Les origines d’Armand

La famille de Lyrie est une des familles de puissance moyenne de l’aristocratie d’Aquitanie. Selon son armorial familial, elle descendrait — comme toutes les dynasties nobles de Bretonnie — d’un illustre guerrier des âges barbares ; Ingomer, porteur de selle du Compagnon du Graal Frédémond. Mais le nom « de Lyrie » provient en réalité d’une petite vallée d’Aquitanie, un morceau de terre délimité très tôt par les habitants du pays, mais jamais exploité ; marécageux, recouvert d’arbres et de Gobelins, ce n’était qu’une grosse terre en friche, hostile, qui ne voyait passer ni caravanes, ni habitants, sauf pour des braconniers ou des paysans qui souhaitaient s’installer, sans que leur entreprise ait jamais de succès.

Tout changea dans les années 1370 (2350 pour le calendrier Impérial). Une vouivre gigantesque, résidant dans cette vallée, traversa l’Aquitanie en attaquant d’abord des bergers, puis quelques villages mal défendus. Le Duc chercha des volontaires pour le combattre, et treize chevaliers errants répondirent à l’appel. Parmi eux, il y avait un jeune homme nommé Armand, 4e fils d’une famille noble fort mineure du Gilleau. Le groupe de treize guerriers pourchassa la vouivre jusque dans son nid, mais les douze hommes périrent un à un ; Seul Armand rentra dans le palais ducal en portant la tête décapitée du monstre. Pour son exploit, il fut nommé chevalier du Royaume, et reçut en fief la petite vallée de la Lyrie, ce tas de marais hostiles et appauvris.

Depuis toujours, l’Aquitanie est une terre ruinée par les intrigues et les vendettas. Les Ducs d’Aquitanie sont constamment obligés de juguler entre de grandes maisons féodales, qui manipulent des réseaux de vassaux et de clients pour tenter de s’attaquer aux autres ; étant constamment plus-ou-moins équilibrées, des périodes de guerres privées sanglantes ne cessent de succéder à des instants de paix glaciales. La Lyrie d’alors n’était pas grand-chose — mais en créant un vassal direct, le Duc de l'époque espérait accoucher d’une famille loyale et fidèle au milieu de ses feudataires plus riches et établis. Et c’est ainsi que se succédèrent sept générations d’Armand de Lyrie.

Les premiers furent d’excellents exemples de chevalerie, qui attirèrent à eux toute la faveur ducale. Armand II « le Croisé » eut le bon goût de mourir avec des centaines d’autres chevaliers lors des croisades du Roy Charlen — ce qui valut à son bouclier armorié d'être surmonté avec des milliers d'autres sur la façade du palais de Couronne. Armand III « le Balafré » perdit la totalité de son nez arraché par un Orque Noir en combattant en Gasconnie. Armand IV « le Bâtisseur » ne suivi pas l’exemple de son père, son grand-père et son arrière-grand-père avant lui, puisqu’il passa tout son temps dans sa vallée ; c’est lui qui transforma totalement la Lyrie, en élaguant les marais infestés de moustiques, en agrandissant le donjon pour en faire un vrai château avec une tour à feu et des passages secrets, et en négociant des accords avec des marchands de vin pour qu’ils installent un cépage chez lui. La concrétisation de tous ces efforts sur plusieurs générations fut une grande promotion sous Armand V — il reçut du Duc le titre de « comte », faisant de lui l’un des premiers pairs d’Aquitanie, à la droite de son lige lors des cérémonies et des tournois. Le comté de Lyrie n’était pas une grande seigneurie, ni très peuplée, ni très riche ; mais c’était au temps où deux familles archi-puissantes, les dynasties de Maisne et d’Elbiq, commençaient à inquiéter le Duc. La Lyrie était, en quelque sorte, le petit fleuve séparant deux grosses terres, une démarcation qui permettait au chef de l’Aquitanie de compter sur un allié fidèle et utile pour lui rapporter les agissements de ces deux lignées à l’est du pays.

À quel moment la famille de Lyrie commença à être corrompue ? Était-ce quand les seigneurs barbares tueurs d’Orques devinrent des administrateurs rusés ? Ou bien est-ce qu’au contraire, ce furent les guerres privées et la chevalerie mal-placée qui contamina des petits locaux forcés d’entrer dans le jeu des puissants ?

Armand VI n’hérita ni de la vigueur de ses ancêtres les plus lointains, ni de l’intelligence et de la discrétion de son père. Ce qu’il hérita, en revanche, c’était de son charme, de son bon goût, et de sa curiosité — que des traits qui sont très souhaitables dans l’aristocratie Bretonnienne. Le Duc avait besoin d’un espion et d’un allié entre les Maisne et les Elbiq : Armand VI décida de jouer le jeu, sans aucun problème. Au milieu de sa vallée de Lyrie, il établit une véritable petite cour locale. Il joua des rivalités entre ses deux voisins à son propre profit, promettait secrètement à l’une d’agir contre l’autre, tout en rapportant les promesses des deux à son Duc. Il profitait de cadeaux qui étaient des pots-de-vins, avec lesquels il achetait de la soie et du vin pour resplendir lors de banquets.

Armand VII de Lyrie avait lui grandi sans jamais manquer de rien. Avec la position de son père, grâce au travail de tous ses ancêtres, il aurait pu faire ce qu’il souhaitait, comme il voulait, quand il voulait — peut-être est-ce que c’est lorsqu’on offre tout à quelqu’un qu’il ne désire plus rien. Ou peut-être qu’Armand VII était, dès la naissance, quelqu’un de malfaisant. C’était un homme très beau, très doux, aimé des femmes comme des hommes. Mais il y avait quelque chose de tapis derrière tout ça, quelque chose de très caché, comme les nobles d’Aquitanie adorent camoufler tous leurs vices derrière leurs rideaux. Déjà jeune, Armand VII aimait tester jusqu’à où il pouvait profiter de l’impunité due à son rang et la position de son père. Une fois, il attira à lui un petit chat de gouttière en lui offrant un bol de lait, avant de l’étrangler ; sa gouvernante avait discrètement jeté le cadavre au chenil sans en parler à personne. Un jour, cette gouvernante tomba d’un escalier — le seigneur Armand VI prétexta qu’elle perdait la vue, et l’envoya à la campagne pour qu’elle se fasse sœur de Shallya. Lors d’un tournoi, un vieux monsieur se brisa la nuque en étant renversé par le cheval du fils du comte — le-dit comte versa un tas de sous à sa famille, et elle n’osa jamais se plaindre du crime.

Armand VII devint chevalier. En Bretonnie, l’errance est censée être un moment où le jeune guerrier forme son corps et son cœur sur les routes du pays, à charger courageusement des adversaires. En Aquitanie, cette errance est bien souvent une sombre parodie — on fait ses armes uniquement sur des lices de tournoi, on ne se bat que courtoisement, et il n’y a que les très courageux (Ou ceux qui n’ont pas de relations privilégiées avec le Duc ou une grande famille) pour traquer désespérément des Déréliches, ou chercher l’aventure dans d’autres duchés. Et pourtant, les banquets où coulait le vin, une fois sur dix mille empoisonné à cause d’une sombre intrigue, ne suffisaient pas à Armand VII. Il voulait plus. Il rêvait, en fait, du Graal, du pouvoir accordé par la Dame du Lac. Il devint chevalier de la Quête. Ce n’était pas entièrement la foi qui l’animait — plutôt un mélange d’ennui et de folie. Il voulait voir le monde, et des choses bien plus fabuleuses et magiques que sa vie superficielle. Sa quête l’amena en Gisoreux, mais les montagnes des Pâles Sœurs ne lui suffirent pas. Il prit le bateau pour pourchasser le Graal jusqu’en Arabie, et bien au sud, il décida de faire un demi-tour complet pour aller sur l'île septentrionale d'Albion. Personne ne sait ce qu’il y trouva. Mais un jour arriva, bien des années après son départ, où il décida d’abandonner sa Quête, et de rentrer chez lui.

