Le ton peiné, les traits visiblement chagrinés, Diederick abandonna l'affaire.
Je suis sincère..... lui souffla-t-il.
En écoutant sa cousine parler de ses études à Nuln, Diederick parvenait à se faire un tableau du paysage qu'elle décrivait. Des têtes remplies sans pour autant savoir quoi faire. Quelque chose d'assez commun avec les nouveaux lettrés issus des concours. Nombre d'entre eux, après leur examen réussi avec succès, déchantaient en étant confrontés au manque de crédits de leur position, et les réalités du terrain auxquelles ils n'avaient pas été préparés par l'étude des textes classiques, les clientélismes locaux et ainsi de suite. Il fallait des mois ou des années à la plupart d'entre eux pour se faire à la réalité pratique du fonctionnaire de comté. Surtout qu'aucun mandarin n'était déployé dans sa province d'origine une fois l'examen passé. Hochant de la tête pour signifier à Marta de poursuivre, non sans une certaine fierté à l’idée que malgré la débauche de moyens du sud, le collegium ne se débrouille pas si mal. Par contre, lorsqu'elle évoqua ces ''millénaristes'', il ne sut par quel bout de la lorgnette prendre sa révélation. Il eut beau se creuser le crâne, cela ne lui disait absolument rien.
Constatant ses lacunes en la matière, Marta fut assez urbaine pour lui expliquer l'affaire. Concrètement, il s'agissait de la nouvelle génération de bureaucrates, officiers et autres jeunes diplômés, eux aussi désireux de changer le monde. À ceci près qu'eux semblaient plus radicaux, organisés et déterminés que leurs anciens. Ils semblaient avoir un corpus, une doctrine.
Et il ne savait trop par quel bout de la lorgnette les prendre. D'un côté leurs idéaux étaient... Eh bien idéalistes. Et de l'autre terriblement dangereux, pour eux, l'ordre social et pour ce qu'il représentait.
La séparation de la loi et des religions ? La belle affaire, quand la plupart des conflits dans les campagnes se réglaient en ayant recours avec le prêtre du coin. L'abandon des privilèges de la noblesse... Là il pouvait sympathiser. La limitation des privilèges nobliaux, ou du moins les politiques impériales menées en Cathay dans cette direction, avaient un certain mérite, au vu du passif et du passé de celle ci. En cela, l'absolutisme de l'empereur et de l'intendant suprême étaient bien utiles. Peu de faides et guerres privées venant foutre le feu à des comtés entiers. Et de plus grandes rentrées fiscales. La distribution de la propriété entre tous.... L'idée lui faisait grincer des dents. Sur le papier, cela était merveilleux. Dans la pratique... Il y avait eut des politiques similaires menées par des intendants suprêmes, par le passé au Cathay. Le partage du neuf, un carré de neuf parties avec celle au centre pour le gouvernement... Mais cette mesure devait être reconduite chaque décennie par un pouvoir fort réprimant avec violence les notables de province, qui avaient achetés les terres par les aléas climatiques et économiques. Au final elle avait été abandonnée. Toute réforme agraire était un dangereux exercice de balance demandant une grande attention au jour le jour, dans un cadre précis, avant d'être généralisée. Car sinon on courait droit à la catastrophe et aux troubles civils. Quand à la fin de l'inégalité.... Difficile. Très difficile. Toute inégalité provient de la richesse, en général. Et son abolition était ridicule. Non, si ces idéalistes souhaitaient lutter contre les inégalités, ils devaient s'emparer de la question par la base : l'alphabétisation des masses. Car sans celle ci, c'était tout un pan de la culture, du savoir, qui était détenu entre les mains de quelques uns. Et le savoir, la culture, était l'une des rares armes immatérielles pouvant être maniée par les faibles contre le forts. Dans une certaine mesure. Une sorte d'égalisateur partiel....
Mais il semblait, heureusement, que pour le moment, ces jeunes gens, menaient des activités philanthropiques relativement innocentes. Culture. Journaux. Charité. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. On était loin des terribles sociétés secrètes nécessitant une répression brutale et sanglante. Pour le moment ?
''
Mais qu'on les mette dans des positions d'autorité et alors il conviendrait que ceux ci fassent bien la distinction entre leur devoir, ce qui est attendu d'eux, et leurs idées. Car sinon gard....''
