Menottés et enchaînés les uns à la suite des autres au niveau des chevilles, Surcouf, Josselin, Fridi et le quatrième larron, la vingtaine, barbe naissante, tignasse châtain coupée mi-long et retombant sur les oreilles et le cou, quittèrent l'obscurité des cachots pour retrouver l'air frais. En haut des escaliers, ils traversèrent à nouveau l'antichambre occupée par les deux secrétaires en noir derrière leur comptoir et firent irruption dans une petite cour baignée de soleil. Tant de luminosité après tant d'obscurité les obligea à cligner des yeux à maintes reprises pour s'y accoutumer. Une dizaine de mètres plus loin, on les fit entrer par une vaste porte de bois dans une haute tour de pierre. Ils suivirent ensuite une série de couloirs jusque devant une petite porte. On les fit asseoir sur un banc. Le premier des prisonniers, le jeune homme dont Surcouf ne savait rien, fut détaché de ses trois compagnons d'infortune et introduit par la petite porte qu'on referma immédiatement derrière lui. Tour à tour, chacun des prisonniers passa cette porte pour un procès qui ne dura pas bien longtemps. Quand ce fut le tour de Surcouf, comme la cause avait été entendue en amont, les membres de la cour se contentèrent d'une seule question que Jànos Böor traduisit par :
- Est-ce que tu es toujours d'accord pour être reconnu coupable de complicité dans l'enlèvement de la fille Bergsen et le meurtre d'un péager du fleuve pour un emprisonnement d'un an et un jour à Rijker ?
Les juges se contentèrent d'un hochement de tête approbateur et le jeune avoué put souffler d'en avoir terminé avec une affaire finalement bien rondement menée. Il serra vigoureusement les mains menottées du contrebandier et lui souhaita bon courage avant de prendre congé, tout sourire. Il s'éloigna vers un groupe d'homme vêtus, comme lui, de longues robes noires à col blanc. Sans doute d'autres avoués avec lesquels il pourrait profiter de son triomphe dans « l'affaire Surcouf ».
Rijker, l'Île Rijker, la forteresse dernier refuge des barons de Westerland devenue prison emblématique de la cité, cet endroit battu par les vents et les flots allait bientôt constituer l'unique demeure de Surcouf pour l'année à venir.
Il allait devoir y côtoyer la lie de Marienburg pour expier un crime qu'il n'avait pas commis et, dans le même temps, trouver le moyen d'en commettre un autre pour lequel il n'était pas fait. Evidemment, son commanditaire aurait pu choisir quelqu'un d'autre, un autre mode d'action et un autre moment mais l'occasion était belle et il avait préféré la saisir lorsqu'elle s'était présentée. C'était, d'ailleurs, l'unique raison qui l'avait fait s'intéresser au sort du contrebandier ; sans quoi la procédure aurait été différente et le résultat bien plus incertain malgré la bonne foi et l'innocence de ce dernier.
Sur la barge qui les amenait, directement après leurs procès respectifs, vers l'embouchure du Reik où se dressait l'Île Rijker, Surcouf et ses futurs codétenus pouvaient, une dernière fois, profiter des embruns avant leur incarcération...
A SUIVRE...