Les vrais flics et militaires chargeaient vers l’hôtel, armes en main. Mais Reinhard décida, en l’air, de « danser » avec ses mouches, formant l’imitation d’un vortex avec les ailes de son banc de diptères. Nombre de badauds dans la rue observaient, médusés, et horrifiés, le signe d’horreur en l’air : certains se jetaient à terre et se mettaient à implorer Sigmar, Véréna, Mórr ou Shallya de les garder. Mais il y avait de nombreux illuminés dans la foule, qui hochèrent de la tête, approuvant le signe de leur véritable patron : et suivant la nuée, voilà que des miliciens tournaient les talons et fonçaient vers l’université, avec leurs piolets, leurs grenades et leurs arquebuses à répétition. Reinhard commandait une armée maintenant, et partout où il allait, un régiment suivait.
En attendant qu’ils arrivent et se répandent dans les locaux à la recherche de leur proie, Reinhard survolait les facultés de Nuln. Officiellement fermée pour congés, l’université avait été en fait victime de son bras-de-fer avec l’hôtel de ville — ses professeurs trop dans l’opposition avaient été remerciés, et les étudiants tabassés par la police pour les sortir de force des bâtiments squattés. Toutes les fenêtres avaient été barricadées par des planches du bois, et les portes fermées par des dizaines de solides chaînes, tandis que des vigiles privés parcouraient souvent les alentours de l’enceinte, surtout la nuit, pour prévenir toute nouvelle occupation. Éventuellement, un jour, l’université serait rouverte, avec des professeurs plus « conformes » à la volonté du nouveau parti en place, mais ça, c’est si Nuln ne crevait pas avant.
Toujours est-il, l’université n’était pas juste un seul immeuble : c’était un mini-quartier à lui tout seul, avec de grosses barres de bâtiments servant à accueillir des facultés, un grand parc avec des statues et des emplacements sportifs, comme des cages de morvball ou une piscine extérieure et une autre couverte, et puis des grandes maisons résidentielles pour accueillir les étudiants étrangers, des clubs, des locaux pour le personnel administratif, une cantine… Une ville miniaturisée, aujourd’hui fantôme, et solidement fermée. Et à l’intérieur, probablement, la véritable Eva Seyss.
Survolant en hauteur, Reinhard s’assura tout d’abord qu’il n’y avait pas de coureur en train de fuir. Il ne vit personne prendre la tangente de là-haut, et il fallait espérer qu’Eva n’emprunte pas les égouts pour se volatiliser — ça aurait été suicidaire de sa part, étant donné le nombre de monstruosités dans la ville du dessous, mais elle pouvait très bien être aussi talentueuse que suicidaire… Au final, Reinhard décida de se concentrer sur les bâtiments qui étaient directement opposés à la grande-place, de là où le tireur avait pu venir. Un l’intéressa en particulier : c’était la faculté de droit, bien en hauteur, avec des corniches qui offraient un point de vue bien situé pour un tireur. Virevoltant autour, la nuée léchant les parois de l’immeuble, il trouva finalement, sur une des planches de bois, une minuscule ouverture, assez pour faire passer le canon d’un fusil et une lunette.
Faite comme un rat.
Il n’était pourtant pas très malin de charger directement. Si son complice dans l’hôtel avait su se barricader et sortir la grenade, nul doute qu’Eva devait l’imiter. Il valait mieux la cueillir alors qu’elle devait être en train de préparer son exfiltration. Alors, Reinhard trouva l’embout d’une cheminée, il enfonça ses milliers de mouches à l’intérieur, descendit tout bas, les réunit, et se changea maintenant en être humain. Agenouillé dans l’âtre d’une cheminée, il retira son manteau de lépreux, afin de révéler ses haillons blindés de bois pourri et de cuir mort, son pistolet-mitrailleur en bandoulière, et surtout, son bâton de magie rempli de l’essence d’un démon.
À moitié accroupi, marchant rapidement, mais à pas de renards, Reinhard devenait prédateur. Parvenant à se déplacer dans les couloirs décrépits et abandonnés, remplis de poussière et de toiles d’araignées, fort sombre puisque la lumière ne passait que par les fins interstices des planches de bois collées aux ouvertures, il se sentait absolument dans son élément. Il passa devant l’immense amphithéâtre de la faculté, en contrebas de l’étage où il se trouvait, et arriva jusqu’à une salle étude dont la porte était entrouverte. Il dégaina son pistolet, tira sur le chien, et poussa silencieusement la cloison pour approcher.
Eva était là.
C’était une silhouette vêtue de gris et de noir. Capuche sur la tête, armure légère en cuir et en toile recouvrant son corps, elle était bardée de lames : une épée longue au flanc, une courte sur la cuisse, des couteaux de lancer sur la botte et la ceinture, des bombes sur sa poitrine — elle était armée jusqu’aux dents. Entre ses mains, un fusil long du Hochland dont elle était en train de régler le viseur, pointé vers l’hôtel de ville — peut-être ne prévoyait-elle pas de tuer seulement Leistung, mais également tous ses complices, tandis que d’ici, on entendait toujours des dizaines et des dizaines de tirs venir de l’hôtel. Mais plus que tout, pour Reinhard, le grand danger venait du bâton des collègues posé à sa droite : un simple bourdon de pèlerin, qui pourtant était infecté par Ulgu.
Heureusement, Reinhard prenait cette grosse conne par surprise. Il n’aurait qu’à s’approcher d’elle, coller le canon contre sa nuque, et tirer. Ou alors, il pouvait, d’ici, hurler un sortilège et espérer la foudroyer avant qu’elle n’ait le temps de réagir. Ou pourquoi pas allumer un cocktail molotov, le lancer, et rester bien à couvert derrière la porte ? Tant de possibilités, et il avait le luxe d’être l’initiateur du combat, puisqu’elle n’avait pas encore senti l’ignoble présence derrière elle.
Et puis, alors qu’il allait passer à l’action pour presser son avantage, le sang de Reinhard se glaça. Et il comprit.
Ce n’était pas Eva. C’était un leurre. Un symbole fait d’ombre, posté là justement pour tenter un adversaire, lui dire d’attaquer.
La vraie Eva, elle était à sa droite. Reinhard ne tourna même pas la tête. Il entendit juste le cliquetis métallique d’une boucle d’une sacoche. L’Umbramancienne était en train de faire son paquetage pour préparer sa sortie en force. Et soudain, elle s’arrêta, et il n’entendit plus rien.
Reinhard n’avait pas vu Eva. Eva n’avait pas vu Reinhard. Mais maintenant, Reinhard savait qu’Eva savait, et Eva savait que Reinhard savait. Les deux étaient dos-à-dos, à peut-être même pas cinq mètres d’écart. Leurs sixièmes sens les alertèrent tous deux avant toute autre chose.
Il y eut une seconde de battement.
Et donc, loin de là dans l’univers, au sommet des enfers, alors que d’ordinaire il détestait les magiciens, Khorne décida de s’avancer sur son fauteuil de crânes, soudain piqué d’intérêt.