Mais c’est si vous parvenez à vendre les six caisses d’un seul coup. Si c’est le cas, je vous engage tout de suite dans ma maison, officiellement. »
Le mulot eut un petit sourire taquin.
« De toute façon, même si vous ne vous sentez pas d’aller jusqu’à Erengrad, je préfère que vous me rameniez le cognac sain-et-sauf plutôt que de le laisser enterré au Nordland afin d’échapper à des douaniers. Je pourrai toujours le revendre plus tard, et vous toucherez une récompense à la bouteille — finder’s fee, comme on dit chez vous.
Vous ne finissez pas votre verre ? »
Il fit la moue alors qu’il s’apprêtait à resservir Surcouf. Il reposa sagement la bouteille, et s’engagea avec un petit soupir sur le sujet de son prête-nom.
« Il est fiable, oui.
Son nom c’est Mechtelt van Coninxloo. Oui, son nom est un nom de noble — il est originaire du Jutonesryk, mais pas de Marienburg, sa famille, une vieille famille d’aristocrates qui prétendent remonter jusqu’au roi Marius, ils ont quelques terres de marais salants dans le plat-pays.
Le fait qu’il soit noble, mais très pauvre, m’a pas mal servi. Lui et moi travaillons ensemble depuis… Huit ans, maintenant. Je l’ai surtout envoyé en Bretonnie, il a gagné beaucoup d’argent durant le Déluge, il vendait des fournitures militaires aux contingents des soldats Bretonniens qui montaient jusqu’à Middenheim, et il faisait des prêts sur gages à des chevaliers qui montaient vers le nord. Ensuite, il a passé un long moment à faire les foires, autour de Gisoreux et jusqu’à Bastogne, ça doit vous rappeler quelques choses…
Il est assez fiable, en fait, pour que je le lui offre la main de ma sœur aînée en mariage. Ils sont mariés depuis deux ans, pas encore d’enfants, mais il prévoit d’adopter mes neveux que ma sœur a eut de sa première union. Il fait partie de ma famille, je suis donc certain qu’il n’est pas un traître, qu’il complote dans mon dos.
Néanmoins… »
Il avait décrit précisément le portrait d’un profiteur de guerre, comme Dan en avait connus pas mal.
Et visiblement, il hésitait à cracher le morceau sur la suite.
« …Néanmoins, je dois admettre que Mechtelt a… Sa façon de faire. Il… Est très fier de lui-même, au point où les gens confondent ça avec de l’arrogance… Il aime que tout soit carré, et prend souvent des initiatives que je n’apprécie pas — comme celle de cacher mon cognac au lieu de le déplacer.
Ce n’est pas une tête brûlée. Et il est compétent. Mais si vous le rencontrez, prenez garde à la fois à son charme, et à son mépris, selon la façon dont il décide de vous traiter ; Rappelez-vous que vous travaillez pour moi, que c’est moi qui vous envoie, et que, en dernier lieu, c’est à vous que reviennent les décisions. Je lui expliquerai tout dans la lettre que je lui enverrai, mais je le connais, il pourrait essayer d’un peu s’imposer sur vous. »
Il prit un autre ton, plus direct pour finalement ré-enchaîner sur la question de l’argent.
« Nous faisons comme d’habitude ? Je vous fais confiance sur les frais que vous engagerez, après tout, ce n’est pas comme si vous alliez écrire dans votre journal de bord combien vous donnez en pots-de-vins aux douaniers — évitons d’offrir des preuves matérielles si vous passez devant un juge…
En échange, comme d’ordinaire, un sixième pour moi et un huitième pour Kuypers sur les profits. Cela vous va ? »
Kuilboer avait aidé Surcouf à financer son vaisseau, et lui fournissait toujours de bons boulots pour remplir sa cale et se faire de l’argent. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de sentir que la part que prenait le mulot — et surtout son richissime patron — était fortement exagérée. Il aurait été logique que Kuilboer, en tant qu’agent de Kuypers, touche son argent et reverse sa part à son patron, mais non, Dan était obligé de passer deux fois à la caisse, notamment pour graisser la patte de l’homme le plus riche du monde, qu’il n’avait jamais rencontré ni de Taal ni de Rhya.
Jusqu’ici, Dan avait toléré cet arrangement bancal, car cela lui avait permit de prouver à Kuilboer qu’il était efficace et discret. À présent qu’il avait assez travaillé pour lui, et qu’on le chargeait d’une affaire beaucoup plus dangereuse (Vendre du cognac en pleine guerre civile dans l’Empire…), peut-être Dan pouvait-il faire valoir une révision des pourcentages.