Ce sont pas des Norses qui nous arrêteront. »
La mise au point terminée, Rekhilve put à nouveau marcher nonchalamment vers le groupe de Corsaires qui attendaient patiemment. Elle les dépassa sans en gratifier un seul du moindre regard, et, toute gaillarde, continua à tracer tout droit, sans un mot, sans un conseil, sans rien.
Les Druchiis n’avaient qu’à suivre ses foulées.
Ils quittaient donc la steppe. Alors qu’ils marchaient depuis dix minutes, on entendit un troisième hurlement sonore, et une troisième fusée qui illumina le ciel. Kehem semblait proprement terrifié, mais, au grand étonnement d’Akisha peut-être, il ne décida pas d’ouvrir sa bouche pour se fendre d’un de ses sempiternels commentaires. Peut-être que le danger de la situation où il se trouvait devait jouer.
Finalement, au bout d’une bonne demi-heure de marche, ils retrouvaient le silence et la pénombre d’une nuit dans lune. Et ils atteignaient maintenant un terrain boisé. Rekhilve jeta son paquetage à terre, retira sa pèlerine devant tout le monde, et observa la vilaine entaille qu’un des hommes de Megeth lui avait infligée. Sans se soucier ni de la pudeur (Ils étaient après tout des Elfes Noirs) ni du fait qu’ils étaient en mission, elle sortait de sa besace un tas de bandelettes et un pot scellé qui contenait une sorte d’onguent. Aucun Corsaire n’osa se plaindre du retard qu’elle accusait. Ils se contentaient, très professionnels, de former naturellement une sorte de cercle éclaté, afin que leurs paires d’yeux puissent porter à travers la végétation.
Il était une chance qu’ils soient de la race des Elfes. Malgré la nuit noire, malgré le terrain boisé, leurs pupilles s’adaptaient tant bien que mal, si bien qu’ils parvenaient à déceler les racines et les buissons. Ils n’étaient pas tout à fait aveugles.
Rekhilve, perchée sur sa branche, grogna et grimaça un peu. Mais enfin, elle parvint à se bander à la va-vite, se rhabilla sans se plaindre ni demander l’assistance de personne, et après s’être assurée de ne pas mourir, elle remit son sac sur l’épaule, puis parla à voix haute :
« Bien. Messieurs dames ; À partir de maintenant, je vais requérir votre silence, le temps que je travaille. Je vais nous chercher une piste.
– Mais personne était en train de parler... »
Rekhilve foudroya Kehem du regard. Le pauvre interprète ne soutint pas ce regard longtemps, et se contenta de baisser les yeux.
« On y va. »
Ils marchaient tous sans un bruit. Sans une plainte. De temps à autre, un des Corsaires mettait la main à une outre sur son côté – Akisha avait bien demandé à ce qu’ils emportent quelques provisions avec eux. Rapidement, ils se désaltéraient, sans troubler la pesanteur du vide, sans un son. Les seules traces qu’ils laissaient derrière eux étaient quelques branchages qu’ils tentaient de ne pas écraser, et des pas dans la tourbe. Ils étaient une race habituée à être fourbe. Les hommes d’Akisha n’en étaient pas à leur premier raid.
La nuit fut longue. Les journées passées en mer n’avaient pas aidé à trouver un bon rythme de sommeil, et subir toute une nuit dans le froid, sans pouvoir prendre un vrai repas, commença à peser sur tout le monde. S’ils continuaient, ils risquaient d’être bien vite exténués ; Mais pour l’heure, ils encaissaient. Ces Druchii-là n’en étaient pas à leurs premières peines.
Au sol, Rekhilve fit une jolie découverte. Elle trouva des os d’animaux. Renards, chuchota-t-elle. C’était une nouvelle très rassurante : Toute la faune n’avait pas disparu ici. Elle se contentait de se faire silencieuse, fuyante devant eux. Mais ils n’étaient pas dans une région totalement morte.
Plus tard, ils découvrirent des pas laissés par un petit animal. Des branchages constituant un petit nid d’oiseaux dormants. De minuscules détails de ce style. Mais ils ne trouvaient aucune trace de passage humain, ou de grand groupe. Vu la taille de la forêt, et de la Norsca, il était certain qu’ils cherchaient une aiguille dans une botte de foin ; Mais Rekhilve fut incapable, cette nuit, de trouver le moindre indice probant.
L’atmosphère se faisait un peu moins noire. Mais il ne faisait pas encore jour. Peut-être était-il cinq heures du matin, quelque chose comme ça. Une sorte de brume grisâtre remplaçait l’obscurité de la veille.
Rekhilve leva son poing fermé, et tout le monde se tranquillisa. Elle posa un genou à terre. Une oreille contre le sol, ses tympans directement dirigés contre la toundra.
Puis elle se leva en grognant.
« Chevaux. »
Elle regarda autour d’elle. Pointa du doigt un tronc d’arbre mort tombé au sol – peut-être la victime de vers ou d’une tempête particulièrement violente. Les Corsaires suivirent, et glissèrent derrière le bois pour se camoufler, plaçant des carreaux contre leurs arbalètes.
Au bout de deux minutes, on entendit des sabots battre le sol. Et, sous les yeux attentifs d’une Akisha planquée, l’intuition de Rekhilve s’avéra être la bonne.
Trois cavaliers, chevauchant de magnifiques chevaux bien racés. Ils avaient l’armure des guerriers Norses. Bien équipés, ils tournoyaient un peu, regardant des vieux débris d’os au sol. Ils ne parlaient pas entre eux.
Mais ils découvrirent au sol une trace de pas laissée par un des Corsaires.
« Trois contre six. On peut se les faire. »
C’était Nirith qui avait proposé ça, dans un chuchotement très maîtrisé.
« Trois à cheval. Ils peuvent s’enfuir ou nous charger. Mieux vaut les laisser partir, et les suivre de loin. »
C’était la suggestion de Thugas, qui pointa son arbalète à main dans la direction de l’un d’eux.
Les prochains ordres viendraient de leur capitaine.