Kandroth avait fini de s’étirer. Et quand bien même il était puissant, il était loin d’être une brute tout à fait sans cervelle ; ses coups étaient adroits, précis, et vifs. Il était bien plus rapide, et même bien plus agile qu’Ahmès. Le déjouer allait demander une concentration maximale… Et un soupçon de chance.
Tout se joua en à peine trois secondes, qui décomposaient trois mouvements bruts.
Kandroth donna un revers à droite — mais c’était une feinte. Elle faillit prendre Ahmès au dépourvu, quand il vit soudain la gauche du capitaine décrocher vers sa mâchoire. Mais par miracle, l’assassin pivota sur lui-même, glissa sur le sol mouillé, et parvint à donner une toute petite impulsion derrière le genou de son adversaire.
Le gros balourd ne fut pas projeté au sol ; mais il culbuta bien dans un de ses sbires. Le temps qu’il se tourne, Ahmès était déjà en train de sprinter comme s’il avait Khaine à l’arrière-train.
« Oh merde-
-Rattrapez-le ! »
Un carreau d’arbalète siffla juste à droite d’Ahmès, avant de s’éclater au sol et se briser en cinq petits morceaux : on avait essayé de lui tirer dans la rotule.
L’assassin entendit plus qu’il ne vit la soldatesque à ses trousses. Il pouvait entendre un sifflet, tandis que, sous l’averse, il quittait la ruelle étroite et débouchait en plein sur une grande avenue toute droite et fréquentée. Un tas d’esclaves de toutes les races portant des affaires, ou de corsaires torchés assis sur des bancs, tournaient leurs regards vers lui.
Et Kandroth hurla si fort que tout le monde pouvait l’entendre :
« AU NOM DU DRACHAU !
ARRÊTEEEEZ-LE ! »
En voilà, une sommation impérieuse. Il venait de prononcer le nom du prince de la ville. Ahmès s’était fourré dans une belle mouise en une nuit.
Personne parmi les badauds ne tenta de s’interposer. Les serfs comme les Elfes libres s’écartaient sur le passage d’un Ahmès, qui devait courir à toute vitesse en plein sur l’avenue à travers la foule. Plutôt que de faire une ligne droite, il tenta de zigzaguer, en dépassant une charrette remplie à ras-bord de matériel. Pari gagnant : il vit un carreau se planter juste sur ses yeux en plein dans l’essieu du véhicule, ce qui eut le mérite de faire sursauter l’humain qui tenait l’attelage, qui se mit à gueuler en reikspiel.
Kandroth avait visiblement la gâchette facile…
« STOOOOP !
REVIENS-LA BOORDEEEL ! »
Problème : le gros balourd était exceptionnellement rapide pour un tas de muscles et de graisses. Il pouvait l’entendre gueuler en plein dans son oreille gauche — le Délice que lui avait servi cette sale raclure de Fellheart l’essoufflait, il ne pouvait pas compter sur ses guibolles trop molles.
Il vit une jambe tenter de décrocher sur lui. Une petite impulsion, et il entendit Kandroth trébucher tout seul, et dire un seul mot :
« Merde »
avant de s’effondrer dans un tas de poubelles.
Une main lui attrapa le manteau et le tira contre lui. On tentait de l’agripper. Comme un animal fou, Ahmès lui donna un coup de coude, et virevolta tout droit, lui laissant son vêtement auquel il tenait tant.
Il sprintait comme un fou, tandis qu’un énième carreau vola en l’air pour simplement percuter quelque chose sans faire le moindre dégât.
Et Kandroth ne lâchait rien. Il avait beau s’être effondré dans les détritus, il s’était relevé tout droit, l’avait rattrapé en cinq secondes, et voilà qu’il tentait à nouveau de le faire chuter par une prise aux hanches.
Ahmès ne s’en sortirait pas dans cette grosse avenue bondée. Il tourna à toute vitesse dans une ruelle, passa dans une travée étroite, et tenta de les semer au milieu d’un dédale urbain.
Gauche, droite, gauche, gauche…
« LE LÂCHEZ PAS ! »
Ahmès déboucha dans un jardin. Il glissa alors sur des marches mouillées, glissa par terre, et roula-boula en manquant de se faire une entorse à la cheville.
Il était au milieu d’une sorte d’arrière-cour de grand bâtiment. Et il était tombé juste aux pieds d’une grande dame toute bien habillée, avec une longue robe rouge échancrée qui lui arrivait aux mollets.
« Mais qu’est-ce que… ?
– Là ! Il est parti par-là ! »
Le grand bâtiment avait une porte extérieure ouverte. Il y avait une gouttière pour escalader sur les toits. C’était une voie sans issue, mais il était fort pour s’en créer, des issues.
Souci : les trois enfoirés ne manquaient pas de souffle, et ils seraient là dans une poignée de secondes à peine.
Et la grande dame juste devant lui, pipe à tabac à la main, cimeterre accrochée à la ceinture malgré sa parure impeccable, le regardait tout droit avec des yeux écarquillés, la bouche entrouverte.
« Heu…
T’as besoin d’aide… ? »