Mais au-delà de tout ça, Diederick était heureux que Marta ne se laisse entraîner pleinement dans tout cela. Elle gardait la tête sur les épaules, que ce soit en relevant la bipolarité entre sa propre condition et les idéaux du mouvement. Ou le fait que les campagnes étaient une question insurmontable.
Un sourire sympathique, il révéla à sa cousine une partie de sa pensée. Prenant le soin de s'exprimer avec des mots choisis et lentement, afin qu'elle puisse suivre avec aisance le raisonnement, ainsi que ses contradictions et angles morts, il lui révéla la chose.
La répartition de la richesse, est une bonne idée sur le papier... Mais dans les faits, c'est autre chose. Il faut le faire intelligemment. Ça a été tenté, durant des siècles au Cathay. La confiscation des grands domaines, pour les donner aux paysans sans terres. Et cinq à dix ans plus tard, les grand domaines étaient reconstitués. Car les paysans vendaient leur terre lors des mauvaises récoltes. Ou bien se faisaient ''presser'' par les gangs des notables, pour vendre leur terre. Ou bien les terres étaient achetées par des prêtes-noms, et leurs occupants réduits au statut de tenants. Et chaque fois que l’État impérial procédait à un nouveau découpage des terres, il engendrait une réponse violente des élites locales ; sabotages, corruption, assassinats, rébellions, trahison avec l'étranger dans certains cas....
Il fit une pause pour reprendre son souffle et se servir une nouvelle gorgée de sa tisane.
Et ça n'est qu'un exemple parmi d'autres. En bref. Ces jeunes gens sont dotés de belles intentions. Mais avant de lancer de grandes réformes dans un élan de vertu... Ont ils prit le temps d'analyser comment celles ci vont impacter la majorité ? Comment seront elles combattues par l'opposition qu'elles vont provoquer ? Détournées ? Et la majorité de ceux qu'elles vont toucher... Est elle elle même consciente de leur nécessité ?
Et avant qu'elle ne puisse l'accuser, il leva la main pour se défendre, un triste sourire aux lèvres.
Je sais, je suis un vieux cynique déjà à mon âge lui dit elle, les yeux pétillants
. Mais si ces millénaristes parlent aussi bien par le cœur que par la tête, alors ils pourraient avoir quelque chose d'intéressant dans les mains... car après tout, une idée ne brille que plus fort à mesure que le métal la faisant est, raffiné, travaillé, sculpté.
Et de lui proposer de trinquer aux rêves et ambitions de la jeunesse. Et aux métaphores métallurgiques, puisque ces dernières semblaient tirer de sa cousine quelque morceau de bonheur.
Hochant de la tête tristement à Arnulf, Diederick fut heureux de constater que celui ci n'était pas imperméable à son argument. Il l'avait correctement jugé. Une discussion de middenlandais à middenlandais, où l'un et l'autre se rentraient dedans jusqu'à ce qu'une résistance soit percutée, signifiant de part et d'autre que l’interlocuteur n'était pas une petite chose frêle.
Par contre il eut à hausser du sourcil à un moment. Le Middenland unit pour toujours à Middenheim ? C'était un peu gros. Les deux allaient certes de pair, ensemble, mais de lier l'un à l'autre de manière... Subordonnée ? C'était exagéré. Mais au moins le solide templier se montrait circonspect vis à vis de Léopold.
'
'Et puis dans le pire des cas, Léopold s'entoure de sigmarites du Middenland et non pas de créatures et marionnettes d'Altdorf. Sigmarites oui, mais les nôtres. Le reste, dehors.''
Et Diederick de changer de sujet en l'interrogeant sur les stries qu'il avait au niveau cheveux. Et de là échanger quelques anecdotes. Lui même n'était pas dépourvu de récits sur le sujet, ayant échangé du bon acier impérial contre du sang elfe, pirate et mariebourgeois. Et de récolter des preuves de leur estime, à l'épaule et aux cottes et derrière la tête.
Diederick et Hansel passèrent un moment bien plus agréable avec Richter. Le paternel essayant même de corriger, le sourire au lèvres, son petit, en lui signifiant que Richter n'était pas un ''
herr'' mais un ''
tonton'', ou ''
oncle''.