C’était un homme différent qui rentra en Lyrie. Plus sage, plus vétéran, plus mesuré aussi. Il chassa son frère cadet qui s’était entraîné à hériter en son absence, fut reçu par son père comme le fils prodigue, et tout le monde oublia ses fautes et les rumeurs passées. Tout ce qui se présentait à la noblesse corrompue et intrigante du duché, c’était un garçon valeureux, aventurier, et en plus de bonne naissance, comme il en manquait tellement. Tout au nord d’Albion, en pourchassant ce que les habitants de cette île combattent inlassablement, Armand VII avait découvert le Dieu que l’on nomme le Serpent, une créature appréciant l’Excès, perturbant les sens de ses victimes pour en faire ses jouets. Le fils du comte avait dût imaginer l’Aquitanie comme une terre fertile qu’il pouvait offrir au Serpent — il eut bien raison.

Armand VII était un homme charmant et séduisant. Il ne lui fallut pas longtemps pour créer rien de moins qu’une secte en Aquitanie. Dès la mort de son père, lorsqu’il devint enfin comte, en héritant de la clientèle et de la fortune familiale, il put commencer ses plans. Il devint le plus fidèle sujet du Duc, en servant au sein de son conseil, car il savait que ce Duc était un homme incertain et peureux qu’il pouvait rassurer. Il impressionna les hommes de guerre, et charma ceux de robe, en créant petit à petit un enchevêtrement de gens proches. Il utilisa l’alcool, la drogue, l’argent, son propre charme personnel, pour attirer des aristocrates dans ses griffes. Mais charmer ne suffit pas à corrompre quelqu’un. C’est aussi nécessaire de lui retirer beaucoup de sa moralité. De le forcer à commettre lui-même des crimes, pour qu’il soit de plus en plus facile d’accepter de franchir la dernière étape.

Il y avait, en Aquitanie, une jeune femme qui tomba dans ses filets beaucoup plus certainement que toutes les autres…

La famille de Lanneray était une autre de ces dynasties de noblesse moyenne sans trop d’importance — quelques illustres ancêtres grands et pieux combattants avaient permis d’avoir une terre et un nom, puis quelques heureux hasards et fortunes chanceuses, saupoudrées de complots et de paris gagnants sur la bonne famille puissante au bon moment, débouchèrent sur un domaine un peu plus vaste que les autres, et nombre de chevaliers de mesnie à commander. Cette famille de Lanneray produit quelques bons chevaliers un peu rustres, Colart de Lanneray le dernier maître de maison. Ce Colart aimait beaucoup ses beaux garçons, mais il se méfiait un peu de sa toute dernière fille, Anne. Anne avait toujours été bizarre. Dès l’enfance, elle inquiétait sa gouvernante lorsqu’elle racontait ses cauchemars faits d’étoiles et de sorts funestes qu’elle imaginait prédire chez ses copains de jeu. Elle se plaignait d’avoir froid alors qu’elle était recouverte de couvertures, elle était fascinée par des flammes et jouait avec des briquets en amadou, dont on aurait juré qu’elle était capable d’agrandir les flammes. Quand elle n’était qu’un bébé, sa mère avait perdu sa poupée à fées. Sans que personne ne puisse le comprendre ou le deviner, Anne de Lanneray était née avec le Don — trop imperceptible et inapte pour lui permettre de l’utiliser, mais aussi trop présent pour qu’elle soit considérée comme une enfant normale. En devenant adolescente, alors qu’elle devenait dame servante, on chuchotait dans son dos qu’elle était possédée par une fée malfaisante ; quelque chose troublait son âme. Elle avait une mauvaise santé, et mangeait très peu, ce qui marquait son corps d’une maigreur qui laissait des creux. Parfois, Anne avait des crises de larmes sans raisons. Parfois, elle s’entaillait le bout des bras. En Aquitanie, on aime cacher ses vices et ses fautes. Quand sa mère découvrit les morsures de couteau sur sa peau, elle conseilla à sa fille de porter des manches longues à la mode Tiléenne.

Armand VII alla trouver Anne. Il la charma avec tendresse et gentillesse. Il fut patient avec elle, il ne montra rien du tempérament sulfureux que tout le monde lui prêtait. Et c’est avec une chevalerie parfaite et impeccable, qu’il alla demander sa main à son père, avant de vaincre en duel Casin Baillet, le fiancé de la jeune fille. Au milieu de toutes les femmes d’Aquitanie, c’était elle qu’il avait choisi pour être son épouse. Comme il l’avait comblée de bonheur…

Ce que désirait véritablement Armand, c’était son don. Il souhaitait faire d’Anne sa femme sacrée pour parler avec son Serpent et attirer ses faveurs. En découvrant ça, la jeune épouse fut d’abord anéantie. Et puis, elle accepta que pour la première fois de sa vie, elle était importante aux yeux de quelqu’un.

Le mariage d’Armand et d’Anne était tout ce qu’il y avait plus de malsain et de toxique. Un mélange de haine et d’amour, empiré par leurs adultères respectifs, par leurs goûts immodérés pour le luxe et l’art, pour leurs intrigues et leurs passions. Mais ils souhaitaient terriblement être unis, deux beaux sujets de Slaanesh qui l’amèneraient sur terre, en corrompant toute l’Aquitanie dont ils voulaient devenir le duc et la duchesse dans l’ombre de l’officiel — un homme qui en vieillissant devenait de toute façon de plus en plus manipulable. Ils souhaitaient s’unir avec un enfant. Pendant des années, ce projet ne fut qu’une succession d’échec. Des fausses couches répétées, et surtout tardives. Une petite fille et un petit garçon furent bien conçus et firent leurs premiers cris ; La première mourut au bout d’une semaine. Le deuxième au bout de six mois. Armand et Anne étaient deux êtres malfaisants, mais la perte de leurs enfants les touchèrent bien tous les deux, au plus profond de leurs âmes. Ils se refermèrent chacun de plus en plus sur eux-mêmes. Armand devint absent et froid, enfermé dans son étude des jours durant. Anne, elle, désespérait de son mari, cherchait mille solutions, lisait des tomes anciens, consultait des rebouteuses — et même des prêtresses, de Rhya ou de Shallya, quand bien même son obédience chaotique rendait tels conseils dangereux.

Son ventre redevint rond. Et malgré la santé défaillante d’Anne, l’enfant arriva bien à terme. L’accouchement fut pénible et douloureux. Et le petit garçon qui cria bien tard après être venu au monde fut le sujet de toutes les inquiétudes. Personne, en fait, n’osait trop s’émouvoir ou montrer de la joie — tout le monde, tous les vassaux et tous les domestiques de la maison, s’attendaient à sa mort. Pendant des semaines, Anne n’aima pas cet enfant. Elle l’ignora, elle ne souhaitait pas s’attacher à un mourant. Une prêtresse de Shallya lui annonça même, avec toute la cruauté de la franchise, que l’enfant lui-même mourrait sans chercher à se battre. Et puis, quelque chose combla son âme manquante, sa dépression qui n’avait jamais cessé de la quitter, même en passant d’un père froid à un mari sulfureux ; elle décida que son enfant allait vivre, et qu’elle ferait tout ce qui est possible pour le permettre.

