En une phrase, répondue au tac-au-tac, le plus froidement et le plus noblement du monde, Elspeth avait mit fin au début de colère de Reinhard, le balayant d’un revers de la main comme s’il ne s’agissait que d’un caprice inconséquent.
Cela faisait bien longtemps que le sorcier n’était pas parvenu à au moins faire hésiter un de ses interlocuteurs. Et le pire, c’est qu’elle renchaîna comme si de rien n’était, alors que sa silhouette se mettait à distraitement marcher autour de lui, en regardant au loin les maisons du village.
« J’ai eu le loisir d’étudier votre mode opératoire, mein Herr. Depuis trois ans maintenant, vous avez volé de victoire en victoire, abattu tout ce qui se trouvait dans votre chemin, en ne souffrant des conséquences de vos actes qu’à la hauteur de ce que vous comptiez miser. Vous sortez de l’ombre, vous frappez, obtenez votre récompense, puis vous vous enfuyez alors que tout le monde se retrouve à s’entre-tuer derrière — vous avez ainsi liquidé les serviteurs du Serpent, les mafieux du gang Sansovino, les fanatiques de la Rédemption…
Ces gros gains prouvent que vous êtes un homme talentueux, cruel et sans pitié. Mais j’espère que votre ego n’est pas si flatté que vous êtes devenu aveugle : vous n’êtes pas aussi invincible que vous l’imaginez, mein Herr. »
Avec politesse, elle soufflait le chaud et surtout le froid, toujours d’un ton impeccablement courtois. Elle se retourna alors qu’elle était maintenant juste devant la silhouette de Reinhard, afin de lui faire face.
« Cette fois, il n’y aura pas d’échappatoire. Pas de bateau ou de voiture qui vous fait quitter les murs de Nuln. Vous vous apprêtez à faire tapis, pour le quitte-ou-double, et honnêtement, je ne pense pas que vous possédiez suffisamment de cran pour abattre vos cartes.
Surtout qu’après, vous n’aurez plus rien dans votre main. »
Un poing sur sa hanche, le menton relevé, elle laissa Reinhard réagir, par une insulte, une moquerie, une contestation… Elle accueillerait n’importe quoi avec le même visage à jamais froid et ferme.
« Je ne suis pas venue ici pour me moquer ou pérorer. Je n’ai pas le temps pour ça.
Je suis venue ici contre mon gré, à la demande de Son Excellence Emmanuelle von Liebwitz.
Voyez-vous, mein Herr, je sais que je possède suffisamment de forces et d’alliés pour écraser votre insurrection. Ce qui inquiète tout le monde à la cour en exil de la comtesse, ce sont… Les dégâts collatéraux. »
Elle fit la moue, et hocha un peu de la tête.
« Si le combat était perdu, sachez que j’ai pour ordre de ne pas laisser Nuln à quiconque. Cette région ne deviendra pas un cratère ou un portail pour votre démon. Je préférerais tuer tous les habitants de cette ville, et abattre tous les bâtiments, qu’en céder la jouissance à votre maître.
Mais j’ai pour ordre de tout faire pour régler votre situation en limitant au maximum les dégâts humains et matériels. Vous avez semé tellement d’horreurs et de pestes, à travers tout l’Empire, qu’il va être difficile de soigner les blessures que vous avez infligés… C’est là votre monnaie d’échange.
Mein Herr, je suis ici pour négocier les termes de votre reddition. »
Sa voix était maintenant plus ferme, et plus sèche. Comme s’il lui en coûtait beaucoup de proposer ça.
Au fond d’elle, elle n’en avait aucune envie, et elle préférait franchement que Reinhard résiste.
« La comtesse veut vous appréhender. Elle souhaite également les identités de tous les lieutenants de votre culte, les emplacements des caches et des abris où vous menez vos messes noires. Elle veut vos livres de comptes, et les correspondances de vos sectateurs. Elle souhaite obtenir vos artefacts maudits, et vos grimoires interdits. Elle souhaite également avoir votre pleine et entière coopération pour la lutte contre les épidémies que vous avez semés — nous voulons vos recettes et le séquençage des maladies que vous avez concoctées, afin que le culte de Shallya puisse suivre leur évolution et les neutraliser. Elle désire que la secte soit purement et simplement démantelée, par une large opération de police et des cultes de Mórr, Sigmar et Véréna. Les corrompus seront mis aux fers, ou condamnés à mort, selon la hauteur de leurs crimes. Vos actes de terrorismes sont terminés, et Nuln pourra enfin se soigner, et se relever, débarrassée de vos horreurs.
Nous souhaitons également votre aide contre Valitch. Vous savez de qui nous parlons, ne faites pas semblant de l’ignorer.
En échange de tout cela, et puisque c’est dans notre intérêt, vous serez maintenu en vie. Nous avons des moyens d’exorciser le démon qui sommeille en vous, afin qu’il n’ait plus de moyen de vous posséder. Nous pouvons également endiguer au maximum la maladie qui sommeille en vous, même si, je vous l’avoue, vous ne vivrez pas longtemps après ça — peut-être une poignée d’années, en étant très optimiste. Quand tout ça sera terminé, il faudra également que vous vous soumettiez à la Pacification — nous allons brûler une partie de votre âme, afin que vous ne puissiez plus utiliser votre sorcellerie.
Mais en échange de tout ça… Nous garantissons votre survie. Votre réhabilitation, et votre réinsertion dans la société. Nous pouvons au choix vous donner une nouvelle identité, avec de l’argent et un moyen de partir ailleurs, ou bien, vous pouvez redevenir le Nulner que vous étiez auparavant.
Imaginez quand même. Après tout ce que vous avez fait, après tous les gens que vous avez tué, toutes les familles que vous avez fait souffrir, par dizaines de milliers… Vous avez une seconde chance. Quel honneur. »
La dernière phrase avait été prononcée avec un fiel particulier. Elle était absolument dégoûtée par ce qu’elle proposait elle-même.
Elle laissa Reinhard digérer tout ça. Puis, avant de le laisser répondre, elle soupira, et d’un coup, prit un ton plus doux, quasiment empathique.
« Je ne puis imaginer que vous ne souffriez pas intensément de cette situation, mein Herr. Vous sentez votre corps partir en même temps que votre âme, vous disparaissez au vent, et alors que vous avez longtemps cru que c’était pour devenir plus puissant que tout le monde, vous devez bien vous rendre compte que vous êtes en train de vous perdre, et tout ce qui va rester de vous, dans pas longtemps, ça sera une horreur indescriptible. Le Grand Coësre n’est pas vraiment vous, vous allez mourir sans vous en rendre compte…
C’est pas la voie admirable que je vous propose. Et c’est pas une main tendue par pitié ou devoir Shalléen — à mes yeux vous méritez le bûcher. Alors franchement, à votre place, vous devriez bien y réfléchir et tenter de vous en saisir vite : c’est la dernière fois que l’Humanité croit en vous, mein Herr. Si vous me rejetez maintenant, vous serez véritablement perdu, à jamais. »