Mais sécuriser les prochains passants aurait un prix ! Il serait légèrement plus long de prendre le temps de fixer une corde à chaque saut que de tous les franchir d’une traite, et durant ce laps de temps supplémentaire, ils risquaient forts d’être aperçus ! Mais aucune solution n’était parfaite, entre sécurité et risque de tomber sur la foule en colère, il n’y avait pas de miracle.
Lors du saut suivant, tout se passa bien pour Geralt qui ouvrit la route. Une fois l’obstacle franchi, il attacha solidement la corde à une cheminée et les autres purent passer en s’y accrochant sans le moindre problème, même pour Sannri Barbe Enflammé, bien que le nain grommela dans sa barbe qu’il était trop vieux pour ce genre de pitreries acrobatiques dignes d’un cirque elfique !Saut 2/7 :
Test d’HAB Geralt : 2. Réussite. Franchi sans problème.
Saut 3/7 :
Test d’HAB Geralt : 19. Raté => passage bruyant ! Test caché.
Saut 4/7 :
Test d’HAB de Geralt : 3. Passage sans problème.
Reste 2 sauts normaux puis 1 grand saut pour arriver au mur d’enceinte.
Mais lors du second saut, la réception du chasseur de vampire fut bruyante. Sous son poids, une tuile se brisa en deux dans un bruit de bris caractéristique. Dans la rue en contrebas, un passant leva rapidement la tête, son attention attirée par ce son étrange. L’homme parut ne s’apercevoir de rien, cependant, et s’éloigna en marchant, comme si de rien n’était, tandis que le Loup Blanc fixait une nouvelle fois la corde à la charpente et permettait à ses amis de passer sans encombres la difficulté.
Mais, alors qu’ils venaient tous de franchir un troisième saut sans rencontrer de problème, ils entendirent un mouvement de foule se diriger vers eux, vers le centre du village. Sans doute effrayé par les armes de tir du groupe, le passant qui avait levé la tête avait fait semblant de n’avoir rien vu le temps de se mettre en sécurité, puis il avait donné l’alarme !
Maintenant, la foule se remettait en chasse des fuyards, telle une meute de loups affamés traquant une proie. Pour l’instant, le quatuor avait encore une légère avance sur eux, mais celle-ci fondrait comme neige au Soleil quel que soit le choix qu’ils effectueraient : descendre dans la rue, ou continuer par les toits avec ou sans l’aide de la corde. Gertrud, pour sa part, prépara son arc. Il était inconcevable pour elle se laisser lyncher sans riposter !
L’issue en question n’était autre qu’un trou pratiqué dans la muraille pour laisser s’écouler les eaux de la ville. Par chance, ce trou n’était pas grillagé, le débit du cours d’eau qui alimentait la ville (une sorte de torrent qui venait tout droit des Monts du Milieu, non loin au Nord-Est) étant trop important pour qu’on puisse s’introduire dans la ville par cet endroit. Mais pour en sortir, c’était autre chose !
Encore faudrait-il y parvenir, car déjà, à l’autre extrémité de la rue, les premiers poursuivants arrivaient, et quelques détonations d’armes à feu retentirent même.
Puis la course commença, et à ce petit jeu, la foule était plus rapide que les fuyards ! Cela avait au moins pour effet positif d’arrêter les tirs. Ceux dans la foule qui possédaient des armes à distance n’avaient plus le temps de les mettre en joue, car dès qu’ils s’arrêtaient, ils étaient dépassés par d’autres poursuivants qui cherchaient le corps à corps, et se mettaient dans leur ligne de mire.
Alors qu’après une centaine de mètres de sprint, ils arrivaient en vue du cours d’eau à quelques mètres devant eux, un homme sauta pour tenter de renverser le groupe et de l’empêcher de fuir.