Elle chercha une ancienne rapière maudite, venant du duché perdu du Moussillon. Elle fut aidée d’une jeune fille appelée Cécilia qui traversa le Cordon Sanitaire pour la ramener. L’arme se nommait Symbiose. Au cours d’un sombre rituel, Anne décida qu’elle était prête à se sacrifier pour son jeune garçon. Elle se prépara à utiliser l’arme pour transmettre sa vitalité à son fils, que ses poumons cessent de tousser, que son front arrête de brûler de fièvre, que ses intestins douloureux ressortent autre chose que de la diarrhée. Au milieu du rituel, Cécilia prit peur, et sauva sa maîtresse en tirant l’arme hors de son corps.

Le rituel avait été accompli à moitié. L’âme de la mère et du fils étaient liées, leur santé dépendait de l’autre, comme deux corps qui se trouvaient co-dépendants.

Et ainsi, le comte Armand VII de Lyrie put retrouver sa femme, prendre de ses bras son fils, lui embrasser le front, et l’amener dans une chapelle de Shallya afin qu’il soit baptisé publiquement devant l’aristocratie et le peuple d’Aquitanie. Car il venait d’obtenir un héritier qui deviendrait, un jour, Armand le VIIIe de Lyrie.

Le Triomphe du Bien sur le Mal

Après le rituel impie qui s’était déroulé dans le château de Lyrie, le petit Armand cessa d’être une source d’inquiétude quotidienne pour ses parents et sa famille — il retrouva bien vite un poids normal, une constitution moyenne, et s’il lui arrivait encore de tomber malades, dans des moments qui frappèrent sa mère de panique, toute la domesticité pouvait dire, avec condescendance, que ce n’était là que l’exagération normale qu’une mère pouvait bien avoir envers la santé de son enfant. C’est que personne ne comprenait réellement ce qui s’était joué lors du rituel. La manière dont leurs âmes avaient fusionné, et que la vie de l’un dépendait entièrement de l’autre. Et pas seulement physiquement.

Pour la première fois de sa vie, Anne était heureuse. Elle avait déjà été satisfaite, elle avait déjà ressenti le plaisir et l’extase, mais jamais elle n’avait eu la véritable plénitude du bonheur. Elle devint une toute autre personne. Elle cessa d’être l’épouse d’Armand VII, pour devenir la mère d’Armand VIII — elle lui offrit tout son temps et toutes ses attentions. Elle mangea mieux, parvint à vaincre son anorexie, car elle insista pour donner le sein et ne pas avoir recourt à une nourrice comme le faisaient toutes les mères de l’aristocratie. Elle passa ses nuits à dormir avec lui, et ses journées à essayer de jouer ou de l’éveiller, en se réjouissant de la rapidité de ses progrès. Il apprit à parler puis à marcher très tôt, et deviendrait un vaillant et beau jeune homme.

Au début, le comte Armand VII accueillit toutes ces nouvelles avec une grande satisfaction. Lui aussi changea profondément ; il devint beaucoup plus aimant, et entièrement fidèle envers son épouse. Elle lui avait offert un héritier, et avait combattu alors que lui avait abandonné. Par amour, par fierté, et surtout par culpabilité, il fit tout pour devenir un mari impeccable — quand bien même il avait des sueurs froides et des vomissements à force de réduire ses doses d’alcool et de belladone.

Ce furent de belles années. Des années normales, comme un père, une mère, et leur enfant sont censés avoir.

Tout ça ne dura pas.

Armand ne pouvait pas rester un bébé pour toujours. Arriva l’âge où il devait apprendre. Un enfant noble, normalement, est censé aller vivre chez son oncle maternel, pour devenir page, afin d’être éduqué dans la chevalerie. Armand VII n’avait aucun problème avec ça ; Il aimait bien sa belle-famille, et savait qu’il était nécessaire, pour que son fils devienne un homme, qu’il s’habitue aux usages de son pays. Quand bien même il percevait la chevalerie avec scepticisme, et qu’il faisait des cauchemars des punitions que lui réserverait la Dame du Lac et ses Damoiselles si un jour sa corruption était découverte, il savait que jamais son fils ne pourrait survivre sans apprendre à aimer sincèrement l’un et l’autre — car on ne ment bien que lorsqu’on est sincère. Mais Anne, elle, n’aimait pas sa famille. Elle se souvenait de sa mère comme une garce insensible et avinée, de son père comme un homme froid et sans amour, de ses grands frères comme des garçons cruels et brutaux, qui l’avaient tourmentée. Il était hors de question pour elle de laisser son fils entre leurs mains.

D’abord, elle convainqua Armand VII qu’il était préférable que leur fils commence doucement, avec un précepteur personnel. Il lui accorda. Mais ça ne suffirait pas. Alors, Anne décida de changer. Pendant des années, c’était le mari qui avait été à l’initiative de tous leurs crimes, et de toutes leurs offrandes envers le Serpent ; soudain, Anne modifia le rapport de force, en utilisant les mêmes recettes que son époux lui avait appris. En manipulant les mêmes sentiments, en jouant de sa culpabilité de mauvais père et de mauvais conjoint. Elle parvint à le convaincre que son géniteur était un homme dangereux. Que ses frères ne pourraient jamais être retournés. Que leur fils serait en fait un otage entre leurs mains. Et elle fit miroiter un patrimoine, expliqua qu’elle pouvait obtenir leurs terres pour les additionner à celles de la Lyrie. Elle parvint à convaincre son mari de faire assassiner sa famille. Il accepta — à condition qu’elle se rende elle-même coupable du crime, en lui prêtant ses vassaux pour les tâches les plus brutales.

Son père et ses deux frères furent tués par elle. Par le poison, ou par « l’accident » très arrangeant. Gallois implora sa pitié avant qu’un sbire ne brise sa nuque pour faire croire à une chute de cheval. Ses cris aigus furent assez douloureux pour la secouer, quand bien même elle avait imaginé que le meurtre serait aisé.

Anne et Armand rechutèrent. Avec une grande différence, cette fois : Anne n’était plus l’aimée du Prince.

Slaanesh adore donner. Slaanesh est un Dieu qui couvre ses cultistes de bienfaits. Il avait tout offert à Anne — l’inspiration, l’orgasme, le talent. Anne lui avait offert des peintures et des orgies. Elle avait consacré des fidèles, peint des runes, invoqué des sortilèges. Et en échange, Slaanesh lui avait accordé la compréhension de sa Langue Noire, et lui avait permis de découvrir et d’influencer les vents de magie. Mais Slaanesh est un Dieu jaloux. Slaanesh aime qu’on n’aime que lui, et personne d’autre. En traquant un artefact qu’il n’avait pas forgé, et en offrant son âme à un être humain, il fut vexé. Slaanesh ne reprit pas tous ses cadeaux d’un coup. C’est petit à petit, qu’Anne se rendit compte qu’elle n’était plus aussi vive, et plus aussi puissante qu’avant. Et qu’une autre femme, une ancienne amante qu’Anne avait elle-même fait entrer dans la secte, commençait à faire tourner le regard de son mari…

Loyse de Ternant alluma la jalousie d’Anne. Et si elle ne pouvait pas s’assurer de la fidélité son mari, alors, elle pouvait au moins garder son fils pour elle toute seule.

Alors qu’Armand VIII était un petit garçon de huit ans, Anne débuta une relation incestueuse avec lui.

