Mais c’était à sa portée de terrasser de pauvres humains terrifiés, malades et faibles. Le combat contre la Manticore était une toute autre paire de manches. C’était un vrai duel. Un combat de monstres. Il n’y avait rien d’héroïque là dedans ; Mais il y avait du sang, du vrai. Et tant pis qu’il n’y ait pas de faibles humains pour témoigner de ce qui, aujourd’hui, se déroulait sur un coin perdu d’une montagne perdue de la Norsca. Khorne devait les regarder. Darmalion le sentait, tout au fond de lui ; Khorne était là. Peut-être pas de son côté. Mais ce n’était pas important. Khorne n’était pas un Dieu de faible. Il n’était pas un Dieu qu’on implorait pour avoir son aide. C’était un Dieu qui faisait mériter ses bénédictions.
Qu’importe que Darmalion meure. Il mourrait une véritable mort de guerrier. Il mourrait en pleine gloire, emporté par les Valkyries jusqu’aux Royaumes du Chaos. Il ne mourrait pas de septicémie, bête châtrée d’une arène. Il mourrait en serviteur du Molosse.
Pour quoi se battait la Manticore ? Peut-être par instinct. Peut-être par plaisir. Elle était un véritable ennemi honorable. Oui, le Minotaure au buste dévoré par l’acide et à la tempe perforée, dégoulinante de sang, pouvait le voir au creux des yeux vides de son adversaire à la cervelle transpercée, titubant et vomissant sur ses pattes :
Ils se respecteraient. Peu importe qu’ils se tuent ; Ils se valaient bien chacun l’un l’autre. Ce serait un honneur que de s’entre-dévorer.
Alors, la Manticore cessa d’agiter ses ailes. Elle se tourna vers Darmalion, et, vivement, lui donna un coup de croc en l’air. Un coup inélégant, lent, empiré par la fatigue. Elle s’exposa trop. Le Minotaure tenta de presser son avantage, en donnant un violent coup de cornes à gauche. Mais non ; Lui aussi était fatigué. Il avait la vision brouillée, les oreilles qui sifflaient. Les deux avaient tout donné. Tout. À présent, leur rixe n’avait plus rien de rapide. Darmalion grognait. Donna un coup de poing. La Manticore encaissa. Recula un peu. Elle agita sa queue, frappa ; Darmalion la claqua de côté.
Ils avaient tout donné, chacun, et à présent, soufflants, hoquetant, couverts de blessures, de gerbe et de sueur, ils sentaient que chaque erreur, chaque attaque trop rapide, chaque faux-pas lui coûterait son existence.
Manticore donna un coup de griffe.
Minotaure donna un coup de poing.
Manticore claqua des dents.
Minotaure cracha à son visage.
Leurs dernières forces. Tout ce qui restait de leur sang. Aucun instinct de peur. Aucun instinct de survie. Ils étaient prêts à trépasser pour avoir une dernière occasion de tuer.
En ça, oui, Darmalion était le plus brillant enfant de Khorne qui ait jamais respiré sur cette Terre.
Et là, enfin, une des deux bêtes, par un miracle, ou par chance, ou par talent, parvint à trouver une ouverture dans la garde de l’adversaire. Frappa. Arracha le garrot. Taillada dans la chair.
Manticore et Minotaure se regardaient une dernière fois dans les yeux.
Les cornes de Darmalion chancelaient. Minotaure tituba en arrière. S’écrasa à genoux. La neurotoxine dans son bras pulsait. Il tomba au sol, à bout de forces.
Dans son dos, la Manticore fit un dernier cri, et défaillit. Raide morte.
Darmalion venait de vaincre.
Bruits de pas. Les oreilles de Darmalion sifflent. Il est couché par terre, haletant, endolori. Le poison entre dans ses veines. Le torture. L’acide le ronge. Ses perforations sont autant de plaies ouvertes qui coulent autour de lui. Mais des prédateurs s’approchent. Ils vont lui voler sa proie, voler le fruit de son combat. Il se relève, se redresse, voit des ombres descendre de la montagne, de là où la fumée ne cesse de virevolter depuis des jours. Malgré les blessures, malgré le fait qu’il est aux portes de la mort, il est prêt à se battre, à nouveau.
Au départ, il croit que ce sont des hommes qui s’approchent. Comme lorsqu’il avait vaincu le Loup-écorcheur, pour au final être lâchement capturé.
Mais non. Ce sont des hommes étranges. Voûtés. À moitié nus. En voyant Darmalion, ils lèvent des lances et des mains aux paumes ouvertes, comme s’ils voulaient montrer qu’ils ne sont pas hostiles.
Ils ont des sabots. Ils sont faibles, et minuscules. Ce sont des Ungors. Des Hommes-Bêtes de la même race que Darmalion, bien qu’ils ne puissent certainement pas prétendre être similaire à lui ; Les Ungors sont des vautours, des charognards, ceux qui se nourrissent des restes avariés là où les Minotaures se réservent les meilleurs morceaux. Ils sont bons à frapper et torturer comme l’on souhaite.
Mais peut-être qu’ils constituaient une vision salvatrice et émouvante : Pour la première fois en quatre années de captivité, Darmalion découvrait des êtres qui lui ressemblaient. Ils s’approchaient tout près, s’arrêtaient avec leurs yeux bien écarquillés, et l’un d’eux, en parlant la langue des bêtes, s’adressa au monstre :
« Toi… Toi a…
Buté Manticore ?! »
Il semblait parfaitement choqué. Bouche bée, en découvrant le cadavre de l’ennemi volant derrière.
« Nous avec Harde ! Harde appeler Bêtes ! Sonner Brame ! Mais Manticore gêner chemin ! Tuer plein de Bêtes.
Et toi… Toi tu tues Manticore ?
Chaman va vouloir parler toi. Toi besoin aide ? Pouvoir marcher ? »