Il observait, réfléchissait, grondait, grattait… L’assassin avait horreur d’attendre. Chaque minute devenait de plus en plus longue à ses yeux. Et voir le sourire satisfait des négociateurs l’agaça encore plus. Cette discussion entre vendeurs dupés et clients trompés ne se reposait en aucunement sur la confiance mais bien sur la manipulation et la tromperie. Un jeu à la fois subtil et risqué où chaque mot, chaque geste, chaque décision pouvait mettre un terme au marchandage.
Parmi les troupes de Skavens qui grouillaient dans la base souterraine se démarquèrent les principaux acteurs de ces échanges non-négligeables. Malgré les couinements incessants des guerriers et esclaves qui se répercutaient sur les parois rocheuses, Vilmikch réussit à récupérer quelques informations intéressantes bien quelles fussent parcellaires.
Si la petite enclave du clan Moulder conclut de nombreux contrats afin d’obtenir de simples esclaves ou guerriers de clans qui feraient office de chair à canon ou de repas pour leurs abominations voraces, le marchand du clan Skryre visait une marchandise nettement plus qualitative, des vermines de choc. Si l’esclavagiste voulait augmenter les tarifs, l’acheteur de Trisatt cherchait à les revoir sans cesse afin de les faire baisser. Leur instinct de domination était tel qu’ils ne remarquèrent même pas les manigances du soi-disant messager qui vola quelques rouleaux derrière leur dos avant de s’éloigner.
Seul Vilmikch avait remarqué ses agissements. C’était un rat qui n’avait aucune particularité, du moins physique. Néanmoins, était-il vraiment un messager ordinaire ? Le Skaven blanc se devait de le découvrir par lui-même. Un éclair pâle se faufilait alors entre les échafaudages voulant prendre sa proie en tenaille. Durant sa course, le coureur nocturne sentit le musc de peur provenant de sa cible qui ne s’arrêtait pas de s’intensifier. Plus il s’approchait de lui et plus il accéléra l’allure. Vilmikch comprit alors que le messager, à travers son sixième sens, avait senti sa présence. Leurs regards se croisèrent, leur fourrure doubla de volume, leurs fines pupilles se dilatèrent… la course poursuite était lancée. L’assassin sauta alors des taudis afin de rattraper le plus rapidement possible sa proie si vulnérable soit-elle. Mais celle-ci avait malheureusement trop d’avance. Une avance qui lui permit de se fondre dans la masse grouillante de Skavens qui se bousculaient et s’agrippaient au pelage des uns des autres pour pouvoir se déplacer.
Impuissant face à ce revers, le jeune rat renifla alors une dernière fois la sale odeur du fuyard qui finit par s’entremêler avec les effluves nauséabondes de la vermine.L’assassin à la fourrure blanche ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Il ne lui restait plus qu’à ravaler son lamentable échec. Celui-ci comprit vite que s’il voulait arriver à ses fins, il ne devait pas se contenter de pourchasser ses proies bêtement tel un chien enragé.
Mais sa profonde frustration s’évapora aussitôt quand il vit l’enclave de Skryre se diriger vers l’un des sombres tunnels qui la menait sûrement à son camp. Le Rat Cornu lui donnait-il une autre chance de se rattraper ?
Vilmikch chuchota alors une rapide prière à son dieu cornu puis disparut dans l’ombre, rattrapant la cohorte de vermines de choc.
Le coureur nocturne suivait silencieusement l’enclave, s’agrippant avec facilité aux parois lisses du tunnel. L’espion prenait soin d’écouter chaque discussion, chaque parole, chaque mot qui pourrait lui donner quelconque information alléchante sur le marchand voire sa cible principale Merkit. Des ordres répétitifs, des couinements excités, des provocations agressives entre les guerriers. Rien de bien concluant… Néanmoins, les choses devinrent plus intéressantes dès son arrivée dans la petite cité souterraine qui lui paraissait de plus en plus familière dues à ses nombreuses visites. Il remarqua que rien n’avait vraiment changé. Quelques nouvelles machines infernales furent créées mais leur instabilité pouvait laisser penser que leur durée de vie serait aussi courte que celle des esclaves.
