« Où allez-vous chercher une solution ? Ne voulez-vous pas que je vienne avec vous ? »
Reinhard lui dit que c’était dangereux.
« Raison de plus pour que je vous couvre, non ? »
Elle suspectait quelque chose. Bras croisés, lèvres tordues sur le côté, menton un peu relevé, elle paraissait anormalement prête à provoquer celui qui était son mentor et maître. Reinhard pouvait bien lui rappeler ceci par la manière forte, mais il décida de jouer plus malin…
…Il rappela à la petite sorcière qu’elle était son héritier, et magus par intérim, et que donc, si tout devait s’effondrer, il fallait que quelqu’un termine ce qu’ils avaient commencé, et qu’elle avait les épaules suffisamment larges pour ça.
Le mensonge paraissait un peu gros. Mais c’était probablement tout ce que Sigrid rêvait d’entendre, car la jeune magicienne se mit à baisser ses bras, et à regarder un peu ses pieds, penaude, ayant du mal à soutenir le regard de son maître.
« Je… Je comprends.
Je vais essayer d’extraire une confession de la part d’Eva, et garder les choses en ordre de la meilleure façon possible…
Je ne vous décevrai pas. Mais… Mais tâchez de rentrer vite, et en pleine forme, d’accord ? »
Elle sourit.
« Ah oui, heu, la barque… Heu… Bah… Je sais pas trop ? Je crois qu’il y a des gens qui utilisent une sorte de petite pagode pour une personne comme font les Norses. Ça s’appelle un kayak. Ça s’écrit comme ça se prononce. »
Et donc une heure plus tard, un Reinhard rééquipé, repréparé, recentré et complètement shooté au Délice de Ranald se retrouva à son point de départ du Pellagra, à réclamer à ses pauvres cultistes trop ravis de le voir qu’il avait besoin d’un quaillehaque. Il lui fallut encore une bonne autre demi-heure (De quoi lui permettre de se frotter les gencives avec un peu plus de dope) pour qu’on lui amène ce dont il avait besoin : une petite barque avec un trou pour une seule personne, et avec un casque. Le serviteur qui expliqua un peu en mimant à Reinhard comment pagayer insista très lourdement sur l’absolue nécessité de porter un casque en toutes circonstances en utilisant un kayak, mais ce n’était pas réellement ce dont Reinhard allait avoir besoin.
Dégageant tout le monde du Pellagra, Reinhard put donc se retrouver avec son barda et son équipement complet devant la porte qui menait à la cale. Il se repoudra le nez, renifla puis avala un peu de potion, et se saisissant de l’œil de l’Interlope, il se prépara à redescendre en enfer.
Showtime, comme disent les Bretonniens.
Reinhard retrouva l’immense tunnel de magie au bruit éternel et assourdissant. Mais cette fois-ci, il ne tomba pas dans le vide, et se déplaça avec un pas pressé, quand bien même une espèce de souffle le poussait en arrière et faisait virevolter sa robe derrière lui. Déterminé, la drogue faisant effet dans ses veines, il retrouva petit à petit une colonne, tendit sa main, et eut un retour familier.
Mémé Gâteuse était là.
Toujours heureuse de te voir de retour, mon garçon.
Même endroit, comme d’habitude ?
Il y avait toujours son étrange voix d’Outre-Tombe, qui sifflait au fond de ses tympans. Ce qu’elle était devenu était une horreur et une insulte au genre humain, mais elle était serviable et fort pratique. Et visiblement, dans son camp — du moins, il fallait l’espérer, très fort. Et alors que Reinhard « grimpait » au milieu de sa souche, l’immensité de son bois pourri, tout entièrement bardé de cuir et d’équipement pour une éventuelle lutte à mort, l’arbre-femme soudain bien causant se prit à demander :
Cela fait combien de nuits que tu n’as pas parlé à Furug’ath ? Ce ne peut pas être juste parce que le démon te laisse tranquille. Tu es en train de devenir plus fort que lui, tu reprends le contrôle de ton corps…
Prends gare à toi tout de même. La mer est toujours plus calme juste avant la tempête. Morrslieb arrive, l’irréalité va entailler la réalité, et alors que tu vas déchaîner tout ce que tu as sur Nuln, il fera la même chose sur toi.
Essaye d’économiser tes forces, de ne pas trop utiliser ta magie, et de ne pas finir blessé sur une civière. Tu risquais d’y perdre énormément.
L’avertissement avait l’air tellement… Sincère. Il n’y avait pas de pointe de taquinerie dans sa voix. Elle disait même presque cela avec une grande inquiétude. D’où cela pouvait-il bien venir ?