Le mari et la femme recommencèrent leur guerre froide, leur amour-haine toxique, leurs travers qui avaient marqué leurs jeunesses à tous les deux. Armand VII était un homme rusé et intelligent, qui savait deviner les appétits de tous les êtres humains autour de lui ; Il était bien assez empathe pour déceler le lourd secret dont son épouse prenait à peine les précautions nécessaires pour le dissimuler. Il fit semblant de ne rien voir et ne rien comprendre, tandis qu’il devint un sectateur pire encore. Bien sûr qu’il s’était déjà adonné à de nombreux vices. Et bien sûr qu’il avait déjà tué. Mais là où les meurtres étaient d’ordinaire de simples crimes passagers et nécessaires, pour se débarrasser d’un pseudo-enquêteur un peu trop gênant, ou pour retirer un pion dans ses plans, Armand se mit de plus en plus à tuer, et faire tuer, simplement par plaisir — en ça, Slaanesh ne pouvait que favoriser encore plus son prodige. Anne entra en compétition avec lui. Elle ne pouvait pas supporter de perdre la faveur de Slaanesh ; son amour est assez envoûtant pour que ce soit le cas. Alors qu’Armand avait passé sa vie à corrompre des familles mineures et moyennes, des Ternant, des Lanneray, toute la petite noblesse avec laquelle il souhaitait se constituer une puissante toile à faire monter en puissance, Anne voulu le dépasser en s’attaquant à une des grandes familles sur lesquelles se repose le Duché ; Elle débuta, et força son mari à la suivre, la corruption de la dynastie d’Elbiq. Petit à petit, le duo échangea ses places. Et Anne devint la véritable meneuse de la secte du Prince-Serpent en Aquitanie.

Le comte approuva les initiatives de sa femme. Il accepta sans souci de devenir un simple sbire. Il n’était pas un mari complètement jaloux et possessif. Mais il savait également qu’Anne détruirait leur enfant. Elle continuait, encore et toujours, de le garder tout proche d’elle. Elle ne cessait d’être jalouse de tous ses copains de jeu, de craindre qu’il ne meure à la simple bousculade en se bagarrant avec eux. Elle voulait passer ses heures toute entière avec lui, et chaque jour passé sans le voir la rendait amorphe et nostalgique. Le comte avait bien trouvé des solutions, pour éduquer son héritier assez correctement. Un jour, il enleva un enfant à une famille, qu’il nomma souffre-douleur d’Armand VIII ; ce jeune paysan fut simplement nommé avec le ridicule sobriquet de « Triboulet ». Plutôt que de corriger son propre fils, ce qui, il le savait, aurait été remboursé par bien des souffrances, le comte utilisa Triboulet pour punir son enfant par procuration, en le molestant ou en l’humiliant à chaque bêtise de sa progéniture. Le comte s’assurait bien qu’Armand fasse connaissance avec des gamins de la noblesse. Il s’arrangeait pour qu’il le suive à la cour ducale, qu’il soit bien présent aux tournois, qu’il fasse connaissance avec les enfants Elbiq, Maisne, Desroches ou Fluvia ; par-dessus tout, l’enfant aimait la compagnie de Margot, la fille de Loyse de Ternant. C’était une gosse plus mature que lui, qui aimait les jurons et les jeux qu’on aurait prêtés à un petit garçon plutôt qu’à une petite fille.

Malgré tout, petit à petit, une sorte de malaise s’installa. Qu’on refuse qu’Armand soit page à dix ans passait encore. Qu’à treize, il n’ait toujours pas appris à devenir chevalier, commençait à être véritablement tardif, et faire hausser des sourcils songeurs aux nobles qui se renseignaient à ce sujet.

Le comte décida d’agir dans le dos de son épouse. Il contacta en secret Quentyn de Beauziac, un des fidèles ironiquement les moins fidèles de sa secte. Quentyn était un chevalier. Et aussi un homme sobre, froid, sans goût et sans passion — la toute dernière personne qu’on aurait imaginé en fidèle du Serpent. Il possédait le titre de Paladin, car contrairement à beaucoup d’Aquitainois, lui avait combattu dans d’autres duchés, et cassé des lances sur des orques plutôt que sur des boucliers de joute. En public, Quentyn était un peu connu ; la médaille d’un duc de Bordeleaux reconnaissant à son poitrail suffisait à inspirer le respect, et chaque jour, Quentyn priait diligemment la Dame du Lac. Personne ne pouvait se douter qu’il la priait non par vénération, mais pour obtenir son pardon. Ce qui avait fait faillir Quentyn était une chose aussi simple que sournoise. Il était né inverti, un secret qu’il avait été contraint à dissimuler, et un peu plus jeune, il était tombé amoureux du comte de Lyrie. Ce n’était rien d’autre qui l’avait retourné au départ. Mais le comte avait assuré sa fidélité en le forçant à se rendre coupable d’un meurtre. C’est lui qui cassa net la nuque à Gallois de Lanneray, avant de maquiller le crime. Le comte chargea cet amoureux d’une mission fort honorable : il devait devenir le mentor de son fils. Tout lui enseigner pour devenir un bon chevalier. Toutes les gestes, l’héraldique, les jolies histoires, la façon de se tenir et de prier. Et de monter à cheval et de se battre, également. Le comte ne pouvait pas le faire lui-même ; tout ça, il l’avait souillé, ou bien, ça le terrifiait. Quentyn, lui, était l’idiot parfaitement utile. Il servirait bien assez à l’adolescence d’Armand ; il lui donnerait la parure avec lequel on maquillerait tout le reste.

Anne apprit tardivement le projet de son mari, et protesta avec ire. Le comte tenta de la convaincre par la raison ; avec son refus, restait la contrainte. Le fils partirait, et la mère se débrouillerait pour faire avec. La mère allait perdre son fils, l’effondrant comme elle n’avait jamais imaginé l’être. Mais le comte et la comtesse étaient forts pour faire semblant. Treize ans durant, leur fils n’avait jamais rien imaginé de l’ampleur de leur saleté, croyant que tout ce qu’il voyait était normal ; Les paysans qui souffraient, les chevaliers qui disparaissaient, les caresses de sa mère. Les deux sourirent d’un air ravi quand ils offrirent une cuirasse et une épée à leur fils — pour que le père devienne froid et la mère pleure, sitôt qu’il quitta la seigneurie.

Le futur Armand VIII devint le page de Quentyn de Beauziac. Et le faux-preux chevalier n’offrit à son garçon aucune pitié ou aucun passe-droit dû à son rang. Il y avait beaucoup de mauvais, dans leur relation ; Quentyn le traita comme un laquais, alors qu’il avait grandi en ne faisant rien et en ne manquant jamais rien. Il le força à veiller sous la pluie, il ne retenait pas ses coups lors de leurs passes courtoisies, il le punit lorsqu’il ne récitait pas bien une prière qu’il devait à la Dame. Et il y avait un peu de bon, quand même. Quentyn l’amena en pèlerinage jusqu’à Bordeleaux, dans la plus belle chapelle du Graal du Royaume. Ce fut une époque où Armand souffrit, où il découvrit ce que c’était d’avoir froid, d’avoir faim, d’avoir sommeil, et de sentir le mal du pays ; mais ce fut un moment où il se détacha de ses parents, où il découvrit le monde, l’amour des Dieux et de la nature. Quand bien même Quentyn était un homme rustre, qui parlait peu, et qui bégayait quand Armand lui posait des questions un peu trop poussées sur la morale, sur le bien ou le mal, le jeune homme se sentait sincèrement fier et bouffi d’un orgueil bien placé — il découvrait ce qu’était l’amour-propre.