Chaque scène suspecte était alors minutieusement analysée par notre jeune assassin. Malheureusement, aucune présence de Trisatt et encore moins celle de Merkit. Mais son regard finit par s’attarder sur le marchand qui avait l’air d’avoir fait de bonnes affaires avec le clan Trekkit. C’était un Skaven à la fourrure grise plutôt bien nourri et qui paraissait ne pas porter d’arme.
Mais il avait une chose que peu de rats possédaient, de la Malepierre. Celui-ci possédait un fragment de ce minerai verdâtre accroché à sa ceinture afin qu’il soit mis en valeur sans doute. Cela pouvait être un signe de pouvoir mais c’était surtout une preuve de richesse. Or il n’était point seul. S’il était entouré d’une dizaine de Skavens, la plupart semblaient être seulement des conseillers sans importance ou des souffre-douleurs. Vilmikch ne percevait que quatre gardes qui protégeaient le rat qui lui était encore inconnu. Cependant, c’était quatre de trop…
Une belle opportunité s’offrait à l’assassin bien qu’elle puisse mettre fin à ses jours. Ce dernier savait qu’il devait jouer la subtilité s’il voulait corrompre le serviteur de Trisatt.
« Ce marchand-client paraît-semble être riche. Un rat riche est un rat puissant-dominant ! Le Grand Vilmikch ne s’allie seulement qu’avec les forts, pas avec des souris-mulots qu’on jette dans des fosses-trous Malepierre ! »
Telle fut la logique de notre homme-rat aux mille pensées perfides.
Le rat couina une brève prière à son dieu sournois et insidieux avant de quitter sa cachette, rejoignant celui qui deviendrait peut-être son futur partenaire. Bien que ce comportement ne lui inspirât que du dégoût, Vilmikch devait s’efforcer d’imiter le jeune mulot inoffensif et vulnérable qui ne pouvait que reconnaître la domination de son interlocuteur. Dagues rangées, démarche lente et calme et bien sûr museau baissé, l’assassin s’approchait du marchand avec la plus grande précaution possible. Quand il s’agenouilla devant ce dernier, le rat négociateur se mit à renifler avec insolence avant de lui adresser la parole.
«
Qui es-tu étranger-inconnu ?
-Je ne suis qu’une ombre-chimère qui est sur la piste d’une proie. Un rat intelligent-ingénieux comme toi pourrait m’aider. Notre rencontre pourrait finir-se déboucher sur un traité-pacte alléchant oui-oui ! Alors intéressé ?
-Je suis savant-intelligent oui ! Alors pourquoi écouterai-je un rat-souris espion que je ne connais pas ?
-Tu t’adresses à un espion-assassin qui des yeux partout. Mes chefs-maîtres m’envoient pour faire taire à jamais une petite souris maligne-malicieuse qui ne mérite point de vivre ! Il est mauvais-nuisible pour les clans. Et même-aussi pour le tien… J’ai des infos-renseignements que tu n’as point. Voilà pourquoi tu devrais m’entendre-écouter.
-Hum…je vois-comprends. Tu cherches à t’attirer mes bonnes grâces-volontés. Proposer tes services contre quelque chose de valeur-important, hum ? Alors approche petite souris et propose ta pitoyable offre à ma grandeur…
-Comme je l’ai dit-annoncé, je surveille-scrute tout le monde pour arriver à mes fins. Dis-moi… tu t’es offert des troupes grandes-nombreuses. J’admire ton ambition oui-oui ! Pourtant, je connais le rat-souris belliqueuse qui les a formées. Je sais que tu as parlé-négocié avec l’esclavagiste mais connais-tu ses chefs-supérieurs ?
-Et pourquoi cette information-donnée me serait utile-nécessaire ?
-Que penserais-tu si je te disais que plusieurs grands-fins négociateurs tels que toi se sont faits arnaqués-dupés par ce général-Grande Griffe ? Tes maîtres seraient déçus-mécontents, tu ne crois-penses pas ?
