le plus de risques au large des côtes. Le dernier espoir de l'amiral résidait à présent dans le plan du maître du savoir Vyrion. Si tout fonctionnait comme prévu, des navires nipponais et autres pirates étaient également en train de s'en prendre aux conquérants. Du moins si le renseignement naval avait fait son travail correctement. Mettre en erreur les barbares des steppes du nord et leurs """alliés""" nipponais pouvait s'avérer parfois plus ardu que prévu.
En attendant, le prince était furieux de n'affronter que des vaisseaux de guerre sans même apercevoir le moindre bateau de transport de troupes. Cependant, il se réconfortait à l'idée que la flotte aurait beaucoup moins de bâtiments pour la défendre si elle rencontrait les nipponais ou les barbares achetés et manipulés.
Puisqu'il ne servait à rien de mourir maintenant en emmenant ses elfes avec lui, l'amiral donna l'ordre aux navires de se retirer.
Il passa alors en revue les différents choix qui s'offraient à lui et décida de les laisser se débrouiller. Chacun de ses vaisseaux contenait une cargaison de douze barils de feu suprême. Leurs capitaines avaient reçus l'ordre, en cas de capture, d'y mettre le feu, dans l'espoir d'emmener avec eux des bâtiments de l'ennemi et surtout afin de ne pas tomber entre ses mains.
La flotte des colonies ne comptait certes pas d'aussi bons esquifs que celles d'Ulthuan, pas plus que les meilleurs marins des océans, mais elle pouvait s'enorgueillir d'avoir dans ses rangs de nombreux spécialistes et adeptes de techniques de combat bien plus exotiques que celles des forces de la métropole. Et c'était assez pour tenir la ligne contre leurs cousins de Naggaroth, ou tenir à l'écart de leurs colonies nombre de barbares trop gourmands. Et ils avaient des navires extrêmement agiles, qui compensaient leur fragilité exacerbée par leur capacité à prendre en traître nombre d'embarcations. Puis ils étaient tous de facture elfique. Cela aidait considérablement.
Dès lors qu'ils eurent reçus l'ordre de repli, tous firent demi-tour, comme une équipe bien entraînée, malgré quelques irrégularités dans la ligne.
Tournant au vent, ils coururent grand largue et laissèrent derrière eux les vaisseaux cathayens, plus lents. Quelques galères et vaisseaux dragons réussirent à les poursuivre sur une courte distance, mais les rameurs ne tardèrent pas à s'épuiser et furent obligés de ralentir le rythme, laissant filer les navires des colonies elfiques.
Le repli de la flotte était un succès. S'adressant à son capitaine, il s’enquérait alors du bilan. Celui ci avait navigué toute sa vie durant dans les flottes de la métropole. Officiellement, c'était lui le capitaine du Dragon royal, mais il savait qu'il ne commanderait pas tant qu'il aurait son amiral à bord.
Nous avons coulé sept navires ennemis et en avons sévèrement endommagés cinq.
Les deux elfes portaient l'uniforme de la marine coloniale, veste bleue et pantalon blanc, selon les désirs du gouverneur assigné par Ulthuan. Mais personne au monde, y compris le prince de Lothern, ne parviendrait à obliger l'amiral à porter le bicorne en vogue au sein de la flotte. Il lui préférait un chapeau noir à large bord, orné d'une plume rouge défraîchie, un souvenir de sa première traversée en compagnie de son légendaire ancêtre Dalhanil. D'ailleurs, aucun des marins sous ses ordres n'osait se moquer de ce chapeau.
De leur côté, ils avaient perdus six navires et cinq en mauvais état, qui remontaient en direction du Nord
De quoi faire jurer à nouveau l'amiral. Pas moins de soixante-cinq navires avaient affronté les soixante qu'il avait sous son commandement, mais la rencontre se soldait par un score pratiquement identique. Levant les yeux en direction du soleil matinal, le prince donna ses ordres.
Dites à la flotte de se diriger vers l'Est. Laissons les loyalistes croire que nous nous replions dans les îles du Couchant. S'agrippant à la rambarde du gaillard d'arrière, il poursuivit.
Au crépuscule, nous mettrons cap vers le Sud. Demain, avant l'aube, nous tournerons vers l'Est et les attaquerons au moment où ils se découperont sur le soleil levant, pendant que nous serons encore dans l'obscurité.
Regardant les vaisseaux lourds cathayens s'éloigner et mettre cap au Sud, comprenant qu'il ne servait à rien de continuer à poursuivre sa flotte, le prince se tourna ensuite vers l'Est, où l'un de ses navires, gravement endommagé, sombrait lentement. Quant au deuxième bâtiment abordé par l'ennemi, il brûlait.
La bataille était loin d'être terminée.
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Un jour nouveau se leva sur des navires en flammes. Au cours de la nuit, la flotte du prince avait perdu de vue l'escadre de l'Empereur dragon et mis cap à l'Ouest.
Deux heures plus tard, elle avait viré vers le Sud pour revenir sur la bordure de corail de la mer jaune.
La manœuvre avait été récompensée, avant même le lever du jour, par le spectacle des incendies. Des navires originaires du continent avaient été incendiés jusqu'à la quille et sombraient lentement dans les eaux noires. Les vigies annoncèrent d'autres incendies plus à l'Ouest. Lorsque le soleil se leva, Menel Dalhanil aperçut l'immense flotte ennemie qui attendait toujours de franchir les passes et récifs. Il n'aurait su dire combien de navires au juste avaient déjà réussi la difficile traversée, mais leur nombres s'élevait sans doute à un tiers, au moins. Soit déjà un bon demi-millier...
Des combats se déroulaient encore au Sud entre les vaisseaux de guerre de l'Empereur dragon et les barbares venus du grand Nord.
Ce fut avec un cœur joyeux que l’amiral constata que le reste de son escorte n'étaient pas là. Il donna instantanément l'ordre à tous ses navires d'attaquer. Tandis que le signaleur s'exécutait, le prince se tourna vers son commandant en second, pour lui expliquer cette joyeuse vérité dans laquelle ils vivaient. Ils avaient semés les vaisseaux qui les poursuivaient hier. Avec un rapide calcul, il estima disposer d’environ une heure pour faire le plus de dégâts possibles avant qu'ils ne leurs retombent dessus. Et une partie de leur escorte était aux prises avec les nordiques, tandis que l'autre partie était de l'autre côté des passes. La préparation des balistes fut rapide.
Les artilleurs coururent à l'avant du navire où les attendaient deux engins de guerre semblables à d'immenses arbalètes. Chacun pouvait tirer un projectile à tête de fer qui faisait trois fois la taille d'un homme et qui visait à toucher la quille ou à abîmer le gréement de la cible. Cependant, à la place du projectile habituel, les ingénieurs navals avaient mis au point une arme spéciale remplie du terrible feu suprême. Son usage n'était pas sans danger car la moindre erreur de manipulation pouvait réduire le Dragon royal en cendres. Mais c'était encore ce qui avait le plus d'efficacité, au vu de la présence de nombreux "mages" dans la flotte adverse. Ceux ci ne pouvaient bien entendu pas égaler la puissance ou la maîtrise des arts qu'avaient les elfes, mais leur nombre était suffisant pour constituer une gêne assez importante, réduisant les capacités offensives de la magie elfe.
Par contre, ils ne pouvaient rien faire contre du goudron correctement traité et enchanté et projeté par balistes....
Derrière le navire amiral, les quarante-sept bâtiments qui restaient sur la soixantaine avec lesquels le prince avait appareillé se déployèrent en formation d'attaque. Le vaisseau perdit du vent et réduisit sa vitesse. La flotte se répartit alors de chaque côté afin de provoquer le plus de dommages possibles parmi cette masse grouillante de bâtiments, quasiment à l'arrêt - ils attendaient l'ordre de faire voile vers l'archipel, une fois le reste de la flotte étant sortie des passes.
Au signal de l'amiral, les balistes ouvrirent le feu. Deux des plus gros navires ennemis, formant l'arrière garde de la flotte adverse, tournèrent alors en toute hâte pour engager le combat. Ils gîtaient dangereusement mais pouvaient potentiellement faire des dégâts. Pire que tout, il fallait que ce soient des navires dragons, dotés de catapultes et canons. Il était temps de faire enfiler les casques à l'équipage, tandis qu'une l'énorme machine, disposée sur le château du milieu d'un des navires, projeta en l'air un énorme filet de rochers.
Tous ventre au pont !!!
Le filet décrivit un arc de cercle au sommet duquel il s'ouvrit, libérant une pluie de pierres plus grosses que la tête d'un homme. La navire amiral fit une embardée à bâbord et évita avec agilité les projectiles qui tombèrent sans dommages à tribord de l'endroit où se tenait le prince. Un peu plus et ils auraient réduits la voilure du vaisseau en charpie.
Revenant à tribord, le navire retrouva son cap initial, qui allait l'amener à heurter le gros navire ennemi tortue par bâbord. Les deux navires étaient suffisamment proches l'un de l'autre à présent pour permettre au prince d'apercevoir l'équipage qui tentait frénétiquement de recharger la catapulte.
Mauvais calcul, remarqua celui ci.
Ces machines sont trop longues à recharger et les hommes sont à découvert.
Comme s'ils lisaient dans l'esprit de leur amiral, les archers qui se trouvaient dans les vergues commencèrent à tirer sur les artilleurs ennemis. Quelques uns tentèrent de mettre en place des pavois pour se protéger durant la tâche, mais devant l'inefficacité de cette tactique, ils partirent rapidement se réfugier sous la carapace en fer de leur cuirassé.
Les soldats de la marine coloniale avaient certes reçus un entraînement minimal pour les combats à terre, mais ils avaient l'expérience des combats en haute mer. Ils utilisaient donc leurs arcs courts avec une remarquable efficacité. Pour des coloniaux.
Le maître d'arme donna l'ordre à la baliste située à tribord de faire feu. Le projectile rempli de feu suprême atterrit au beau milieu du navire ennemi, provoquant une terrible explosion qui ravagea le château de bois. L'incendie qui en résultat se vit même communiqué aux niveaux inférieurs de la boite de conserve adverse, détruisant celui ci de l'intérieur, causant la panique parmi l'équipage à cran et entraînant un "sauve qui peut" dans cette masse d'hommes confinés, destinés à être rôtis. Khaine soit loué, ils n'étaient plus assez calmes pour faire usage de leurs canons sur eux. Ils étaient à une portée idéale. Des hommes se mirent à hurler lorsque les quartiers d'habitation abritaient un grand nombre de soldats que les semaines de traversée avaient apparemment rendus malades. Au moins une vingtaine d'entre eux, le corps partiellement ou complètement enflammé, se jetèrent par-dessus bord. D'autres essayèrent frénétiquement, mais en vain, d'éteindre l'incendie et découvrirent avec horreur les propriétés du feu suprême. Une fois allumé, on ne peut l'étouffer qu'avec du sable, car l'eau ne faisait que l'aider à se propager plus vite encore, et la magie n'était d'aucune utilité. Après tout, ça n'était qu'une bête réaction alchimique. La magie n'avait pas vraiment son rôle là dedans.
Puis leur réserve de poudre explosa.
S'arrachant à la contemplation de ce sinistre spectacle, l'amiral observa la trajectoire de son bateau.
A bâbord toute ! Ça va devenir l'enfer à proximité et je ne veux pas me retrouver coincé sans pouvoir virer de bord. On va continuer à s'en prendre à leur arrière-garde en restant hors de portée !
Les signaleurs relayèrent les ordres. Les autres navires de la flotte imitèrent celui de l'amiral, lançant leurs projectiles enflammés avant de changer brusquement de cap pour ne pas être pris au beau milieu des vaisseaux qu'ils attaquaient.
C'est là qu'on lui annonça avoir aperçu des galères de combat qui culaient au milieu des navires en flammes. Ils voulaient sortir de ce merdier pour les combattre, mais ils n'avaient pas la place de manœuvrer. Il fallait trouver quelque chose d'autre à brûler avant qu'ils ne parviennent à sortir.
Il ordonna à la flotte de mettre le cap au Sud, en direction de l'endroit où les barbares avaient affrontés les envahisseurs. La fumée commençait à obscurcir sa vision, et les mages n'étaient pas très utiles, l'ennemi utilisant les siens pour perturber leur vision aethyrique.
Il ne pouvait se fier qu'à la vigie, à laquelle il donna pour consigne de le prévenir si elle voyait apparaître l'escadre qui les avait pourchassés la nuit dernière.
Pendant une heure, les navires des coloniaux chassèrent leurs proies. Des hommes mouraient en hurlant mais le nombre de bâtiments ennemis ne semblait pas diminuer pour autant. L'amiral avait personnellement incendié quatre vaisseaux et s'approchait du cinquième lorsque la vigie s'écria :
Navires en vue Ciryaher!
Combien !?
A première vue, je dirais un vingtaine... Non, une trentaine.... Une quarantaine de voiles !
C'est leur escadre ! Ils se sont rendus compte qu'on les a doublés, dit le capitaine Aerin.
Proférant des grossièretés, l'amiral maudit Loec de cette mauvaise surprise alors qu'il avait de quoi couler pendant toute une journée les grosses barges flottantes adverses sans courir le moindre risque. Puis on lui annonça que les deux galères étaient parvenues à virer de bord et franchir le barrage des navires en flammes.
Voilà qui est intéressant, commenta Aredhel d'un ton sarcastique.
Il leur fallait du temps supplémentaire. Quelques quarante projectiles en réserve dans leur arsenal. Les deux galères à moins d'un mille. Le flanc nord protégé par le l'escadre de Vyrion, celle de Tessia et ce qui reste du groupe de Lujeon, ainsi qu'un bon tiers des cotres. L'amiral savait tout ça, mais entendre quelqu'un d'autre le lui dire l'aidait à clarifier ses pensées.
Ses ordres ? Que Vyrion et Tessia mettent cap au nord intercepter les nouveaux arrivants. Qu'ils les harcèlent et les retardent, mais interdiction absolue d'engager ouvertement le combat.
Ensuite, envoyer les cotres incendier les galères.
Le prince savait qu'en agissant ainsi, il risquait d'envoyer par le fond plusieurs des rapides petits navires. Leurs capacités offensives étaient limitées, mais si deux ou trois d'entre eux se rapprochaient suffisamment, ils parviendraient à incendier les deux galères. Dans l'idéal, cela laisserait le temps aux vaisseaux de guerre des colonies de couler encore trois douzaines de navires de transport de troupe chacun.
Le carnage se poursuivit durant toute la matinée. Puis une heure avant midi, il apparut évident que la concentration de navires ennemis était trop importante. L'escadre cathayenne avait décidée d'ignorer Vyrion et Tessia, lorsqu'elle s'était rendue compte qu'ils n'engageraient pas le combat. A présent, elle se précipitait tout droit au cœur de la bataille. Cependant, les cotres avaient réussi à incendier l'une des immenses galères et à encercler la seconde. Les conquérants faisaient pourtant pleuvoir un incroyable déluge de flèches sur leurs adversaires, sans compter qu'ils possédaient eux aussi des balistes. Leurs artilleurs ne cessaient de les recharger et chaque fois qu'ils faisaient feu, un petit cotre était gravement endommagé ou sombrait. C'était le carnage. Mais il payait. Pour l'instant.
Le prince embrassa une dernière fois du regard les dégâts qu'il avait provoqués. Puis il se tourna vers son commandant en second, pour lui ordonner de mettre l'ordre sur la base.
L'intéressé n'hésita pas un seul instant et donna ses ordres au timonier, d'autant qu'une autre galère avait réussi à suivre l'exemple des deux premières et ramait énergiquement dans leur direction.
Maître d'armes ! appela le prince.
Ciryaher ? répondit l'officier d'une voix devenue rauque à force de respirer depuis des heures la fumée malodorante du feu suprême.
Pendant que nous changeons de cap, j'aimerais assez que vous touchiez la galère qui se précipite vers nous.
A vos ordres amiral.
Tandis que le navire tournait, la baliste fit feu. Son missile enflammé franchit la distance qui séparait les deux embarcations et atterrit sur le château avant de la galère. Les flammes envahirent la partie supérieure de la proue, mais seuls les marins qui se trouvaient à cet endroit furent tués. En dessous, sur le pont, le tambour continua à battre selon un rythme régulier afin que les rameurs ne perdent pas la cadence. La galère poursuivit son chemin, inexorablement.
Un rapide calcul et il comprit qu'il ne parviendrait sans doute pas à la distancer. Pis encore, la vigie l'informa qu'elle avait un éperon en fer au niveau de la quille. A moins de bénéficier d'un brusque souffle de vent, ils allaient couler. Son officier, impassible, attendait les ordres.
Un regard du côté de l'archimage à son bord lui apprit qu'il n'y avait rien à attendre de lui. Il était vanné, et l'ennemi continuait de perturber l'aer ambiant.