Tous les trois ils improvisèrent un imitation du jeu cathayen dont il avait expliqué les règles à Richter, s'aidant à l'aide d'un plateau de jeu improvisé, de cartes d'amateur marquée à l'encre sur lesquelles des équivalents impériaux maladroits aux titres cathayens étaient inscrits, et des jetons remplacés par des pièces de cuivre. Et tous les trois de participer à plusieurs parties du jeu, Hansel parvenant même à remporter une partie. Il fallait dire que le petit connaissait déjà le jeu. Lors des jours chômés, les enfants tout autant que les parents, reposés et de bonne humeur, passaient des soirées entières au jeu. Celui ci ou un autre.
Et Richter, par moment, de montrer un intérêt sincère pour la partie, les discussions ou le petit Hansel, l'interrogeant sur sa vie et le Cathay. Ce qu'il souhaitait faire quand il deviendrait grand – mandarin ''comme papa'', amiral ''comme mes oncles'', ''capitaine comme maman'' et, le dernier en date, chevalier, ''comme les messieurs avec les fourrures de loups'' – ou bien les pâtisseries qu'il avait en Extrême Orient.
Puis vint, à un moment, le temps de quitter le plateau de jeu. Le dessert allait être servit. Chacun retourna à table, Diederick et Hansel venant retrouver Gao Li et Tian Yi ainsi que Marta à leur table. Et l'on ne fut pas déçu. Leurs hôtes servirent à chacun une part de Drakwald, un gâteau de crème et de cette épice rare et exotique qu'était le chocolat. Toujours un peu affaiblit, et son estomac rapiécé depuis le débarquement, Diederick eut le malheur de rapidement caler, devant alterner pauses, eau chaude et nouvelle bouchée de gâteau. Mais trop était définitivement trop. ''La gourmandise, ça commence quand on a plus faim'', disait le proverbe halfling. Et lui était définitivement bourré, aussi se débarrassa-t-il de sa part. Et une cuiller à Gao Li, lui valant un gentil baiser sur la joue et une grosse pour Tian Yi, et une autre grosse pour Hansel.... Et le reste survivant, ce quarteron de gâteau, fut englouti dans un dernier effort, l'envoyant à moitié dans les vapes.
Ce ne fut que lorsqu'un café fut déposé sous son nez qu'il ne sorti de son état de mi sommeil, l'odeur des graines moulues et mélangées à l'eau le réveillant pour de bon de sa somnolence digestive. Et bien lui en prit car les invités dans la salle débutèrent alors cette funeste tradition... celle où tout un chacun racontait une anecdote sur le défunt. Et bien sûr Richter eut à parler de ce foutu kayak.
Et lorsque son tour vint, il s'attendait au pire. Que raconter sur Ulricht ? Qu'allait on lui demander ?
Finalement ce fut la mère du défunt qui délivra la sentence. Bien sûr que ça allait être à propos de ce foutu kayak avec lequel Ulricht avait toujours refusé de le lâcher.
Se levant.... Pour aussitôt tituber, rattrapé par Gao Li, il s'appuya sur l'épaule solide de son épouse pour rester debout, avant de raconter l'histoire.
Faisant de son mieux pour ne pas que sa voix flanche, il essaya de parler dans un timbre haut, afin de se faire entendre de toute l'assistance.
Lorsque l'on a relâchés à Sudenland... On a fait les cons. Pas de cheval ? On a montés des ânes, pour montrer les bons cavaliers qu'on était. Pour aussitôt retomber sur les fesses. Le kayak ? Il avait réussi à le faire embarquer depuis Neues Emskrank. Et on en a donc fait dans la rade. Puis la mer, malgré les vagues. Jusqu'à ce qu'on se fasse surprendre par le grain.
Ouille. Sa voix commençait à tirer. Il toussa deux fois bien lourdement, avant de se passer un mouchoir devant la bouche pour y cracher discrètement le mollard du moment et de reprendre le récit, malgré sa tempe qui semblait vouloir jouer du tambour.