-Tu prétends qu’il y aurait un complot-ruse du vieux Barkat ? Pourquoi devrais-je te croire hum ?
-Ce n'est pas pour rien si des couteaux-lames suivent Merkit de près. D'après toi, pourquoi le clan Trekkit grandit-grossit aussi rapidement ? Avant-jadis, ce n'était qu'un clan faible-mineur bourré d'esclaves. Maintenant, ce même clan peut te vendre des rats-vermines bons au combat. Merkit ne fait que donner-vendre ses pires soldats pour garder les meilleurs. Et il fait ça avec tous ses clients-acheteurs dont toi ! Surtout méfie-toi de tes nouveaux-recrues... ils ne sont pas dignes de confiance. Merkit a toujours une influence-domination sur eux afin d'attaquer les clans en leur centre-cœur. Vas-tu rester neutre-passif ?
-Merkit ? Pourquoi ce soudain intérêt pour lui ? Je flaire le complot mais pas forcément celui dont tu me parles…
-Tu penses que Merkit est un ami-allié ? Il en avait plusieurs et tous ont fini par être massacrés-tués ! Encore une fois, je te le dis-répète ; j'ai des yeux partout et je sais que ton clan est sur la liste. Tu as beaucoup d'échanges-affaires avec lui ! Si ton camp subit une agression-attaque, tu seras le premier soupçonné par tes chefs. Veux-tu prendre le risque ? »
Vilmikch n’eut pour réponse qu’un long silence à la fois gênant et stressant. Jusque là, le jeune rat avait mené le dialogue avec succès. Pourquoi ce silence si inattendu, si lent ? L’assassin chercha le regard de son interlocuteur qui avait alors la tête baissée, l’air pensif. Lorsqu’il rouvrit ses yeux et se redressa de tout son corps afin de refléter l’image de sa fausse autorité, Vilmikch put distinguer une lueur d’inquiétude dans son regard. Et cela pour son plus grand plaisir. Celui-ci se retint de sourire de satisfaction quand il vit le rat-marchand en train de frétiller ses moustaches, signe de sa nervosité.
«
Hum… je pourrais faire preuve de prudence-sagesse oui-oui. As-tu une idée en tête avant que je ne te propose-ordonne un plan ?
-Hmmm... je n'ai pas seulement des dagues-lames vois-tu ? J'ai de nombreux plans-idées oui-oui. Si je vois-observe tout, je n'entends pas tout. J'ai besoin de toi pour connaitre-savoir la position de Merkit. Mon objectif-mission est de le tuer, ton rôle est de me guider et de m'aider oui-oui. Pour t'innocenter dans cette affaire-complot, il faudrait que certains de tes guerriers-soldats meurent "accidentellement". Tu pourras facilement soupçonner le clan Trekkit car leur camp est proche du vôtre. En cas de réussite-victoire, tu pourras te vanter auprès de tes chefs-patrons d'avoir tué Merkit. Néanmoins, j'aurai peut-être besoin de quelques-uns de tes soldats pour piéger le général-Grande Griffe. Mais tu sais que rien n'est gratuit-donné et que je voudrais une récompense en échange. Le Rat Cornu sera témoin de notre accord-traité oui-oui ! Qu'en dis-tu ?
-Alors il faudra t'infiltrer, te faufiler dans mes troupes pour me servir-espionner. Quant à ta récompense, nous verrons la façon dont tu accomplis ta tâche…
-Je ne peux que reconnaitre-louer ton ingéniosité cher partenaire-camarade ! Par ailleurs, puis-je connaitre-savoir ton nom ?
-Kroskut le Grand ! Souviens-t-en car les clans clameront bientôt mon nom oui-oui !
-Bien Grand Kroskut ! Quand devrais-je revenir afin de finaliser-terminer nos plans ? Ma dague-lame me démange oui-oui ! Pas trop longtemps j'espère car d'autres assassins-espions sont sur ses traces. Je dois être le seul-unique à connaitre ma gloire !
-Une journée avant que tu puisses t'infiltrer pour que je prenne mes dispositions-mesures.
