La ville en elle-même était incomparable avec tout ce que Vashti avait déjà vu. Même Copher paraissait minuscule en comparaison de la grandeur de Marienburg. De plus, son architecture même était étrangère à tout ce que l’arabéenne avait pu connaître. Typiquement impériale, on y retrouvait aussi des influences bretonniennes et elfiques, principalement, mais aussi de manière très mineure de toutes les factions commerçantes connues au monde, dont beaucoup étaient ignorées de la plupart des gens, y compris de Vashti Ammirid.
La jeune femme avait pu constater en arrivant que la ville était un patchwork dans tous les sens du terme. Un entassement de bâtiments en tous genres, perdus dans un dédale de ruelles et de quartiers disposés plus ou moins au petit bonheur la chance sur une multitude de petits îlots eux-mêmes regroupés par grandes thématiques en « cantons ». Pour une étrangère perdue dans ce monde nouveau et inconnu, la complexité de la métropole était un véritable enfer, et s’y retrouver, s’y orienter était plus difficile que dans une jungle inextricable.
Patchwork, la cité l’était également de part sa population. La plupart des ethnies, nationalités et races y étaient représentées, de l’Extrême-Orient au Nouveau Monde d’Or à l’Ouest, de la Norsca au Nord à l’Arabie au Sud. Et bien sûr, par corolaire, tout, absolument tout se vendait et avait un prix à Marienburg, et ce que la marchandise soit légale ou non. Le commerce à lui seul était l’explication et la raison d’être de ville entière. Le capitalisme féroce, pur, sans loi ni morale, sans limite ni barrière quelle qu’elle soit. Quiconque comprenait cela saisissait l’essence même de Marienburg. C’était cela qui rendait la cité si enviée, si détestée, si adulée, si convoitée, si crainte et encore tant de choses à la fois. Car quoi qu’en pense ou qu’en en dise, qu’on l’aime ou qu’on la haïsse, Marienburg laissait rarement indifférent. A la fois eldorado et cimetière, lieu de toutes les libertés et prison, elle représentait le pire et le meilleur d’une société entière : la société de l’argent, de l’échange, du commerce.
Comme la plupart des bateaux arrivant dans la ville, le vieux galion à bord duquel Vashti Ammirid avait embarqué de Copher, fut mené par le pilote du phare de Manaan au Suiddock, le vieux quartier de Marienburg, globalement pauvre, mais grouillant de vie et fourmillant d’activité. C’est là, sur les quais, parmi les dockers, que Vashti fut débarquée sans ménagement avec le reste des passagers et des marchandises. Le capitaine du navire avait des affaires à régler, et il n’entendait pas encombrer son vaisseau une seconde de plus que nécessaire sans en tirer profit.
Dans cette cohue, une arabéenne seule passait relativement inaperçue. C’était tout juste si elle existait, on ne s’apercevait de sa présence que pour ne pas lui rentrer dedans. Et encore ! Plus d’une fois, Vashti fut bousculée par des transporteurs, des passants ou des dockers peu attentifs qui lui crièrent parfois même dessus. En écoutant les discussions des gens dans le bateau, notre héroïne avait appris qu’il existait un quartier arabéen dans la ville. Mais souhaiterait-elle s’y rendre ? De fait, on la rechercherait peut-être là-bas.
Ce n’était néanmoins pas la seule chose que Vashti avait pu entendre durant son voyage. A la faveur d’échanges surpris entre passagers, l’ancienne esclave avait eu vent de plusieurs opportunités qui s’offraient maintenant à elle. Pour qui voulait travailler, Marienburg n’était pas avare de besognes, et le mercenariat était l’une des activités principales de la ville dans le domaine militaire et paramilitaire. Les opportunités dont Vashti avait eu vent étaient justement en lien avec cela. D’une part, les nombreuses grosses compagnies de la ville, aux réputations bien différentes, étaient sans cesse en recherche de nouvelles recrues. Il y avait également la possibilité de rejoindre un groupe plus petit, de se chercher des associés pour créer le sien, voire de se lancer en « freelance » en cherchant des contrats et en restant à l’affut des rumeurs.
Chaque solution offrait à la fois des avantages et des inconvénients. Un grand groupe constitué imposerait des règles strictes, une obligation d’obéissance et moins de choix et de liberté dans les contrats. Comme dans une armée privée, il faudrait se conformer aux instructions des supérieurs, respecter certaines conditions, et tout le reste. En revanche, de telles structures déjà formées offraient une possibilité de formation et d’équipement plus large, ainsi qu’un afflux constant de contrats et donc une sécurité dans l’activité.
Les petits groupes, qui pouvaient être constitués d’une poignée d’individus seulement, étaient plus soudés. Comme des familles ou des amis, tous les membres se connaissaient et il s’y développait souvent une relation de confiance. L’inconvénient était qu’il faudrait y être accepté et se conformer aux règles du groupe. De plus, si de telles compagnies avaient des perspectives d’évolution et de formation, elles étaient souvent plus limitées que les grandes.
Ces groupes, petits ou grands, pouvaient être de toutes sortes : ethniques, raciaux, unisexes, ou basés sur une idéologie commune partagée... Certains respectaient la loi, d’autres non. Mais le plus souvent, ils n’étaient pas dogmatiques ni discriminants, et ne partageaient qu’une seule chose : la recherche du profit, à n’importe quel prix.
Enfin, pour ce qui était de constituer son propre groupe ou de se lancer à titre individuel dans le mercenariat, les deux possibilités impliquaient de lourdes responsabilités, et aucune aide de l’extérieur. Mais c’était aussi le prix d’une liberté plus grande.