Et qu'on pagaye comme des possédés pour faire demi tour. Puis les grosses lames sont arrivées avec la pluie, et le vent. Jusque là paniqués, on a cru qu'on allait nager avec Manann ce soir ci. Et effectivement il y a eu un festin chez lui plus tard. Arrivés dans la rade, on s'est échoués à toute vitesse sur la plage. Et aussitôt que l'on a touché terre, on s'est mangé un rouleau... On a rien comprit. On était comme des poupées jetées par la fenêtre. Le kayak en morceau, et nous les vêtements pleins d'eau salée et de sable. La pire tempête de Sudenbourg sur vingt ans. On a dîné avec Ranald, et gagnés. Jusqu'à ce qu'on touche la terre ferme, termina-t-il avec un sourire triste.
Donc je pense qu'on peut dire oui, finit il en s'adressant à Hildegarde en particulier.
Lettre :
Mon cher frère Léopold.
C'est moi, Diederick Maria Reichenbach Bruno – dieux que mon nom entier prend de la place sur le papier – von Bildhofen qui t'écrit.
En cette belle journée du Festag 32 Sigmarzeit 2511, je t'écrit pour t'apprendre que suis en vie. Je suis en vie et suis rentré au pays, après treize années d'absence. Et je suis désolé que tu ne reçoives de nouvelles de ma part qu'après tout ce temps – à moins qu'un de mes courriers depuis le Cathay te soit parvenu par chance – depuis mon débarquement au port de Neues Emskrank. Il faut dire que j'étais alors mourant. La faute à une blessure durant un abordage, et une raclure de fond de latrines en l’existence d'une vermine de longues oreilles esclavagiste trop brave pour son propre bien. J'ai senti le souffle de Mórr sur sa nuque. Mais étant trop têtu, même pour lui, celui ci me refusant l'entrée de sa demeure. Ça et le fait que les locaux reconnaissent ma chevalière après m'avoir délesté de la plupart de mon bagage. Y compris les quelques plants de thé que j'avais ramené à grand peine. Et donc ai-je été trimballé sur les routes jusqu'à Middenheim où nos cousins m'ont offert gîte et couvert jusqu'à ce que mon corps bien têtu fasse un enfin un pas non pas vers la tombe mais la vie, Shallya soit louée. J'ai cessé de porter ce rictus trop similaire à celui de ce vieux Mórr pour enfin reprendre des couleurs.
J'ai hâte de rattraper tout le temps perdu avec toi. Ainsi que Siegfried et mère. Ce sera l'occasion de te présenter ma famille. Et oui, en treize ans j'ai trouvé le temps de me marier. Ta belle sœur est la belle et forte Gao Li Maria von Bildhofen, et tu as deux adorables neveux, Tian Yi Tiana et Han Lei Hansel von Bildhofen, mes deux jumeaux de quatre ans. Prochainement, un fusain de toute la famille te sera envoyé. J'espère que ça te donnera du baume au cœur pour crever ce furoncle à Kastof avant qu'il n'éclate et n'éclabousse le reste du coin. Richter – le fils d'Ulricht et Hildegarde – celui qui fait des mines vers Salzenmund, m'a parlé de cette triste affaire. Un jeune homme intelligent et industrieux. Il a eut de bons professeurs.
Que dire d'autre ? En vérité, ces dernières années, j'ai surtout flâné au Cathay. J'y ait vécu comme traducteur, secrétaire, comptable et intendant pour nos compatriotes corsaires au service de l'empereur du Cathay. Les mers sont riches en butin, mais certains se battent comme des loups. J'ai acquis de belles cicatrices. Et je me suis aussi fait un beau tatouage dans le dos aussi. Je te le montrerai. C'est du bel ouvrage.
J'ai décidé de ne revenir que cette année pour plusieurs raisons. La première était que mes enfants avaient assez grandis pour participer à pareil voyage. La deuxième était que le shaman que je consultais chaque année depuis mon arrivée m'a, cette fois ci, garanti que je ne périrais pas durant le trajet. Et non, il est aussi fiable qu'un astromancien. Enfin, tout simplement, il y avait une expédition diplomatico-commerciale dans les cartons. Joindre la flotte était plus sûr que de revenir dans l'empire avec un unique navire. Normalement l'ambassadeur du Cathay et sa suite devraient avoir atteints Altdorf.
Je reviens donc du Cathay avec un bagage bien réduit, ma famille, et quelques idées que j'ai obtenu au Cathay, dont dont nous pourrons parler, face à face, lorsque nous nous retrouverons.
