J’avais préféré ne pas répliquer aux remontrances de Jorma et Gäbel, d’une part, parce que l’heure était grave, d’autre part du fait qu’ils avaient sans doute raison. C’était peut-être une idée de merde ouais, mais en attendant aucun d’entre eux n’avait pris la peine de trainer Alissen hors de l’amoncellement de saloperies dans laquelle on se trouvait. Et ça, honnêtement, c’était la honte pour eux.
La poursuite de la débandade avait été exténuante et mon corps de même que ma bienveillance avaient été mis à rude épreuve. Ma respiration se faisait de plus en plus difficilement et je fus plus d’une fois partagé entre l’abandon et la détermination d’accomplir la tâche que je m’étais donné. Mais bon, malgré tout, je me sentais progressivement dégagé de ce guêpier. Les mutants nous avaient lâché la grappe pour l’instant et la marche forcée à travers bois avait payé, chaque nouvelle foulée toujours plus douloureuse nous rapprochait moi et ma passagère vers mon objectif, l’oratoire Sud.
La sylve retrouvait petit à petit sa tranquillité habituelle au fur et à mesure de notre périple et les geais ne s’égosillaient plus en tout sens comme auparavant. Les mousses des sous-bois avaient peu à peu laissé place à une étendue de gravats et de brindilles mortes.
Nous nous engageâmes dès lors dans une sorte d’éboulement où les arbres se faisaient plus trapus leur donnant une silhouette plus robuste que dans le restant de la forêt. Les buissons plongeaient leurs racines où ils en avaient la possibilité entre les écueils, cherchant l’humus dissimulé par le rocher.
Le paysage avait fortement évolué et la pierre y prenait une place importante faisant passer les environs pour une zone desséchée.
L’escarpement nous fit modérer l’allure au détour d’une falaise rocailleuse. Mes jambes étaient en feu, j’étais presque à bout de force et seules ma détermination et la crainte d’échouer me permettaient encore de tenir d’aplomb.
Une portion de ma fatigue s’estompa en même temps que je découvrais le site, une minuscule butte se dissimulait derrière et des piliers de galets s’y dressaient. Ces entassements de pierres lisses et de bûches aux formes diverses encerclaient un promontoire lui donnant presque une apparence cohérente, voilà l’oratoire et une sculpture des plus naturelle y était établie. Une source d’eau paraissait découler de son sommet, bien que très différent de mes préférences sylvestres, le lieu exhalait l’harmonie, il rassasiait mon corps.
Tout semblait aller pour le mieux et ma passagère continuait de remuer de temps à autre sur mon dos. Le stresse des dernières heures commençait à se dissiper, laissant place à la lassitude et à la fatigue. Il est vrai que l’escarmouche avec les hommes bêtes m’avait fait perdre un temps précieux, mais surtout elle m’avait exténué et amoché. Toutefois, je ne regrettais pas la rencontre avec la bande de forestiers qui m’avait aussi permis de rejoindre le Bosquet sacré sans me créer de nouveaux problèmes notoires .
Arrivé dans cette zone à l’abri, Gäbel fit se disperser les autres afin qu’ils se reposent, tandis que l’on me déchargeait de mon fardeau. Toujours dans les vapes, Alissen donnait encore quelques signes de vie, me confortant dans les choix que j’avais dû faire.
— Ça va aller ma grande.
Je jetais un dernier coup d’œil à l’archère mal en point avant de fuir vers les environs.
L’oratoire était isolé du monde par une étendue rocheuse étonnamment haute pour les alentours. Ce qui lui donnait l’apparence d’un mur d’enceinte, la nature l’avait peu à peu couverte de mousse et de tripe de roche dissimulant le lieu aux profanes. L’endroit semblait sûr et à première vue nous pouvions nous relâcher en ce lieu sans trop de danger.
Après avoir pris congé d’Alissen et de ses compagnons, j’observais un instant mes semblables s’éparpiller dans les environs, un besoin soudain d’isolement me prit. Hélas, il fallait laisser l’envie d’ermitage de côté, pour le moment je devrais tenter de méditer avec d’autres personnes dans le voisinage.
