Tars se chargea de sa tâche à merveille. Il put transmettre la missive qui contenait les observations et qui servirait de garantie, ainsi que les ordres du caporal pour ce qui allait se produire le soir. Il était également rassurant de savoir que l’autre équipe était bien cachée et n’avait eu aucun incident à signaler.
Leur informateur ne s’était pas montré très enthousiaste concernant les nains. La rencontre était effectivement à haut risque, mais si les nains avaient réellement une rancune contre Prestefier, qu’ils avaient le sens de l’honneur qu’on leur prêtait et qu’ils étaient bien les plus fidèles alliés de l’Empire, cela pouvait en valoir la peine. C’était pour ces raisons que Friedrich Hadler avait jugé qu’il fallait tenter le coup et essayer de dialoguer avec eux.
Evidemment, le soldat n’était pas serein. De sa décision pouvait dépendre beaucoup de choses. Les nains pouvaient très bien se montrer hostiles, ce qui les mettrait alors en danger, ainsi que la mission. C’est pourquoi il avait pris ses précautions. Cacher le reste du groupe en retrait, avec la missive contenant toutes les informations qu’il avait pu récolter jusque là, de manière à ce qu’il puisse soit s’enfuir ni vu ni connu, soit venir en soutien le cas échéant.
Dans tous les cas, bien avant le matin, ils seraient partis. Soit rejoindre Hautchemin, dans le meilleur des cas, soit pour les geôles de Prestefier, au pire. Mais une chose était certaine : grâce à ses précautions, la mission ne devrait selon toute logique pas échouer.
Au fur et à mesure que le soir approchait et que les tours de garde s’alternaient, le natif de Klirduc sentait la tension monter. Il avait pris ses premières décisions opérationnelles au cours de la mission, et commençait à en ressentir le poids, la lourde responsabilité de savoir que si son analyse était fausse, s’il se trompait, de nombreuses vies pourraient en pâtir. Jusqu’ici, son plan s’était plutôt bien déroulé, très bien, même. Mais avait-il voulu pousser trop loin, faire un excès de zèle ? Etait-ce forcer la chance que de vouloir contacter les nains ? Si les informations qu’il avait étaient juste, pas forcément. Au contraire, il avait ses chances. En tout cas, il fallait essayer, coûte que coûte.
L’activité des bretonniens ne changea pas des masses pendant la journée. Au moins, l’éveil ne semblait pas avoir été donné, l’alarme n’était pas déclenchée. C’était déjà un bon point pour eux : le paysan ne semblait pas les avoir trahis.
Lorsque le soir tomba, en revanche, le groupe se mit en place. Seuls Tars et Friedrich Hadler se montreraient aux nains, comme prévu. Pour des raisons de sécurité, et également pour ne pas que ces derniers ne croient à un piège. Après tout, le bretonnien n’avait vu que « Robin de Locslai » et « Jean Petit », et c’était sûrement ceux que s’attendaient à trouver les nains. Les autres se tiendraient embusqués en arrière, attendant son signal pour fuir ou intervenir, selon les besoins.
Ces derniers moments d’attente furent très éprouvants pour le caporal, qui était en plein doute, même s’il ne le montrait pas. Devant ses hommes, ceux en retrait en embuscade, mais surtout Tars qui avec lui prendrait le plus de risques, il se devait d’avoir l’air sûr de lui, confiant en ses plans. Pourtant, ceux qui le connaissaient bien auraient pu dire sans peine qu’il était tendu. Les dents serrées, les sourcils froncés, ne lâchant pas un mot, les yeux rivés vers Prestefier pour guetter le moindre mouvement venant de la ville. Se tenant très droit, il faisait les cents pas derrière la lisière de la forêt, la main droite serrée sur la poignée de son arme.
Son air tendu ne reflétait pourtant pas toute l’inquiétude qu’il ressentait, et la nervosité qu’il devait contrôler. Intérieurement, comme souvent, il réfléchissait, émettant mille et unes hypothèses, mille et un scénarii pour essayer d’anticiper tout ce qui pouvait se passer.
*Et si les nains venaient avec des hommes d’armes ? Dans ce cas, plus le choix, il faudrait s’enfuir avant même qu’ils ne s’approchent d’ici.
Et s’ils ne venaient pas ? Là encore, il faudrait se résoudre à rentrer sans leur avoir parlé.
Et s’ils venaient ? Faudrait-il leur révéler tout de suite leur véritable identité ? Difficile à dire, ça dépendrait probablement de leur comportement et des sentiments qu’ils sembleraient nourrir à l’égard des différentes parties à l’affaire.
Prestefier-Herrimauts-Empire, un triangle bien singulier. Mais j’ignore encore quelle est la place des nains au sein de cette affaire, et il me faut tirer cela au clair pour compléter ma mission. Qui plus est, avec un peu de chance, s’ils se montrent coopératifs, nous pourrions avoir d’autres informations encore plus précises.* Pensa-t-il. Mais bientôt, un élément nouveau vint mettre fin à ses supputations. Cinq silhouettes naines sortaient de la ville et se rapprochaient d’eux, seules.