J'ai hâte de te revoir pour rattraper le temps perdu avec toi. Et Siegfried et mère.
Portes toi bien
Ton frère, Diederick
P.S. : je n'ait appris que plus tôt dans la journée à propos de père. Je suis désolé de ne pas avoir été à tes côtés lors de cette épreuve. Je sais. C'est bien trop tard. Mais mon sentiment est sincère.
Le lendemain, drogué à coup de tisanes à la menthe et au miel, Diederick voyait son corps se réparer. Mandred, comme à son habitude depuis qu'il avait mi pieds à terre, se lovait entre lui et son épouse, pour profiter de leur chaleur corporelle. Il fallait dire que la pauvre bestiole était habituée à un climat bien différent. Le tueur de rat se mettait ensuite sur lui au petit matin, ronronnant, le forçant à se réveiller pour lui faire des papouilles.
Lorsque la force de ses bras lui revenait, il avait ensuite à se tourner vers le bord du lit pour se livrer à l'habituel exercice. S'approcher du pot du chambre. L'habituelle toux grasse du petit matin être éjectée dans celui ci. Puis prendre un bain d'eau terriblement chaude, afin de se débarrasser de l'odeur de sueurs de la nuit et se revigorer quelque peu. Se sécher. Être aidé par Gao Li pour s'habiller. Être escorté jusqu'à la table du petit déjeuner. Essayer de donner une apparence présentable aux enfants à table. Et donner au plus grand tueur de rats son festin, obtenant en échange davantage de ronronnements.
Puis retour à la chambre pour sommeiller à moitié endormi jusqu'au repas du midi. Promenade courte dans le jardin royal. Sieste sur le balcon en plein soleil, une couverture sur les genoux. Ou bien au coin du feu. Par moment les enfants venaient jouer autour de lui, mais ils passaient surtout la plupart de leur temps à découvrir les environs et tout ce que leur esprit pouvait déployer de curiosité face à la nouveauté.
Mais deux jours à ce régime là, et sa moitié lui tira l'oreille pour qu'il cesse de se laisser végéter ainsi, craignant sans doute qu'il prenne racine dans le lit.
Forcé à rester éveillé, chaque jour suivant elle lui amenait des ouvrages picorés dans la bibliothèque familiale. Couverture intrigante, dessins intéressants, ou simplement en s'aidant de quelqu'un pour sélectionner le ouvrages en se renseignant sur leur contenu, elle venait ensuite avec ses piles d'ouvrages pour qu'il les lise et affûte son intellect. Et pour se venger, il lui lisait les morceaux intéressants uniquement après lui avoir fait réviser les fondamentaux de l'étiquette impériale. Il avait à l'origine prévu de faire cela à mesure qu'ils progresseraient sur la route en diligence, afin qu'ils puissent tous pratiquer cela le long du trajet. Las, son état avait envoyé baladé le plan, et il fallut travailler le sujet à partir de leurs connaissances mutuelles de l'étiquette cathayenne.
Puis il y avait les lettres. L'alphabet cathayen comprenait des dizaines de milliers de caractères et ceux ci devaient être appris si un individu souhaitait passer les examens impériaux. Le reste des sujets sachant lire n'apprenaient qu'une fraction de ces caractères. Et Gao Li, heureusement pour elle, n'avait pour apprendre le reikspeil qu'à retenir moins d'une trentaine de lettres.
Alors qu'il était en train de lire l'ouvrage ''Histoire de l'Empire'' par l'exubérant
maître Halstrum de Nuln, il éclata de rire. Rire qui se conclut sur une toux sèche.
Les yeux pétillants, il sourit à sa moitié qui avait cessée son travail pour le regarder avec inquiétude.
J'ai trouvé Mandred, se contenta-t-il de lui dire, en lui montrant la page concernée. Et devant son regard interrogatif, il la fit s’asseoir à côté de lui.
Regarde. C'est le chapitre sur le fameux tueur de rats. Comme notre Mandred à nous. Mandred von Zelt de Middenheim. Il y a mille ans, il combattu....
