Les chasseurs laissèrent tomber le matériel qu'ils transportaient pour se disposer en arc de cercle, dos à la falaise. Tous, à l'exception peut-être de Crispin, étaient des vétérans aguerris. Leurs styles de combat requéraient de l'espace, notamment pour Mog le Tranchoir, et ils se tenaient à environ deux mètres les uns des autres, armes au clair et prêts à accueillir l'ennemi. Conformément aux ordres donnés par Geralt, Amar abandonna son fusil pour dégainer un cimeterre incurvé.
Mais à la place d'une tempête de feu, ce furent quelques étincelles qui s'échappèrent de ses paumes pour virevolter dans l'air moite avant d'y mourir lamentablement.
- "Putain d'incapable !" jura Klaus "Si on avait su qu't'étais bon qu'à allumer le petit bois, tu s'rais encore en train de crever la faim aux Sentinelles."
- "Attrape ça et prépare toi à vendre chèrement ta vie, sorcier. Personne ne prendra de coups pour toi ce soir." lança Hirohito en dégainant le plus court de ses deux sabres et en le jetant aux pieds de Crispin.
Le jeune homme ramassa l'arme avec un regard honteux, les mains tremblantes de colère.
Et soudain, face aux chasseurs, la tribu des marais lança sa charge. Des dizaines et des dizaines de hobgobelins jaillirent des rideaux de lianes et des taillis en brandissant des armes de facture rudimentaire. A la différence de Sartak -qui brillait encore une fois par son absence- ceux ci étaient entièrement nus à l'exception d'un pagne en peau leur ceignant les cuisses. Leur peau verte était recouverte de peintures de sang coagulé, leur conférant une couleur sombre dans le crépuscule qui tombait alors, ainsi qu'une odeur de charogne que Mog avait déjà noté la veille. D'autres peintures de couleur blanche servaient à mimer des os sur leurs membres et leurs torses maigrelets. Ils ressemblaient ainsi à une armée de squelettes qui se ruaient dans la petite prairie qui les séparait des chasseurs.
- "Des avortons. J'vais en faire qu'une bouchée." ricana l'ogre de la bande, qui ne semblait nullement alarmé par le nombre de leurs assaillants.
Ces derniers pullulaient désormais, chargeant de toutes les directions pour déferler sur leurs proies. Ils poussaient des cris excités et des hululements sauvages, semblables à une nuée de bêtes affamées. Il n'y avait ni ordre ni discipline dans leurs rangs et ils galopaient comme une bande de goules écervelées. Bientôt, les premiers d'entre eux furent sur les aventuriers et ils se lancèrent dans la mêlée avec des hurlements stridents.
Mog le Tranchoir fut le premier à faire jaillir le sang, et il n'y alla pas de main morte. Il brisa la formation pour prendre quelques foulées et coucha toute une ligne de hobgobelins d'un seul arc de son monstrueux sabre cathayen. Il s'esclaffa alors et en attrapa un autre par l'épaule pour lui fracasser le crâne contre sa plaque ventrale.
- "C'pas bien solide ces p'tits bêtes !"
Autour de Geralt, c'était la moisson. Klaus, Amar et Hirohito étaient d'excellents combattants et ils abattaient ces peaux-vertes sauvages sans difficulté apparente. L'impérial était tout en brutalité et en rapidité, donnant la mort avec son fauchon et son bec de corbin. L'arabéen faisait le vide autour de lui, parant sans peine les coups et faisant danser son cimeterre. Le nippon, enfin, s'était transformé lorsque le sang avait commencé à couler. Son chignon impeccable s'était défait et il s'était jeté de l'avant, massacrant sans pitié les hobgobelins qui osaient l'approcher. Il mettait un point d'honneur à les gratifier de la mort la plus horrible qui soit, en eviscerant un avant de passer au prochain tandis que le précédent agonisait en hurlant. Le visage de Hirohito était déformé par une expression de joie macabre et ses longs cheveux noirs volaient autour de lui. Crispin, quant à lui, tenait deux pillards en respect après en avoir abattu deux autres. Les êtres sournois lui tournaient autour comme des loups, à la recherche d'une faille, tandis que le jeune sorcier essayait de ne pas perdre de terrain. Et il faisant bien, car chaque pas en arrière le rapprochait de la falaise qui tombait à pic dans les marécages en contrebas.
Geralt avait lui aussi son lot de hobgobelins sur les bras. Quatre d'entre eux se jetèrent sur le Loup Blanc en poussant un cri strident tandis que, tout autour d'eux, la mêlée faisait rage.
Cependant, ils semblaient toujours plus nombreux à jaillir des fourrés pour se précipiter au combat. La mêlée était féroce, l'ennemi submergeait peu à peu les chasseurs et la nuit n'allait pas tarder à tomber. Les hobgobelins étaient difficiles à dénombrer et Geralt et ses compagnons ne semblaient avoir que trois solutions : les exterminer tous, en tuer suffisament pour essayer de les faire fuir ou tenter eux même de battre en retraite.
Après ce premier contact coûteux pour la tribu des marais, les peaux-vertes semblèrent hésiter, se jetèrent moins fougueusement sur les chasseurs et prirent le temps de se regrouper pour leur tomber dessus en grappes, essayant de les étouffer sous le poids du nombre, du moins suffisamment pour qu'une faille s'ouvre dans laquelle ils puissent s'engouffrer. Du coin de l'oeil, Geralt aperçu aussi un trio d'entre eux qui prenait position sur une petite butte couverte de mousse à dix mètres à peine. Ils embouchèrent de longues sarbacanes en bois et commencèrent à tirer de petites fléchettes empennées de rouge. Deux d'entre elles atteignirent Amar à l'épaule sans que ce dernier ne semble s'en préoccuper, tandis qu'un troisième se perdait autour de Klaus.