Quand il rentra en Lyrie comme le fils prodigue, à l’âge de dix-sept ans, il n’avait pas secrètement avili comme son propre père qui rentrait de sa Quête échouée. Armand VII était un homme corrompu issu d’une lignée qui avait dégénéré ; En éloignant son fils, il avait retourné ses efforts, et ramené dans sa maison un enfant vertueux.

En son absence, Anne de Lanneray, dont les pouvoirs étaient définitivement en train de défaillir, ayant perdu la faveur du Prince, avait pourtant redoublé d’efforts pour consolider a secte. Elle et Armand avaient à présent une véritable petite armée privée, un rassemblement de hobereaux-mercenaires, de fils bâtards, de faux-chevaliers et chevaleresses qui devaient tout au couple de Lyrie. Armand VII était, depuis sa petite seigneurie, devenu le conseiller préféré du Duc. Ayant définitivement parié sur les Elbiq, il empoisonnait l’oreille de son lige, et le patriarche Brandan de Maisne décida intelligemment de quitter la capitale, prêtant peut-être un peu trop de crédit à ces rumeurs de meurtres sacrificiels, de corps émasculés à la peau écorchée de symboles étranges qu’on retrouvait dans certaines chambres des quartiers semi-abandonnés des faubourgs fantômes de Castel-Aquitanie. Mais Anne n’était plus la favorisée de la secte. Anne avait dépassé Armand en corrompant les Elbiq ; Loyse de Ternant dépassa Anne en parvenant à corrompre la famille ducale elle-même. L’enfant d’un Duc la servait elle, en personne. Pourtant, elle aussi semblait avoir triché contre le Prince-Serpent, en s’appropriant un artefact au pouvoir fort étrange, un tableau peint par Nicolas Naudin… C’était Loyse, qu’Armand plaçait à ses côtés lors des cérémonies. Et petit à petit, Anne s’inquiéta de son futur à voir son mari ensorcelé par sa rivale. Et son fils ensorcelé par sa fille.

Armand VIII était devenu un beau jeune homme, Margot était devenue une sublime jeune femme. Craignant la trahison de ses hommes, son propre meurtre par surprise, comme elle avait tué tellement de gens — comme elle avait tué sa propre famille, les cris de Gallois hantant encore ses nuits — elle décida d’agir. Elle expulsa Loyse et Margot de son château, et leur interdit de revenir dans la secte sous peine de meurtre. En réalité, il aurait été plus prudent pour elle de tuer sa rivale dès cet instant. Mais elle savait qu’elle n’en aurait pas la force. Et à présent, tous ses cultistes, qui l’admiraient autant qu’ils la craignaient, commençaient à en douter eux également…

Anne rétablit sa relation avec son enfant. Mais quelque chose, pourtant, semblait avoir changé. Il était plus distant, moins présent, il fallait qu’elle se force plus qu’elle ne l’encourage. Il avait compris, que ce qu’ils faisaient était mal, et contre son gré. Armand VIII apprit à devenir héritier. Son père lui apprit à gérer le domaine, à se présenter devant le duc, à écouter lors des conseils privés. Mais si en public, Armand paraissait bien fidèle envers son père, en privé, il ne cessait de douter de lui, et de lui poser des questions. « Est-ce que ceci est honorable ? » « Est-ce que c’est ce que Véréna voudrait ? » « Pourquoi ne vas-tu pas rendre hommage à la Dame du Lac en ce jour saint ? ». Le comte commença à réagir avec amusement, en prenant son fils pour un simple naïf — toutes les jolies femmes et tout le vin d’Aquitanie suffiraient bien à l’atteindre, comme ils avaient atteint toute l’aristocratie de ce duché maudit et sournoisement offert au Prince-Serpent. Pendant quelques années, c’est bien dans ce sens que son fils semblait aller, quand bien même il avait une fascination morbide pour Mórr et les cimetières. C’est trop tard que le comte comprit son erreur. Que son fils était un vrai dévot. Qu’Armand VIII de Lyrie était un naïf qui croyait pouvoir devenir un vrai fidèle de la Dame du Lac.

Un malheur n’arrivant jamais seul, ce fut un dénouement inattendu qui détruisit tous les plans du couple de Lyrie. Le Duc d’Aquitanie était mort, au cours d’une de ces énièmes guerres privées comme seul un tel pays avait le secret. Son aîné ayant péri avec lui, et toute la lignée précédemment réduite par empoisonnement ou overdose, la voie royale était tracée pour prendre le contrôle du pays à travers sa fille, quand bien même elle était la créature de Loyse. Mais l’Aquitanie n’est pas isolée du reste de la Bretonnie. Et jusqu’à Couronne, on parlait de comment l’ouest du Royaume était gangrené par l’ennemi que le monarque suprême du Royaume était allé vaincre en face-à-face à Middenheim, pour porter secours aux Impériaux. Le défunt Duc avait un frère. Un homme plus valeureux que lui, qui avait bu le Graal, et avait reçu des mains de Louen Cœur-de-Lion la bannière sacrée de la Dame du Lac. Louen avait besoin d’un véritable vassal incorruptible pour gérer la partie occidentale de son Royaume. Il écrasa son pouvoir royal sur cette Aquitanie incontrôlable, et nomma ce jeune frère Duc — pour le comble de la plaisanterie, car les Dieux de l’Ordre aussi aiment l’ironie face aux mécréants, ce courageux sire se nomme lui aussi Armand.

Anne et son mari furent tous deux pétrifiés par l’effroi. Vingt ans de promesses et de sacrifices fonçaient droit dans le mur. Un jour ou l’autre, ils seraient tués par leurs cultistes submergés par la peur pour leurs vies, prêts à tout pour que leurs secrets soient oubliés — et leur chiard aussi ennuyant que gênant avec eux. Ils avaient tué tellement de monde. Ils savaient que personne, sur cette terre, n’est intouchable.

Puisqu’ils ne parviendraient pas à corrompre Armand par la douceur, ils allaient procéder de force.

Trois ans après la mort du Duc, une nuit de pleine lune, le comte rassembla ses fidèles. Tous les amis proches et la famille d’Armand se réunit dans le hall du château, avec les costumes et les masques, les couteaux effilés, le cognac et les jeunes serviteurs. Et, devant leur fils, le père et la mère expliquèrent tout. La légende du Prince-Serpent, ce grand monstre qui ressemblait fort à la Vouivre qui décorait le blason familial. Ils dévoilèrent leur credo, leurs croyances. Ils offrirent tout à leur fils, tout ce qu’il désirerait jamais : il pouvait bien régner sur toute l’Aquitanie, il pouvait bien faire construire tous les châteaux qu’il voulait, faire sa vie d’excès sans limite, en écrasant quiconque lui résisterait. Armand VII avait été corrompu parce qu’il ne savait pas quoi désirer de la vie. Armand VIII fut sauvé pour la même raison ; Loin d’être charmé, il fut empli de terreur, et refusa de s’abandonner aux gens en qui il avait confiance.

Le comte était un homme rationnel, et pragmatique. Le Serpent est un culte secret et illicite. Son mystère dissipé, les Damoiselles et les Chevaliers du Graal les feraient tous tuer par le feu. La Bretonnie ne peut supporter ni la corruption, ni la souillure. Et le comte était un fidèle du Serpent. Il lui était totalement dévoué. Alors, le comte aurait dû tuer son fils.