Et d'autres moments amusants de l'histoire impériale ou passages détenant quelque anecdote intéressante à raconter qu'il partagea avec elle et les enfants. Surtout ceux concernant le pauvre Mandred, baladé par ceux ci dans leurs bras quand ils changeaient d'endroit pour jouer. Ou quand Tian Yi ne lui faisait pas ses poils avec le peigne.
Un jour où il eut à passer la journée au lit à cause d'un vilain froid, il fut prit en traître par Ulricht et Hildegarde. Ceux ci venaient pour lui tirer du nez les détails sur... la fin de leur fils.
Las, Diederick n'avait pas grand chose à dire sur le sujet. Reprenant l'histoire à propos du kayak, il leur conta la suite de celle ci. Se réfugiant dans une taverne bien au chaud à l'abri de la tempête, ils y passèrent la soirée jusqu'au petit matin plutôt qu'à essayer de rejoindre leurs navires. Mais au petit matin, peu avant le lever du soleil, les cloches de la cité portuaire se mirent à sonner en continu, alertant d'une attaque. Armes à la main, lui même et Ulricht s'étaient élancés au sortir de la taverne en compagnie d'autres marins et locaux. Malgré la tempête, le son des combats semblait provenir d'une des portes de la cité. Celle ci semblait prise d'assaut.
Mais alors qu'ils progressaient péniblement à contre vent en direction des combats, l'attaquant lança par-delà les murailles ce qu'ils prirent dans un premier temps comme étant des cadavres. La plupart se brisèrent à l'impact. Mais abasourdis par l'horreur des tactiques de l'ennemi, ils ne purent, dans la pluie et l'obscurité, comprendre que certains des corps s'animaient. La mêlée qui s'ensuivit fut cauchemardesque. Les hommes agitaient leurs armes sous le torrent de pluie, sans aucune technique ou finesse, brutalement, animés par une fureur animale. Mais heureusement, les corps déjà abîmés ne faisaient pas de grands adversaires, aisément pourfendus, coupés, décapités, morcelés et détruits dans un déluge de violence.
Ce ne fut que lorsque le combat se termina que Diederick observa que Ulricht avait été blessé au ventre. Un squelette manchot lui avait percé celui ci avec l'os de son bras brisé.
Remarquant sa blessure, la soif de sang du combat dissipée, c'est à ce moment là qu'Ulricht faiblit. Aidé par Diederick, il fut assis contre un mur. Son corps chaud devint glacial, alors qu'il était en train d'agoniser. Il prononça quelques mots à son cousin avec que son visage n'affiche un rictus trop similaire à celui de ce vieux Mórr. Il n'y avait rien à faire.
Je suis resté avec lui. Que tout irait bien. Je... Les larmes lui venaient aux yeux lorsqu'il se remémora ce moment douloureux.
Lorsqu'il a arrêté de chuchoter. Je lui ait récité la comptine, dit il en regardant Hildegarde cette fois ci.
Celle pour les cauchemars. Et de se moucher pour faire partir la morve qui venait envahir son nez, tandis que ses joues étaient arrosées par l'eau salée.
Il.... Non... Je suis désolé... Je...
Il n'y arrivait pas. Il ne parvenait pas à le dire. Ça ne voulait pas sortir. Par Shallya, il était horrible.
Ses derniers... Il appelait.... C'était... Maman.
Il ne pouvait regarder Hildegarde dans les yeux. Il avait honte. Il voulait qu'un trou s'ouvre sous son lit et qu'il se fasse engloutir par la terre, afin qu'il n'ait pas à la voir, les voir, qu'il se cachee de leur regard jugeur, moralisateur, rancunier. Les pires craintes le traversaient. Il se laissa s'afaiser contre son oreiller, attendant l'inéluctable diatribe de reproches que ses parents, les parents d'Ulricht, allaient lui donner. Ses pires craintes laissaient courir libre la partie irationnelle de son esprit alors qu'il ne réussissait pas à arrêter de sangloter, de se sentir misérable, jusqu'à ce que....
Après plusieurs jours de convalescence, Diederick avait assez recouvert de sa santé pour que le poids qui pesait sur sa poitrine chaque fois qu'il respirait durant un effort se dissipe. Et même si ses guibolles n'étaient plus aussi puissantes qu'auparavant, il pouvait à nouveau marcher, sans à avoir à s'accrocher au coude d'une aide. Il avait juste à s'aider d'une canne. Il réussissait même à monter les escaliers sans menacer de se briser la nuque à tout moment. Les espèces de cristaux étranges du physiciens semblaient avoir fait leur effet, même s'il accordait davantage son rétablissement aux inhalations de son épouse.