L'équipage regarda calmement approcher l'immense vaisseau de combat avec sa proue entièrement embrasée, vision d'horreur qui semblait pourtant bientôt fichue, mais tenait encore à les éventrer.
Le capitaine ferma les yeux.
Amenez les perroquets, monsieur Aerin, ordonna-t-il à son second, qui fit passer la consigne.
Les marins tirèrent rapidement quelques cordages et déplacèrent des vergues. Le Dragon Royal vira à bâbord sous le nez de la galère toute proche. Le prince pouvait sentir la chaleur des flammes par-delà la distance qui ne cessait de se réduire. Ses archers commencèrent à tirer sur le pont du navire.
Il ordonna par ailleurs qu'on essaie de distraire le timonier. Ceux ci n'attendirent pas que le maître d'armes relaye la consigne et entreprirent immédiatement d'inonder de leurs flèches l'arrière de la galère. Le prince ne savait pas s'ils pouvaient voir le timonier, mais il était probable qu'une soudaine averse de flèches pousse ce dernier à lâcher le gouvernail pour se protéger. Si la trajectoire de la galère ne déviait ne serait-ce que de quelques mètres, le Dragon Royal serait peut être sauvé.
Il contempla avec une fascination muette l'approche du vaisseau de l'Empereur dragon. Il entendit le tambour changer de cadence. On avait dû donner l'ordre d'augmenter la vitesse afin d'éperonner le navire des colonies.
Au conseil de son capitaine, il s'accrocha au bastingage tout proche, dans l'attente du choc imminent.
Puis le Dragon Royal gîta encore davantage, tandis que le vent fraîchissait. Le timonier de la galère ne parvenait pas à compenser la vitesse de sa proie, peut être en raison de la pluie de flèches ou de la fumée aveuglante qui s'échappait de la proue de son propre navire.
L'acier crissa contre le métal lorsque l'éperon de la galère heurta violemment la poupe du Dragon. Le choc projeta le timonier des colonies loin du gouvernail tandis que les flammes se propageaient à la brigantine du navire.
Faites éteindre l'incendie capitaine, ordonna Menel d'un ton calme.
L'équipage courut prendre des seaux de sable tandis que les marins dans la mâture tranchaient des cordages pour se débarrasser des voiles en feu.
Le Dragon Royal fit un bond en avant comme si quelqu'un l'avait poussé. Le timonier s'était assommé en tombant, si bien qu'un autre marin avait courut prendre sa place.
Eh bien, Aerin, on dirait qu'Asuryan est avec nous pour le moment, fit remarquer le prince.
En effet amiral, répondit le capitaine, le soulagement inscrit sur son visage à la vue des deux navires qui se séparaient.
J'espère qu'on aura pas à recommencer pareil exploit de sitôt.
Je suis d'accord.... , commença le prince, avant de s'interrompre brusquement, les yeux écarquillés.
Il baissa la tête et vit qu'une hampe de flèche surgissait de son ventre et que du sang commençait à inonder son pantalon blanc.
Oh merde, murmura-t-il avant de s'effondrer.
Une volée de flèches s'abattit sur le gréement. Les soldats d'un navire proche lançaient une attaque de la dernière chance contre le Dragon, dans l'espoir d'atteindre quelques membres de l'équipage.
Les marins se précipitèrent pour déployer les voiles; la flotte des colonies s'éloigna des combats. Quelques minutes plus tard, le capitaine retrouva le prince étendu sur sa couchette. Il allait mal. Le chirurgien craignait le pire. S'ils arrivaient à le maintenir en vie jusqu'à leur arrivée à la base, un prêtre guérisseur serait peut-être capable de le sauver. Mais la gravité de son état dépassait de loin ses maigres talents.
Au commandement jusqu'au rétablissement de l'amiral, le capitaine remonta sur le gaillard d'arrière où l'attendait son second. Là, il prit connaissance du bilan. Ils avaient perdus le Martinet Royal, le Prince de l'Ouest et une vingtaine de cotres. En échange, l'ennemi avait perdu une trentaine de navires de transport, voire davantage, et une demi douzaine de galères de combat, ainsi que 3 bateaux tortues.
Regardant derrière lui, la flotte ennemie ne formait plus qu'une masse noire à l'horizon. Ils semblaient toujours aussi nombreux. Et avec un amiral entre la vie et la mort....
Ses ordres étaient de retourner à la base, attendre une semaine, avant de retourner à Kyubi.
On voyait à quel point le capitaine était troublé. Tout comme l'équipage d'ailleurs. Le prince Menel Dalhanil, fils cadet de la royauté, était déjà amiral et commandant en chef de la marine coloniale à deux cents ans. Ils s'étaient engagés tous deux en même temps. C'était lui qui assurait la cohésion de la flotte, sans compter qu'il appartenait à la famille royale puisqu'il était le plus jeune frère du roi. Sa mort serait déjà un coup terrible en soi pour les colonies, mais elle risquait de revêtir une importance tragique à l'heure où le pays avait besoin que la marine coloniale donne le meilleur d'elle-même.
Le commandant revint à son second, qui ordonna de faire voile vers la base à vitesse maximale.
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Li Byang, amiral de la flotte du vénéré Empereur dragon, protecteur de tout Cathay et juste souverain de l'univers, était légèrement énervé. La campagne était entrée dans une mauvaise passe. Mais plus il y réfléchissait durant le conseil, plus il réalisait que sa conception même avait été un problème. Ils dépendaient bien trop du culte de Tsien Tsien. Alors certes, les mages et prêtres de celui ci s'étaient rendus plus qu'utiles durant les troubles qui avaient agités l'Empire céleste, mais il y avait autre chose.... Déjà lorsqu'on avait discuté de la chose au conseil impérial, l'insistance des représentants du culte à avoir le beau rôle durant la campagne l'avait inquiété. Ceux ci s'étaient surtout illustrés sur terre, mais jamais au grand jamais n'avaient ils eu le moindre fait d'armes significatif sur des combats en mer. Or la campagne risquait de se jouer sur les mers. En l'absence de point d'appui suite à la chute du dernier bastion il y avait de cela quelques dix ans... Puis le fait que ses soutiens personnels se soient éclipsés au moment du vote, ou l'aient même trahi, manquant de peu de le disgracier.... Il ne devait sa position actuel d'amiral en chef de l'expédition qu'à l'attention de l'Empereur céleste qui, au regard de ses quelques huit campagnes menées durant sa carrière, dont une qu'il avait sauvée du désastre, ses innovations et réformes concernant l'organisation de la flotte et la défense des côtes et du commerce, et ses innombrables faits d'armes, avait choisit de lui accorder sa confiance, malgré les soutiens dont bénéficiaient les agents de Tsien Tsien et leurs arguments d'apparence raisonnable.
Puis il y avait eu ce moment durant les grandes manœuvres où les serviteurs du dieu de la magie avaient vertement critiqués l'amiral devant sa lenteur à mettre les choses en place, son respect de la procédure et ses tactiques prudentes, qu'il vendaient pour la couardise, lui assurant que maintenir des liaisons avec la flotte et les transports à l'aide de navires-messagers était inutile, au vu de leurs progrès dans le domaine des magies de transmission. Car il fallait le leur reconnaître, ceux ci étaient capables, à l'aide de leur magie, d'envoyer des messages sur de longues distances. Un procédé très intéressant, mais qui néanmoins ne devait pas être le seul lien entre les navires de la flotte. Après tout, la magie restait une chose imprévisible, pouvant vous lâcher au pires moments. C'était en comprenant cela qu'il avait survécu jusqu'à son cinquantième été. Mais pas les cultistes de Tsien Tsien, insistant pour faire reposer la coordination de flotte sur cela, et uniquement cela : la magie. Et cela sans l'avoir testé dans des situations de combats, où quand l'ennemi disposait de mages. Maudits stratèges de chambres qu'ils étaient.....
Puis il y avait eu la bataille d'hier, où il s'était fait jouer comme un mousse. Et où, à la nuit tombée, on l'avait forcé à continuer la poursuite, le mage sur son navire, empiétant sur son autorité, insistant pour continuer à courser l'ennemi, prétextant quelques visions. Alors quand au petit matin, sans nouvelles de la flotte de transport, il eut cet horrible pressentiment qui lui faisait se lever les poils de la nuque, et que le mage à son bord refusait de laisser tomber la poursuite pourtant désormais fichue, au nom de quelques visions.... Eh bien il fit la seule chose qui s'imposait : étrangler par derrière l'individu, lui briser la nuque, le découper en morceaux, jeter ceux ci à l'eau puis faire demi tour à toute voilure, rames dehors, vers la flotte de transports.
Ils perdirent quelques navires, mats brisés à cause de ce régime de "marche forcée", mais ç’avait été, hélas, tout à fait nécessaire. Rejoignant enfin la flotte, ils avaient assistés à l'incendie de celle ci. Asurs à une extrémité, incendiant moult navires, malgré les assurance des adeptes de Tsien Tsien, lui jurant par leurs grands saints que les cultistes à bord des navires sauraient défendre les transports, contrer la magie de l'ennemi et pulvériser les barques de celui ci. Foutaises ! Rien de cela n'avait eu lieu. En réalité ils avaient été des plus inefficaces malgré les milliers de mages et prêtres embarqués, et près d'un cinquième des la force d'invasion avait périe à cause de leur bêtise. S'il n'avait pas assassiné le magus à bord de son navire, jamais son escadre n'aurait put mettre un terme à la gabegie qui avait eu lieu ! Et c'était sans compter les navires barbares et rebelles qui s'étaient donnés à cœur joie en pillant, incendiant ou capturant les navires de ravitaillement, attendant de franchir les passes.... Les dégâts avaient été d'autant plus grands que certains capitaines de navires avaient été exécutés pour "trahison" par les mages lorsqu'ils avaient essayés d'organiser une défense de principe avec les quelques navires d'escorte encore présents.... Ces ignares ne connaissaient rien à la tactique navale. Encombrés qu'elles étaient dans le convoi, bien entendu que les galères auraient dut être retirées de la masse de bois pour pouvoir se réunir correctement et repousser l'ennemi. Mais non. Ce fut du chacun pour soit, avec les terribles résultats connus.
Le décompte des pertes ne cessait d'augmenter, tout comme les cris des malheureux qui souffraient d'infâmes brûlures ou de blessures.... Tout ceci par la faute des serviteurs du dieu de la magie qui s'ingéraient dans sa manière de commander la flotte. Oh.... Il l'avait bien dit au conseil impérial... Mais ils n'en avaient que faire. Et maintenant il était trop tard. Au moins pouvait il encore rectifier le tir, pour empêcher que pareille chose ne se reproduise encore.
Il fit se réunir le conseil de guerre sur son navire. Y assistèrent le représentant du grand secrétariat, désormais rien d'autre qu'une officine du culte de Tsien Tsien, chargé de l'administration des "Provinces Orientales Réorganisées", les généraux envoyés par les Cinq commanderies, l'élu des nobles loyalistes nipponais en exil, chargés, une fois de retour sur l'archipel, de mettre en contact les forces cathayennes avec leurs coreligionnaires persécutés par le nouveau roi des barbares et les restes des partisans de l'Empire, et l'exarque du culte de Tsien Tsien, missionné par le conseil impérial de rétablir le culte du dieu sorcier sur les îles d'où il avait été expulsé après la chute du grand bastion.
Malgré l'ambiance sombre qui régnait dans sa cabine où se trouvaient réunis les représentants, à l'exception du chien de Tsien Tsien, Li Byang, par l'observation de ses coreligionnaires, sut qu'il allait être soutenu par une majorité d'entre eux. Ils étaient peut être solidement liés au culte, mais désormais, après le sang ayant coulé en ce jour, ils conviendraient certainement que cette campagne méritait d'être prise sérieusement, et que leurs propres carrières importeraient peu s'ils mouraient, trop concentrés sur leurs propres intrigues politiques, pour pouvoir combattre l'ennemi extérieur.
Lorsqu'enfin l'exarque arriva, accompagné de ses mignons, malgré les consignes strictes que Li avait donné aux gardes, il purent débuter la séance.
Restant assis à son bureau lorsque le clown arriva, l'amiral laissa planer un silence dans la salle, pendant une petite minute avant de s'exprimer.
Il débuta en exposant un bilan des pertes subies, ainsi que des conséquences de la perte du ravitaillement, prit ou coulé par les barbares qui avaient pu bénéficier de leur éloignement pour s'en prendre à la queue de la formation. Cela les laissait dans une situation très inconfortable, les obligeant à se replier immédiatement vers Cathay ou.... Interrompu sur l'instant par le bouffon de Tsien Tsien, l'amiral se tût, laissant l'homme lancer sa diatribe incendiaire. Une très longue diatribe. Sur les pouvoirs infinis de son maître, de la confiance de l'Empereur en sa personne et son culte, des nombreux services rendus à la nation, ainsi que des difficiles campagnes passées, mais toujours victorieuses, de Cathay dans son histoire. Un discours qu'il trouvait ronflant, qui eut certainement eu de l'effet sur une horde d'étudiants ou des courtisans de la cour impériale. Tout ce qu'ils n'étaient pas. C'étaient des hommes d'expérience, forgés dans le creuset de longues et sanglantes campagnes. Des loups. Et ils étaient peu sensibles à pareilles odes.
Une fois l'ecclésiaste terminé, l'amiral reprit la parole pour féliciter d'un ton mielleux cette chiure de piaf méprisable, sur la validité de son discours. Oui, les armées de Cathay en avaient vues d'autres. Oui, il avait confiance dans le jugement de l'Empereur. Oui, son culte avait rendu moult services.... Mais. Il. Avait. Échoué. Et des milliers en avaient payés le prix, invalidant la poursuite d'une campagne prévue pour être aisée et victorieuse. Désormais il allait falloir se montrer extrêmement mesuré, lent et méthodique. Tout le contraire de ce que le culte de Tsien Tsien avait promis pour la campagne.
Or, certes, l'amiral n'était pas en droit de juger ce noble homme. Seul l'Empereur Dragon le pouvait. Mais en attendant, les faits s'étaient révélés têtus. Assez pour que leurs plans si bien conçus et bénis de la toute puissance et omnipotence de Tsien Tsien soient brisés. Et, puisque toute retraite pour recomposer les réserves et les troupes, le leur avait été expressément interdite par ce si sage exarque, alors ne restait que l'attaque. Là aussi les ordres donnés par l'exarque allaient de soit. Tout comme il allait de soi que l'on mette un terme aux ambiguïtés qui existaient dans la chaîne de commandement. Les troupes du culte était désormais placées sous le contrôle direct de l'amirauté lorsqu'en mer, et des 5 commanderies lorsqu'à terre, aussi longtemps que les traîtres et rebelles nipponais n'auront pas été châtiés et que la bannière impériale flotte à nouveau sur l'archipel des Provinces Orientales. Et pour appuyer sa décision encore plus, il fit procéder à un vote à main levée du conseil de guerre. A une écrasante majorité, il était soutenu, seuls le culte de Tsien Tsien et son chien du Grand Secrétariat s'y opposaient. Prévisible.
Claquant des doigts, le secrétaire aux rites lui amena le papier qu'il avait fait rédiger auparavant, le fit signer de son sceau, puis le passa aux personnes présentes, qu'elles le signent de leurs seaux personnels et de fonction, faisant ainsi effectuer un tour de table au document avant qu'il ne revienne à lui.
De là, il ouvrit un tiroir duquel il retira une grosse boite de fonte. Retirant une clé qu'il conservait autour de son cous, il ouvrit celle ci, pour en retirer, sous les yeux surpris de l'assistance, le sceau impérial. Un cube de jade pure, entaillé par l'Empereur céleste lui même, et tenu des mains d'un homme simple, Li Byang, qui frappait le document de celui ci, lui conférant le statut de décret impérial, impossible à outrepasser, impossible à briser sauf de par la volonté de l'Empereur Dragon.....
Par cet acte, l'amiral devenait le chef suprême de l'expédition, à la plus grande ire des cultistes et de leur exarque consterné. Ce n'était absolument pas prévu. Le sceau était supposé se trouver au palais impérial, dans le coffre du trésor le mieux gardé, entouré de créations que même son culte ne pouvait tromper.... Et il était là, entre les mains d'un misérable mortel, insensible à leurs enseignements, hostile à leur Église..... Puisse Tsien Tsien les sauver, car cela signifiait que l'Empereur leur avait préféré cet... individu, à eux. Que sa confiance en eux n'était pas absolue. Que leur maîtrise de l'art des cieux n'était pas encore assez forte pour voir tous les avenirs possibles.... Et que le sceau maudit, protégé par les magies du lézard, pouvait échapper à leur attention..... C'était là un coup dur pour eux. Et ils devaient accepter cela.... pour le moment.