Mais, emporté par son élan l’homme n’anticipa pas l’esquive de ses proies qui l’avaient vu venir de loin. Sa vitesse était telle qu’il ne parvint pas à arrêter sa progression et passa par-dessus la barrière qui séparait la chaussée du torrent ! Hurlant, et se débattant pour tenter de ne pas se noyer, l’homme fut englouti par les flots et disparut bientôt de l’autre côté de la muraille.
La chance avait permis in extremis à Geralt, Gertrud, Nathalie et Sannri d’arriver jusqu’ici, mais ils n’avaient plus le choix, plus le temps de réfléchir, et devaient maintenant plonger sous peine de se voir rattraper par leurs poursuivants qui les talonnaient.
Dans un réflexe salvateur, tous plongèrent immédiatement et rejoignirent le malheureux dans les flots tumultueux.
Dès cet instant, ce fut la confusion la plus totale. La force du courant était telle, et les remous tellement violents que le groupe était secoué en tous sens, ballotté par la fureur des eaux comme de vulgaires pantins désarticulés !
Même pour un champion de natation, il aurait difficile de se maintenir au dessus de la surface et de donner un semblant de cohérence à sa progression. Hors, ni Geralt, ni ses amis n’avaient ce niveau ! La seule chose qu’ils purent faire fut de tenter tant bien que mal de reprendre leur souffle chaque fois que leur tête passait au dessus de la surface des eaux.
Dans cette confusion totale, aucun d’entre eux ne put réellement voir avec précision ce qui se passait sur les berges. Ils entendirent des cris indistincts, des détonations, mais le vacarme de l’eau et les fréquentes « tasses » qu’ils avalaient leur empêchaient toute vue d’ensemble cohérente. A un moment, le chasseur de vampire crut vaguement apercevoir des objets ou des projectiles de différente taille plonger dans les eaux près d’eux, mais cela ne dura que quelques secondes, avant qu’un remous particulièrement violent ne l’entraîne sous l’eau.
Lorsqu’il refit surface, il s’aperçut qu’ils étaient déjà emportés loin de la foule, et passaient sous le mur d’enceinte d’où les gardes leur tiraient probablement dessus. Il lui fallut toute sa force et son endurance pour parvenir à maintenir la tête hors de l’eau assez longtemps et régulièrement pour reprendre sa respiration, car il ne contrôlait absolument rien, pas plus que ses compagnons, d’ailleurs.
Après un temps indéterminé qui lui sembla durer une éternité, ils se retrouvèrent rejetés sur la berge par le courant, dans un endroit plus calme. A bouts de force, ils durent se reposer sur la plage, où se trouvait déjà un corps, celui de l’homme qui avait tenté de leur sauter dessus. Nul n’aurait pu dire, sans examen, s’il vivait ou était mort, mais il gisait face contre terre.
En se retournant Geralt put voir un corps inconnu, sans doute celui d’un homme de la foule qui avait tenté de les suivre, qui flottait à la surface des eaux, la tête plongée dans l’eau, le corps flasque. L’homme s’était noyé.
A ses côtés, sur la plage, Gertrud Teizer s’était légèrement éloignée de berge, et s’était adossée à un arbre à quelque mètre de là. Les yeux dans le vague, elle récupérait de ses émotions. Nathalie n’avait pas eu la force de faire de même. Elle s’était contentée de se retourner, et respirait profondément, allongée sur le dos là où le courant l’avait poussé. Enfin, avançant péniblement à quatre pattes vers la berge en toussant de l’eau, le tueur de dragons, Sannri Barbe Enflammée, tentait de retourner plus loin sur la terre ferme. Il avait dû boire pas mal d’eau et c’était un vrai miracle qu’il s’en soit sorti avec ses armes. Qui plus est, et même si le torrent servait aussi à l’évacuation de tous les déchets et eaux usés de la ville, le bain qu’il avait pris n’avait pas dû lui faire de mal !
Une chose comptait surtout : le groupe était sauvé, tous en vie et à priori intacts. Ils étaient à au moins deux kilomètres en contrebas de la ville, en pleine forêt, mais en sûreté pour le moment…