À l'issue de chacune d'entre elles, il lui était plus aisé de tousser, cracher, se moucher, expulser les mauvaises humeurs par la gorge. Et le tambour qui lui frappait sur le crâne se dissipait davantage.
Au point que l'invitation du Toddbringer pouvait à nouveau être considérée sous un jour favorable.
Évidement, celle ci ne serait acceptée qu'après avoir minutieusement préparée le terrain. L'absence d'éclaireur en ces affaires là précédait trop souvent le désastre.
Aussi fut-ce de prime abord une bonne surprise que tatie Anna l'invite à prendre le thé avec elle pour préparer la chose.
Hochant de la tête aux diverses remarques de tatie Anna, Diederick ne pouvait qu'agréer à celles ci. Non pas parce que les suggestions de la matriarche revêtaient un caractère impératif, mais par ce qu'il était tout à fait d'accord avec celles ci.
Avec plaisir, lui répondit il en se fendant d'un sourire sincère.
Maria et les enfants apprécieront d'y passer un moment.
Mais hélas, les instants à prendre le thé avec gâteaux prirent une tournure bien moins agréable lorsqu'Anna entreprit de le mettre au courant de tout ce qu'il avait manqué.
Ne devrions nous pas attendre que mon épouse arrive ? Cela la concerne aussi. Et de réaliser, au regard d'Anna, que quelque chose clochait. Affutant son regard, il observa avec suspicion sa tante. Confirmé lorsqu'elle lui admit préferer ne pas en parler avec elle. Car elle ne lui faisait pas confiance. Aussi simple que ça.
Diederick et Maria avaient noués, dès le début de leur mariage, un solide lien de confiance, allant au-delà des serments échangés. Ils s'aimaient passionnément et chaque fois que les décisions de l'un pouvait entraîner des conséquences sur leur ménage, ils discutaient solidement celles ci. C'était d'ailleurs à l'issue de l'un de ces conciliabules qu'ils avaient fait le choix de voyager vers l'Empire de Sigmar, malgré les risques associés.
Et que tatie Anna lui suggère qu'elle ne puisse faire guère confiance à Gao Li... Dire qu'il fut déçu eut été présenter les choses de manière légère. Son visage souriant se fendit d'un horrible rictus, et la main qui tenait sa tasse renversa une partie de l'eau encore semi-bouillante sur le sol, alors qu'il fit mine de se lever.
Diederick fut, dans un premier temps, tenté d'argumenter et se disputer avec sa tante. D'introduire de force son épouse, imposant ainsi un ultimatum à Anna. De se lever et claquer la porte au nez de sa tante pour oser suggérer une chose pareille.
Puis la partie rationnelle de son cerveau chercha des excuses à Anna. Après tout, elle ne connaissait pas Gao Li. Celle ci était une étrangère, quand bien même elle lui avait donné deux adorables enfants. Elle maniait encore son reikspeil avec difficulté. Et ainsi de suite.
Se rasseyant, l'expatrié se pinça l'arrête du nez avant de péniblement soupirer, expulsant au passage la colère qui s'était emparée de lui sur le moment.
Il pouvait comprendre d'où venait Anna. Mais cela n'enlevait en rien la douleur qu'il avait dans la poitrine. Qu'il allait discuter de choses les concernant eux et les enfants, sans qu'elle soit dans les lieux. Était-ce là une trahison ? Non. Une désagréable contingence familiale. Et puis de toute façon, une fois cette discussion terminée, il irait immédiatement s'excuser auprès de son épouse pour ne pas avoir insisté davantage, et de lui communiquer ensuite tout ce dont ils avaient parlés.
Tante Anna.
Ça commençait mal. Il n'était pas parvenu à complètement effacer cette pointe de déception qu'il ressentait. Celle ci était aisée à détecter dans sa voix, ainsi que son expression.
J'ai une entière confiance en Maria. Et celle ci est mutuelle, totale. Nous n'avons aucun secret l'un pour l'autre. J'espère qu'à l'avenir tu pourras constater que cette confiance est méritée. Fiable. Et que tu pourras t'ouvrir à elle comme à moi.