Les copies envoyées au divers capitaines de la flotte, dont un esquif messager pour Cathay, l'amiral ponctua la réunion, ordonnant aux officiers de regagner leurs navires. Dans quelques jours, ils seraient en vue du premier objectif de leur campagne. Et il allait falloir maintenir l'ordre sur les vaisseaux alors que le ravitaillement avait prit un coup dur. Le rationnement allait devoir être strict.
Mais avant qu'aucun ne puisse quitter la cabine d’État major, le représentant du dieu-mage se mit à rire. De plus en plus fort, jusqu'à se tordre en deux. Faisant un discret signe aux gardes de cérémonie présent, Li Byang ordonna à ceux ci de s'emparer du mage. Ils avaient avec eux quelques parchemins de négation. Normalement, cela ne devrait pas poser trop de problèmes.....
Amiral..... commença le cultiste.
Votre outrecuidance déplaît à mon maître. De même que votre infâme clique de traîtres et de parjures n'attire que notre mépris. Vous auriez dut vous soumettre à notre bienveillance. Mais vous avez choisit la mort ! La mort ! LA MORT ! LA MORT !!!
De la bave coulait de la bouche du représentant, il était complètement fou et.... Une étrange noirceur, tourbillon de particules noires et bleues bourdonnantes s'échappait de son sceptre.
Emparez vous.......
Puis ce fut le silence. Nul ne s'agitait. Nul ne sortait les armes de son fourreau. Tous étaient figés comme des statues, sculptées sur le moment. L'amiral lui même était immobile. Il ignorait ce qui se passait. Il voyait la scène, il voyait le présent, il voyait la table, l'état major.... Mais il n'était plus là. Son esprit était là, mais son corps n'obéissait plus à lui. Ou avec difficulté.
Puis le misérable cloporte de Tsien Tsien s'approcha. Il voulu dégainer. Le poignarder. Mais tout au plus pouvait il bouger la main. Rien ne lui obéissait. Le misérable s'agenouilla alors devant lui, prononçant quelques paroles.
Oh Zacatzontli, envoyé de K'Chanu'tsani'i, votre serviteur vous invoque et attend vos ordres.
C'est d'une voix sombre, qu'il ne reconnaissait pas être la sienne, qu'il lui répondit, donnant des ordres qui n'étaient pas les siens. La panique le submergea, la peur le noya, et sa conscience s'éteigna petit à petit, comme les dernières braises devenant cendres dans l'âtre.....
Zacatzontli était content. Depuis des siècles, il pouvait mettre pieds dans le materium. Ressentir le materium. Jouer avec celui ci. Oh, certes, l'arrivée n'avait pas été tout à fait comme prévu, il avait du lutter un peu pour imposer sa présence dans le corps de la vieille carcasse qu'était l'amiral, ce vieux bouc aillant une force d'âme supérieure à la moyenne.... Mais c'était tout. Et désormais il avait accès à des milliers d'âmes. Bientôt des millions. Il avait juste à invoquer certains de ses serviteurs - moins puissants bien entendu - pour leur faire posséder le reste des présents, et alors le contrôle serait à lui. Mais il devait faire vite. Drainer l'énergie vitale des mages présents serait rapide, trop rapide, et alors il serait contraint de retourner vers son maître. Sans compter ces sales elfes qui étaient toujours présents au pire moment pour déjouer ses plans ! Mais pour l'instant, se concentrer pour maintenir sa présence sur ce plan, pour accroitre sa puissance et son pouvoir....
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Lorsqu'on lui annonça que d'innombrables voiles étaient apparues à l'horizon, le daïmio avait secrètement espéré que c'était celles des flottes nipponaises et asurs. Mais il savait en son cœur que pareille chose était impossible. Ils n'avaient pas autant de navires et n'en auraient eu tant après les batailles navales livrées. Aussi fit il sonner l'alarme, évacuer la populace inutile vers les campagnes, aussi loin que possible, mit il en sécurité les artisans de renom, sa famille et son trésor, pour ne rester qu'avec ses hommes, sa garnison et les levées. Oh. Et d'innombrables masses grouillantes. Car il en fallait pour tenir un siège. Et quel siège ! Avec toutes les préparations qu'ils avaient effectués au cours de ces dernières années, il voulait bien être damné si les cathayens pouvaient remettre pieds à terre aisément au Nippon en passant par chez lui.
Soudainement le ciel parut se déchirer et un hurlement strident s'éleva, poussant les hommes à se couvrir les oreilles pour ne pas souffrir. Le son se prolongea tandis que les cavaliers essayaient de calmer les chevaux pris de panique. Plusieurs lanciers furent jetés à bas de leur monture. Puis au bout de quelques minutes, le bruit cessa.
En armes et armure, le daïmio se tenait sur un balcon surplombant le port, lorsque les derniers échos de cet étrange hurlement prirent fin. Une énorme colonne de poussières et de vapeur s'élevait à l'embouchure du port. Bien qu'il ait été à l'intérieur lorsqu'un éclair aveuglant avait illuminé la scène, l'homme ne cessait de battre des paupières pour en chasser les larmes. Sur les remparts à ses pieds, les soldats erraient à l'aveuglette en appelant à l'aide.
Des officiers couraient à travers tout le palais et s'époumonaient pour lancer leurs ordres, car l'explosion avait été accompagnée d'une terrible déflagration qui en avait assourdi plus d'un.
Il demanda ce que c’était que ça, pour voir son chancelier lui pointer du doigt le port.
Les eaux bouillonnantes paraissaient se calmer peu à peu, mais une grosse vague chargée d’écume et de débris approchait des quais. Sur sa crête, se balançaient de grands navires chargés de cathayens. Il étaient dans le port. Ils pensaient pouvoir tenir à distance l’ennemi pendant au moins une semaine, ils se retrouvaient avec un adversaire qui risquait d’écourter très rapidement le siège. Et les deux brises lames n’existaient plus. Le prince avait un millier d’hommes sur ces remparts. Au temps pour les pièges dissimulés dans le canal également. Ils avaient du être emportés quand l’ennemi avait fait sauter les défenses. Mais comment ? Par la magie ? Même durant les dernières décennies de la guerre, les loyalistes n’avaient jamais eu accès à de pareils sortilèges….
Pas le choix. Il fallait appliquer la consigne de sécurité numéro cinq. Ils étaient entrés dans Kyubi. Il convenait donc de fermer les portes de l’Est et faire feu sur tout ce qui arrivait de l’Ouest. Il y avait des archers dans tous les bâtiments des trois premiers pâtés de maisons autour des quais. Les pièges installés là bas étaient toujours en place. Et si les sorciers ennemis ne faisaient pas sauter le plais avec leur magie comme ils l’avaient faits pour le port, ils risquaient d’avoir une mauvaise surprise en débarquant.
Le moment était venu pour lui de dire adieu à son beau-frère et chancelier. Ils se connaissaient depuis quoi ? Trente ans ? Quarante ans ? Ils avaient tous deux une longue histoire commune ; ils s’étaient rencontrés lorsque Nobusuke Tagomi n’était qu’une jeune enseigne de la garde du chef de clan. A cette époque, Inokuchi servait de tuteur aux jumeaux princiers. Deux enfants rebelles, devenus respectivement daïmio et ministre impérial.
Je ne regrette qu’une chose, Nobusuke, c’est que tu n’aies jamais trouvé de compagne.
Si. Je l’ai trouvée, il y a longtemps.
Inokuchi se souvint alors de la magicienne cathayenne que son beau-frère avait tant aimée dans sa jeunesse et qui était morte prématurément. Un tragique accident. Comment les choses se seraient elles passées aujourd’hui si elle était encore en ce monde ? Très différemment c’était certain.
Je dois y aller, annonça Inokuchi.
Je promets de songer à nouveau à trouver une épouse, si jamais on s’en sort.
Le chancelier éclata de rire et étreignit à nouveau son beau-frère.
On se reverra aux collines brumeuses ou en enfer.
L’un vaut bien l’autre, répliqua Nobusuke en repoussant gentiment Inokuchi.
Ce dernier tourna les talons et sortit aussi vite que son grand âge le lui permettait. Dans le couloir l’attendaient quelques hommes du régiment spécial, vêtus d’une tunique et de cuissardes noires et coiffés d’un heaume en fer également peint de noir ; ils ne portaient aucun insigne. Ils suivirent le chancelier jusqu’à son bureau sans échanger un mot.
Inokuchi retira les marques distinctives du rang qu’il occupait : sa chevalière et la chaîne en or au bout de laquelle se balançait le sceau ducal de Kyubi avec lequel il signait les décrets officiels de la principauté. Puis il se tourna vers l’un des soldats. Dans la salle d’audience du prince, celui ci trouverait une épée accrochée au-dessus de la cheminée. Il avait ordre de la lui ramener.
L’homme parti en courant. Inokuchi en profita pour se débarrasser de ses riches vêtements et enfiler la même tenue que ses soldats. Le militaire revint et lui remit l’épée, une vieille lame ornée d’un étrange emblème : un minuscule marteau de guerre incrusté à la naissance de la lame.
Il plaça l’épée, la chevalière, la chaîne et le sceau dans un baluchon en compagnie d’une lettre qu’il avait rédigée la nuit précédente. Puis il remit le tout à un soldat vêtu de l’uniforme de la garde princière.
Portez ceci à mon fils, aux collines brumeuses.
Lorsque le garde fut sorti, Inokuchi se retourna vers les hommes en noir qui observaient dans un silence total.
Il est temps.
Tous ensemble, ils quittèrent le bureau et s’enfoncèrent dans les entrailles du palais, dévalant les escaliers en colimaçon qui menaient aux oubliettes. Puis ils s’arrêtèrent devant un mur apparemment nu.
En exerçant une pression sur certains points du mur, on enclenchait une série de mécanismes faisant se lever la pierre qui disparut alors dans le plafond, dévoilant alors une porte. Sur un signe d’Inokuchi, son escorte s’avança pour l’ouvrir. Le battant grinça alors car il était resté fermé pendant des années. Mais il finit par céder et révéla une volée de marches qui s’enfonçaient encore davantage sous terre. Deux soldats allumèrent plusieurs lanternes et passèrent les premiers, suivis de Inokuchi . Lorsque les six autres gardes eurent franchi la porte, celle-ci se referma, ainsi que le mur qui la dissimulait.
Les neuf hommes descendirent l’escalier d’un pas pressé et arrivèrent devant une nouvelle porte en bois, fermée elle aussi. L’un des soldats y colla son oreille.
Tout était silencieux. Inokuchi ordonna de l’ouvrir.
Le soldat obéit. On entendit le clapotis de l’eau. Le chancelier et son escorte se trouvaient sous la vieille citadelle qui formait le cœur du palais de Kyubi. Une voie d’eau souterraine venait lécher le ponton et s’éloignait de la cité en direction de la mer. La puanteur qui régnait en ces lieux ne fit que confirmer aux soldats ce qu’ils savaient déjà : ils avaient sous les yeux une section des égouts de Kyubi, qui se déversaient dans la baie, mille cinq cents mètres plus loin.
Une chaloupe neuve attendait le chancelier, amarrée à un anneau en fer scellé dans les pierres du ponton. Les huit soldats prirent place à bord de l’embarcation, laissant un siège au centre pour Inokuchi qui s’assit à son tour.
Allons-y.
L’un des gardes repoussa la chaloupe loin du ponton avant de se mettre à ramer avec ses compagnons. Mais au lieu de partir vers la mer, ils remontèrent le courant en direction de la cité.
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Isoroku gesticula.
Par ici ! Cria-t-il.
Les soldats firent virevolter leurs montures et chargèrent. Depuis la veille, la bataille faisait rage le long du mur oriental de la cité, à l’extérieur de la porte plus au nord. Heureusement, les envahisseurs venaient juste de débarquer et faisaient preuve d’un manque d’organisation.
Les unités Isoroku avaient été attaquées par un gros détachement de cavaliers ogres à deux reprises, la première au coucher du soleil et la seconde le lendemain matin. Isoroku avait été ravi de découvrir qu’en dépit de leur taille, les montures ogres avaient subi le contrecoup de leur voyage en mer comme n’importe quel autre animal. De plus, les ogres n’affrontaient pas de simples mercenaires humains mais de véritables soldats entraînés. Ces nouveaux adversaires disciplinés, parfaitement capables de mener une charge et armés de lances à pointes de fer mesurant près de quatre mètres, avaient réussi à mettre les bâfreurs en déroute. Isoroku ne savait pas quelles conséquences ces petites victoires auraient sur la campagne proprement dite, mais elles eurent sur le moral de ses troupes un impact inestimable.
Pour l’heure, ses hommes étaient aux prises avec une compagnie de mercenaires cathayens. Ces derniers n’étaient pas aussi dangereux que les ogres d’un point de vue individuel, mais ils étaient très nombreux et relativement dispos, alors que les soldats d’Isoroku avaient déjà essuyés deyx attaques au cours des douze dernières heures.
Mais au moment où les cavaliers du clan arrivaient du Sud en renfort, les lanciers réussirent à repousser les envahisseurs qui s’enfuirent dans les bois au Nord de Kyubi. Isoroku se tourna vers son commandant en second, un lieutenant du nom de ‘‘Oichi’’.
Poursuivez les mais arrêtez vous loin des arbres, je ne veux pas que vous soyez à portée de leurs flèches ou que vous tombiez dans un piège. Ensuite, ramenez les hommes et reprenez vos positions. De mon côté, je vais me présenter à la porte de la cité pour voir si nos ordres ont changés.
Le lieutenant salua son officier et partit remplir sa mission. De son côté, Isoroku talonna sa monture épuisée et prit la direction de Kyubi en passant devant des maisons dont les portes et les fenêtres avaient été condamnées par des planches. On aurait dit que leurs propriétaires s’attendaient à les retrouver intactes, comme au sortir d’une tempête. D’autres foyers, en revanche, avaient visiblement été abandonnés précipitamment, car leurs portes étaient restées ouvertes. Un flot continu de réfugiés marchait d’un bon pas dans la direction d’où venait Isoroku. A plusieurs reprises, il fut obligé de crier pour qu’on le laisse passer.
Déjà, ce début d’exode tournait à la panique. Isoroku comprit qu’il effectuait là son dernier aller-retour, car il mut près d’une demi-heure à franchir une distance qu’il effectuait d’ordinaire en dix minutes. D’ailleurs, lorsqu’il arriva à la porte, il put constater que l’agitation était à son comble. Deux chariots avaient été poussés à l’écart. L’un était même tombé dans la petite rivière qui longeait la route avant de se jeter dans les égouts de la cité puis dans la mer.
Le sergent préposé à la porte n’avait pour lui aucun nouvel ordre, avant d’encourager de nouveau les gens à passer rapidement celle ci. Alors qu’Isoroku hésité, lui avait recommencé à superviser l’évacuation tout en veillant au maintien de l’ordre. Le capitaine aurait aimé changer de monture, car son cheval était épuisé, mais il n’osa prendre le risque de pénétrer à nouveau en ville. Il décida de retourner à nouveau à son poste avancé afin de voir s’il pouvait s’y procurer un nouveau cheval. Il avait disposé les points de ravitaillement à l’écart des zones où les combats risquaient d’avoir lieu. Ainsi les hommes et les bêtes étaient en sécurité, même s’il n’étiat guère pratique de devoir se rendre jusque-là.
Le capitaine se fraya un passage au sein de la foule énervée qui fuyait Kyubi, Il connaissait le plan par cœur, mais la vue de cette marée humaine le poussa à se demander s’il aurait pu faire preuve d’autant de cruauté que le prince et le chancelier. La plupart des gens qu’il dépassait à présent risquaient d’être pourchassés et tués par les maraudeurs de tout poil des environs. Il ne pouvait les protéger tous.
Un soldat le voyant arriver vint immédiatement lui faire un rapport. Une nouvelle patrouille venait de leur tomber dessus. Ils avaient surgis des bois et l’air plutôt surpris lorsque criblés de flèches. Le lieutenant Yoshiaki était parti à leur poursuite.
mit un moment avant de mettre un visage sur ce nom et réalisa à quel point le nombre de soldats sous ses ordres avait augmenté. Les six premiers mois, il avait eu l’occasion de rencontrer chacun des membres de sa compagnie. Mais au cours des dernières semaines, la taille de l’armée du prince avait doublée avec l’arrivée de nouvelles troupes venues des garnisons Sud, Nord et de volontaires de l’Est. La plupart des hommes qui comptaient sur lui pour survivre à cette guerre étaient à ses yeux des étrangers, alors que ceux qu’il avait personnellement entraînés se trouvaient déjà dans les montagnes ou les collines.
Poursuivant son chemin, il trouva le lieutenant Oichi quelques minutes plus tard. Le soldat, vêtu d’un tabard aux couleurs d’Uchiko - tête de loup au champ d’azur – se tourna vers son officier et le salua.
