Un soir, je m'endors sur ma paillasse près du feu au milieu des quarante membres de la famille Bonchardon, et le lendemain, je me réveille toute seule, sans plus aucune trace des miens, du cirque... et même de la cité de Baerenthal. Au début, j'ai cru à une mauvaise blague de Rimi et Assmus, qu'on avait profité de mon sommeil pour me déplacer à mon insu, mais quand ils ont refusé de répondre à mes cris de plus en plus empreints de panique, la dure réalité a commencé à me frapper : on m'avait jeté un sort. Pour sur, la vieille sorcière servant de mère à Sirrah avait du comprendre que j'avais dérobé son miroir, et s'était vengée en utilisant sa magie noire. Quelle autre explication à ma situation ?
J'ai beau être nomade, je laissais habituellement la tâche de nous orienter aux adultes - incapable de lire les bornes militaires ou les panneaux par moi-même, je ne pouvais me repérer que grâce au soleil et à la mousse des arbres. J'ai erré quelques jours à la recherche des miens, traversant bosquets et prairies sans avoir la moindre idée d'où me menaient mes pas.
Quand j'ai enfin retrouvé la civilisation, ce fut au sein d'une cage portuaire dont le nom m'échappe. Tout y était très bizarre : les maisons, les gens, leurs habits, les propos qu'ils tenaient, tant par le vocabulaire employé que l'accent qu'ils avaient. Ils parlaient le reikspiel, j'en étais sure, mais une forme bizarre de ce dernier, avec plein de mots que je ne comprenais pas ou qui ressemblaient à d'autres sans avoir toujours le même sens. Dans ces conditions, questionner la population au sujet du cirque itinérant des Bonchardon fut une pure perte de temps : lorsque j'arrivais à comprendre la réponse qu'on me donnait, elle était systématiquement négative.
Et c'est là que j'ai fait la plus incroyable de toutes les rencontres : une asur, une vraie, avec les courbes élégantes, les jolis habits, les oreilles rigolotes et les longs cheveux platines à l'aspect si soyeux que j'ai déjà envie de frotter mes joues contre. Déjà que Sirrah elle avait impressionné Papy Beauconteur, mais alors quand il apprendra que j'ai rencontré une haute elfe, il va être tellement jaloux qu'il va surement bouder des jours durant, surtout si je me met à me surnommer Susi Beauconteuse. Je pourrais, avec l'histoire qui m'arrive en ce moment c'est sur que je capterais l'attention de tous !
Quoiqu'il en soit, ladite asur avait maille à partir avec les locaux qui la menaçaient avec des mines patibulaires et des armes en métal pointées droit vers son ventre tout plat. Je ne pouvais pas laisser la toute première elfe que je rencontrais se faire malmener par quelques biges mal lunés, alors j'ai profité de la diversion faite par la dame aux oreilles pointues pour chaparder la bourse de leur chef, avant d'attirer leur attention pour leur montrer mon butin. Évidemment, ils m'ont couru après, mais l'avantage d'être petite dans une ville bondée, c'est qu'on se faufile partout et qu'on disparait en un éclair sans grande difficulté, surtout face à des types qui portent tout un attirail militaire qui pèse des dizaines de kilos.
Une heure plus tard, j'ai retrouvé l'asur, et conformément à ce que papy racontait, elle était aussi pénible qu'orgueilleuse, à la façon d'un pou sur son fumier - je commence à mieux comprendre la haine que peuvent leur porter les nains. Elle afficha un dédain de chaque instant, ne me remercia aucunement pour mon aide superflue puisqu'elle gérait parfaitement la situation avant mon intervention, et tenta de se débarrasser de moi à plusieurs reprises. Hors de question pourtant que je lui lâche la grappe ! Selon les histoires, les asurs ont des connaissances qui dépassent l'imagination, ils ont une sagesse millénaire, enfin bref, ils sont plus futés que moi - donc c'est sur, cette "Akisha" elle pourrait utiliser son esprit supérieur pour trouver une piste vers ma famille. Après l'avoir suppliée vingt-sept fois, soudoyée trois fois avec du tabac, deux fois avec du lait de Moute, lui avoir volé son cimeterre, subi soixante-quatre menaces de mort dont plus de la moitié dans sa langue natale (j'ai compris le sens grâce aux grimaces et au passage de son pouce sur sa gorge), elle a fini par accepter que je la suive jusqu'à sa destination : Mordheim. Elle m'a promis entre deux crachats qu'elle m'aiderait si je l'aidais en premier à obtenir ce qu'elle désirait dans cette cité, sans vraiment me dire quoi. Ça tombe bien, je suis justement une bonne petite chapardeuse !
