En sortant dans le couloir, vêtu et préparé, il put croiser la jeune femme partie dormir avec Kalum le soir même. Loin de sa beauté initiale, elle était couverte d'hématomes et de petites plaies aux endroits où le sang avait giclé de la peau. Rajoutez à ça un oeil au beurre noir et des marques de strangulation sur sa gorge ainsi qu'une démarche boiteuse. Kalum ne tarda pas à suivre, un vaste sourire sur sa face tuméfiée et griffée de frais. D'humeur radieuse, il envoya:
-"Merci la putain, je repasserai bientôt, promis! Hahaha!"
La petite s'élança dans les escaliers, des larmes venant couvrir son visage fracassé et la mine renfrognée. Elle disparut par la porte de l'auberge, suivie de quelques sanglots et beaucoup de regrets.
Au rez-de-chaussée, justement, les frères Jürker ripaillaient paisiblement, les habits encore crottés d'avoir sorti les chiens au petit matin. Eux aussi affichaient une joie de vivre indécente au vu du sang qu'ils devaient avoir sur les mains et leurs cabots infernaux verseraient bientôt. Wilburg ne tarda pas à les rejoindre, suivi d'un Kurt plus mort que vif. Dans ses yeux se lisaient tout le combat que livrait son existence: d'un côté un corps jeune et robuste qui refusait de partir aussi aisément et de l'autre ôté une infection maligne qui grignotait ses chairs et sa force vitale. Il ne marcherait pas aujourd'hui, il n'en avait plus l'énergie.
La dernière journée de voyage se déroula sans la moindre encombre. Aux forêts nues du Reikland succédèrent des champs endormis par le manteau d'Ulric et de vastes prairies où paissaient des chèvres ainsi que des vaches à la fourrure épaisse. Quelques bergers, paysans et marchands les accompagnaient sur ces vastes routes riches, parcourues par des hommes nombreux et bien en armes, frappés au sceau de Nuln, seule maîtresse des environs. La température s'améliora d'ailleurs quelque peu vers midi et la boue remplaça vite la fine couche de neige, rendant la progression plus difficile, sachant qu'il fallait en plus supporter les râles de douleur de Kurt que chaque bosse faisait gémir.
Puis, en fin d'après-midi, alors que le soleil partait se coucher, elle apparut, Nuln la Belle, Nuln la Riche, dont les cent cheminées de forge crachaient des quantité ahurissante de suie, cendre, gaz et fumée. A cette heure la foule qui s'attroupait devant la Porte Sud était bien maigre mais les gardes, toujours précautionneux, inspectaient chaque chariot avec force détail et comparait les visages des nouveaux venus à des portraits décrits qu'ils possédaient. Deux grandes tours de guets supportaient autant de balistes lourdes pointant vers l'horizon et dans le reflet des meurtrières apparaissait l'agitation d'une garnison importante, prête au combat. Après une heure d'attente et d'inspection en bonne et due forme, les portes de Nuln s'ouvrirent au convoi, alors qu'une odeur fétide déferlait avec le vent d'hiver.
Là Piero put se souvenir de ses voyages, de son enfance. Il avait vu la pauvreté, même la vraie misère. Que ça soit dans les Appuccinis, Middenheim, Altdorf, la Drakwald et bien d'autres. Mais rien n'était comparable à l'ambiance abominable du Faulstadt. Un brouillard brunâtre puant flottait en permanence jusqu'à deux mètres du sol, la bise qui soufflait sur ce quartier charriait de sinistres odeurs de sang, de mort et la puanteur âcre des teintureries. Les chiens vomirent sous ce cocktail insoutenable et la toux qui prenait les mendiants autour d'eux les saisirait sans doute bientôt également. Restait maintenant à sortir de ce lieu digne d'un orc et trouver un semblant de civilisation. Encore une fois, bien préparés ou indiqués, les marchands de mort avaient une adresse. Ce soir on dormirait donc au Chien qui Jappe, établissement un peu petit bien que respecté et dont le propriétaire appréciait la gente canine.
L'ambiance était calme et même plutôt agréable, avec une décoration étonnante basée sur de l'artillerie et notamment les canons anciens. Le patron, qui avait dû être ancien forgeron au vu de ses bras immenses, ne se lassait pas de présenter le Lutzen, une arme ayant servie dans la Guerre contre le Chaos trois siècles plus tôt et qui avait fauché plus d'hommes qu'elle n'avait eu de servants différents. A présent elle prenait une retraite paisible sur un mur, à s'emplir des dégoisades des clients et à rouiller dans la tranquillité, non loin du feu.
Pas de fille ce soir pour Piero, ni assez de place pour ambiancer les passants. D'ailleurs les Jürker le prirent presque à partie, bien qu'avec ménagement, pour mettre les choses au point:
-"Alors, comme Frederick le pense, on va devoir rester là quelques jours, histoire de vendre les bêtes. On va même rester plus longtemps, alors considère qu'on te paye la chambre ce soir et c'est tout."
-"C'est comme dit Léonard! Allez, on peut bien te donner une couronne en plus parce que t'as bien aidé, mais nous on a des choses à faire et on peut pas te payer l'auberge plus que ce soir, ah non!"
Piero put se coucher seul, mais riche d'une couronne de plus, ce qui représentait une somme non-négligeable. A lui d'organiser sa visite du lendemain et de s'arranger pour trouver un groupe capable de l'emmener à sa prochaine destination. Plus tard dans la nuit il entendit revenir Kalum, seul, qui était parti à peine arrivé pour trouver un médecin pour Kurt. Le sergent mercenaire se rendit dans sa chambre, sans prévenir personne, en attendant le matin.