Une nouvelle patrouille venait de les attaquer par mégarde. Leurs ennemis ne savaient pas qu’ils étaient attendus.
En fait ils envoyaient leurs troupes sans aucune coordination. Les ogres et les autres compagnies qu’ils avaient affrontés aujourd’hui n’avaient pas eu le temps de dire où ils étaient. Mais est ce que ça allait durer ? Jusqu’à un certain point, oui. Ils n‘auraient jamais la même discipline ou communications internes qu’eux, mais ils étaient très nombreux et quand ils allaient arriver en force, ils le feraient sans prévenir. Jetant un coup d’œil au soleil qui déclinait à mesure que l’après midi avançait, il fit envoyer un message au poste de ravitaillement. Ils allaient devoir ramener deux compagnies pour relever les hommes et laisser les lanciers souffler quelques heures.
Est ce qu’ils avaient réussis à les repousser ?
Isoroku sourit. Le lieutenant d’Uchiko, plus âgé que lui, avait trio de bon sens pour y croire vraiment. Sans doute souhaitait il simplement mettre à l’épreuve le jeune capitaine dont il recevait les ordres.
J’en doute. Ce n’est que le calme avant la tempête. Mais j’ai bien l’intention d’en profiter.
Qu’en est il des mages ? demanda le lieutenant avant de s’en aller.
Je ne sais pas, avoua Isoroku. Nous le saurons quand ils arriveront.
Oichi se mit en selle et salua son supérieur.
Oh ! J’oubliais ! Ramenez moi une monture ! lui cria-t-il tandis qu’il s’éloignait.
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La bataille faisait rage. Nobusuke Tagomi observait la scène depuis son balcon. Sur les quais, les défenseurs inondaient de projectiles les navires ennemis en approche. Des balistes et des catapultes soigneusement dissimulées avaient déjà réussi à couler les trois premiers bâtiments, sans pour autant réussir à stopper la progression de la flotte.
L’un des objectifs que Tagomi chérissait le plus était une longue-vue qu’Inokuchi lui avait offerte, bien des années auparavant. Elle avait toutes les qualités habituelles d’un télescope mais avait aussi la particularité de percer à travers la plupart des illusions. Son beau-frère, visiblement chatouilleux quant aux origines de cet artefact, ne lui avait jamais dit comment il était entré en sa possession.
En dépit de sa répulsion, le maréchal étudia le vaisseau amiral et le hideux démon accroupi en son centre. Tout son entourage était relié à lui par des chaînes magiques, le corps de ce qui était Li Byang n’étant rien d’autre qu’un simple pantin désarticulé et vide de vie, encore utilisé pour maintenir l’illusion.
L’expression de ce démon ailé était difficile à déchiffrer en raison de ses traits inhumains. La découverte qu’ils se battaient contre une armée dirigée par un démon n’avait été confiée qu’à une poignée d’officiers. Leurs soldats avaient déjà suffisamment de sujets d’inquiétude ; inutile d’y rajouter la peur qu’inspirerait forcément un Seigneur Démon.
Faisant tourner la lentille de la longue-vue de quatre vingt dix degrés, il laissa réapparaître l’illusion. Li Byang, vénérable et majestueux, semblait paradoxalement plus effrayant que le démon lui-même – au moins ce dernier portait il la haine et la führer.
Il tourna à nouveau la lentille pour revoir la créature démoniaque, puis reposa la longue-vue.
J’ai de nouveau ordres à dicter, annonça-t-il calmement.
L’un des jeunes pages s’avança. Les écuyers se trouvaient sur les remparts afin d’aider les officiers, mais les pages étaient restés au palais pour faire office de messagers. Nobusuke dévisagea le garçon, visiblement enthousiaste. Il ne devait pas avoir plus de treize ou quatorze ans, mais il était prêt à transmettre les ordres aux personnes qu’il lui indiquerait. L’espace d’un bref instant, le maréchal fut tenté de lui dire de prendre ses jambes à son cou et de quitter la ville au plus vite. Mais il se reprit.
Dis à l’officier qui dirige la défense des quais d’attendre que la flotte se soit rapprochée davantage. Ensuite, je veux que les artilleurs tirent tous leurs projectiles sur le navire à la coque verte. C’est leur vaisseau amiral et il faut absolument le couler.
Le gamin s’éloigna en courant. Tagomi se tourna de nouveau vers le port. Cet ordre était probablement inutile, car le navire du démon devait être le mieux protégé de toute la flotte. Mais ça valait le coup d’essayer.
Des rapports n cessaient d’arriver, annonçant le débarquement d’unités ennemies tout le long de la côte. La cavalerie des envahisseurs avait déjà commencée à harceler les défenseurs de la porte située au Nord-Est de Kyubi. Tagomi passa en revue les différentes possibilités qui s’offraient à lui et appela un deuxième messager.
Celui ci devait descendre dans la cour et transmettre l’ordre suivant à un des cavaliers : les défenseurs de la porte de l’Est doivent fermer la cité. Puis alors qu’il s’en allait, il se reprit, ordonnant au gamin de prendre un cheval et accompagner le cavalier, sortir de la cité et dire au capitaine Isoroku qu’il est temps de partir. Il n’aurait ensuite qu’à le suivre.
Le garçon parut perplexe à l’idée de devoir quitter la ville. Mais il hocha la tête et s’en alla en courant.
Un capitaine de la garde jeta un coup d’œil interrogateur au maréchal qui secoua tristement de la tête.
Je pouvais quand même épargner l’un de ces enfants.
Le capitaine opina d’un air sombre.
Les envahisseurs s’apprêtaient à accoster. Sous un déluge de flèches, ils lancèrent les cordages afin de s’arrimer aux taquets scellés sur les quais. Certains soldats tombèrent à l’eau, le corps percé de multiples traits, ou tout simplement déséquilibrés, avant de se faire écraser par la masse des coques des navires s’exerçant sur eux.
Mais un premier navire, puis un second, réussirent à s’amarrer et se rapprochèrent lentement des quais. Il n’y avait qu’à l’endroit où les trois vaisseaux avaient coulés qu’ils ne pouvaient pas manœuvrer. D’autres cordages furent lancés aux bâtiments qui venaient derrière. Tagomi comprit alors quel était le plan. À l’origine, il avait cru que Kyubi aurait droit à un siège en règle et que le gros des troupes ne débarquerait que lorsque cette partie du port serait aux mains des envahisseurs. Mais ces derniers n’avaient de toute évidence aucune intention de vider leurs navires au fur et à mesure.
Seuls quelques navires accostaient pour servir de boucliers au reste de la flotte. Les autres allaient être attachés les uns aux autres à l’aide de cordes et de grappins afin de former une véritable plate-forme qui s’étendrait jusque dans la baie. Des milliers de soldats pourraient ainsi sauter d’un pont à l’autre et prendre pieds sur les quais de Kyubi. Mais le pari était risqué ; si les défenseurs réussissaient à mettre le feu à l’un des navires, l’incendie pouvait très bien se communiquer à toute la flotte.
Les engins de guerre du clan se déchaînèrent lorsque le navire amiral arriva à portée de tir. Une centaine de grosses pierres volèrent ainsi qu’une douzaine de ballots de paille enflammés. Mais ainsi que Tagomi l’avait craint, les projectiles se heurtèrent à une barrière invisible et retombèrent tout autour. Il fut cependant ravi de voir l’une des pierres rebondir sur un autre navire, non protégé celui-ci, et provoquer de gros dégâts parmi les soldats regroupés sur le pont.
Le maréchal se retourna pour donner l’ordre de lancer des barils de feu suprême sur la première rangée de navires ennemis. Au même moment, des flammes explosèrent sur toute la longueur du balcon. Tagomi fut comme giflé par une main de feu aveuglante qui le projeta en arrière. Complètement sonné, il resta étendu sur le sol et battit des paupières pour en chasser les larmes des yeux. Il avait du mal à voir quoique ce soit ; d’ailleurs, le peu de vision qu’il possédait encore se teintait de rouge.
Il lui fallut un moment pour comprendre que ses yeux avaient été brûlés et qu’ils saignaient. S’il n’avait pas jeté un coup d’œil derrière lui au moment de l’attaque, il aurait complètement perdu la vue. Tagomi tâtonna autour de lui et aperçut une forme vague qui gémit lorsqu’il la toucha. Puis il sentit des mains le soulever.
Maréchal, vous m’entendez ?
Il reconnut la voix d’un page. C’était faible mais audible. Les jeunes garçons se trouvaient au fond de la pièce lors de l’explosion. Loin du balcon.
Qu’est ce qui s’est passé ? demanda-t-il d’une voix rauque.
Il y a eu comme une éruption de flammes. Tout le monde… tout le monde est brûlé.
Où est le capitaine Tokichi ?
Je crois qu’il est mort, messire.
Brusquement, Tagomi entendit des cris dans les couloirs. Des gens entrèrent en courant dans la pièce.
Il ne voyait que des silhouettes floues, aussi fut il obligé de demander qui était là. Le lieutenant Kido ? Quelqu'un l'aida à se redresser et à marcher jusqu'à une chaise. L'odeur de sa propre chair et de ses cheveux brûlés lui emplissait les narines. De plus, il avait beau battre des paupière, il ne parvenait pas à chasser les larmes de sang qui l'aveuglaient.
A partir de là, on lui fit un récapitulatif de la situation. Les ennemis envoyaient leurs hommes à terre. On ne cessait de leur tirer dessus et provoquer des ravages dans leurs premières lignes..... Mais il en venait toujours plus.
Le page apporta une bassine d'eau et un linge propre que Tagomi appliqua sur son visage. La douleur le faisait terriblement souffrir, mais il l'ignora, grâce à une méthode apprise en campagne, durant son service. Constatant que l'eau n'éclaircissait guère sa vision, le maréchal dut se rendre à l'évidence : il allait sans doute rester aveugle pour le temps qui lui restait à vivre, aussi court soit-il.
Brusquement, l'on entendit un grand fracas, comme du bois qui se fend, suivi de cris et de bruits de bataille.
Les ennemis venaient de fracasser les quais princiers et étaient en train de débarquer au pieds du palais.
Demandant un peu d'aide pour se mettre debout, le maréchal sentit de jeunes bras forts lui entourer la taille pour le soutenir. De là, on le tourna en direction de la porte. Des bruits de combat résonnaient dans les couloirs du palais, ainsi que dans la cour sous le balcon. Les cathayens se battaient dans l'escalier qui menait au poste de commandement de Tagomi.
Ordonnant au lieutenant de se placer à sa gauche, au garçon derrière lui, le maréchal tira lentement son épée hors du fourreau, tandis que les combats paraissaient se rapprocher.
Reste en retrait de moi, mon garçon.
Le page obéit sans pour autant lui lâcher la taille, l'aidant à se tenir droit. Tagomi aurait aimé dire quelques mots pour apaiser l'angoisse gu garçon, mais il savait que tout finirait dans la terreur et dans la douleur. Il se contenta donc de prier pour que leur mort soit rapide.
Cette fois, les bruits résonnèrent à l'extérieur même de la pièce. Les soldats encore en état de se battre se précipitèrent pour en défendre l'entrée.
La fin était proche. Il demanda au garçon son nom, puis d'où venait il. Osawa semblait il. Il le félicita pour son service, puis lui ordonna de l'aider à tenir debout. Ce serait indigne pour le maréchal de Kyubi que de mourir à genoux. Ce à quoi il opina.
Tagomi comprit au son de sa voix que le jeune garçon pleurait. Puis quelqu'un poussa un cri et Tagomi aperçut une silhouette floue qui se précipitait dans sa direction. Il entendit plus qu'il ne vit l'épée du lieutenant interrompre sa course.
Mais une nouvelle ombre apparut à gauche de la première, à droite du maréchal. Ce dernier donna un coup d'épée à l'aveuglette, juste avant de ressentir une violente douleur.
Alors Tagomi, né sur les terres du puissant empire de Cathay, fils de Noriyuke le samurai et de Ts'eu-hi, de Cathay, sombra rapidement dans les ténèbres.
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Inokuchi se déplaçait lentement dans la boue fangeuse qui lui arrivait aux genoux. L'écho des combats résonnait jusque dans les égouts, si bien que les membres de son escorte avançaient l'arme au poing. De temps à autre, ils relevaient les volets de leurs lanternes afin de se repérer. Sinon, le reste du temps, ils pataugeaient dans l'obscurité en se fiant à la faible lumière qui filtrait des caniveaux et des plaques d'égouts au-dessus de leurs têtes.
Puis ils arrivèrent au rendez vous.
Désignant une porte à double battant, suffisamment large pour laisser passer un chariot et son attelage, deux soldats ouvrirent les battants de bois.
Ceux ci n'opposèrent aucune résistance et bougèrent en silence, preuve qu'on les avait réparés récemment. À l'intérieur, une lumière vive éclairait une centaine de soldats armés d'arcs, d'arbalètes et d'épées.
Incidemment, c'était également la seule sortie directe vers la campagne environnante. Le rêve du contrebandier.
Bienvenue dans le dernier bastion de Kyubi.....
Les portes se refermèrent bruyamment dans un claquement qui avait quelque chose de définitif.
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Isoroku entendit sonner la trompette et commença immédiatement à lancer de nouveaux ordres. Ses hommes et lui n'avaient cessé de combattre de petits détachements d'envahisseurs et ils avaient appris que des escarmouches identiques avaient eu lieu près de la porte de la Mer, au Nord-Ouest de la cité. Jusqu'ici, en revanche, on n'avait aperçu que quelques soldats près de la porte Sud. Ça convenait très bien à Isoroku qui avait donné l'ordre d'envoyer le plus de soldats possible à la porte Nord. Ces deux dernières issues laissaient passer un flot constant de réfugiés qui se dirigeaient tous vers la route de l'Empereur et se rejoignaient à un kilomètre et demi de l'endroit où se tenait le jeune homme. Après ça, ils ne formaient plus qu'une masse de gens apeurés et désespérés qui cheminaient avec une extrême lenteur sur la route la plus large de la principauté.
Isoroku avait pour mission de défendre les arrières de cette colonne de Kyubiens tant que cela serait possible, ce qui ne devrait plus être le cas à mi-chemin de Suo, d’après ses estimations. Mais, à un moment donné, leurs ennemis cesseraient sûrement de les harceler-car ils devaient piller une cité et faire des provisions. Même s’ils gagnaient de nombreuses batailles en ce moment même, ils n’en restaient pas moins affaiblis par de longues semaines passées en mer.
Osoroku n’avait pas vu beaucoup d’ogres et se demandait si les officiers cathayens avaient choisis de les tenir à l’écart du champ de bataille après ce premier contact désastreux. Mais on ne lui laissait pas beaucoup le temps de réfléchir à la stratégie de ses ennemis, car il y avait beaucoup à faire : les envahisseurs ne cessaient d’envoyer de petites escouades à l’assaut de sa position. Les combats, courts mais intenses, s’étaient tous soldés par une victoire d’Isoroku, mais ses hommes commençaient à être fatigués et le nombre de victimes augmentait d’heure en heure.
Il avait demandé un chariot dans lequel il avait chargé ses blessés, qu’il envoya vers l’Est avec les réfugiés.
Les sonneries de trompette lui indiquèrent que les portes allaient définitivement fermer. Il commença donc à organiser la retraite. Au même moment, un jeune garçon arrêta son cheval à sa hauteur.
Capitaine ?
L’officier vit qu’il portait un uniforme de page et que des larmes coulaient sur ses joues. Il connaissait la suite.
Le maréchal vous ordonne de vous replier. Mais ça, le jeune homme le savait déjà, à cause de la trompette.
Il a dit que je dois partir avec vous.
C’est là qu’Isoroku comprit que le prince avait souhaité épargner au moins l’un des pages du palais. Et par voie de conséquence que le commandement allait, si ce n'était pas le cas, tomber.
Continue vers l’Est. Tu finiras par tomber sur un chariot plein de soldats blessés. Attache ta monture à l’arrière du véhicule et aide les valides à soigner les autres.
Le gamin s’éloigna au galop tandis qu’Isoroku se préoccupait à nouveau de sa mission. Tous les livres qu’il avait lus dans la bibliothèque du maréchal lui avaient appris qu’il était extrêmement difficile d’organiser une retraite dans le calme. Au cours d’une bataille, l’envie de faire demi-tour et de prendre ses jambes à son cou était souvent la plus forte. De plus, les soldats avaient appris à toujours avancer lorsqu’ils se battaient, si bien que la notion de combats à reculons leur semblait complètement farfelue.
Mais il en avait souvent discuté avec Tagomi au cours des deux dernières années, et plus encore le mois dernier, lorsqu’il avait pris connaissance de ses nouveaux ordres de mission. Il était bien décidé à empêcher l’ennemi de mettre ses soldats en déroute.
