Pas la plus riche. Pas la plus peuplée. Pas la plus puissante. Pas la plus vivante. Pas la plus impressionnante à voir. Pas celle construire de la manière la plus originale. Pas même celle avec le plus de monuments légués par le passé — Altdorf, Middenheim, Couronne, Erengrad la dépassaient chacune par un critère ou un autre, et depuis des décennies voire des siècles maintenant, le cœur névralgique du continent devenait de plus en plus septentrional, au détriment des communes du Golfe Noir qui avaient tant fait rêver les hommes dans le passé…
…Mais Remas était, et resterait, à jamais, la plus ancienne cité du Vieux Monde. Et à cause de ça, elle imprégnait les esprits de tous les visiteurs, qui venaient chacun ici pour trouver quelque chose — les croyants y venaient en tant que pieux pèlerins à la recherche des traces de héros et de divinités, les artistes s’y ruaient pour chercher l’inspiration devant des fresques effacées et des statues décapées, les utopistes pensaient y découvrir la sagesse d’illustres personnages du passé. Une déesse était née à Remas. Un Empire y avait été fondé. Fut un temps, le continent entier ployait le genou devant les aigles des légions de Remas. La première république des hommes avait été proclamée à Remas. Le Nouveau Monde et toutes ses richesses fut exploré par un Remassien. Et ni le Rat, ni la Fée Noire, ni l’Arabéen, ni la Peau-Verte n’avaient pu saigner Remas sans subir la vengeance de cette mythique cité — cénotaphes et inscriptions commémoraient les triomphes d’amiraux et de généraux de l’histoire, même quand les affres du temps n’offraient les significations des inscriptions qu’à des savants spécialisés en épigraphie…
Remas. Grande Remas. Riche et puissante Remas. La ville des théologiens, des artistes, des scientifiques. La ville des amants, des conquérants et des explorateurs. La ville des proscriptions, des guerres civiles, des épidémies et des démons. Même aujourd’hui, elle fascinait ceux qui la trouvaient dépassée. Et quarante mille âmes d’hommes et de femmes avaient bien conscience de l’immensité morale de leur chez-eux.
Et elle ne dormait jamais, cette ville. Même en cette soirée d’hiver fort pluvieuse, alors que le soleil de Myrmidia (Ou peut-être était-ce celui de Solkan ?…) se couchait plus tôt que d’ordinaire, et continuerait à moins tenir le front jusqu’à la victoire du solstice, la cité s’illuminait de dizaines de milliers de flammèches de lanternes, de bougies, de torches et luminaires de toutes sortes, la majorité fonctionnant à l’huile de baleine récupérée sur les carcasses traquées par les pêcheurs — les Remassiens sont de grands pêcheurs. Les tavernes étaient noires de monde, les rues bouchées de badauds, et l’on avançait toujours à pas lents au risque de frôler l’épaule de tel ou tel passant. On devinait le cosmopolitisme de la cité aux tenues habillant les silhouettes qu’on ne cessait de croiser : un trio de clercs en bures blanches, mains croisées et capuches sur la tête, qui remontaient silencieusement une rue contre le courant de la marée humaine. Un marginal aux bottes trouées et au manteau rapiécé, qui sifflotait pour attirer l’attention de son chien tout mouillé qui ne cessait de s’arrêter devant un caniveau pour renifler dedans. Une danseuse Strygani, flamboyante de toiles colorées, qui se contorsionnait devant des spectateurs curieux sous la protection d’un porche d’où ruisselait l’eau, l’un d’eux lançant une jolie pièce d’étain dans un chapeau laissé sur le trottoir. Un duo de militaires de la Garde Républicaine en attirail complet, avec plate plaquée or et hallebardes tranchantes à l’épaule, le cimier dégoulinant de flotte. Une petite horde d’étudiants braillards, courant puis marchant les uns à côtés des autres, en hurlant des blagues paillardes qui ne faisaient rire qu’eux. Une mère va-nu-pied qui tenait contre elle un bébé assoupi rélié à son épaule dans un linge, en gardant un journal au-dessus de sa tête en guise de parapluie. Un marchand bellement vêtu debout sur un petit cheval, plus haut que tout le monde, qui tirait une sale gueule sous son chapeau en feutre gondolé d’eau rabattu devant sa trogne.