Voilà qui semblait parfait. Soulagé que les nains viennent au rendez-vous, Friedrich l’était. Très rapidement, il souffla et se détendit un peu. Il n’était pas temps de se laisser aller à ses émotions, il devait faire preuve de sang froid et de maîtrise, d’analyser et de répondre vite à toutes les situations qui pourraient se présenter. Heureusement, il avait cette qualité de pouvoir se concentrer, rester lucide et maître de lui dans la plupart des situations.
Et ils en auraient sûrement besoin, au vu de la suite des évènements, dont la tournure commençait à sentir le roussi. Arrivés dans la clairière, à quelques mètres d’eux seulement, les cinq nains avaient sorti leurs armes, et l’un d’eux leur lança l’injonction de se rendre. Ils espéraient les utiliser comme monnaie d’échange pour se faire accepter du seigneur de Prestefier : voilà pourquoi ils étaient venus au rendez-vous. Et s’ils voulaient tirer avantage de leur prise, ils devaient évidemment la prendre seuls, pour obtenir tous les honneurs et posséder réellement un avantage sur le bretonnien.
Mais toutefois, tout n’était pas encore perdu. Peut-être tout cela n’était-il qu’un malentendu. Si c’était le cas, il faudrait vite le lever, sinon… Les jambes des humains étaient plus longues et bien plus adaptées à une fuite en forêt que les nains. Et au pire, il leur resterait toujours leurs épées et leurs arcs, même s’il ne souhaitait pas en arriver là.
Faisant signe à Tars de reculer lentement d’un geste de la main, Friedrich prit la parole, d’un ton assuré. L’adrénaline se répandait en lui, il était plus dans l’action que dans la réflexion maintenant : il n’avait pas le temps d’avoir peur, il devait agir. Reculant lentement, pas à pas, la main sur la fusée de son arme, prêt à dégainer et à courir dans la direction opposée, il tenta néanmoins une négociation. Contrairement aux nains, il ne s’était pas encore montré agressif, peut-être ces derniers l’écouteraient-ils. Il parla avec son accent normal ostlander, cette fois-ci.
-Vous allez commettre une très grave erreur. Ecoutez-moi, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être.
Nous sommes vos alliés les plus anciens, par l’alliance que Sigmar forgea jadis avec votre Haut-Roi, et qui est toujours valable entre nos deux peuples, entre notre Empereur Karl Franz et le Haut-Roi Thorgrim le Rancunier. Il y a un serment d’amitié éternelle, le briserez-vous, ainsi que toutes les règles de l’honneur, en nous attaquant à cinq contre deux, alors que nous voulions parler ?
Ai-je l’air d’un bretonnien ? Je n’ai ni leur apparence, ni leur accent, et je ne parle pas comme eux, vous le voyez, n'est-ce pas ?
Je peux vous aider pour votre rancune contre Prestefier. Laissez-moi seulement vous parler.
L’objectif principal était de désamorcer l’escalade dangereuse de la situation, qui était réellement explosive. Une simple étincelle pouvait mettre le feu aux poudres. Peu importait de laisser sous-entendre la vérité, à savoir qu’ils étaient des soldats impériaux et non des herrimauts, car de toute façon, s’il venait à être capturé, Galaad de Couronne et l’autre chevalier du Graal, Méléagan, l’avaient déjà vu, ils l’auraient de toute façon reconnu. Et peut-être cela valait-il d’ailleurs mieux que de passer pour un hors-la-loi bretonnien.
Mais dans l’idéal, il n’y aurait pas d’affrontement, ni de fuite, mais dialogue et alliance. Par le rappel de ce qu’il avait appris plus jeune, l’alliance millénaire entre leurs deux peuples depuis Sigmar et les liens très forts toujours maintenus depuis avec les nains, surtout pendant la Tempête du Chaos, les liens forts entre Karl Franz et Thorgrim le Rancunier ayant encore renforcé cette amitié. Il espérait également que par la mention de l’honneur, valeur qu’on attachait souvent aux nains, il les toucherait. Après tout, attaquer des messages pacifiques, à cinq contre deux, ce n’était pas très honorable.
Evidemment, le caporal ostlander n’était pas idéaliste au point d’être aveuglé. Il restait extrêmement prudent, la main sur la fusée de « Devoir », prêt à dégainer si la négociation échouait. Il était également prêt à faire volte-face et à courir si cela paraissait envisageable pour lui et Tars. Il donnerait des ordres à ses hommes en fonction de l’évolution de la situation, de la tournure que prendraient les choses. Pour l’instant, tant qu’il y avait encore un espoir d’éviter la confrontation, il jouerait cette carte. Mais si les choses devaient dégénérer, alors il faudrait prier Myrmidia et l’honorer en combattant, ou choisir l’option de la fuite si elle paraissait viable. A sept contre cinq, dont 5 hommes cachés qui interviendraient par surprise -sûrement avec une petite volée de flèches à bout portant- même s’ils étaient contraints au combat, ils avaient leurs chances. Surtout, il suffirait de blesser les nains aux jambes et de décrocher dans la forêt si réellement ils étaient dominés.
Mais il fallait garder l’espoir de ne pas en arriver à cette extrémité.