Pour cela, il fallait d’abord attendre que les derniers réfugiés qui avaient réussis à quitter la ville avant la fermeture des portes fassent leur apparition. Durant tout l’après midi, le bruit des combats lui parvint de divers endroits éloignés, même si les cathayens le laissèrent relativement en paix. Le gros de leurs forces avait réussi à entrer dans Kyubi, ils n’avaient donc plus besoin de pousser leurs attaques au Sud ou à l’Est de la cité.
Mais tout changerait dès lors que Tagomi et Inokuchi dévoileraient les surprises qu’ils avaient préparées à l’intention du démon et de ses troupes.
Un bruit sourds retentit dans le lointain. Quelques instants plus tard, un immense nuage de fumée noire s’éleva dans le ciel. Les troupes ennemies venaient de tomber sur la première surprise : des barils de feu quegan avaient été attachés aux pilotis qui soutenaient les quais ou entreposés dans les caves et les rez-de-chaussée des trois pâtés de maisons autour du port. A l’instant même où les défenseurs leur avaient mis le feu, le front de mer de Kyubi avait disparu dans une explosion difficilement imaginable, tuant les soldats ennemis qui se trouvaient à moins de trente mètres à la ronde. Ceux qui n’avaient pas été réduits en cendres moururent étouffés lorsque le feu chassa tout l’air de leurs poumons.
Isoroku jeta un œil au Sud-Ouest, en direction du palais. Il redoutait la présence des forces cathayennes à l’intérieur même du vieux donjon central. Comme pour répondre à ses interrogations, une nouvelle explosion dévastatrice retentit.
C’était quoi ça, capitaine !? Demanda un certain Kibo Bumaris, un lieutenant que le capitaine ne connaissait pas très bien.
Le palais, lieutenant.
Ce dernier ne fit pas de commentaire, préférant attendre les ordres. Au bout d’une demi-heure, le flot de réfugiés en provenance de la porte du Nord commença à se tarir. Isoroku donna l’ordre à ses hommes de se mettre en formation d’arrière-garde.
Il regarda passer les civils qui marchaient en direction du couchant. Puis il se tourna vers l’Ouest, où des incendies faisaient rage dans le lointain, et continua à attendre.
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Cela faisait maintenant deux jours qu’Isoroku n’avait subi des attaques que par intermittences. Il comprit enfin pourquoi lorsqu’un messager de son supérieur vint le retrouver. Les cathayens s’étaient faufilés dans les bois pour s’en prendre aux défenses de celui ci, à une de-mi journée de cheval à l’Est. Takachi lui indiquait dans son message, dans un style calme, que ces attaques ne lui posaient pas de réel problème mais qu’il s’inquiétait pour les réfugiés. Nul doute que l’ennemi devait les harceler sur la route de leur retraite. Une perte de ressources qui pouvait devenir problématique pour repeupler le pays une fois cet infâme merdier terminé.
Les soldats d’Isoroku finissaient d’organiser un campement à la va-vite lorsque le message était arrivé. Le flot de réfugiés ne cessait de grossier. Isoroku avait pris le temps d’adresser la parole à certains, mais personne ne put lui fournir la moindre information utile. Ils avaient trop peur pour réussir à mettre des mots sur ce qu’ils avaient vu. De plus, ils n’avaient qu’un souci en tête : s’éloigner de la cité sur le point d’être pillée.
L’un des fuyards était encore légèrement humide après avoir nagé dans un souterrain qu’il connaissait depuis l’enfance, avec, sur son dos, un sac rassemblant ses maigres possessions. Il savait seulement qu’une grande partie de la capitale était en feu. Mais ça, Isoroku n’avait pas besoin de se l’entendre dire puisqu’il pouvait apercevoir la colonne de fumée à l’Ouest. Lorsqu’il faisait encore ses armes dans le Sud, un vétéran lui avait décrit celle qui s’élevait au-dessus de la cité-forteresse cathayenne de Hyubi. La fumée noire et grasse était montée à plusieurs milliers de mètres jusqu’à ce qu’elle s’aplatisse comme un parasol gris. Le vent avait charrié l’odeur pendant des jours et les cendres étaient retombées sur des centaines de kilomètres à la ronde. Il ne doutait pas que Kyubi connaîtrait le même sort lorsqu’elle finirait par tomber aux mains des cathayens.
Il donna l’ordre aux lanciers lourds, qui représentaient la moitié de ses effectifs, de suivre les réfugiés. Il leur adjoignit les services d’une compagnie d’archers qui avaient rejoint son poste de commandement après avoir été coupés de leur propre base. Puis il décida, pour sa part, de se rendre aurpès de son supérieur en compagnie de la cavalerie légère et des archers montés.
Mais il n’avait pas fait plus d’un kilomètre qu’il tomba sur les premières victimes civiles des assaillants, ainsi qu’il le redoutait. Deux chariots brûlaient, tandis que le sol autour d’eux était jonché de cadavres. Plusieurs femmes déshabillées, avaient visiblement été violées avant de mourir. Des chiens errants avaient du se nourrir sur elles puisqu’il y avait des morceaux de corps manquant. Les bêtes avaient du fuir à l’approche des cavaliers. Les agresseurs n’avaient rien laissé derrière eux, pas même une paire de bottes ou une babiole de moindre valeur.
Isoroku examina les chariots et aperçut une traînée de céréales sur le sol.
Ils avaient faim. Terriblement faim. Mais même si les pourchasser était tentant, il devait aller prêter main forte à son supérieur. Si ces bâtards remontaient vers le Nord jusqu’aux contreforts des montagnes, alors ils s’arrêteraient et tourneraient vers l’Est. Alors, et seulement là, on leur tomberait dessus bien assez tôt.
Ils parcoururent le plus de chemin possible, ne laissant les chevaux se reposer que lorsque cela devenait absolument nécessaire. En effet, Isoroku était bien décidé à rejoindre Takachi avant le crépuscule. Pourtant, il savait qu’il risquait d’estropier certaines bêtes en les poussant ainsi. Mais s’il voulait que les défenses du clan, et de Nippon tiennent bon, il ne devait pas laisser l’ennemi s’emparer rapidement de leurs premiers bastions de résistance.
Kyubi allait tomber et cela n’avait demandé que trois jours. Sans doute les cathayens et leur démon étaient ils pressés de débarquer – cela signifiait que leurs réserves devaient être bien maigres. Mais Isoroku n’en revenait pas qu’ils aient utilisés la magie pour faire sauter les défenses du port. C’était tellement…. Destructeur. Même dans ses rêves les plus fous, jamais il n’aurait osé imaginer pareille puissance. C’était terrifiant. Mais les incendies sur les quais prouvaient que les cathayens avaient bel et bien pris pieds dans Kyubi.
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Yamamoto Kirugi était tranquillement assis derrière son bureau. Il savait que les premiers instants de sa confrontation avec les troupes cathayennes seraient les plus importants, car ils risquaient de très mal réagir face au moindre signe de peur, d’incertitude ou d’hostilité. En revanche, s’il restait calme et demandait simplement à parler à un officier capable de porter le message de hauts aristocrates nipponais à l’amiral Li Byang, il était sûr d’obtenir une certaine protection.
Il entendit des chevaux hennir à l’extérieur de la maison et comprit que les envahisseurs étaient arrivés. Il se clame en réfléchissant à ce qu’il leur dirait. Puis des bruits de pas résonnèrent dans le couloir, juste avant que la porte s’ouvre violemment.
Deux hommes étrangement vêtus entrèrent dans la pièce. L’un était armé d’une épée et d’un bouclier, l’autre d’un arc. Tous deux avaient une chevelure extrêmement grasse, coiffée en longues tresses disposées en demi-cercle autour de leur crâne. Yamamoto Kirugi se dit que les cicatrices sur leurs joues devaient résultat d’un rituel et non de combats.
Il leva les mains pour leur montrer qu’il n’avait pas d’arme, tenant dans la gauche le parchemin nipponai.
Salut à vous, dit lentement Yamamoto Kirugi. Je souhaite parler à votre commandant.
J’ai là un message des maisons du Sud.
Les deux guerriers s’interrogèrent du regard. L’archer posa une question à son compagnon dans une langue que le négociateur n’avait encore jamais entendue. L’homme au bouclier hocha la tête. L’autre leva son arc et décocha une flèche qui cloua Yamamoto Kirugi au dossier de sa chaise.
Tandis que la vie le quittait, il vit les deux guerriers sortir leurs couteaux et s’approcher de lui.
Plus tard ce matin-là, le capitaine d’une compagnie de lanciers impériaux se présenta devant la propriété avec une troupe de vingt hommes. Dix d’entre eux se déployèrent autour de la demeure et deux restèrent à l’extérieur pour garder les chevaux tandis que les huit autres se précipitaient à l’intérieur. Tous les membres de la compagnie mouraient de faim, si bien qu’ils ne se préoccupaient pour l’heure que de la nourriture.
Quelques minutes plus tard, l’un des combattants ressortit de la maison en secouant la tête d’un air dégoûté.
Qu’y a-t-il ? lui demanda son capitaine.
J’ai trouvé des Jikanjis en train de dévorer quelqu’un. Ah, ces satanés cannibales !
Le capitaine fit une grimace.
J’ai tellement faim que j’aurais presque envie de me joindre à eux. Où est Karan ? Je sais qu’il comprend leur charabia. Il faut leur dire de reprendre la route et de trouver autre chose à manger que ces grands cochons.
D’autres soldats revinrent.
J’ai trouve des bêtes là derrière ! Des poulets, un chien et même des chevaux ! Annonça l’un d’eux.
Un autre cavalier arriva en disant :
Il y a du bétail dans les champs capitaine !
Ce dernier mit un pieds à terre en riant.
Prenez les chevaux comme montures de rechange et allumez un feu pendant que nous allons tordre le cou à ces poulets.
Ses hommes s’empressèrent d’obéir à ses ordres. Le capitaine savait qu’il devait livrer le bétail à l’intendant de l’armée. Mais auparavant, lui et ses braves allaient faire un sort à toute cette volaille. L’idée de manger du poulet rôti lui donna des crampes d’estomac. Il n’avait jamais eu aussi faim de toute sa vie.
Et abattez-moi aussi ce chien ! Cria-t-il.
Il était soulagé d’avoir trouvé des vivres. Comment un pays qui paraissait aussi riche pouvait il manquer à ce point de nourriture ? Ça restait un mystère. Ils avaient trouvés de l’or et des pierres précieuses, des tissus fins et des objets d’une rare beauté, mais rien de comestible. C’était à n’y rien comprendre. Tout au long de sa carrière de mercenaire puis dans l’armée, il avait vu les gens s’enfuir avec leur or, leurs bijoux et tout ce qui pouvait avoir de la valeur à leurs yeux. D’ordinaire, ils n’emportaient pas les céréales, la farine, les légumes et la volaille. Même le gibier se faisait rare, comme si on l’avait poussé à s’en aller. On aurait dit que l’ennemi se repliait en emmenant avec lui tout ce qu’il avait de comestible. Ça n’avait aucun sens.
Le capitaine s’assit sur le perron lorsque l’un de ses hommes sortit de la maison avec des bouteilles de vin. Il but à longs traits en se demandant au passage combien de temps il aurait pu résister avant de se joindre au festin des Jikanjis.
Puis il s’essuya la bouche du dos de la main. Il n’aurait plus à se poser cette question avant plusieurs jours. Derrière la maison, il entendit les aboiements du chien s’arrêter brusquement. De leur côté, les poulets piaillaient tandis qu’on leur tordait le cou.
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Isoroku atteignit la position de Takachi à la tombée de la nuit. En cours de route, il avait du affronter les troupes adverses une demi-douzaine de fois et avait du constater le carnage qu’elles laissaient derrière elles. De nombreux cadavres jonchaient le bas-côté de la route. Le principal souci des troupes concernait visiblement la nourriture, car des objets de valeur, comme des pièces ou des bijoux, étaient éparpillés autour des corps. En revanche, il ne restait dans leurs affaires plus rien de comestible.
Après avoir donné le mot de passe à la sentinelle, Isoroku et ses hommes purent entrer dans le camp, Takachi venant les accueillir.
Qu’elles nouvelles ? Les choses ont mal tourné ?
Pire encore, répondit Isoroku en mettant pieds à terre.
Il laissa l’un des soldats de Takachi emmener sa monture et confia à ses officiers le soin de s’occuper des bêtes et de nourrir ses hommes. Puis il suivit Takachi jusqu’à un feu de camp proche de la barricade érigée en travers de la route. Le commandant désigna une marmite de ragoût fumant, lui ordonnant de se servir.
Le jeune homme prit un bol et une cuillère en bois et s’aperçut qu’il mourait de faim. Takachi compléta son repas en lui donnant une petite galette de riz et une gourde de saké.
Là, il lui expliqua que si Kyubi n’était pas encore tombée, alors ce serait le cas demain. Le palais était déjà parti en fumée.
Les deux hommes étaient pratiquement certains que cela signifiait la mort du daïmio. Quand au chancelier, il avait peut être réussi à s’échapper, mais c’était loin d’être sûr. Mais si le plan s’était bien déroulé comme prévu, le prince et le reste de sa cour – les nobles qui n’iraient pas sur le champ de bataille – se trouvaient en sécurité dans la capitale des collines brumeuses.
De leur côté, la situation était plutôt calme. Quelques éclaireurs s’étaient approchés de leur position, mais ils avaient réussis à les chasser, d’autant qu’ils préféraient décamper à la vue de leurs fortifications. Si tout se déroulait comme prévu, ils perdraient du temps en s’aventurant au Nord et au Sud, avant de se rendre compte qu’ils devaient revenir dans le coin. Peut être qu’une partie du temps perdu à Kyubi serait rattrapé.
Tandis qu’Isoroku hochait de la tête en avalant une nouvelle bouchée de ragoût, Takachi se passa la main sur le visage. De toute évidence, il était aussi fatigué que son jeune compagnon.
Vint l’heure de faire le pont. Son bol vide, il bu à la gourde pour l’informer ensuite qu’il n’y avait plus de réfugiés derrière eux. Ils n’auraient plus à jouer les arrières gardes. Maintenant, il s’agissait simplement de défendre en faisant payer très cher le moindre pouce de terrain aux bâtards d’en face.
Ils étaient tous deux extrêmement fatigués. Et Isoroku le serait encore plus le lendemain, car ce serait à lui et ses hommes de tenir le terrain pendant que la compagnie de Takachi se replierait. Au moins était-ce cette dernière qui monterait la garde cette nuit. Puis il essaya de se souvenir de ses ordres, avant de laisser tomber, trop fatigué qu’il était. Il avait juste à se souvenir qu’on devait ralentir au maximum l’ennemi et les retenir dans les montagnes durant les trois prochains mois….
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Capitaine. J’ai un message pour vois de la part du capitaine Saga.
Isoroku se frotta les yeux car il n’avait réussi à voler qu’une heure de sommeil depuis la fin des combats. La veille, après le départ de Takachi, ses hommes et lui avaient été attaqués à trois reprises, l’escarmouche la plus récente ayant eu lieu au crépuscule. Cependant, ils avaient facilement vaincu leurs assaillants, en partie grâce aux cinquante archers que Takachi leur avait laissés. Ces derniers devaient partir au moins une journée avec qu’Isoroku donne l’ordre de se replier, car ils étaient à pieds et ne pourraient pas suivre l’allure imposée par la cavalerie. Il n’en était pas moins ravi de les avoir sous la main, eux et leurs arcs longs.
L’officier avait ordre de tenir sa position jusqu’à ce qu’il devienne évident que tous les autres postes de défenses subissaient la même pression de la part des envahisseurs. Ensuite, il n’aurait plus qu’à se replier, créant une faiblesse évidente au sein des lignes du clan. En effet, le plan du daïmio Tagomi prévoyait de laisser l’ennemi gagner du terrain entre Kyubi et les collines brumeuses, mais seulement aux endroits où ça l’arrangeait.
Jusqu’ici, tout va bien, commenta Isoroku après avoir lu le message.
L’homme qui le lui avait apporté était un guerrier Uesugi. Isoroku lui conseilla d’aller chercher quelque chose à manger et de se reposer un peu, car il devrait repartir dès les premières lueurs du jour.
L’homme des collines hocha la tête et s’en alla. Isoroku se rallongea, s’enveloppa de nouveau dans sa couverture et tenta de se rendormir. Mais il resta éveillé un moment, songeant à sa femme. Il se demandait si elle allait bien. Normalement, elle était partie suffisamment tôt pour éviter les dangers qu’affrontaient désormais tous les réfugiés, sur la route, dans les ténèbres. Mais il était impossible d’en être tout à fait sûr….
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Un violent grondement ébranla le sol. Une autre explosion.