-Qu’il en soit ainsi ! Que le Grand Rat Cornu bénisse notre traité-pacte ! »
Sur ces mots, les deux partenaires se serrèrent la patte, satisfaits de leur complot qui se mettra bientôt en place. Les souterrains de Nuln allaient alors connaitre une bataille sanglante dont les tenants de celle-ci n’étaient autre que les caprices d’un jeune coureur d’Eshin à la fourrure blanche. Du moins, telle était la logique malsaine de ce dernier.
Cependant, Vilmikch voulut terminer sa journée en beauté. Il ne lui restait plus qu’à rendre une petite visite à son vieil associé Marsat qui était sûrement dans son laboratoire insignifiant. Après avoir pris congé de Kroskut, il fila vers l’atelier qu’il connaissait tant. Ça ne lui prit qu’une dizaine de secondes pour atteindre la frêle infrastructure. Que le Rat Cornu soit loué, elle était toujours debout…
En s’y incrustant, l’assassin sentit une vague violente de colère et de mépris émanée du scientifique dès leur rencontre. Il commença alors avec de simples politesses pour tenter d’apaiser l’atmosphère car il n’était pas seulement venu prendre de ses nouvelles…
«
Comment vas-tu mon camarade-ami Marsat ? Es-tu soupçonné-victimisé par ton clan ou tu as réussi à te faire silencieux-discret comme moi ?
-Comment je vais ? Que crois-tu qu'il arrive à un apprenti-jeune soupçonné d'aider un traître ? J’ai la chance-bénédiction du Cornu d'être en vie ! Et toi tu reviens dans mon laboratoire-atelier comme si de rien n’était ?! Je devrais faire appeler une patrouille-garde !
-Calme-toi ! J'ai une proposition-solution qui pourrait changer ta situation. Connais-tu par hasard Kroskut ? Je pense-imagine oui-oui.
-Kroskut ? Tu veux donc me damner-faire tuer encore plus ? Pourquoi amener le nom du rival de mon maître-chef ?
-Kroskut et toi, vous êtes des rats dangereux-ambitieux. J'ai fait un pacte-traité avec lui. J'ai déclenché une bataille-guerre entre ton clan et celui de Trekkit afin de tuer ma proie-cible. Kroskut m'y aidera avec ses régiments... Et toi tu peux trouver ta place-rôle dans ce plan ! Ta notoriété pourra revenir-renaitre ! »
Vilmikch vit alors qu’il avait trouvé les bons mots pour convaincre le jeune scientifique. Ses poils hérissés redevinrent lisses et ses oreilles intactes se mirent à tressaillir de curiosité.
«
Hum-hum... Mouais, il y a moyen de punir-châtier l'arrogant et de reprendre mon statut-grade ! Tu as bien fait de te faire pardonner-excuser de tes erreurs. Reviens demain et j'aurai un cadeau-présent pour t'aider un peu…
-Je ne peux que louer ta sagesse-intelligence Marsat. Par ailleurs, j’aurai besoin de ton gros cerveau-cervelle pour comprendre-décrypter ce plan… »
Il lui donna alors le rouleau qui était accroché à sa ceinture depuis déjà plusieurs longues semaines. Marsat le déroula, prit une loupe laissée sur son bureau et analysa brièvement la carte originaire de la surface. Pensif, ce dernier finit par donner une réponse simple au coureur d’Eshin…
« Hum… je vois, je vois. Reviens demain et je te donnerai mon analyse savante-intelligente oui-oui. »
Décidément, le Rat Cornu réservait encore des surprises à ce petit assassin beaucoup trop ambitieux. D’ailleurs, il le savait et il l’en était reconnaissant. Le jeune rat se devait désormais d’accomplir sa prochaine mission coûte-que-coûte s’il ne voulait pas connaître un destin funeste. Le grand Vilmikch ne pouvait pas mourir car il était un Skaven glorieux-éternel. Guidé par sa fierté, le coureur nocturne retourna dans sa tanière pour prendre du repos, sachant que le lendemain serait sûrement mouvementé…