Même si le biome ne demeurait pas particulièrement idyllique à mon gout, plusieurs choses m’apaisaient profondément.
Tout d’abord, la présence de l’eau qui restait la chose la plus importante a mes yeux, la chevelure de Rhya… Elle s’écoulait au travers du moindre cours d’eau. Elle donnait la vie, elle purifiait nos corps et nos âmes et surtout elle me manquait cruellement depuis que j’avais quitté le bosquet de l’anachorète ainsi que des semaines plus tôt, mon solide roché de Kastof.
Ensuite, il y avait la roche, une roche pure et sanctifiée par l’ermite et ses prédécesseurs depuis l’aube des temps. D’autant plus que ma condition de bâtisseur et l’affinité que j’avais développée avec la pierre au cours de mon ancienne existence étaient tenaces. Les outils que je portais constamment sur moi malgré leurs poids en étaient la preuve. Depuis mon plus jeune âge, il fallait absolument que je me passionne pour les minéraux qui m’avaient toujours captivé par leurs solidités et pouvaient m’être particulièrement utiles. Mon paternel m’avait ensuite plus tard enseigné ce que les petits barbus lui avaient eux-mêmes appris. D’ailleurs, cela me faisait penser que mon marteau aurait grandement besoin d’une nouvelle tête.
Chassant un moment mes penchants, je me cherchais un galet en hauteur où m’établir. Je dérangeais quelques reptiles qui profitaient de la chaleur que le rocher emmagasinait. De là, je pouvais observer et écouter, les choses les plus essentielles dans la nature, il fallait tout d’abord que j’examine de plus près les environs. Je n’avais pas l’intention de passer des heures à crapahuter dans les broussailles pour dénicher des sacrifices que l’oratoire ne m’offrirait pas. De plus que mon corps ne supporterait pas de piétiner encore pendant des heures. Finalement, l’esprit tumultueux de Taal m’avait lentement déserté laissant place à sa compagne. Sans aucune honte, j’optais alors pour une trêve auditive et visuelle, en m’avouant que j’avais surtout terriblement besoin de répit.
Entre la source et la paroi, une étendue en pente douce servait à l’écoulement de l’eau où divers batraciens s’égayaient. Ce serait mon premier acte, afin de laver mes blessures et de purifier mon corps de toutes les souillures de cette folle journée.
Le reste du périmètre était couvert d’une végétation clairsemée, mais compacte. Surplombé de pins sur lequel des écureuils s’ébattaient, de nombreux buissons, davantage des touffes d’herbes grasses et rêches finissaient d’emplir le bosquet de montagne.
C’était le lieu parfait, pour tenter de récolter quelques plantes, d’autan plus que la bande en avait grandement besoin et si je le pouvais je me devais de participer aux soins de mes semblables. Les fleurs de sureau noir étaient toutes indiquées pour purifier et éliminer les toxines que ces crevures de mutant nous avaient infligées. Le sureau se repère facilement grâce à ses feuilles particulièrement odorantes et ses branches creusées. Aussi, si ma vue n’était pas troublée, il me semblait en apercevoir près du rocher de Lufti, qui paraissait grogner de douleur.
Ensuite, ces grandes plantes dont les fleurs jaunes sont enveloppées par deux folioles positionnées face-à-face, là-bas, on ne peut pas les ratés elles font presque deux mètres de haut. De la gentiane jaune, faut la pilonner pour guérir les balafres, mais, mais surtout… de l’arnica, au bordel oui c’est bien ça que vois ? Beaucoup d’arnica, il faut que j’aille voir ça de plus près, si ses capitules jaune orangé et dégageant une forte odeur typique…
Ça, il m’en faut, vu la gueule de mon corps recouvert d’hématome.
Un cri de rapace résonnait contre la paroi montagneuse me tirant de mes rêveries, me faisant lever les yeux au ciel pour contempler la créature volante, ce bon vieux Taal venait de donner le signal.
— Hop ! Debout Tallgott.