Toute la ville se mélangeait en son centre, un carrefour immense qui allait de tel canal, à tel pont, à tel quartier. Le chaos de 2500 années d’histoire avait empêché la ségrégation spatiale, et c’était peut-être ça qui expliquait que Remas était un des rares États de ce monde à être une démocratie, un lieu où le peuple choisissait ses représentants, et où tout le monde, du plus pauvre au plus riche, du plus noble au plus immigré, participait équitablement au devoir de la cité.
Ou du moins, tout ça, c’est ce qu’avait raconté à Nola le professeur Arese, de la Grande Biblioteca. Quand il parlait de sa cité, l’érudit le faisait toujours avec une immense passion, comme il parlerait d’une amante. Quelque part, la fierté des Remassiens envers Remas ressemblait beaucoup à celle des Sartosiens envers Sartosa, mais il valait mieux ne pas dire ça à voix haute dans les rades de la cité qui avait été un Empire…
Une femme marchait dans les rues de la ville. Camouflée sous un grand manteau, pour se couvrir tant de l’averse que des regards. Sa tenue n’inspirait pas foncièrement la méfiance — Remas était remplie de scélérats qui battaient le pavé avec le visage ainsi camouflé, et ceux-ci semblaient faire partie du décor autant que les matelots et les prêtres, quand bien même la Garde Républicaine aimait bien les houspiller quand ils zonaient trop longtemps dans le même coin. Mais quand on commençait à être un poil connu, même si ce n’était qu’une célébrité fortement relative, il valait mieux ne pas trop tenter de se faire reconnaître, surtout avec des projets nocturnes pas recommandables… C’était le problème de passer du temps parmi les civilisés. L’individu privé s’effaçait devant l’individu public, et c’était comme si tout le monde endossait un costume en quittant sa maison. Voilà le vrai usage difficile à s’habituer, quand on avait passé son temps entre Sartosa et les Frontalières, et sa vie dans des contrées impossibles à cartographier.
Mais alors que cette femme allait d’un pas droit et sûr, connaissant bien son objectif, elle fut surprise de voir une rue, certes bondée, ce n’était pas surprenant, mais surtout figée. Les gens à Remas étaient nombreux, mais quand ils s’arrêtaient, ce n’était pas forcément bon signe, encore plus sous la pluie que les hommes cherchaient à naturellement fuir en se collant sous une enseigne ou un portique. Glissant entre les corps, tapotant des épaules et des flancs pour poliment faire comprendre aux Remassiens lui tournant le dos qu’il fallait un peu s’écarter de côté (Et aucun n’y trouvait offense, tant ceux de cette ville étaient habitués à ainsi se rentrer dedans dans des rues étroites…), la femme remonta lentement la rue, jusqu’à découvrir ainsi ce qui barrait le passage.
Trois grands guerriers en armures toutes dorées, des pieds jusqu’à la tête, se tenaient au garde-à-vous.
Les visières des casques imitaient des crânes, de même que leur plastron en avait l’ombre forgée dans l’acier. Avec leurs belles tenues de soie en bleu outremer, et les cimiers en plumes d’oiseaux exotiques, ils resplendissaient le luxe et le prestige. Ce n’était pas la garde privée d’une quelconque maison — leur apparence de squelette signifiait clairement qu’ils étaient des chevaliers d’une chambre-militante du clergé de Mórr. Sans connaître précisément à quel ordre ils appartenaient (Mórr devait bien avoir des dizaines de confréries de guerriers à son service), leur sordide apparence avait l’avantage d’être fort reconnaissable.