Sur cette note attristée, Diederick soupira à nouveau, tournant son visage vers la fenêtre. Observant les rayons du soleil passant à travers le verre, il se remémorait les moments douloureux qu'ils partagèrent l'un avec l'autre avant de se marier. Les rêves et espoirs brisés par la brique de la réalité venant s'écraser sur la forêt noire de leurs vies. Les déceptions, trahisons, et victoires qu'ils avaient eut avant de se rencontrer.
Une larme lui vint à l’œil en se remémorant certaines histoires. Dieux que la vie était une peau de vache.
Ce qui dura peut être une minute à siroter du thé en silence fut enfin brisé lorsque l'expatrié s'extirpa de son océan de mélancolie, pour retourner aux affaires.
Bon. Le rendez vous avec Todbringer. Il va sans dire que moi même et Maria pourrions avoir besoin de revoir notre étiquette. J'ai essayé de m'y remettre ces derniers jours avec elle mais... Revoir les fondamentaux une dernière fois serait bienvenu. Celle de Cathay est bien différente. Et je n'ai pas eut de nombreuses occasions de pratiquer la manière impériale depuis mon débarquement. Un petit toussotement le prit, avant qu'il ne fasse couler à nouveau une gorgée de thé au miel dans sa gorge.
Ah.... Le graf va sans doute essayer d'obtenir de moi des engagements et promesses me mettant en porte à faux avec Léopold, les habituels jeux de pouvoirs quoi. À moins que son invitation soit purement courtoise et vise à satisfaire sa curiosité, lui dit il avec un sourire entendu.
Prenant le temps de réfléchir à ce dont il se souvenait des jeux de pouvoir entre les provinces impériales Diederick trouva un angle pour attaquer le sujet.
Concrètement, que veux le Graf ? Quelle sont ses ambitions, publiques, et privées, quels sont ses moyens, et où figure Léopold dans tout cela ? Et vice versa. Les deux sont alliés mais leur cohésion, leur... coordination ? Semble laisser à désirer. Les contentieux sont ils sérieux, ou bien une suite d'incidents attaquant leur patience, tolérance ? Ou alors c'est juste un bête histoire d'egos froissés ? Ou un mélange du tout ?
Hochant de la tête à mesure qu'elle développait sur le sujet, Diederick demanda des précisions, par ci par là, livrant une remarque ou non à mesure qu'il en apprenait davantage avant de passer à la suite.
Et en particulier le sujet de la bâtarde du Graf qui l'intriguait.
Du peu que j'en ait appris, celle ci est une vraie perle et un mariage permettrait de calmer le jeu. L'aîné de Léopold avait d'autres partis plus intéressant au Sud, sans que je n'ait un autre cousin auquel celle ci pourrait être mariée ? Ou bien y a-t-il des raisons plus... Personnelles, politiques, qui m'échappent ?
Il avait quelques soupçons sur les potentielles raisons pour lesquelles Léopold refuserait ce mariage en particulier, mais sans davantage de détails il allait rester dans le noir.
Quid du Reik ? Léopold semble passer plus de temps que nécessaire le long de celui ci. Et du culte de Sigmar ? L'affaire de Kastof avec ces troubles entre ulricains et sigmarites... Il y a en toujours eut, mais est ce que Kastof est l'arbre qui cache la forêt, ou bien est juste l'habituel bisbille qui a prit une tournure tragique ?
Et moins fort, de demander si l’Église de Sigmar d'Altdorf n'était elle pas en train – encore – de prépare quelque chose dessous les fagots. Empirant la situation exprès pour justifier de mettre ses gros doigts bien crasseux sur le bon Middenland.
Et Marienbourg dans tout ça ? À part leurs fromages, et l'inéluctable – et lointaine – réintégration de la province dans l'Empire ? Et leur commerce avec l'Extrême Orient ?
"
Pourvu que leurs affaires avec le Nippon pâtissent de la piraterie. Moins pour eux et plus pour nous. Et peut être qu'un jour Cathay fera rentrer dans le giron impérial les daïmios méridionaux. Même si j'en doute. Tout comme je doute que tatie ait quoique ce soit à dire sur le sujet."