Restait à mettre en pratique ce que l’ermite pas net avait commencé à m’enseigner, plaçant de côté les insubordinations de mon corps meurtri je m’élevais alors péniblement de mon perchoir en quête de remontant.
J’avais accomplit ce que j’avais pu, fourbu, je remontais vers le promontoire pour commencer ma méditation.
C’est à ce moment qu’une main suante m’agrippa, me faisant sursauter sur place. Mon teint vira du vert au rouge en découvrant mon interlocutrice. C’était Tsara, elle n’était pas en grande forme, elle avait vraisemblablement dû passer ses dernières heures à s’occuper des blessés.
- " Tu peux venir m'aider ? J'en ai pas pour longtemps."
— Heu… oui, bien sûr, je te suis…
J’accompagnais alors la jeune femme au bâton jusqu’à la couchette où reposait Alissen. La suite ne m’était pas totalement inconnue, tout comme avec l’ermite pour soigner Heilwig, Tsara me prit la patte et commençât a réciter des psaumes que mon esprit de bâtisseur avait encore du mal a cerné. Encore une fois, après quelques tentatives de bafouillemment je m’abstenais de l’ouvrir, sous peine de tout faire rater, me contentant de tenir fermement la main des deux filles et de rester calme et résolu. Le dénouement apparut toutefois beaucoup plus déchirant qu’avec l’ermite, il me parut que ma force vitale avait comme disparu, envolé d’un coup brusque.
Je ne savais pas si ma vigueur venait d’être transmise à la patiente ou si elle s’était évaporée pendant le cérémonial, mais la chose qui était sure c’est que cette fois-ci j’étais à bout. La bonne nouvelle c’est que le rituel avait certainement bien fonctionné, la moins bonne c’était que les choses commençaient à se bousculer aux alentours.
Tsara devenait progressivement nébuleuse, et ses paroles devenaient plus en plus illogiques et confuses… Jusqu’à ce que je tombe dans les vapes.
La journée avait été rude, mais ces derniers instants avec la jeune femme au bâton m’avaient complètement lessivé.
Quand je me réveillais, une jeune femme était toujours à mes côtés, tout du moins elle était plutôt sur moi. C’était Hécate, ses longs cheveux noirs en batailles sont air troublant, je n’en connaissais que des médisances, mais c’était clair comme de l’eau de roche, l’eau ? Elle a quoi l’eau ? L’amante de Taal se languissait assise d’une manière peu conventionnelle sur moi, mes yeux clignotèrent plusieurs fois en même temps que mon anatomie se mettait en branle, quoi de plus légitime.
Jusqu’à ce que son visage vienne rencontrer le mien.
- " Tu peux m'aider, hein ? ... Juste un peu plus ... Ce ... S'il te plaît ... "
Tsara me montrait une nouvelle physionomie, mon rythme cardiaque fut accéléré par un attrait que j’avais jusqu’alors totalement ignoré. Cette longue crinière noire aux quatre vents et ce teint pâlot aux pommettes rosies ne pouvaient m’apporter rien d’autre que l’appétit.
Mes pensées commencèrent à contredire mon anatomie qui hurlait d’envie de sourire à la damoiselle. Cependant, le peu de jugeote qui me restait me disait de prendre garde à la divinité. Je ne connaissais rien d’Hécate, mais la chose dont j’étais sûr c’est que la succube n’était pas la bienvenue au village.
— Oh bordel… Haïcaat ?
Mes pognes calleuses avaient instinctivement agrippé les hanches de la déesse pourtant, je ne savais que faire, céder à la tentation ou repousser la tentatrice, ballotter entre ma vigueur Taalite qui faisait monter en pression mon afflux sanguin dans tous mes membres et la crainte d’avoir affaire à une succube…
Par les saintes burnes de Taal, une fois de plus je ne pouvais pas me résoudre à lui refuser mon aide. Si la première assistance avait été léguée par bonté, cette fois-ci le vice et l’envie viscérale de satisfaire et de soulager la chair n’y étaient pas pour rien.
Si c’était l’eau du bosquet sacrée qui me donnait des visions à quoi bon les combattre ?