Le trajet ne fut pas de tout repos, déjà parce que Akisha mettait toute la mauvaise volonté du monde pour répondre à mes questions, et ensuite parce qu'on s'est fait attaquer par de méchants brigands. On aurait été fichues s'il n'y avait pas eu l'intervention de deux femmes, une jeune et une autre qui l'était franchement moins. La première a hurlé "pour l'amour de Sigmar" alors même qu'elle enfonçait la tête d'un brigand dans son propre corps, ce qui je pense est une preuve d'affection un petit peu singulière. La vieille dame quant à elle n'a servi à rien, parce qu'elle est tombée dans les pommes à cause de l'émotion, par contre son tas de métal qui crissait de partout il a terrifié les biges, qui se sont enfuis en courant : ce n'est qu'à ce moment-là que Akisha a égorgé l'un des fuyards avec un sourire sadique.
En discutant, on s'est rendues compte qu'on allait toutes au même endroit, alors on a fait la route ensemble. Je sais qu'il ne faut pas dire du mal des personnes âgées, mais Isabelle est une méchante mamie. Dans les meilleurs moments, elle perd complètement la boule et elle me confond avec une servante ou une apprentie, et m'ordonne de la coiffer ou de lui cuisiner quelque chose. Dans les pires, elle est à peu près lucide, et plus méprisante et détestable que jamais, n'hésitant pas à me mettre des coups de canne quand j'ai le malheur de lui demander si elle savait combien il y avait de rides sur son visage alors que c'est quand même important de savoir si je veux la comparer à Mémé Cheveuxargentés. Heureusement, son petit compagnon en métal est quant à lui très rigolo, il fait des petits cliquetis et se relève tout seul quand on le pousse.
Tétradie est plus gentille, mais elle est beaucoup moins intéressante qu'une magicienne ou une asur. Elle a tendance à ne parler que de Sigmar matin et soir, et puis elle divague pas mal comme quoi c'est la divinité majeure de tout l'Empire, la seule qui mérite qu'on la serve, alors qu'aux dernières nouvelles il n'y a bien qu'à Altdorf que son culte intéressait des gens. Et puis elle me met un peu mal à l'aise, parce qu'à peine j'arrive à briser son sérieux en lui parlant de la célèbre saucisse de Sigmar que la minute après elle m'énumère toutes les mutilations qu'elle va se faire le soir-même pour se punir d'avoir souri à mon humour. Elle tue l'ambiance.
C'est elle qui nous a emmené devant ce temple à Mordheim d'ailleurs. Tout ça parce qu'elle a discuté avec un vieux avec un air mystérieux qui lui a parlé de reliques de cet ancien empereur qui y seraient enfermées. Je suis pas sure que ça suffira à satisfaire Akisha pour qu'elle m'aide ensuite à retrouver ma famille, mais elle n'a pas refusé de venir alors je suppose que ça l'intéresse malgré tout.
Quoiqu'il en soit, la foule devant l'édifice n'a pas l'air commode. Il n'y a rien dans cette ville qui le soit d'ailleurs - et en même temps, si un météore tombait sur le cirque, je serais sans doutes un peu courroucée aussi. Tetradie et Isabelle tentent de discuter avec ces ces azimutés, alors je profite que l'attention de la plupart soit détournée pour proposer à l'asur qu'on cherche une seconde entrée. Enfin, je voulais lui dire ça, mais finalement j'ai perdu le fil de mes pensées en observant ses jolis cheveux, et puis vu qu'elle était distraite je me suis dite que je pouvais tenter de les caresser. J'avais déjà essayé une fois quand elle dormait, mais ma main avait pas parcouru la moitié de la distance qu'elle s'était réveillée en un éclair et que j'avais fini avec sa lame sous la gorge - c'est impressionnant, parce que moi je dors comme une brique la nuit, on pourrait me tresser tous les cheveux que je sentirais rien du tout. Bref, du coup, là, je les caresse tout doucement avec la pointe de mes doigts, et elle le remarque pas tout de suite grâce aux fanatiques qui font plein de bruit et qui puent, ça occupe ses sens. Ils sont d'un blanc neige vraiment jolis ses cheveux, pas blancs qui vire au gris comme ceux de Isabelle l'azimutée. Je résiste pas à l'envie d'enrouler mon doigt autour d'une mèche pour profiter de leur douceur, et c'est là qu'elle me regarde avec un air fâché. Elle me dit que ses cheveux sont vénéneux : je suis sure elle me ment, alors je lui tire la langue, mais bon, dans le doute, je vais éviter de me ronger les ongles dans les heures à venir.
Elle aboie beaucoup mais elle mord pas tant que ça, l'asur. Du coup, on fait le tour du temple pour chercher une entrée : ça devrait pas être bien dur, l'édifice est tout défoncé de partout - si les vitraux brisés au niveau du sol ont été remplacés par des tas de planches afin d'empêcher les intrus d'entrer, je suis sure que dans les hauteurs personne ne s'est embêté à faire du trop bel ouvrage pour colmater les brèches. Armée de mon grappin et capable de me contorsionner même à travers les plus petites ouvertures, je suis certaine de me trouver un recoin par lequel me faufiler !