«Où donc ? Encore un contrat classique ?» s'enquit le barman en témoignant un intérêt sincère pour toi, te connaissant depuis quelques années déjà.
...
Peut-être aurais-tu dû ouvrir plus grandes tes oreilles, ou à tout le moins les décrasser plus longuement lors de ton dernier bain. La déception aurait peut-être été moins douloureuse. Et la réalité frapper moins durement..
***
C'était un tout petit quartier miteux, situé à l"Est de la ville ... Enfin ne perdons pas de notre temps avec les euphémismes, l'endroit était un taudis, un véritable trou à rats. Un odeur de puanteur flottait dans les rues : l'humidité et le temps chaud de l'été rendait les exhalaisons miasmatiques insupportables. À chaque pas, il fallait faire attention pour ne ne pas marcher - et possiblement glisser - sur le contenu d'un pot de chambre qui avait été vidé à partir du troisième ou quatrième étage d'une maison en ruine. Et avec le jour qui déclinait rapidement, les chances de marcher sur des déjections augmentaient exponentiellement. Réserver un montant pour l'achat de nouvelles bottes ne serait pas un luxe : elles risquaient d'être rongées par l'acidité des substances organiques en décomposition.
***
Ton contact Pieter, un humain âgé d'un cinquante d'années, du genre un peu louche quoique sympathique si on était prêt à allonger les pistoles, t'avait fait parvenir un message de Berthold Groeber , un marchand véreux qui payait quand même bien pour le boulot. Tu avais déjà accompli quelques contrats pour lui par le passé : menaces, chantage, extorsion de sommes d'argent dues plus les intérêts.. Des choses classiques, simples et bien payées comparées à la difficulté du travail et le temps d'accomplissement. Pas de bagarres ni de sang disait-il, c'était toujours plus difficile à régler avec les avocats en cour de justice quand les hommes de main avaient préalablement tabassé le pauvre bougre mauvais payeur. Surtout - ce qui était plutôt génial à bien y penser ! - ce bourgeois ne lésinait pas sur la paye. Le genre de boss qu'on aime bien.. tant qu'on est du bon côté. C'est à dire, le sien.
« Gr'b'r a b'z'win d'toi. Pour al'é ché' l'n'in d'l'ess. Ç'pa parey' ç'fois, sais'spiçyal ki di'. Fo l'vwar' d'm'in. Ché' lui. » disait-il avec sa prononciation toujours archaique, comme s'il s'était fait casser la mâchoire à plusieurs reprises.
Et alors qu'il avait tendu la main, attendant les piécettes magiques qui servent à ouvrir la trappe à secrets, tu avais détourné le regard, le gratifiant d'un simple merci. C'était assez d'informations, suffisait d'aller voir c'bourge le lendemain pour en savoir plus. Pas besoin de dépenser du précieux argent pour ça. Grand mal t'en pris...
***
Partout autour du nain, les bâtiments étaient délabrés, à un point tel qu'il fallait se demander si c'était pas dangereux que tout ça s'effondre. Les maisons qui avaient autrefois été belles étaient maintenant vieilles et décrépites, faute d'entretien. Et celles qui étaient laides, l'étaient toujours. Des volets troués servaient de vitres, qui étaient beaucoup trop chères, aux petites fenêtres, quand elles n'était pas recouvertes de vieilles fourrures miteuses déchirées ou de couvertures de coton rapiécées. Parfois, une taverne apparaissait, dans un meilleur état que les bâtiments autour... Mais c'était relatif, car partout la mauvaise qualité des matériaux était un dénominateur commun. D'autre fois, on croisait une échoppe qui vendait des guenilles toutes sales, ou des armes de seconde main, la plupart du temps toutes rouillées ou aussi tranchantes qu'une cuillère en bois.
***
BWAHAHAH ! C'est la meilleure qu'on m'aie comptée celle-là ! Chez les nains de l'Est ! Aller chasser le dragon avec ça.. ? BWAHAHA !
Berthold Groeber avait sans doute le rire le plus désagréable que tu aies entendu de toute ta vie. Même les tournures de phrases détestables de ces feluettes d'elfes n'étaient pas aussi dérageantes. La voix aigüe et nasillarde du marchand pouvait fracasser les oreilles les moins sensibles avec des ondes à hautes fréquences aussi horribles que ces sifflets qui font hurler les chiens.
Devant ton air décontenancé à la suite de cette mauvaise nouvelle, car non, il n'était pas question d'aller chez les nains du sud, mais bien d'aller chez LE nain de l'est.. de la ville, le bourgeois cessa d'être amusé.
