Des étagères en bois sombre étaient alignées de part et d'autre, garnies d'ouvrages aux couvertures incrustées de runes et d’enluminures grandioses. Le jeune noble saisissait l'un d'entre eux, et traversait généralement la pièce silencieuse pour descendre un petit couloir débouchant sur un cloître serein. Cet endroit calme était peu fréquenté par les soldats de la Citadelle, et était pourtant l'un des favoris de Theldasyr, où il pouvait se retrouver seul, plongé dans ses lectures. Un patio verdoyant était entouré d'allées où des chaises longues à l'armature de bronze raffinée faisaient face à des colonnades ouvertes sur l'extérieur, offrant une vue imprenable sur l'océan azur, laissant parfois apercevoir la voile blanche des navires qui patrouillaient le long du rivage. Une brise fraîche traversait l'endroit et faisait frémir les feuilles des plantes tropicales qui garnissaient les terrasses surélevées du patio, encadrant une petite fontaine irriguant les plantations. Du lierre fleurit courrait le long des colonnes tandis que, parfois, des couples de papillons multicolores batifolaient ça et là et volaient de fleur en fleur, ajoutant au charme poétique de l'endroit.
C'est là, alors que Theldasyr était tranquillement installé sur l'un des fauteuils face à la mer, tournant délicatement les pages d'un ouvrage consacré au Roi Phénix Morvael l'Impétueux, que le silence ambiant fût brisé par autre chose que le cri lointain des mouettes. Des bruits de botte résonnèrent dans le couloir qui donnait sur le petit cloître et alors que le jeune noble refermait son livre, il aperçu l'archimage Danrael s'avancer entre les terrasses fleuries du patio. Il portait un long bâton en bois noir au bout duquel était enchâssé un croissant de lune en argent gravé de runes eltharines. Sa longue robe bleue nuit lui tombait jusqu'aux chevilles et volait légèrement derrière lui, tout comme ses cheveux blonds retenus par un fin diadème en bronze poli, au centre duquel trônait une petite gemme azur. Il semblait sans âge et marchait lentement, remontant l'allée bordée de colonnes sculptées pour s'arrêter près du fauteuil ouvragé du calédorien.
- "Salutations, Theldasyr." dit-il d'une voix calme en inclinant la tête. Il respirait le savoir et la sérénité, mais affichait pourtant un air sévère. "J'ai bien peur que les dieux ne nous soumettent un nouveau défi, et ta présence est requise, toi qui prouvas ta valeur et ton dévouement à la cause des Asurs. Retourne dans tes appartements et revêt ton équipement. Demande à tes compagnons Bëllegond et Toranbel de faire de même et rendez vous au temple d'Asuryan. Faites vite." lui ordonna-t-il avant de quitter la pièce.
Theldasyr s'était déjà rendu plusieurs fois au temple d'Asuryan depuis son arrivée à la Citadelle. C'était une immense dôme doré dans lequel était perché une statue chryséléphantine du dieu tutélaire des Hauts-Elfes. Le jeune noble ne perdit donc pas un instant et quitta la fraîcheur et la quiétude du cloître pour traverser la bibliothèque et reposer le livre sur son étagère, avant de quitter le bâtiment et de descendre les marches de marbre quatre à quatre pour retourner à sa caserne en vitesse, ignorant les saluts respectueux qu'il reçu sur le chemin. Il traversa rapidement la grande cour de graviers blancs et pénétra dans le bâtiment. Il trouva Bëllegond en pleine discussion avec Toranbel. Ce dernier était l'un des membres de leur unité, le fils d'une famille noble d'Ellyrion. Il s'était lié d'amitié avec les deux calédoriens après leur retour victorieux à la Citadelle, et était l'un des seuls de leurs compagnons de régiment à avoir déjà reçu une expérience militaire, puisqu'il avait servi une décennie à la Porte du Griffon, en Ulthuan, avant d'être envoyé ici. C'était donc un élément précieux pour la troupe. Theldasyr leur intima de préparer leurs affaires et de le suivre, ce qu'ils firent sans protester devant le ton impérieux de leur frère d'arme, tandis que ce dernier se rendait dans sa propre chambre pour revêtir son armure et s'équiper. Quelques minutes plus tard, les trois jeunes elfes traversaient la cour en sens inverse et remontaient plusieurs séries d'escaliers, traversaient une dizaines de couloirs et gravissaient les étages de la Citadelle de l'Aube. Ils arrivèrent finalement devant les portes du temple d'Asuryan, gardé par deux lanciers. En les voyant arriver, l'un d'eux inclina la tête et leur fit signe de le suivre, s'engouffrant dans un petit couloir adjacent qui longeait la nef principal du temple. Ils marchèrent quelques secondes derrière lui sans réellement savoir ce quoi il en retournait, pour déboucher sur une petite salle éclairée par des braseros sculptés. Le Prince Vafanel, l'archimage et le Lion Blanc étaient assis autour d'une table, en compagnie d'un étrange personnage encapuchonné et vêtu d'une armure de cuir noire que Theldasyr n'avait jamais vu à la Citadelle auparavant. Le lancier qui avait escorté les trois amis salua et se retira, tandis que Theldasyr, Bëllegond et Toranbel effectuaient un strict salut militaire, alignés. Le commandant se contenta d'incliner la tête, l'air préoccupé.
