Il eut les oreilles qui sifflent, la vision brouillée, la bouche pâteuse. Et quand il releva sa tête, il vit un des fanatiques lui foncer dessus avec une massue.
« RAAAAH ! »
C’est par une chance incroyable que Reinhard poussa sa tête au dernier moment, et vit le fanatique tomber derrière lui ; puis, celui-ci explosa, avec des Nurglings fous qui sortaient de son ventre en tirant des boyaux.
Le Nurglite se releva, et s’approcha en titubant de l’Umbramancienne. Eva Seyss leva le museau, et fut déconcentrée rien qu’une seconde — pile assez de temps pour que Valitch arrache le poignard magique coincé dans son abdomen, se redresse, et claque des mains en hurlant :
« Eeek’le namek’ lee’n tzarko tzeen ! »
Eva s’embrasa. Du feu rouge, sans chaleur, l’envahit. La petite Umbramancienne se mit à hurler de douleur, en se frottant ses membres et son corps.
Puis, elle chancela, et tomba à la renverse par-dessus bord, à l’eau.
Reinhard se retourna. Le Héron Bleu et les fanatiques avaient tous deux subi des pertes atroces. Au loin, l’alchimiste était en train de se faire larder de coups de machettes par des petits démons. Le Nain et le prêtre Sigmarite s’étaient échappés. Aucune idée d’où Kavenner était.
Valitch couru aux côtés de Reinhard. Emma, et quatre de ses sbires, tenaient encore debout — tout le reste était mort, ou blessé grièvement, ou en fuite. Ils se retournaient tous les cinq, en se déployant un peu pour faire face aux deux magus, qui maintenant se battaient côte-à-côte.
« Héhéhé… Petite tarée… T’es contente de te cacher derrière tes hommes ? Très Shalléen, de laisser des gens mourir à ta place. »
Emma s’arrêta. Elle leva sa main. Fit signe à ses sbires de reculer. Ils s’exécutèrent, et commencèrent à profiter des soins prodigués par sa magie, qui ressoudait ses os, et brûlait la surface de la peau du Nurglite comme un décapant.
La fanatique posa une main sur son masque de docteur de la peste. Elle souffla tout l’air de ses poumons, qui forma de la vapeur hors du museau de métal. Alors, elle prit enfin une bouffée d’air bien humaine, et organique, et présenta son véritable visage.
« Je te comprends, Grand Coësre. Je comprends, qui tu es. »
Sa voix était rauque. Étrillée. Ses cordes vocales avaient été gagnées par le cancer, comme tout le reste de son corps — elle pourrissait sur place.
Arquebusades. Au bout du navire, les derniers hommes du Héron Bleu encore en vie étaient en train de ramper au sol, grièvement blessés. Les quelques invités encore présent pleuraient, ou se tenaient par terre. La gravine n’était plus là, pas plus que Kavenner ou que les Vérénéens.
« Je sais qu’il y a un homme derrière tout ça. Derrière tout ce que tu es. Une créature si faible, et si lâche, et pourtant si digne de pitié…
Ce n’est pas cet homme qui a tué mon ami, l’homme que j’aimais. Et ce n’est pas cet homme qui passe sa vie dans l’ombre, planqué dans les égouts.
Je le comprends. Parce que je suis pareil. Tu vois, ce n’est pas le visage qu’on te donne, qui compte.
C’est le visage que tu choisis. »
Elle dégaina une rapière, dont elle posa la pointe contre sa botte.
« Je me rends compte, après tout ce temps… Je pense pas que quiconque t’aies jamais offert de te rendre.
Je pense pas que quiconque… T’ait offert ça. Le pardon. Et une autre voie. Un autre chemin que ta mort — qui succédera à tous ceux que tu voudras tuer avant. »
Soudain, le bateau se mit à trembler. Reinhard parvint à rester sur pieds, mais pas Valitch, qui tomba à la renverse de côté, tout comme les sbires d’Emma. Il n’y avait qu’elle, la Shalléenne, qui s’était écartée comme un chat, afin de rester sur ses appuis.
Le navire venait de percuter quelque chose, d’énorme — un des Loups Impériaux détourné. Et alors que le feu gagnait tout le restaurant, et se propageait sur la proue du navire, bouffant le bois et la charpente, la carène elle-même commença à vriller de côté, petit à petit.
Emma regarda Reinhard tout droit. Elle était encore armée. Mais son seul œil valide était injecté de larmes.
Elle était en train de… Pleurer, pour lui.
« Nous savons tous deux que t’as aucun espoir. Le cynisme c’est pas un refuge.
Je te hais, Grand Coësre. Je veux te tuer, pour ce que tu m’as fait… Mais je suis assez forte, pour te tendre la main, et te pardonner.
Si seulement, toi aussi, tu cesses d’être un lâche, et tu trouves la force d’affronter tes péchés. »
Et elle leva sa main qui ne portait pas la rapière.
Et la tendit vers le magicien.