(Traduit du gnoblar par votre serviteur, pour le salut de vos yeux)
Laissez-moi vous conter l’histoire d’Ulsuk et Raznatt.
Il était une fois dans les Montagnes de Larmes deux jeunes globars de la tribu libre du roi autoproclamé Trichar « cœur de pion » : Ulsuk et Raznatt. En apparence, ils étaient tous deux semblables à n’importe quels autres gnoblars, sans rien de particulier. Pendant quelques temps, ils partagèrent ensemble les mêmes galères et les mêmes aventures. Mais Ulsuk avait un don, un don précieux jalousé par son camarade, un don qui ne pouvait pas se voir : il était sociable. Sans qu’on sache vraiment pourquoi ni comment puisqu’il n’avait rien de spécial, tout le monde l’appréciait et le voulait auprès de lui. Petit à petit, à force de se faire des amis plus puissants que lui, qui le présentaient eux-mêmes à des amis plus puissants encore, Ulsuk s’éleva dans la hiérarchie. Après quelques lunes, même le roi Trichar était son ami ! A l’inverse, Raznatt, lui, était ignoré comme la plupart de ses camarades, et Ulsuk qui était autrefois son ami l’avait oublié, abandonné à sa misérable condition maintenant qu’il ripaillait avec les puissants. La rage au cœur, rendu encore plus vert par la jalousie qu’il ne l’était déjà naturellement, Raznatt jura mille fois de se venger de son ancien ami qui l’avait laissé tombé. Mais ce n’étaient là que des paroles en l’air. Raznatt ne pouvait rien faire, il était bien trop peureux pour oser tenter quoi que ce soit : Ulsuk faisait partie de la haute maintenant, il avait des amis puissants et s’en prendre à lui aurait été dangereux.
Lorsqu’un jour la tribu libre de gnoblars croisa la route du tyran Balsut « le Ventriloquant » de la tribu ogre des Bras-de-Bronze, ce fut la fin de la tribu libre. Cœur de pion fit honneur à sa réputation, et se soumit sans hésiter à ses nouveaux maîtres et désormais protecteurs. Les ogres n’y virent aucun inconvénient. En réalité, beaucoup se fichaient bien des gnoblars, certains les trouvaient amusants, d’autres ennuyants, et la plupart les ignoraient plus ou moins. Le puissant tyran et ses ventres-durs aimaient quant à eux avoir ces petites créatures serviles auprès d’eux, juchées sur leur épaule ou clopinant à leur côté. Elles les servaient, les faisaient rire et les flagornaient en permanence. En échange, les ogres les protégeaient et leur donnaient même parfois quelques babioles ou de la bonne nourriture.
Pour les gnoblars, sacrifier leur liberté contre la protection de leurs nouveaux maîtres ne posait pas problème. Au contraire, chacun voulait sa place auprès de ces nouveaux protecteurs ! Mais l’ex-tribu gnoblar était nombreuse, trop nombreuse pour les ogres. Seuls les plus chanceux et les plus sociables eurent la chance de servir de compagnons à leurs nouveaux amis, les autres devant se contenter de suivre en formant un immense et misérable groupe qui suivait la tribu d’ogres, se chamaillant entre eux pour se partager les restes laissés derrière la tribu.
Bien évidemment, Ulsuk fut choisi parmi les privilégiés. Il eut même la chance de servir le Balsut « le Ventriloquant » en personne. Raznatt, lui, ne put s’extraire de la masse, sa condition ne s’était pas améliorée, et il devait en plus supporter quotidiennement l’humiliation de voir son ancien camarade se pavaner avec le tyran tandis que lui trimait pour survivre.
Peu après, la tribu des Bras-de-Bronze partagea un banquet suite à une chasse au mammouth réussie, banquet arrosé avec de nombreux fûts de bière naine « réquisitionnés » à un convoi marchand quelques jours plus tôt. Le fumet qui s’échappait de la carcasse du monstre qu’ils avaient abattu fit saliver tous les gnoblars. Ceux de la troupe grouillante massée à l’arrière de la tribu savaient qu’ils n’auraient aucune part dans ce festin, leurs ventres vides gargouillant. Les gnoblars de compagnie, eux, savaient qu’ils pourraient chaparder un peu de viande et profiter à leur niveau des festivités. Ulsuk rayonnait, c’était son moment, le plus beau jour de sa vie. Assis sur l’épaule du tyran, il profitait depuis quelques heures lorsqu’un évènement inattendu se produisit : son « ami » et maître, ivre-mort, chuta de son siège suite à un fou-rire. Pour un ogre comme le tyran Balsut, véritable masse de muscles, d’os et de graisse, une telle chute n’était pas grave. Pour le pauvre Ulsuk, en revanche, c’était une toute autre histoire. Sous le poids de son protecteur, les frêles os des jambes et du bassin du gnoblar se brisèrent comme des fétus de paille, lui arrachant des atroces hurlements de douleur.
Avez-vous déjà été saoul ? Le moindre bruit est insupportable, alors imaginez une seconde une petite voix stridente et suraigüe qui hurle juste à côté de votre oreille. Par réflexe, sans même y penser, Balsut frappa en direction de la source des cris, comme on écraserait une mouche dont le bruit nous importune. Il y eut un « sprotch » des plus plaisants le bruit cessa, puis le festin reprit normalement.
Raznatt et les autres gnoblars de la troupe qui suivait la tribu des Bras-de-Bronze ne purent effectivement pas se repaître de mammouth grillé la journée qui suivit, car les ogres ne laissent pas grand-chose de leurs repas, et que le peu qu’ils avaient pu laisser avait déjà été mangé par leurs congénères gnoblars de compagnie. Par contre, ils purent festoyer à leur guise des restes oubliés d’un gnoblar méconnaissable écrasé dans la boue. Sans le savoir, ce jour là, Raznatt eut sa vengeance, un plat qu’il mangea froid.