Depuis deux jours, Inokuchi, chancelier du clan, envoyait ses soldats en expédition dans les égouts afin de récolter des informations, pour mieux suivre le déroulement des combats et coordonner la défense de la cité. Il avait prévu que la magie du démon permettrait sans doute aux cathayens d’entrer rapidement dans Kyubi. C’est pourquoi il avait refusé d’assigner tous ses hommes à la défense des remparts, préférant garder des renforts à l’intérieur même de la cité. Cependant, il fallait donner le change à l’ennemi, en lui faisant croire que la capitale était bien gardée. Le chancelier avait donc été obligé de sacrifier délibérément la vie de centaines de soldats. Ce n’est qu’en posant le pieds en ville que les cathayens avaient découvert que la bataille ne faisait que commencer.
Bien qu’il fût très occupé à coordonner l’action des défenseurs depuis son poste de commandement souterrain, Inokuchi réussissait à voler de brefs moment de repos pour dormir et se nourrir. Il avait également saisi l’occasion d’apprendre à mieux connaître son frère, car il était triste de n’avoir pu passer que quelques heures avec lui en presque soixante-dix ans d’existence. Il savait que le bâtard était un meurtrier, un voleur, un contrebandier, un souteneur et qu’il avait commis autant de crimes qu’il peut y avoir sur un tas de crottin. Mais c’était son frère. Le chef de la pègre de Kyubi. La meilleure source d’informations qu’il avait sur Cathay. L’homme à qui il fallait s’adresser pour obtenir des marchandises par des voies peu…. Licites. Seul un caprice du destin avait fait qu’ils fassent connaissance des décennies plus tôt. Ils s’utilisaient mutuellement à leur avantage depuis cinquante ans.
Un autre grondement sourd résonna.
Il doit s’agir de l’entrepôt abandonné du côté du moulin, près de la rivière, annonça l’un des soldats. On y a déposés deux cents barils.
Avant le début du siège, les soldats d’Inokuchi avaient quadrillés la cité, entreposant des barils à des endroits stratégiques.
Vous auriez dû assister au siège de Jiayuguan, intervint le chancelier. Cette cité faisait la joie de ses défenseurs, mais représentait un véritable cauchemar pour ses attaquants. Il fit onduler sa main, imitant un serpent se déplaçant dans l’herbe. Pas une rue qui soit droite, il y avait toujours un angle à un moment donné. Les bâtiments n’avaient aucune fenêtre au rez-de-chassée, juste d’épaisses portes en chêne que l’on ne pouvait verrouiller que de l’intérieur. En plus, tous les toits étaient plats.
Les soldats sourirent et hochèrent la tête d’un air approbateur.
Des plates-formes de tir pour les archers, murmurèrent-ils.
Absolument, comme ça les défenseurs pouvaient se déplacer d’un toit à l’autre au moyen de longues planches qu’ils retiraient après leur passage. Pendant ce temps là les archers faisaient pleuvoir leurs flèches sur les assaillants, tout au long de leur progression. Quand les troupes de l’Empereur ont envahi la cité, le commandant de la place a fait exploser vingt-cinq mille barils de naphte.
Vingt-cinq mille ! l’interrompit son frère. Non. Tu rigoles ?
Absolument pas. Quand la cité a explosée…. Il s’adossa au mur.
Je ne peux pas vous le décrire. Essayez juste d’imaginer une tour de feu qui s’élèverait jusqu’au ciel, et vous aurez une petite idée de ce qui s’est passé. Le bruit était si fort que j’en suis presque devenu sourd. Mes oreilles ont continuées à bourdonner pendant une semaine à la suite de l’explosion. Puis la ville était construite au-dessus d’une source de naphte naturelle. Et les cathayens savaient comment le traiter correctement.
À ce moment là, quelqu’un frappa à la porte. Inokuchi couvrit l’unique lampe présente dans la pièce tandis que ses hommes tiraient leur épée. Suivant la consigne, le signal fut répété. Les soldats firent entrer la patrouille dans l’entrepôt plongé dans la pénombre.
Ses membres étaient au nombre de six et s’engouffrèrent à l’intérieur en traînant derrière eux trois civils.
On les avait trouvés dans les égouts. Le frère d’Inokuchi les reconnu comme étant ‘‘des siens’’, déclenchant une réaction hostile de ceux là, jusqu’à ce qu’on leur fasse remarquer qu’il était leur patron. L’anonymat avait ses avantages, mais pas aujourd’hui. Consternation, défiance, on demanda à Inokuchi s’il était lui, sans doute, sur un ton ironique, le chancelier de Kyubi.
Tout le monde éclata de rire, sauf bien sûr les nouveaux venus. Une jeune femme qui faisait partie des voleurs s’avança et leur expliqua la situation. Pour prouver qu’elle ne plaisant pas, l’un soldats lourdement armés assura qu’elle disait la vérité. Dès lors, les trois brigands se tinrent cois. Le chancelier de Kyubo et le patron de la pègre avaient beau se terrer dans une cave reliée aux égouts, ils n’en restaient pas moins les deux hommes les plus puissants de la cité.
Des jours s’étaient écoulés depuis leur arrivée dans cette cave. Des éclaireurs ne cessaient d’aller et venir, rapportant des nouvelles des combats. Les défenseurs faisaient payer cher aux envahisseurs le moindre pouce de rue ou la moindre maison dont ils s’emparaient, mais l’issue de la bataille était connue d’avance.
À un moment, son frère lui demanda pourquoi il n’ordonnait pas à ses hommes d’évacuer la cité, las d’être enfermé.
Malheureusement, il n’avait aucun moyen de leur faire parvenir cet ordre, déplora-t-il, regrettant sincèrement cela. Mais de toute façon, pour que son plan fonctionne, il fallait que l’ennemi croie que toute l’armée de la principauté soit massée dans la Kyubi.
Il était un sacré numéro. Est ce que quelqu’un d’autre que lui serait capable d’envoyer autant de gamins au casse-pipe ? Bien sûr que oui, s’il ce quelqu’un avait pour mission de défendre le clan, dut il sacrifier une cité, fut elle la capitale du daïmio.
Et quel était le plan du coup ?
Il avait en réserve quelques milliers de barils de naphte, et d’autres de ‘‘feu suprême’’, octroyés par les elfes, prêts à se déverser dans les égouts. Tôt ou tard, les bâtards qui se trouvaient au-dessus d’eux allaient comprendre qu’une partie de la population se cachait sous leurs pieds. Quand ils descendraient venir les chercher, il leur réservait une petite surprise. Ç’allait être un massacre. Cette saloperie brûlait même à la surface de l’eau. Et ça ne ferait pas que brûler.
Désignant une chaîne, visiblement neuve, suspendue à un mur tout proche et gardée en permanence par un soldat, Inokuchi révéla avoir repris l’idée des cathayens. En tirant sur cette chaîne, il libérerait une légère coulée de naphte dans les égouts. Il y a toute une série de petites canalisations et tuyaux…..
Les premiers égouts de la ville. Soi-disant condamnés lors de la construction des nouveaux, plus profonds, il y a un siècle. Sauf qu’on les avait rouverts. C’était l’avantage d’avoir à sa disposition tous les plans du moindre bâtiment et des installations publiques de la cité. Lorsque ces passages seraient remplis de naphte, la vapeur s’échappera dans les grands égouts où elle se mêlera aux gaz déjà existants, au feu suprême et naphte qui flottera à la surface de l’eau et à tous les barils pouvant être détachés. Quand l’incendie atteindre ces gaz, la cité tout entière partira en fumée. Boum. Dans une explosion. Et lorsque la fumée retombera sur Kyubi, il ne restera plus une pierre sur l’autre.
Kyubi était le seul foyer qu’il avait jamais connu, que ce soit côté palais ou côté égouts. C’est là qu’il était né. Mais il n’avait pas l’intention d’y mourir. Lorsqu’il tirera sur la chaîne, ils auront à peu près une heure pour s’enfuir, sauf s’il y avait déjà un incendie dans cette partie des égouts. À partir de là, il ignorait combien de temps ils auraient. Mais c’était le risque. Puis comme disait son mentor : personne ne quitte cette vie vivant.
De toute façon, il comptait sauver ses hommes, son frère, ses miséreux et tout ceux qu’il pouvait. Mais lui… Il avait l’intention d’être le dernier à quitter Kyubi et tant mieux si le destin voulait qu’il meure en même temps que sa ville. Depuis qu’il avait échafaudé un plan pour vaincre l’ennemi, sa conscience n’avait cessée de lui rappeler le prix terrible qu’allaient payer les habitants de la capitale. Pour eux, il n’y aurait ni avertissement ni évacuation dans le calme, car si les envahisseurs croyaient qu’il n’y avait rien à piller, ils contourneraient la cité plutôt que de s’en emparer. Pire encore, il fallait leur faire croire que la majeure partir des troupes du clan et des provinces du Sud avaient été détruites à Kyubi.
Il pouvait à peine supporter l’idée de continuer à vivre en laissant mourir tant de gens et en abandonnant derrière lui tout ce qui avait fait sa vie. Peut-être craignait-il les malheureux fantômes qui viendrait le hanter parce qu’il leur aurait fait payer le prix maximum pour permettre au clan de gagner du temps. Quoiqu’il en soit, il avait fini par décider que quand viendrait la dernière heure de sa cité, il partirait très certainement avec elle.
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Sur l’ordre d’Isoroku, les soldats entreprirent de se replier dans le calme. L’ennemi se trouvait en grand nombre à moins de huit cents mètres mais Takachi avait fait savoir à son protégé qu’une nouvelle position de repli avait été sécurisée et n’attendait plus que ses hommes et lui.
Isoroku s’était dit que pour rattraper le temps perdu à Kyubi, mieux valait s’y prendre journée après journée plutôt que d’essayer de tenir les premières lignes de défense durant les trois semaines supplémentaires qu’aurait dû durer le siège de la capitale. À l’origine, le plan de bataille prévoyait qu’il tiendrait les barricades pendant une semaine. Il y était resté neuf jours.
Il restait sept positions de repli à défendre avant d’atteindre les collines brumeuses et leurs montagnes. S’il réussissait à gagner trois ou quatre jours chaque fois, il finirait par rattraper une grande partie du temps perdu. Mais il préférait ne pas se montrer trop optimiste car il occupait la position la plus vulnérable, celle du centre. Les lignes de défense au Nord et au Sud ne devaient pas céder ; lui en revanche avait pour mission de reculer au fur et à mesure pour attirer l’ennemi. De leur côté, les autres fronts étaient censés canaliser les troupes cathayennes au centre, sur la route de l’empereur, à huit kilomètres de leur position respective. La seule faiblesse de ce plan résidait dans le fait qu’Isoroku verrait arriver davantage de soldats ennemis à mesure que le temps passerait.
Ses éclaireurs avaient vu des bannières de bataille se lever, signe que l’ennemi se préparait à lancer une grosse offensive contre sa position. Malheureusement, il avait prévu de se trouver au moins à mille cinq cents mètres de là quand les cathayens et leurs hordes de mercenaires arriveraient. Isoroku utilisa le code des signes pour donner ordre à ses troupes de quitter la zone. Il demanda également aux archers de se replier, même si, à l’origine, il était prévu qu’ils harcèlent l’ennemi tout du long de la ligne de marche. En effet, les rapports indiquaient la présence d’un trop grand nombre de soldats dans le camp adverse pour qu’Isoroku prenne le risque d’exposer ses archers. Il improviserait et trouverait en chemin un autre endroit où les poster, afin qu’ils puissent ralentir la progression des troupes ennemies tout en ayant une chance d’en réchapper.
Cependant, si on les attaquait durant cette première phase de repli, lui et ses hommes n’auraient que peu de temps pour se préparer au combat. Là résidait toute la difficulté de cette stratégie. S’ils parvenaient à prendre leurs adversaires de vitesse et à gagner suffisamment d’avance, ils pourraient alors s’enterrer dans des tranchées et se défendre. Mais s’ils se faisaient attaquer sur la route, ils risquaient de se faire écraser par l’ennemi, largement supérieur en nombre.
Isoroku devai absolument emmener ses hommes jusqu’à la prochaine position, où les attendraient Takachi et ses troupes. Les deux régiments se défendraient jusqu’à ce que l’ennemi se retire, après quoi les soldats de Takachi iraient sécuriser la position suivante. Telle devait être la routine des trois prochains mois, en tout cas jusqu’à ce qu’ils arrivent aux collines brumeuses. Lorsque les cathayens cesseraient de s’en prendre au fronts Nord et Sud, les soldats de la principauté descendraient prêter main forte à leurs collègues du centre. Mais cette phase de l’opération ne se produirait pas avant un mois et peut être même jamais si les troupes de l’ennemi persistaient à vouloir se battre sur tous les fronts.
Tandis que ses soldats s’éloignaient, Isoroku s’attarda quelques instants auprès de son dernier bataillon d’archers monté, qui resteraient là jusqu’à ce que l’ennemi apparaisse. Il leva les yeux vers le ciel de fin d’apèrs midi et regarda vers l’Ouest. De la fumée s’élevait au-dessus de Kyubi qui brûlait. Il se demanda comment s’en sortaient Tagomi, Inokuchi et les autres. En silence, il pria la dame de la Chance d’aider ces gens à s’en sortir vivants.
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Les bruits des combats par parvenaient à s’insinuer partout, même dans la cave où se cachaient le chancelier et les siens. Les gardes n’avaient cessés de faire la navette entre les différents bastions répartis dans les égouts, si bien qu’Inokuchi avait une vague idée de la progression de l’ennemi en ville. Au centre de Kyubi, les incendies faisaient rage, tandis qu’à l’Est se déroulaient quelques combats, de manière sporadique.
La majeure partie des troupes d’invasion attendait derrière les murs en flammes que les incendies s’éteignent. Un seul éclaireur avait osé risquer un coup d’œil dans ce secteur. Il était revenu en disant que des milliers de soldats campaient au milieu des cendres froides de la partie occidentale de la cité. En apprenant que le palais n’était plus qu’un tas de gravats noircis, Inokuchi en conclut que son beau-frère avait trouvé la mort dans l’explosion.
L’angoisse d’une mort imminente ne cessait de planer sur eux. Il leur faudrait beaucoup de chance pour parvenir à s’échapper des égouts à temps. Or, personne ne se sentait particulièrement en veine.
Il donna de nouvelles instructions à l’éclaireur qui était parvenu à s’introduire dans la partie occidentale de Kyubi. Il était difficile de ne pas perdre la notion du temps dans l’obscurité, mais le soleil venait sans doute de se coucher lorsque l’éclaireur revint pour la deuxième fois de la journée pour lui apprendre….. Ô joie, des navires attaquaient la flotte ennemie en ce moment eux.
Il devait s’agir de la flotte qu’il avait envoyé harceler les transports cathayens en haute mer. Mais il était étonné qu’il y ait assez de navires restants pour mettre en œuvre une attaque d’envergure. A moins que ce ne soient les asurs qui revinssent à la charge ? Voir les deux. Il se souvenait avoir donné l’ordre au commandant de la flotte de se cacher après l’attaque, puis de joindre ses forces à ce qui restait des asurs puis lancer une attaque surprise sur les navires orientaux après qu’ils aient jeté l’ancre, dans le but d’incendier le plus de navires possibles pendant qu’il mettait le feu à la cité.
Bon. Tout ne s’était pas déroulé exactement comme prévu. Mais si le gros de leur armée, leurs éléments clés, se trouvait à l’Ouest en attendant que les incendies s’éteignent, alors on pouvait laisser le naphte s’écouler dans les anciens égouts. Ça ferait exploser la cité entière sous leurs pieds, tandis que les navires seraient en feu. Nul ne pourrait y échapper.
Ça lui faisait plaisir. Cette cité était à lui.
En silence et avec efficacité, six hommes allèrent ouvrir une grande porte en bois à double battant tandis que deux de leurs camarades ouvraient celle qui donnait sur les égouts. Les six premiers soldats firent rouler des barils à l’extérieur du grand entrepôt. Pendant ce temps, deux autres gardes essayaient d’appuyer sur un très vieux levier en fer couvert de rouille. Il fallu l’aide de quatre autres hommes pour que le levier commence à bouger. Au même moment, l’on entendit de l’eau s’écouler.
Une très vieille citerne derrière le mur était en train de se vider, créant un courant très rapide qui s’en allait en direction du port. Dans le même temps, les six soldats vêtus de noir faisaient rouler leurs barils le long d’une rampe inclinée qui se terminait dans l’eau. Visiblement, celle-ce s’écoulait plus vite car les barils s’éloignaient rapidement en flottant.
L’un d’eux heurta le chambranle de la porte et se brisa. L’odeur du naphte s’éleva. Inokuchi esquissa un sourire sinistre.
C’est bien qu’il y en ait un peu à la surface…..
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Feu ! s’exclama Calimehtar Erchamion, Ciryaher de la flotte de l’Est.