Il dégaina son épée, la pointa devant ses fidèles, et, quand bien même il devinait tout ce qui se passerait ensuite, il ordonna à son fils de fuir.

Armand quitta le château familial sur un cheval de trait, accompagné d’une seule personne : Triboulet, son souffre-douleur d’enfance. Craignant d’être poursuivis par des sergents, ils chargèrent jusqu’à la capitale sans une pause, jusqu’à la quasi-mort de leurs montures. Le jeune fils atteignit la capitale, et la cour d’un chevalier du Graal qui avait renvoyé son conseil et était bien décidé de remettre de l’ordre dans le pays. À son lige homonyme, Armand dévoila tout. Tout. Tous les noms, tous les visages, tout ce qu’il avait aperçu. Tout s’était comme débloqué dans son esprit ; Il avait compris, comment des choses insignifiantes accumulées sur des années révélaient aujourd’hui une corruption bien plus lancinante encore.

Le Duc savait que son duché était rongé par le mal. Il avait déjà eu des noms. Il avait déjà été contraint de faire beaucoup de mal à des gens qu’il prenait pour ses amis. Il avait condamné sa propre nièce, la fille du défunt Duc, pour sorcellerie. Heureusement, pour lui que, depuis deux ans maintenant, Loyse de Ternant le secondait dans son enquête, et était bien évidemment ravie de ce développement si soudain dans leur poursuite sans relâche des dégénérés qui minaient le Duché…

La trahison du fils de Lyrie fut la petite étincelle qui fit brûler tout le pays tout entier. Pour commencer, arrivant dans le comté de Lyrie, Loyse acheva de terminer de reprendre le contrôle de la secte. Depuis des annéess maintenant, elle avait attiré à elle les fidèles du couple un par un, grâce à son magnétisme, son intelligence, et le pouvoir de son tableau ; à présent, il ne lui restait plus qu'à l'officialiser complètement et de se débarrasser des deux sectateurs les plus anciens. Elle commença par faire torturer et tuer dans d’atroces souffrances Armand VII pour avoir ainsi mit en danger toute leur entreprise, en échouant à corrompre son fils. Elle épargna Anne, sachant qu’elle serait un outil fort utile pour tenter de ramener Armand VIII dans le troupeau — et aussi, certainement, pour qu’elle lui fasse gagner du temps.

Car lorsque le Duc Armand d’Aquitanie prit sa lance et ses étriers, et que, accompagné d’une prophétesse du Graal, de sa mesnie et de son ost, il s’élança dans sa purge, c’est tout droit vers le comté de Lyrie qu’il se dirigea. Le siège de Lyrie fut une affaire aussi brève que violente. Commandant la garnison, Quentyn de Beauziac utilisa tous les moyens les moins chevaleresques possibles pour gagner des minutes et réduire ses assaillants ; Que ce soit avec la meute de lévriers de sang chéris par le couple, ou des pièges constitués de poudre à canon, les hobereaux noirs d’Armand VII périrent bien, et firent périr férocement leurs adversaires. Le combat fut âpre et sanglant, et des justes comme des criminels tombèrent un à un. Tout se termina par Anne elle-même, qui s’apprêta à tuer la prophétesse du Graal qui s’exposait bien dangereusement en première ligne. Cette Dame Mélaine n’eut qu’à lui dire que son fils était en sécurité, heureux de s’être débarrassé de son héritage, pour qu’elle cesse soudain de se battre. Et, foudroyée par un sortilège, son corps disparut dans des cendres.

Le château de Lyrie devint une ruine fumante. On déshabilla un à un tous les gueux de la ville — quiconque avait le moindre signe de corruption fut décapité puis brûlé. Tous ceux qui acclamèrent leurs sauveurs et proclamaient leur foi envers Taal, Shallya et la crainte de la Dame, ils furent rassemblés et ordonnés de partir sur des terres environnantes.

Après la Lyrie, l’armée triomphante du Duc se dirigea vers la seigneurie de Lanneray. Puis, sur les terres de la famille d’Elbiq — Brandan de Maisne fut plus que ravi de rejoindre son lige avec son armée, évidemment tout guidé par l’honneur qu’il était.

Tout ceci, en fait, n’était qu’une course contre la montre. Loyse savait qu’elle tomberait. Trop de cultistes étaient attrapés vivants, torturés par Dame Mélaine, avant qu’on consente à leur offrir le repos de Mórr. Elle fit cacher le tableau de Nicolas Naudin dans les tumuli perdus de Cuilleux, et tenta d’assassiner le Duc Armand ; le temps que le Roy Louen lui trouve un remplaçant, elle profiterait bien de plusieurs mois de sursis. Sa tentative échoua, par la faute de sa fille. Margot s’interposa, et prévint le Duc de l’embuscade. Loyse fut prise, et tuée, tandis que Margot fut épargnée et condamnée uniquement à l’exil.

La purge de l’Aquitanie était accomplie. Intelligemment, les Elbiq choisirent de se rendre plutôt que de se battre dans une guerre qu’ils n’avaient aucune chance de gagner. Sans doute qu’un procès serait plus à leur portée d’intrigants que de devoir affronter un chevalier du Graal qui pouvait compter sur le soutien du Roy de Bretonnie en personne.

Tout allait rentrer dans l’ordre. Et en cette fin d’année 1551 (2529 pour les Impériaux), le Duc retourna à sa capitale, où fut alors posée la question d’Armand VIII de Lyrie. Le Duc avait raison de croire, un temps, que toute sa « trahison » supposée de ses parents était une supercherie, comme Loyse avait trahi la fille de son frère simplement pour se rapprocher de lui. Devait-il faire confiance à ce garçon ? Le restaurer dans tous ses titres ? Ou bien se méfier de lui ? Tout se valait. Mais fort heureusement, Armand VIII ne résista pas face aux soupçons qu’on pouvait émettre à son encontre.

Au moment où sa mère avait été tuée, quelque chose s’était brisé en lui. Le lien inconnu de Symbiose. Il avait perdu toute envie de vivre. Il acceptait les fautes de ses parents. Il devint à cet instant chevalier errant — en bonne et due forme, en suivant la vraie tradition oubliée des premiers chevaliers Bretonnis. Il renonça à tous ses héritages, en tant que Lyrie comme Lanneray, et il quitta le duché en direction du pays voisin de Quenelles.

La Geste d’Armand le Matricide

La fin d’automne 1551 voyait de nombreux chevaliers errants d’Aquitanie l’imiter. C’était comme si, tout un duché bercé d’illusions était soudainement réveillé de ses songes. La Bretonnie toute entière avait vu l’Aquitanie pour ce qu’elle était vraiment : le fruit pourri du Royaume de la Dame du Lac. De nombreux chevaliers errants connaissaient un oncle, ou un cousin, ou un seigneur qui avait été nommé dans les listes dressées par les délateurs. Par honte, et par envie de reconquérir leur honneur bafoué, ils se jetèrent héroïquement sur les routes pour mériter leur pardon. Nul doute que le Duc Tancrède II de Quenelles fut ravi de voir toute cette masse de combattants gratuits se presser à ses portes ; En tout cas, leur afflux coïncidait avec des descentes de Peaux-Vertes depuis les Orquemonts. Il attira toute cette masse de cadets parjures à lui, et les élança contre des Gobelins.