« Fais pas cette tête, allons. J'étais sûr que ça te ferais plaisir que j'en appelle à tes services. J'ai justement pensé à toi, parce que je sais que tu traînes pas beaucoup avec tes copains nains, et qu'une bonne rencontre avec eux pourrait te ragaillardir... à moins que tu préfères que je donne le contrat à un autre, humm ? »
Pas question de donner un contrat à la concurrence ! C'est pas parce que t'avais quitté la société naine que tu n'en restais pas moins quelqu'un de fier, non ? Pilant sur ton orgueil, tu avais haussé les épaules et accepté d'en entendre un peu plus sur cette affaire. Le voyage dans les montagnes irait à une autre fois...
« Comme je le disais, cette mission est un peu humm... disons.. particulière ? Je t'explique : voilà quelques années, j'ai engagé quelqu'un qui vendait ses services, un nain tout comme toi. Malheureusement, il a profité de ma confiance et de ma naïveté pour me dérober un objet précieux. Et puis Pouf ! Envolé ! Aussi furtivement qu'une halfling chapardant un morceau de pain... »
Pendant qu'il parlait, tu pouvais le détailler à loisir : ses atours qui semblaient faits d'un tissu lourd teindu d'une riche couleur rouge. Si l'on pouvait acheter une bonne chemise de coton de bonne qualité au coût de quelques pistoles, tu pouvais deviner qu'il en fallait beauuucoup plus pour se permettre d'acheter des vêtements d'aussi bonne facture. En dessous, il portait une fine chemise de dentelle qui avait du coûter elle aussi la peau du cul. Sans compter le chapeau qui devait être fait de soie, ou quelque chose dans le genre ( depuis quand un nain s'y connaissait dans ces genre de choses? ) Toutefois, le plus intéressant était beaucoup plus petit, et moins visible : les bijoux. Ah, voilà un sujet intéressant ! Notre marchand portait de longs anneaux d'or aux oreilles, et plus de plusieurs bagues à ses doigts, l'une d'elle étant couronnée d'un petit rubis rouge sang absolument éclatant.
À le tuer, le dépouiller de ses effets et les revendre à moindre prix pour un profit rapide, il y avait de moyen de vivre «gras dur» pour au moins deux bonnes années sans remuer le petit doigt.
« Humhum ? » fit-il, remarquant que tu t'amusais plus à détailler ses richesse qu'à l'écouter
« Voilà, j'aimerais que tu puisse aller récupérer ce qui m'appartient. J'ai besoin que tu fasses cela rapidement, avant qu'il ne sache que je l'ai retrouvé et qu'il se sauve à nouveau. Et cette fois, tu as carte blanche. Toutefois, j'aimerais éviter qu'il y aie un bain de sang, et c'est pourquoi je t'envoie toi, nain, pour aller négocier avec ce voleur. J'ai bon espoir que tu puisses le raisonner plus facilement que s'il reçoit la visite d'une grosse brute sans cervelle.
Et essaie d'être discret aussi s'il te plait. J'aimerais éviter que les tribunaux se saisissent de cette affaire.. C'est bien compris ? » dit-il d'une expression entendue, espérant que tu aies saisi l'ampleur de sa demande.
***
Tu t'étais donc retrouvé devant une maison comme les autres, haute de quatre étages. Rien ne la distinguait spécialement des autres, mis à part une petite taverne au rez-de-chaussé, qui n'avait pas de nom, seulement un panneau de bois cloué sur un mur, avec un marteau et une épée croisée. C'était l'endroit qui t'avait été indiqué. À première vue, pas moyen d'entrer, seulement, il y avait une petite ruelle sale qui séparait la maison avec celle de gauche, et tu t'y engouffras, dans la pénombre de la soirée. Dans ce coin, le soir avait tendance à tomber plus vite à cause des hauts bâtiments qui bloquaient rapidement les derniers rayons de soleil.
Tu étais donc à l'arrière. Tout droit, il y avait un puits qui semblait desservir la plupart des habitations du coin. Sinon, tu pouvais jeter un coup d'oeil sur l'endroit que tu devais explorer. Une lueur brillait faiblement au travers d'une fenêtre du deuxième étage ainsi qu'au dernier. Alors que tu t'approchais des escaliers permettant de monter, tu remarquas que la plupart des marches étaient trouées, si elles n'était pas tout simplement inexistantes. Parfois, tu te rendais compte qu'elles avaient été remplacées par des poutres, qui avaient du être volées aux maison voisines. Il n'y avait pas de rampe pour se tenir. La prudence était donc de mise.
Tu te retrouvas donc devant la porte du deuxième étage. Derrière, il devait y avoir un nain si les informations étaient exactes. Et celui-ci était supposé avoir en possession un objet volé au marchand. Plus précisément, un collier de grande valeur «que tu reconnaitras tout de suite » avait dit Groeber.
Pour une paye d'une couronne d'or( et plus si tout avait été fait rapidement, discrètement et sans bain de sang, à l'appréciation du payeur bien entendu) mieux valait faire ça comme il faut.
En bas, quelques éclats de rire fusaient au travers des murs ainsi que le bruit d'un instrument de musique. Et derrière cette porte, le silence total...