La douzaine de catapules réparties sur les navires les plus proches projetèrent leurs charges enflammées très haut, visant les vaisseaux à l’ancre dans le port.
Ces primitifs humains leurs avaient facilités la tâche en attachant tous leurs navires ensemble. Ainsi, ils n’avaient plus qu’à tirer sur une seule et gigantesque masse.
Erchamion, dont les ancêtres étaient originaires d’Ulthuan, avait vu le jour à Lothern. Il n’avait jamais mis les pieds dans l’Ouest, jusqu’à ce jour de printemps où il avait traversé le Cap des terres du Sud puis les portes de Calith, ne perdant que deux navires dans l’affaire. Un tribut acceptable compte tenu de la période et l’urgence, car il était encore tôt pour tenter la traversée. Le vieil elfe avait également eu la chance de ne rencontrer qu’un seul vaisseau de guerre étranger sur le chemin entre Kuresh et Tor Elithis : un cotre cathayen qu’il avait rattrapé et coulé sans lui laisser la moindre chance de prévenir quiconque de la présence de sa flotte dans la mer Jaune.
Le Ciryaher avait été durement éprouvé en apprenant la mort tragique du prince Menel Dalhanil. Il ne l’avait rencontré qu’à deux reprises lors d’obligations sociales et militaires à la citadelle de l’aube, mais sa réputation n’était plus à faire et ses actes de bravoure étaient connus de tous. Par ailleurs, Erchamion s’estimait chanceux de pouvoir au moins une fois dans sa vie combattre l’ennemi en mer, avec ses engins de guerre et ses marins, prêts à se battre au corps à corps si besoin était. En effet, il avait passé la majeure partie de sa carrière à pourchasser de misérables pirates, à remettre à leur place des petits potentats grincheux ou à assister à des cérémonies au palais royal de Lothern. Voilà qu’il avait à présent l’occasion de faire ce pour quoi il s’était préparé toute sa vie. De plus, si ce qu’on lui avait raconté à son départ de la citadelle de l’aube, quelques mois plus tôt, était vrai, alors le sort des colonies dépendait de cette bataille.
Comme ordres à la flotte, il ordonna à celle ci de pousser l’attaque. Aucun navire ne devait leur échapper. D’ici le crépuscule, tous les navires étrangers entre Cathay et Nippon devront avoir été coulés. C’était l’océan de Menel tout de même ! Il était intolérable qu’ils puissent y naviguer librement.
Des éléments de la flotte de secours, de celle des colonies et des restes nipponais se détachèrent de la masse et prirent la direction du Nord pour débusquer les navires qui avaient accosté entre Kyubi et Hubei. D’autres vaisseaux partirent dans l’intention de pousser plus loin encore. Quant aux navires ennemis qui avaient accosté entre Kyubi et ce qui avait été autrefois Jiayuguan, les restes nipponais regroupés de force avec les machins flottants des potentats locaux les avaient coulé ou brûlé jusqu’au dernier.
Le joie du Ciryaher augmenta d’un cran lorsqu’il s’aperçut que son plan fonctionnait. Il avait ordonné de concentrer les tirs sur la première rangée de navires, les transformant en brasier en l’espace de de quelques minutes, avant qu’ils n’aient le temps de se détacher des autres bâtiments. À présent, l’incendie avançait en direction de la cité, se propageant d’une embarcation à une autre. Les projectiles qui ne cessaient de pleuvoir sur la flotte immobile ne faisaient qu’ajouter au carnage. Même si ce n’était absolument pas élégant, ni dans les usages, et extrêmement risqué, le Ciryaher était obligé de reconnaître l’efficacité du ‘‘feu suprême’’. Son utilisation massive lors de cette campagne, au vu des résultats escomptés et de la situation, semblait tolérable. Mais de là à en faire l’éloge à ses pairs d’Ulthuan au risque de se couvrir de ridicule…. Il ne fallait pas pousser !
Erchamion regarda le Dragon Royal, commandé par le second du défunt Menel, emmener une flottille au Nord afin de couler le moindre navire ennemi. Il lui souhaitait bonne chance. Quand à lui, il allait s’assurer que pas une bateau n’en réchappe.
Il savait que Menel avait eu droit à des funérailles en mer, tandis que son navire faisait voile vers la base. Ensuite, la flotte s’était réapprovisionnée et avait réparé les dommages subis lors de la première offensive avant de revenir vers Kyubi, le tout en un temps record. Grâce en soit rendue à Asuryan et les mages des cieux. Malgré sa disparition , le Ciryaher avait l’impression, comme tout vieux marin, que d’une certaine façon Menel arpentait encore le gaillard d’arrière de son navire. Il salua le Dragon Royal et la mémoire des deux meilleurs marins qu’il ait connu, le maître et son élève, Laeyel Hariil et Menel Dalhanil.
Puis, revenant à la situation présente, il vit un petit navire situé près des quais se libérer des autres et faire voile dans leur direction.
Vous voyez ce navire, capitaine ? Coulez-le, je vous prie.
À vos ordres, Ciryaher.
Tandis qu’il se rapprochait du bateau ennemi, le Ciryaher Erchamion regarda brûler la cité nipponaise, capitale de la principauté locale. Une profonde tristesse l’envahit à la vue de toute cette grandeur réduite en cendre. Ce lieu avait beau être souillé par la présence des singes malodorants qui l’avait envahie des siècles durant, les traces du peuple asur dans le lieu restaient encore. L’architecture, les fondations…. Ce qui restait de la colonie de son peuple, quand bien même salie par les primitifs, était encore assez fort à ses yeux pour mériter qu’il s’apitoie dessus. Puis il mit ses émotions de côté, car il avait encore une bataille à gagner.
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Inokuchi tira sur la chaîne. Un grondement au-dessus de sa tête lui apprit que le mécanisme fonctionnait à merveille. Le naphte allait se répandre dans les conduits et les buses avant de s'écouler dans les égouts. Si on dispose d'environ une heure pour sortir de là.
Les soldats gravirent rapidement les marches qui menaient à la partie supérieure de la cave. L'un d'eux investit le petit escalier qui conduisait à la trappe et risqua un coup d’œil dehors. Il se retourna pour faire signe que la voie était libre. Tout le monde sortit alors sous le ciel nocturne.
La nuit était plus sombre qu'elle aurait dû l'être, car une épaisse fumée noire obscurcissait le ciel. Certains se mirent à tousser. Les soldats prirent des mouchoirs qu'ils se nouèrent sur le visage pour se protéger le nez et la bouche. Les voleurs les imitèrent en arrachant des pans de tissu à leurs chemises.
Les bruits de combats résonnait tout autour, mais il n'y avait personne en vue. Les éclaireurs d'Inokuchi partirent en courant jeter un coup d’œil au coin de la rue.
Brusquement, le chancelier les rappela et donna l'ordre à tous ses compagnons de se cacher. Ceux qui ne le pouvaient pas se jetèrent à plat ventre dans la rue ou se tapirent contre les murs, espérant se rendre invisibles dans la pénombre enfumée du soir.
Des cavaliers passèrent au galop. Il s'agissait de soldats du clan, apeurés et en sang, leur uniforme réduit à l'état de loques. Visiblement, ils fuyaient, en proie à la panique.
Il faut trouver un autre chemin, chuchota Inokuchi à ses compagnons les plus proches. Ceux qui les poursuivent ne devraient pas tarder à arriver.
Tandis qu'ils se repliaient vers l'entrée de leur cachette souterraine, il apparut que les paroles du chancelier avaient valeur de prophétie, car une escouade de cavaliers ogres passa au galop dans un bruit de tonnerre.
C'est là qu'Inokuchi se rendit compte que les rapports reçus ne leur rendaient pas justice, qui voyait pour la première fois ceux là.
Le groupe au complet réussit à regagner son refuge sans être pris.
Ne restait plus, pour sortir de la cité, que le déversoir de la porte Nord. Qui emmenait au Nord de la cité. Pas à l'Est. Et il leur restait moins d'une heure alors qu'il était à une demi-heure de marche. Mieux valait sortir de ce bourbier tant que c'était encore possible. Si ils réussissaient à gagner les bois qui se trouvaient au Nord, alors ils réussiraient à trouver un chemin vers l'Est.
Regardant ses trente soldats et la douzaine de voleurs qui constituaient son groupe, il réalisa qu'il avait peu de chances d'y parvenir. Mais il devait essayer.
Il conduisit tout son petit monde dans le dédale des égouts.
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Stupéfait, le Ciryaher Erchamion écarquilla les yeux. Une créature venait d'apparaître, comme surgie du néant, traversant les ponts en flammes des bâtiments ennemis. Toute de plumes, un grand bec, des griffes.... Et pourtant elle ne semblait craindre le feu.
Sur le chemin de kyubi, le Ciryaher et sa flotte avaient rencontré cinquante navires ayant jetés l'ancre au large des plages de la principauté. Les cotres, vifs et rapides, s'en étaient approchés pour permettre à leur équipage de lancer des bouteilles de feu suprême ou de naphte. Les gros navires avaient actionné leurs balistes ou leur catapultes. En fin de compte, tous les vaisseaux ennemis avaient été incendiés. Près d'une vingtaine d'autres avaient été abordés, capturés ou coulés, si bien qu'avec la destruction des navires dans le port, le Ciryaher estimait avoir réduit en cendres la moitié de la flotte de ces barbares primitifs orientaux. Une deuxième estimation approximative laissait penser que cent cinquante à deux cents navires ennemis étaient déployés le long des côtes, à moins que ceux ci ne soient aux prises avec la flottille du capitaine Aredhel.
Et voilà que, surgissant du brasier qu'était devenu le port de Kyubi, un démon s'avançait à sa rencontre d'un air déterminé. Calmement, l'amiral tira son épée.
J'ai l'impression que cette créature a l'intention de nous aborder, monsieur Devorak.
Feu ! Ordonna le capitaine.
Aussitôt, balistes et archers firent pleuvoir leurs projectiles sur le démon. Ce dernier hurla lorsque des flèches vinrent se planter dans son corps, haut de cinq mètres. Mais il n'en continua pas moins d'avancer à travers l'incendie, visiblement plus irrité que blessé.
Le flotte se repliait lentement, mais c'était le navire amiral, la Gloire de Lothern, qui se trouvait le plus proche de l'incendie du port. La créature grimpa sur le bastingage du dernier navire en flammes et déploya ses ailes. Puis elle poussa un cri de colère et effectua un bond prodigieux pour couvrir la distance qui la séparait du navire d'Erchamion.
À tous les vaisseaux ! Toutes voiles dehors !!! ordonna le Ciryaher tandis que sa Némésis personnelle volait vers son navire.
Il ne sut jamais si le message était bien parti car le démon, ayant désormais quitté le corps brisé et inutile de l'amiral Li Byang, se jeta sur lui, le souleva et lui brisa l'échine tout en lui emportant la moitié de la tête d'un coup de dents. Messire Erchamion connut la brève satisfaction de sentir son épée s'enfoncer profondément dans les flancs de la créature. Mais il n'entendit pas son hurlement de douleur, car il mourut avant que la créature ne se rende compte de sa blessure.
Le capitaine Devorak voulut porter un coup d'épée au démon qui, pour la peine, lui détcha la tête des épaules. Les archers installés dans le gréement tirèrent sur l'infâme, en vain, tandis que les membres les moins braves de l'équipage plongeaient par-dessus bord.
Les deux amiraux de la flotte pour les colonies étaient morts, laissant leurs capitaines livrés à eux même. Chacun devrait décider jusqu'à ce que la hiérarchie des deux flottes puisse à nouveau être réorganisée. Au moins avaient ils réussi à détruire la plus grande partie des navires ennemis.
La créature du chaos tua et dévora tous les marins qu'elle put trouver, se régalant de leur chaire et leurs âmes, jusqu'à ce qu'elle se rende compte que le navire avait dérivé vers le Nord-Ouest de la cité. Le démon pouvait supporter l'eau de mer pendant un moment, mais il détestait son contact, car elle aspirait une partie de son énergie et nuisait à son maintien dans le matériel. Il abandonna le navire et se propulsa dans les airs, tentant de rejoindre le brasier qui consumait sa flotte et la cité. L'incendie ne lui faisait aucun mal, mais provoquait de terribles pertes dans ses réserves de viande et d'énergie vitale. Qu'il était bon d'être dans le materium. Il en profitait tellement qu'il commençait à négliger sa mission. Et puis son lien avec l'aer tendait à se réduire légèrement, la faute à ces fauteurs de troubles de mages elfes. Quand à ceux qui étaient dans l'armée, ils fondaient comme neige au soleil. Ces petites sucreries étaient si délicieuses à consommer....
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Inokuchi vit le garde qui ouvrait la marche lever la main. Tout le monde s'arrêta. Ils avaient croisé d'autres personnes en chemin, parmi lesquelles des réfugiés et des envahisseurs. Pour l'instant, nul ne semblait pressé de se battre dans l'obscurité des égouts. Mais sil les assaillants commençaient à débusquer les gens qui se cachaient sous terre, cela voulait dire que la cité était déjà à eux. Inokuchi effectua un rapide calcul mental et comprit qu'il ne leur restait que dix minutes, tout au plus. Il se trouvaient à une dizaine de pas du déversoir de la porte Nord, près de la fameuse porte de la Mer, la plus fréquemment utilisée par les brigands et les contrebandiers pour entrer ou sortir de Kyubi.
Son frère envoya l'un de ses voleurs, une jeune femme, en éclaireur. Avec souplesse, elle escalada les barreaux qui menaient vers la sortie et revint quelques instants plus tard annoncer que la voie était libre. Sur son geste, l'évacuation commença.
Inokuchi insista auprès de la seule famille qu'il avait encore pour sortir en dernier. Il ne voulait pas mourir, mais avait provoqué tant de morts et de destruction. C'était le seul foyer qu'il connaissait. Il ne pouvait vivre avec ce fardeau là. Les derniers évacués étaient en train de sortir....
Puis le monde explosa autour de lui. Les six hommes qui se trouvaient de l'autre côté de la porte se retrouvèrent au sol, sonnés. Les trois qui s'apprêtaient à franchir le seuil furent projetés en l'air tels des bouchons de champagne. L'un des sbires se brisa le cou en atterrissant vingt mètres plus loin tandis que les deux autres se brisèrent plusieurs os.
À l'intérieur même du tunnel, l'ai s'enflamma. Au cours du bref instant qui précéda la tragédie, le chancelier eu le luxe de voir défiler sa vie devant lui. Son enfance, la déchéance, la rue, la pègre, son service auprès du prince, la découverte de l'existence d'un frère, la rencontre avec sa femme, amour de sa vie l'ayant sauvé de la noyade, qui l'avait aimée pour ce qu'il était, malgré la connaissance totale de la vérité, et qui en dépit de tout ce qu'il avait fait depuis, ou de tout ce qu'il avait pu lui demander et qui l'avait fait souffrir.
Il oublia ce qui l'entourait et reporta son esprit sur leur fils unique qui se trouvait loin, en sécurité, avec ses deux petit-fils adorés. L'espace d'un instant, il revécu les moments passés ensemble, depuis ce voyage à Cathay jusqu'à leur retour à Kyubi. Lorsque les flammes consumèrent sa chair, il était à ce point immergé dans ses souvenirs qu'il n'éprouva aucune douleur.
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Ils s'en étaient bien sortis. Compte tenu de l'effondrement total de Kyubi... Isoroku et Takachi déjeunaient ensemble, après quoi le capitaine nouvellement promu général s'en irait avec ses hommes. Pendant ce temps, les soldats Isoroku investissaient les défenses creusées ou érigées par le régiment de Takachi, assisté de quelques locaux réquisitionnés pour l'occasion avant de les renvoyer plus loin. Ses hommes se réjouissaient de ne pas avoir eu à monter les barricades eux-même car ils allaient pouvoir se reposer un peu avant l'arrivée des troupes ennemies. Et ils allaient devoir tenir les lieux cinq jours au lieu de quatre. Et il comptait essayer d'aller jusqu'à six.
Les nouvelles du Nord sont bonnes. Le capitaine Norimasa et ses pisteurs ont réussi à poster leurs hommes dans les montagnes sans trop de problèmes.
Isoroku éclata de rire.
Attendez que l'ennemi se présente là-haut en force.
Justement, une partie du plan consiste à l'en empêcher, soupira Takachi.
D'après les rapports, c'est au Nord que les combats sont les plus violents. Un régiment Uesegi tient compagnie à nos petits gars. Il se sont enterrés dans des tranchées près d'un petit col au Sud-Est de Messias-les-Terrasses.
Isoroku fit appel à son souvenir des cartes qu'il avait étudiées avant d'acquiescer. Les hommes des collines allaient devoir tenir leur position car s'ils laissaient les envahisseurs grimper là-haut en grand nombre, ils leurs offriraient une route dégagée sur le versant oriental des montagnes. Ainsi, l'ennemi pourrait les contourner.