Armand, qui ne serait jamais VIII, arriva trop tard aux Orquemonts. Tout juste participa-t-il à quelques embuscades face à des Gobelins affamés et en fuite — le gros du travail avait été accompli avant lui. À la recherche d’un endroit où être utile, lui et Triboulet parvinrent jusqu’à un petit village du nom de Magone, dans l’espoir de proposer son épée au seigneur local. Il n’en eut pas l’occasion. Dans la taverne de Magone, Armand fit la rencontre d’un chevalier de Gasconnie, nommé Evrard de Cobie. Loin d’être ici pour tuer des Orques, sieur Evrard était en Quenelles à la recherche d’un ami ; un seigneur qui était parti ici, en confiant à Evrard la garde de sa sœur et de ses terres. Evrard avait, au final, cédé à la peur de ne plus jamais revoir son frère d’armes, et quitta sa Gasconnie natale pour faire le chemin jusqu’ici. Le jeune Armand accepta d’aider cet homme dans sa quête.

Les premiers jours, ce trio sembla bien fonctionnel, avançant dans les tumuli de Cuilleux, au milieu de la terre de chevaliers tués au combat, à la veille de l’Histoire des Bretonnis. Mais alors qu’ils s’enfoncèrent dans cette terre hostile, loin de tout seigneur pouvant les accueillir et les protéger, le voyage parut soudain bien plus sombre qu’Armand et ses bons sentiments s’imaginaient. Les deux chevaliers entendirent des chocs de métal, comme si une escarmouche se jouait au milieu des buissons. Partant en éclaireur, Armand tomba dans un piège, un trou hérissé d’épieux. En escaladant la sortie, il se retrouva au milieu d’un charnier, d’une douzaine de cadavres de sergents et de chevaliers, et un meurtrier coupable qui s’élança vers lui ; malgré les tentatives d’Armand d’épargner ce seigneur couvert de fanges et de métal rutilant, l’homme prétendit être le gardien d’une chose dangereuse, et tenta dans un accès de folie d’abattre l’Aquitainois afin qu’elle demeure scellée et protégée. Evrard parvint à sauver son comparse en chargeant lance couchée l’assaillant. Armand, grièvement blessé, fut alors étonné de voir le comportement de son camarade changer ; devenant soudain sombre, et renfermé sur lui-même, Evrard commença à creuser des tombes retournées près du charnier, à la recherche de l’homme qu’il était venu chercher.

D’un des tumulus qui font la renommée de Cuilleux, Armand entendit une voix de femme qui l’appela à l’aide. Malgré son hémorragie, Armand alla trouver Evrard, le raisonna de force, et alla en premier à travers la pierre à la recherche de la victime qui demandait assistance.

Il découvrit, dans l’ombre, un mausolée où reposaient des dizaines de chevaliers d’un pays perdu à jamais. Au détour d’une tombe d’un prénommé Berthelemy le Sanguin, Armand trouva un tableau envoûtant, une peinture immense représentant un Gilles de Bastogne à genoux, recouvert d’une longue cape rouge, en train d’être couronné par des Fées devant une Dame du Lac voilée. Et au pied de la peinture, ensanglantée, Margot de Ternant.

Elle expliqua avoir été amenée ici par la contrainte, escortée par d’anciens fidèles de sa mère Loyse ; les cadavres du charnier étant ces sbires attaqués par l’homme qu’Evrard venait de tuer. Expliquant ce qui s’était déroulé à la surface, Margot annonça que Reinald de Cobie, l’homme que le chevalier de Gasconnie cherchait, était également un ancien fidèle du Serpent — la raison de la présence de toutes ces personnes en ce lieu étant cette peinture de maître qui happait le regard, comme hypnotisant le spectateur.

Armand quitta le tumulus, avec sous un bras la peinture enroulée, et à l’autre Margot blessée. Dès qu’il mit le nez dehors, il fut attaqué et assommé par des combattants inconnus.

Pendant plus d’une semaine, l’infection gagna Armand. Il fut assailli de cauchemars et de visions étranges, de délires fiévreux où il ne faisait pas la part des choses entre la réalité et l’imaginaire. Quand il se réveilla, ce fut dans la sécurité d’un Temple de Shallya. Il avait été ramené en Aquitanie par ses agresseurs, tout au nord-est, dans une ville qu’on appelle Derrevin. Depuis des mois maintenant, la bourgade s’était révoltée en tuant ses anciens seigneurs cultistes du Chaos — rien qui ne concernait les serviteurs du Serpent, mais cette fois-ci, les fidèles d’un de ses grands-frères, le Monstre-aux-Mouches. S’étant débarrassés d’un seigneur corrompu, les habitants de Derrevin avaient décidé de former une communauté autonome, sous la direction conjointe de la prêtresse de Shallya, mère Alys, et d’une bande de hors-la-loi justiciers, menés par le Sans-Visage Carlomax. Pour tout leur courage face aux corrompus, la ville se trouvait sous le blocus armé de Brandan de Maisne ; Le vieux faucon comptait bien récupérer tout ce qu’il avait perdu pendant les vingt dernières années, et imposer l’ordre sur l’anarchie comme le souhaitait son lige. Après avoir été exilée, Margot trouva en Derrevin un havre de paix où elle pouvait être en sécurité. Et elle choisit de dévoiler à son ancien ami d’enfance pourquoi : Tout son dos était marqué d’une horrible mutation lancinante, qui prenait l’apparence du symbole du Serpent. La marque fut assez ensorcelante pour vaincre la méfiance d’Armand, qui décida de taire ce secret…

Carlomax décida que l’arrivée d’Armand au village réglerait de nombreux problèmes, pour tout le monde. Il demanda au jeune sire de lui servir de pétitionnaire auprès du Duc, en plus de le prévenir de l’horreur du tableau subtilisé à Cuilleux — le feu et les lames n’avaient pas permis de le détruire. À la fois attiré par le mystère de ce tableau magnifique, qui hantait ses rêves, et par l’envie de servir la ville de Derrevin, Armand accepta de faire route avec Triboulet jusqu’à la capitale ; mais sans Evrard, qui avait regagné le duché de Gasconnie afin de réparer les fautes de Reinald, revigoré qu’il était par l’exemple du jeune Aquitainois. Son nouveau compagnon était un prêtre de Véréna hypermnésique, nommé Félix.

Armand passa par le domaine de Brandan, où il força le seigneur à cesser tous ses plans d’attaque à présent que le jeune sire portait une pétition locale. Atteignant la capitale sans encombre, pour la deuxième fois en quelques mois, le fils de Lyrie s’agenouilla devant son lige pour lui rapporter à nouveau la réalité de la corruption dans son domaine ; il lui offrit toute la vérité. Sauf pour Margot.

Le duc décida lui aussi de régler tous ses problèmes en un seul coup. Il éleva Armand comme chevalier du Royaume — en tant que seigneur de Derrevin. Mais en échange, Armand devait régler une toute dernière quête.

La Lyrie s’agitait. Même après avoir laissé une terre brûlée, et les cendres d’Anne de Lanneray, l’âme de la mère d’Armand continuait de survivre dans la pierre. Les longues semaines lui avaient permis d’errer le château, qui se retrouva progressivement envahi des Déréliches, un monstre local qui menace les habitations abandonnées par leurs propriétaires. Anne de Lanneray était devenue une Banshee, une sorcière refusée dans les jardins de Mórr par la faute de Symbiose ; Anne parvint à prendre le contrôle des monstres, et les envoya à travers l’Aquitanie pour venger la destruction de son château et de tout ce qu’elle avait connu pendant de si longues années.