- "Voilà les guerriers dont je vous ai parlé, Valandir." dit-il en s'adressant à l'elfe encapuchonné. "Je vous laisse leur exposer la situation."
Le dénommé Valandir les examina d'un air acéré. Il n'y avait aucun doute pour Theldasyr : ils étaient en présence d'un guerrier-fantôme, ces personnages originaires de Nagarythe la Dévastée, et qui avaient juré il y a des siècles de vouer leur vie à l'éradication complète et sans conditions des Druchiis. Les légendes les disaient emplis de haine, de rancœur et dirigés par l'esprit de vengeance à tel point qu'ils s'apparentaient à leur proie d'une manière assez troublante. Le vengeur les ausculta encore quelques secondes, avant d'incliner la tête.
- "Le temps est compté, aussi serais-je bref." dit-il d'un air sombre. "Mon escouade et moi-même pourchassons une troupe de Druchiis depuis plusieurs saisons. Ces parjures maudits sont guidés par les visions corrompues d'une Sœur du Couvent Noir de Ghrond, une sorcière maléfique du nom de Cyrthë. Ils sont complètement fanatisés ce qui les rend d'autant plus dangereux, et ont fondé la secte des Sanglots Éternels pour mener à bien leurs noirs desseins. D'après les informations dont nous disposons, ils sont persuadés de pouvoir libérer la Vipère de Céladon de ses chaînes."
Theldasyr connaissait cette légende, comme tous les Hauts-Elfes. C'était une histoire ancienne, qui racontait comment, à l'aube des temps, Lileath, la vierge, s'unit spirituellement aux deux lunes. De cette union naquit d'abord Rathloriel le Bon, mais l'influence corruptrice de la Lune du Chaos engendra également la Vipère de Céladon. Rathoriel était fort et brave, beau et intelligent, alors que la Vipère était bossue et laide, bête et lâche. De jalousie, on raconte qu'elle tua son demi-frère Rathoriel et qu'elle le dévora. Lileath, pleine de miséricorde, ne pu se résoudre à tuer son enfant meurtrier et fratricide, et l'enferma donc dans une prison hors de l'espace et du temps pour toujours. Mais la déesse, pure comme le cristal, était inconsolable et pleura. L'une de ses larmes perla de son doux visage et tomba dans l'océan, provoquant raz-de-marées et ouragans meurtriers. Cette triste histoire faisait partie du folklore elfique, et était à l'origine de nombreux poèmes et récits épiques. Mais elle n'en restait pas moins une légende et peu étaient ceux qui y voyaient un reflet de la réalité. Valandir, lui, n'avait pas l'air d'en douter.
- "Il y a deux lunes, les Ombres des Sanglots Éternels ont réussi à s'infiltrer dans les ruines d'Anlec malgré notre vigilance, et y ont dérobé la Larme de Lilieath, un artefact d'une grande puissance." reprit-il sur un ton amer. "Nous avions cru cette relique perdue à jamais après la chute de Nagarythe, mais il s'est avéré que ce n'était pas le cas. Les dieux seuls sauront nous juger pour notre échec. Nous sommes donc sur la trace de ces démons qui, d'après nos derniers rapports, ont prit la mer en direction de l'Est depuis le Pays des Ombres pour des raisons que j'ignore. J'ai déployé des oreilles attentives dans chaque port, à Marienburg et à l'Anguille, à Copher et à Lashiek dans les villes humaines du Sud, et jusque dans les repaires de pirates et de mercenaires qui parsèment la côte. Tout porte à croire que les sectateurs ont accosté quelque part entre ici et les déserts de la Terre des Morts et qu'ils se sont enfoncés dans la jungle, guidés par Cyrthë et ses prophéties corruptrices sur la Vipère de Céladon. Voilà la raison de ma venue ici, par le premier navire en route vers cette Citadelle. Mes hommes attendent mes ordres à la Tour de Sindàr, et je suis seulement venu ici pour alerter votre prince."
Le commandant Vafanel hocha la tête en guise d'approbation.
- "Il dit vrai. Et vous l'accompagnerez aux côtés de Nienor et Danrael" dit-il en tournant la tête vers le Lion Blanc et l'archimage. Le colosse paré de la fourrure du fauve inclina la tête et enfila son casque au plumet blanc, tandis que l'archimage se contenta d'approuver tacitement.
- "Ne perdez pas un instant, des Cotres vous attendent aux terrasses Sud. Que les dieux veillent sur vous." les salua Vafanel avant de s'incliner avec un air solennel, tandis que Valandir fixait les trois frères d'arme d'un air étrange.