Mais heureusement, les troupes cathayennes du secteur n'étaient pas assez nombreuses pour les déloger. Pour l'instant.
Trop fatigué pour réfléchir, Isoroku avoua préférer se coucher une fois son unité installée..... Avant d'apprendre qu'il allait devoir vérifier les installations deux fois pour s'assurer que tout était prêt. Et il ne dormirait alors pas avant la tombée de la nuit.
La bonne nouvelles était qu'ils avaient gagnés deux jours. Plus que trois semaines à tenir. Était-ce possible ? Car si ça n'était pas le cas, il allait y avoir de gros combats le long des collines brumeuses et à la Lande Verte.
Qu'en est il des armées de renfort ?
Elles attendent derrière les collines.
J'aimerais qu'elle soient parmi nous, déplora le capitaine en regardant ses soldats préparer les armes et les munitions.
Je comprends. Ce n'est pas facile de voir tes hommes tomber un à un. Mais c'est nécessaire.
Je sais. Le prince me l'a bien expliqué, tout comme toi. Mais personne n'a dit que je devais aimer ça.
Je suis d’accord.
Isoroku se délaissa du feu de camp pour passer ses hommes en revue. Takachi avait raison, car le soleil était couché depuis des heures lorsque son jeune ami trouva enfin le temps d'aller dormir.
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Isoroku contempla la scène en contrebas.
Un énorme rassemblement de troupes se déroulait dans les champs au pied des contreforts des collines. La semaine qui venait de s'écouler avait été relativement calme, mais ce répit touchait visiblement à sa fin.
Pendant un mois, les forces du clan avaient réussies à obliger les cathayens à suivre la route tracée pour eux. D'après les rapports, il y avait eu de violents combats au Nord et au Sud, mais les lignes avaient tenu bon. Pendant ce temps, les défenseurs du centre en avaient profité pour reculer lentement, attirant l'ennemi derrière eux.
Ils avaient frôlé le désastre à deux reprises, échappant de justesse aux assaillants. Cependant, à chaque nouvelle position défensive les attendaient des troupes fraîches. Isoroku était encore loin de se montrer optimiste quand au succès de leur plan, mais ils s'en rapprochaient chaque jour un peu plus.
Il avait réussi à gagner une semaine sur le temps perdu à cause de la chute prématurée de Kyubi. En effet, il avait tenu sa dernière position dix jours au lieu des sept initialement prévus. À présent, ses hommes allaient devoir retarder l'avancée des troupes ennemies tout en se repliant. Le but était de leur faire croire qu'elles allaient rencontrer une forte résistance à Yubei. Ainsi, en incitant les cathayens à rester prudents, l'armée du clan parviendrait peut-être à occuper la position souhaitée lorsque les combats arriveraient aux portes de la Lande Verte. Chaque fois qu'Isoroku songeait au plan, qui prévoyait d'empêcher l'ennemi de passer les montagnes, il se demandait si par malchance l'hiver serait tardif.
En tout cas, il disposait d'un nouvel avantage depuis l'arrivée d'un magicien. Le clan avait fait des efforts les années précédentes pour pouvoir recenser les pratiquants des ''arts'', aidés en cela de leurs ''alliés'' elfes. Celui qu'on lui avait attaché connaissait plusieurs sortilèges utiles. Il pouvait prédire quel temps il ferait le lendemain et envoyer rapidement des messages à Takachi à l'aide d'oiseaux. Il voyait également mieux que tout soldat à ses côtés à de très grandes distances, même s'il ne pouvait se servir de cette vision surnaturelle que pendant un court moment. Contrairement à Isoroku, le magicien ne savait pas sur quels détails il devait se concentrer, mais il commençait à apprendre.
D'autres magiciens avaient surgi un peu partout pour assister les défenseurs et les aider de leur mieux. Isoroku leur en était très reconnaissant, même si jusqu'ici les mages ennemis brillaient par leur absence. Quoiqu'il en soit, les prêtres de Tsien Tsien finiraient bien par intervenir. Isoroku espérait que ce jour-là, les mages sauraient sauver les restes face aux praticiens ennemis. Il paraît même que les longues oreilles avaient envoyés quelques uns des leurs au poste de commandement pour veiller au grain.
Regardant les alentours, Isoroku constata que les monts, au Nord, disparaissaient dans les brumes de chaleur de cette fin d'après midi. Ses hommes n'allaient pas tarder à entrer dans les rizières en terrasses et les bosquets vallonnés de son enfance. Au yeux des non-initiés, le terrain paraissait moins accidenté que les basses collines à l'Ouest, mais ce n'était pas le cas. Des crêtes et des ravins inattendus risquaient de prendre l'ennemi au piège et de retarder son avance. Espérant avec ferveur que ce serait le cas, Isoroku avait posté ses vétérans à des endroits clés, sur les limites de la zone qu'il avait à protéger. Au-delà, pour défendre la région, il lui faudrait compter sur les pisteurs du prince et les uesegi du capitaine Murakami que Takachi surnommait le Régiment mixte de Kyubi.
C'est au Sud qu'Isoroku avait envoyé le gros de ses forces, composées de troupes fraîches qui n'avaient pas encore l'expérience des combats. Le terrain leur faciliterait les choses puisqu'ils 'étaient moins aptes à combattre que leurs camarades aguerris. La plupart n'étaient d'ailleurs que des adolescents nés en ville qui n'avaient reçu qu'un entraînement de deux mois et qui n'avaient jamais reniflé l'odeur du sang. Une bande de moutons prêts à se faire massacrer au moindre inattendu. Et il avait à les garder en vie....
Discutant avec le mage qu'on leur avait attribué, Isoroku cessa soudain le dialogue pour observer les choses en contrebas. L'ennemi avait l'air de se rassembler pour monter un assaut, mais leur opération avait l'air très mal coordonnée.
Le gros des troupes adverses se composait certes de mercenaires, individuellement bons comme guerriers, mais ignorant pratiquement tout de ce qu'était une bataille de grande ampleur. Et jusqu'ici, ils n'avaient remportés de victoires que grâce à leur nombre. Après il y avait le reste, bien plus inquiétant. Comme ce corps d'infanterie lourde en uniforme vert qu'il observait. En ligne, bien ordonnés.... Il juraient avec le reste, essentiellement du mercenaire dont les chevaux étaient morts quand ils n'avaient pas été abandonnés en chemin. Ces guerriers là ne leur servaient à rien sinon qu'en s'engouffrant dans une brèche une fois qu'elle était percée.
Ils ne devraient pas poster leurs hommes comme ça.
Leur cavalerie allait devoir mener une charge sur un terrain vallonné;quant à leur infanterie lourde, ils avaient visiblement l'intention de l'envoyer attaquer la zone la mieux défendue de la ligne. On avait l'impression que le reste de leur armée allait traverser un terrain à découvert où les catapultes nipponaises et leurs archers allaient les réduire en bouillie.
S'il était aux commandes en face, il aurait placé sa cavalerie au centre, pour couvrir ses soldats en tirant sur les artilleurs ennemis. Pendant ce temps là, son infanterie lourde attaquerait le Nord de leur position actuelle, où un étroit ravin se trouvait qu'ils n'avaient pas eu le temps ni le matériel de construire de véritables fortifications. Une fois une brèche ouverte à cet endroit là, tandis que le reste de l'armée pourrait s'y engouffrer pour faire des ravages dans les rangs ennemis. Ça devrait leur venir à l'idée. Ce qu'il ne comprenait pas, c'était pourquoi il ne le faisaient pas.....
Essayant de balayer la fatigue des derniers jours pour réfléchir correctement, le capitaine prit quelques minutes pour y penser sérieusement. Et plus il y pensait, plus il avait l'impression que ce rassemblement n'était qu'une feinte pour les pousser à concentrer leurs forces à cet endroit. Ils allaient sûrement essayer d'attaquer un autre point de leurs lignes. Il fallait envoyer un nouveau message à Takachi. Sans attendre que le mage n'ait réussit à envoyer un oiseau, il envoya des messagers prévenir les soldats massés au Nord, au Sud et à l'Est de sa situation.
Prévenant le magicien qu'ils allaient devoir quitter la position le lendemain, aussi, valait il mieux qu'il quitte sur le moment pour atteindre un endroit sûr avant le coucher du soleil. Il l'autorisait à prendre un cheval. Qu'il passe le mot au quartier maître. C'est là qu'il apprit.....
C'est que je ne sais pas monter, capitaine.
Ce dernier regarda par dessus son épaule.
Vous ne connaissez pas un sort ou quelque chose pour vous déplacer rapidement ?
Hélas non.
Des tambours retentirent au bas de la colline.
Dans ce cas, je vous suggère de vous mettre en route et de faire une partie du chemin à pied. Si vous n'arrivez pas à rejoindre un camp ami, trouvez vous un endroit abrité où passer la nuit. Demain matin, le chariot transportant les blessés devrait vous rattraper ; faites lui signe, le conducteur vous prendra à son bord. Je le préviendrais pour qu'il ne soit pas surpris.
Un autre tambour retentit. Isoroku dégaina son épée et tourna les talons.
Maintenant, si vous voulez bien m'excuser....
Une flèche passa au-dessus de sa tête, sans doute tirée au hasard par un assaillant trop anxieux. L'officier regarda par dessus son épaule et vit le magicien partir en courant avec une ardeur toute renouvelée. Il prit le temps de rire de cette scène cocasse, puis il se contenta à nouveau sur le sanglant labeur qui l'attendait.
S'exclamant d'une voix forte, il ordonna aux archers de se mettre en joute et d'attendre son signal. Puis de préciser que le premier bâtard qui laissait filer une flèche sans son autorisation devra descendre là-dedans pour la lui rapporter.
Il sourit, se réjouissant d'avoir apprit à tyranniser ses troupes. Ce genre de talents étaient utiles. Puis il reprit son sérieux car ses adversaires venaient de se lancer à l'assaut de sa position.
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Isoroku accueillit la tombée de la nuit avec soulagement. Les envahisseurs se repliaient en ce moment même au bas de la colline mais ils laissaient derrière eux des hommes épuisés. Il s'était trompé en croyant qu'il ne s'agissait que d'une feinte. En réalité, s'il tenait encore cette position, c'était grâce à l'incompétence des ennemis, qui s'étaient montrés à l'assaut de la colline. Ils avaient commencé par essuyer les tirs incessants des archers du clan, puis ils s'étaient fait décimer par les courtes lances souples à pointe de fer que ses soldats avaient appris à lancer. Des centaines d'ennemis mouraient chaque fois qu'ils voulaient conquérir un mètre supplémentaire ; pourtant ils avaient quand même réussi à atteindre la première tranchée.
Les fortifications consistaient en une série de tranchées et de barricades creusées ou édifiées à flanc de colline. Ainsi, dès que les assaillants étaient obligés de se regrouper à cause du terrain accidenté, ils se retrouvaient pris sous le tir croisé des archers et des artilleurs. Lorsque les survivants de la première vague de cathayens avaient atteint le premier obstacle, ils s'étaient trouvés face à un haut remblai de terre compacte couronné de pieux en bois très pointus. Ces derniers n'avaient pas provoqué beaucoup de dégâts mais avaient ralenti les assaillants en les obligeant à manœuvrer prudemment.
De nouveau les troupes de l'Empereur dragon avaient constitué des cibles parfaites pour les défenseurs du clan. Mais il ne cessait d'en arriver davantage. Au bout d'une heure, Isoroku ne sentait déjà plus ses bras ; malgré tout, il avait continué à se battre. À un moment donné, quelqu'un était passé avec un sceau d'eau et une louche, profitant d'un court moment de répit pour donner à boire aux soldats. Isoroku avait bu rapidement avant de reprendre le combat quelques instants plus tard.
Pendant des heures qui lui avaient paru une éternité, il s'était battu ainsi, frappant les assaillants dès que leurs têtes apparaissaient de l'autre côté de la redoute. Puis l'ennemi avait pris la fuite, peu désireux de poursuivre son attaque alors que le soleil commençait à sombrer derrière l'horizon.
Des torches furent allumées, plus pour rassurer les hommes que par réel besoin – le nuit mettait un certain temps à s'installer en cette période de l'année. Les personnes qui s'étaient enrôlées comme infirmiers passèrent dans les rangs pour apporter de l'eau et des vivres aux survivants. Puis ils emmenèrent les blessés et les morts.
Le capitaine s'assit à l'endroit même où il avait combattu toute la journée, sans se soucier du cadavre d'un soldat ennemi qui gisait dans la poussière à côté de lui. Lorsque le gamin lui apporta de l'eau, il n'en but qu'une gorgée et lui demanda de distribuer le reste à ses compagnons.
Bientôt, une estafette lui apporta un message. Après en avoir lu le contenu, il se demanda s'il allait réussir à bouger, tant il se sentait fatigué. Puis il s'exclama d'une voix forte :
Nous avons ordre de nous replier !
Comme par magie, le sergent Li apparut à ses côtés.
On bat en retraite capitaine ?
C'est ça.
On doit rejoindre notre prochaine position ?
Exactement.
Ça veut dire qu'on va pas beaucoup dormir cette nuit, pas vrai ?
Je suppose que non, admit son capitaine. Où voulez vous en venir sergent ?
Oh, nulle part capitaine. Je voulais juste m'assurer que j'avais bien compris les ordres.
Isoroku dévisagea ce vieux rusé de Li Qiang d'un œil torve.
Je pense que vous comprenez parfaitement, sergent.
Bah, vous faites comme vous voulez capitaine. C'est juste que nos gars ont passé une demi-journée à se battre et qu'ils ont pas encore avalé une goutte d'eau ou une bouchée de pain. Mais du moment que c'est pas moi qui leur demande de ramasser leurs affaires et de se mettre en route sans prendre le temps de souffler....
Isoroku s'aperçut que ses hommes étaient sur le point de s'effondrer.
Je pense qu'on peut prendre le temps de manger avant de partir.
C'est gentil capitaine. Ça nous laissera un peu de répit pour traîner les cadavres à l'écart et charger les blessés dans les chariots. Vous avez pris une sage décision.
Isoroku s'assit de nouveau et laissa Li s'en aller.
Dire que j'ai le culot de me prendre pour un officier ! Marmonna-t-il dans sa barbe.
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Harunori était perplexe. Les ordres qu'il recevait depuis le début de la campagne était au mieux incohérents, au pire prémices à une défaite. Déjà la reconquête de leur terre natale avait extrêmement mal commencée, Kyubi qui avait été, dans les plans de départ, prévu pour servir de base pour la flotte, était réduite en cendres, ruines et couverte de mort, tandis que son port, aspect le plus important de la cité, était encombré d'épaves, rendant toute navigation impossible. Sans compter les pertes subies lors de sa prise, ou la destruction des greniers de la ville, objectif prioritaire de cette première phase de la campagne de reconquête de la mère patrie. Puis la faim qui ravageait les rangs, ou le haut commandement de plus en plus vague dans ses ordres, et pressé dans l’exigence d'avancées....
Envoyant ses blessés se faire soigner dans l’hôpital de campagne de son régiment, il s'interrogea sur les nombreuses entorses que ses supérieurs effectuaient par rapport au plan de campagne initial. Que n'aurait il pas donné pour que l'on lui donne une carte et un haut commandement qui se fasse soucieux de la mise en place de missions de reconnaissances. Il évoluait à l'aveugle. Encore aujourd'hui son attaque, brusquée par des ordres insistants, avait été un échec total. L'absence de mages pour forcer la voie, pas de préparation, ni de reconnaissance ou bien de ravitaillement correct..... En conséquence de quoi il avait du faire abattre les montures pour nourrir la troupe, et se retrouver avec une masse de piétons presque inutiles, pour ensuite lancer une attaque sans réelle planification, au mépris de tout soucis d'économie de leurs effectifs.
Certes, les mercenaires n'étaient que cela, des épées louées, mais il était mauvais pour le moral que de les envoyer mourir par centaines pour rien.
L'Empereur soit loué, ils avaient percés les lignes adverses, mais à quel prix..... Les effectifs incommensurable de l'expédition avaient été nombreux, dans le but de pouvoir tenir le terrain. Pas être gâchés dans des attaques vaines. Mais à quoi pensaient donc les hommes de l’État major !? Même des unités solides et régulières comme la sienne n'étaient pas épargnées.... Une victoire, certes, mais extrêmement coûteuse, comme d'autres avant elles, et le laissant avec des troupes incapables de faire un pas de plus, et des vivres toujours plus réduites, certains hommes se livrant au cannibalisme sans qu'il ne puisse y faire quoique ce soit, faute d'autre chose à manger que de l'herbe et de la terre. La viande ne se conservait pas éternellement et le gibier semblait avoir été chassé des terres.....