Vitale Candiano était dans la situation la plus immonde et la plus horrible qui était imaginable sur cette terre : Son corps était devenu l’hôte personnelle de Furug’ath le Crade. Un creuset entre l’Immatériel et le Matériel, un passage, un pantin ridicule qui pouvait être manipulé gaiement dans tous les sens. Sa conscience existait toujours, perdue là, dans un coin de sa cervelle ; Mais le Tiléen était, par moments, incapable de contrôler ses faits et gestes, tandis que le Seigneur de Reinhard venait s’amuser à le torturer pendant quelques minutes, épisodiquement, pour s’amuser à le faire grimper aux plafonds ou se cogner tout seul contre les murs.
Vitale Candiano endurait cela, car à présent, il n’avait tout simplement plus le choix. Chaque fois qu’il tentait de s’enfuir du manoir que les cultistes squattaient depuis maintenant plus de huit semaines, chaque fois qu’il courrait dans l’ancien vignoble pour tenter d’escalader la clôture, Furug’ath surgissait dans un élan aethyrique pour le jeter au sol et s’amuser à gaiement le torturer. Il avait été trop longtemps en contact avec les artefacts maudits du Moussillon. Et à présent que l’ancien navire Tiléen avait été brûlé en miettes par les répurgateurs, Candiano était le seul lien qui lui permettait de jaillir à nouveau sur Terre. Il était hors de question pour lui de tuer le capitaine.
Tout n’était pas forcément perdu pour Candiano. Car son corps mutait de plus en plus de jour en jour. Déjà qu’il avait une apparence atroce, pestilentielle, les ténèbres incarnés, sa carcasse s’atrophiait de jours en jours, son ventre avait explosé en un nid d’asticots blanchâtres, et à présent, la seule chose qui lui permettait encore d’avoir une apparence humaine, son ancienne apparence, c’était de s’abandonner quelques quarts d’heures au Grand Immonde, qui revêtis un charme, pas si différent de celui que la sorcière Valitch utilisait pour camoufler son apparence grotesque.
Pendant ce temps, il fallait rester planqués. Max, Frida, et Reinhard, n’avaient pas beaucoup bougé depuis qu’ils étaient sortis de l’Halbinsel. Par un miracle magnifique, Irmfried parvint à sortir vivant du quartier militaire, et les retrouva : Il y eut une liesse géante à eux quatre. Et puis, Valitch et ses sbires réapparurent deux semaines plus tard. Les cultistes de Nurgle et les cultistes de Tzeentch nouèrent donc une alliance bien temporaire, à cran, pour infiltrer Vitale Candiano au sein de la Vieille Ville ; Le démon de Nurgle dût être longuement apaisé pour accepter de devenir ainsi le pion de serviteurs de l’Architecte, et c’est uniquement parce qu’il reçut la promesse de tester l’une de ses toutes nouvelles maladies qu’il décida donc, d’un commun accord avec son hôte, d’accompagner les fils et filles du Chaos pour aller embêter les esthètes du Serpent. L’infiltration s’était déroulée sans accrocs, et à présent, ils n’avaient plus qu’à attendre de voir l’évolution de la ville de Nuln.
Irmfried et Max durent repartir. Ils avaient malheureusement une vie : Irmfried devait être déployé en manœuvre militaire. Max avait une famille à entretenir. Et puis, le problème, c’est qu’ils craignaient les représailles inévitables de Mémé Gâteuse, qui devait avoir appris de leur trahison dans les jours qui suivent. Irmfried avait sa sœur à mettre en sécurité, Max souhaitait faire déménager ses enfants.
Alors, pendant deux mois, Reinhard dût squatter silencieusement avec Frida et Candiano. À vivoter. Ils n’allaient pas mourir de faim : Un petit verger en face de la propriété était remplie de mûres et de pommes, et on était en plein été, il n’y avait donc pas à gérer le chauffage et la neige.
On entrait alors dans le mois de Sonnstill. Ils n’avaient alors plus aucune nouvelle de l’extérieur, et devenaient proprement incapables de savoir quelles étaient les conséquences de leurs actions : Qu’avait fait Mémé Gâteuse ? Comment Slaanesh avait-il réagit à l’introduction d’une maladie nouvelle dans ses rangs ? Où en étaient les répurgateurs qui devaient à présent être parfaitement au courant de la souillure Nurglite au sein de leurs murs ? Aucun indice. Pour l’heure, ce n’était pas grave. Cela le serait probablement par la suite.
Un soir, Reinhard était en train de somnoler sur le canapé. Il fut alors réveillé par la voix de Candiano : Comme elle était plus grave et gutturale, il savait que c’était une de ces petites périodes de quelques secondes où Furug’ath rappelait qu’il existait.
« Hey. Reinhard ? »
Furug’ath obligea Candiano à sourire dans le sourire le plus inhumain qui soit imaginable : Il souriait tellement qu’il découvrait jusqu’aux molaires les plus éloignées de la bouche du Tiléen.
« Chuuut… Vitale dort, je veux pas le réveiller.
Reinhard, je voulais te parler seul à seul. Toi et moi. »
Il regarda avec anxiété derrière-lui, vers la chambre que Frida avait réquisitionné. Elle devait dormir.
« Tu sais… Je vais le tuer à un moment, Candiano. Et ça sera pas beau à voir. Il va morfler.
Mais tu sais, rester autant dans le corps de quelqu’un ça fait… ça fait des choses. Je m’y suis attaché à ce crétin, tu vois ce que je veux dire ? Il braille, il pleure, il arrête pas de faire, « ouiiin ouiiiiin mon pauvre Raffaelle ! Où est mon Raffaelle ! »… Mais je l’aime bien, ce crétin. La vérité, il a attendrit mon vieux cœur putride. »
Il baissa un peu plus de ton, et approcha bien son visage pour confier un secret à Reinhard.
« C’est un peu comme toi et moi Reinhard. Je sais que tu m’aimes bien. Ça fait un moment qu’on est ensemble, toi et moi, on a créé des liens… Mais ça t’empêcheras pas d’essayer de me niquer un jour. Je le sais. C’est comme ça. Tu me feras jamais totalement confiance. Je fais genre je suis ton pote, là, maintenant, mais t’as pactisé avec Tzeentch, je sais que tu seras jamais totalement un type sur lequel je peux compter.
Tu sais pourquoi je te dis ça, Reinhard ? Tu sais pourquoi ?
Parce que je veux juste que tu saches une chose, petite mouche baveuse : Je t’aime bien. Si tu me soutiens, je t’apprendrai à devenir un grand type. À faire quelque chose de ta vie misérable.
Mais je suis pas un crétin. J’ai buté des gars plus courageux et plus retors que toi. Si tu penses me vendre, à Valitch, à Mémé, à quiconque, je le saurai avant toi. Et je te le jure : Je te torturerai comme t’as pas idée. »
Il se jeta alors à nouveau dans le canapé.
« Fais de beaux rêves mon petit Reinhard ! »