Armand, Dame Mélaine, et une poignée de chevaliers furent envoyés sur la vieille terre de Lyrie. Leur effectif était jugé suffisant — ils pensaient affronter une simple Banshee et quelques illusions spectrales. Ils découvrirent, sous une pleine Morrslieb, toute une ville factice, entretenue par des dizaines de Déréliches. Ils traversèrent la ville de force, entrèrent dans le château avec des pertes, et affrontèrent la Banshee dans le hall d’un manoir entièrement reconstitué.

La Banshee montra toute sa puissance, terrassant un des assaillants, et réduisant les efforts de Mélaine à néant. En pleine bataille, Armand quitta le côté de la prophétesse, et implora sa mère d’épargner ses compagnons — en professant son amour pour elle. La Banshee y consentit, et lui ordonna de le rejoindre dans son ancienne chambre. Et Dame Mélaine, grièvement blessé, accepta de laisser à Armand une chance de régler une fois pour toutes la corruption de sa famille, chez lui.

Arpentant un château dont certaines pièces étaient des ruines menaçant de s’écrouler, d’autres des jolies chambres reconstituées par la prestidigitation des Déréliches, Armand tomba dans une scène horrible — il put contempler une pièce de théâtre rejouant les derniers moments de son père, torturé par Loyse de Ternant. Attaqué par les Déréliches, Armand fut sauvé par une résidente humaine et vivante du château. Elle se présenta comme la fille de Cécilia, venue pour comprendre l’histoire de sa mère, celle qui avait interrompu le rituel qui avait sauvé la vie d’Armand vingt ans auparavant. Le jeune sire de Lyrie ignora le rendez-vous donné par la Banshee, et se dirigea dans le mausolée de son ancêtre à la recherche de la rapière maudite, Symbiose.

Entrant seul sous terre, Armand trouva le monument funéraire de son ancêtre ultime. Armand Ier, le vainqueur de la Vouivre, était endormi ici. Ouvrant son cercueil, il le découvrit poignardé par Symbiose… …Et animé.

Armand avait été un dévot de Mórr ; Trouvant rassurante la mort, et magnifiques les prières du Veilleur, il avait toujours traité les défunts avec dignité. Il implora le nom de ce Dieu avant de combattre son ancêtre ; Il souffrit de graves blessures dans ce combat, mais parvint finalement à le meurtrir définitivement. Titubant jusqu’à la sortie, Armand rendit la rapière à la fille de Cécilia. Mais exsangue, éreinté, terrifié à l’idée de mourir dans un château impraticable et infesté de Déréliches, il céda à la couardise. La jeune fille proposa alors d’aller elle-même affronter la mère d’Armand. De la poignarder avec Symbiose, afin de briser le lien qui unissait la mère et le fils, définitivement.

Dans le noir à la lueur verdâtre de Morrslieb, Armand attendit. Il y eut un hurlement strident, et, quelques instants plus tard, la jeune fille redescendait, Symbiose dans sa main, son bras à l’apparence décharnée — comme s’il ne restait plus qu’un os : Elle avait tué Anne de Lanneray. Armand ouvrit le mausolée, et proposa qu’ils se réfugient pour la nuit à l’intérieur. Il fit un pas dans l’escalier, et la rapière pénétra son armure et son corps. La jeune fille l’avait poignardé. Et alors, la Banshee envahit l’âme et la chair de son enfant tant désiré, pour accomplir son rêve : Ne faire qu’un avec lui.

Le lendemain matin, Armand ne contrôlait plus son corps. Anne de Lanneray était revenue d’entre les morts dans la peau masculine de son propre enfant, défiant tous les Dieux et tout leur ordre naturel, de Taal jusqu’à Mórr. Quittant la chapelle, elle tua son ancien fiancé, Casin Baillet, qui faisait partie de la troupe. Et prenant le destrier tout neuf d’Armand, elle se dirigea tout droit vers Derrevin, ayant à présent accès aux souvenirs de son garçon ; Assez pour savoir où se trouvait l’amante et la fille de sa rivale.

Pendant une demi-semaine, Armand et Anne cohabitèrent. Ils échangèrent leurs souvenirs, et tentèrent de prendre l’emprise l’un sur l’autre. Ils mélangèrent leurs corps et leurs âmes, modifiant la chair qu’ils étaient contraints de partager. Et, en tentant tous les deux de se comprendre, et de se vaincre, ils renouèrent à nouveau leur relation impie.

En arrivant aux portes de la ville de Derrevin, il n’y avait nulle sentinelle sur les remparts, et un chemin balisé de torches jusqu’à la chapelle de Shallya.

Une cérémonie noire, rappelant la Corruption, était en train de se jouer dans un Temple de la Déesse. Tout Derrevin attendait devant. Et sur l’autel, une Margot enceinte attendait le père de son enfant.

La marque de Margot s’était amplifiée. Elle gangrenait tout son ventre, sortait par ses yeux et ses organes ; Un monstre, nommé « l’Enfant Divin », se préparait à naître à travers elle. Et ni Carlomax, ni Alys ne semblaient outrés : tout le village se trouvait obéissant envers cette religion révoltante. Poussé par la haine de sa mère, qui était à présent la sienne, et par la trahison de son amante, Armand s’approcha de Margot, et lui poignarda la gorge net.

Il déchaîna la Banshee, tenta d’attaquer et torturer les habitants de Derrevin. Mais au milieu de sa fureur maladroite, blessé par une prêtresse de Shallya, et pressé par la mère Alys, Armand accepta de se rendre, de rappeler sa mère, et de les épargner tous.

Il pensait être lynché sur place, pour avoir tué la femme que tout le village semblait adorer.

Mais non ; On rapprocha Armand de sa dépouille, et on sortit de son ventre un bébé, d’apparence absolument normale. On attendait du seigneur de Derrevin d’être son père, et de le protéger — le souhait que Margot avait exprimé.

Et Armand décida de le prendre dans ses bras, de couper le cordon, et de le nommer Gilles. Comme le sauveur de la Bretonnie. Et comme l’homme qui était dessiné sur ce tableau maudit de Nicolas Naudin, qui avait permis la naissance de l’Enfant Divin.

En une soirée seulement, Armand décida d’achever sa corruption jusqu’au bout, et définitivement. Sachant que ce n’était qu’une question d’heures avant que le monde ne fonde sur Derrevin, Maisnes et dame Mélaine ensemble, il complota avec quelques habitants de Derrevin.

Il tendit une embuscade à Mélaine, et enleva un cousin de Brandan comme otage, qu’il corrompit de force. Les Herrimaults de Carlomax souffrirent du gros des pertes, tandis qu’Armand et une bande de chevaliers surgirent à la toute fin du combat pour achever sournoisement les derniers témoins se tenant debout. Dame Mélaine, ivre de rage à redécouvrir la Banshee encore en vie, déchaîna sans retenue tous les sortilèges dont elle disposait — jusqu’à ce que la magie s’empare d’elle, et que le vent de Ghur ne la transforme en un monstre infâme et cyclopéen, qui fut finalement abattu.

En vingt-quatre heures, Armand avait tué tous les anciens ennemis de sa mère. Il avait assassiné la femme qu’il aimait, prêté serment envers un monstre, et poussé une prophétesse du Graal de Bretonnie elle-même à être assaillie par la sorcellerie.

Mais aux yeux de l’Aquitanie, Armand se préparait à devenir un héros. Il allait devenir, devant le duché, le jeune chevalier qui avait vaincu des morts-vivants et des corrompus ensemble, en résistant à toutes les tentations.

Et comme à son habitude, l’Aquitanie allait se parer de bonté et de chevalerie — en ignorant tout ce qui se passait dans l’ombre.


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