Répartis devant la rue, dans une sorte de semi-cercles, ils gardaient en respect la foule, qui se tenait silencieusement toute droite. En fait, ils servaient de gardes-du-corps pour une quatrième personne, dont l’apparence tranchait pour le coup tout à fait nettement avec l’inquiétante solidité martiale des guerriers.
Une grande dame, quasiment nue, qu’importe le froid et la pluie glacée, si ce n’était pour un froc noir de bure lâchement jeté autour de son corps. Ses longs cheveux noirs frisaient avec la pluie qui ruisselait d’elle, et elle avait, tant autour du cou que des mains, des chaînes noires qui ressemblaient à des perles d’un chapelet de métal. Et avec une puissante voix audible jusqu’au bout de la ruelle, rauque, très grave pour une dame, à l’étrange accent qu’on ne parvenait pas trop à placer sur une carte (Estalien ? Estalien.), elle provoquait la foule :
« …Le ventre qui est plein n’est jamais traumatisé par l’idée de la faim. L’opulence vous a rendu oisifs, et l’oisiveté est mère de tous les vices. Mais la prospérité est cyclique, et à présent qu’apparaissent devant vous tous les signes de la fin de votre confort, voilà que vous tremblez d’inquiétude, apeurés par l’idée que vous légueriez à vos enfants un monde plus mauvais que celui dont vous avez hérité de vos parents !
Gens de Remas ! Entendez mes prophéties, révélées par moi à travers les arcanes du Veilleur, et par les paroles de Nahmud, la Vierge Noire ! La punition arrive pour vos vices ! Le solde de vos péchés ! Les temps durs engendrent des hommes durs, et les hommes durs engendrent des temps doux, mais les temps doux engendrent toujours des hommes doux — nul besoin de la prescience pour vous rendre compte de cela, quand vous référer à l’histoire suffit ! Ô, Remas, la chair, le vin, la santé ont fait de vous des moutons, doux et beaux, mais le mouton est fait pour la propitiation !
Vous le savez tous, alors que les prix montent sur le marché, alors que les enfants meurent jeunes de maladies, alors que notre mémoire récente se souvient des désastres de la guerre du chien Borgio ! »
Elle hurlait seule, dans un silence digne d’une chapelle, troublé uniquement par le bruit de la pluie qui frappait contre les toits et les gouttières — et maintenant, des bruits de crachats au sol alors qu’on avait prononcé à voix haute le nom de Borgio de Miragliano, conquérant déçu de la Tilée.
« Et voilà, qu’alors que vous vous êtes bercés de l’idée de vivre dans un monde de raison, de lois, de débats, vous venez devant moi pour connaître le jugement mystique des forces de l’au-delà !
J’ai vu, Remas — J’ai vu ! J’ai vu la Tilée brûler ! J’ai vu la Tilée engloutie ! J’ai vu les enfants naître cornus, et le rire cruel d’un monstre aux dix-cors touchant leurs petits fronts alors qu’ils hurlaient leurs premiers souffles !
J’ai vu, Remas — L’aîné ventripotent cracher sa semence sur notre péninsule, et la sœur du soleil pleurer toutes les larmes de son corps, jusqu’à devenir sèche et lasse !
J’ai vu, Remas — Le souffle des vents, le brasier des forêts, l’éveil des pierres endormies ! L’Ancien Peuple allumer les torches, et emporter les âmes des éveillés dans la nuit, chevauchant sur des montures ailées !
J’ai vu, Remas — La danse des gargouilles souhaitant toucher la lune d'émeraude !
J’ai vu, Remas — Le temps des troubles, le temps de la misère, le temps de la terreur…
J’ai vu, Remas, surtout, j’ai vu — Les montagnes se couvrir de fer, et un nouvel Ottokar couronné escalader les montagnes, pour venir épouser notre pays, avec DIX MILLE LANCES, en guise de CIERGES ! Je l’ai vu traverser les montagnes et les plaines, PILLANT, RUINANT, et apportant avec lui le fouet et la serpe ! »
Les corps tremblaient. Les visages angoissés arquer leurs sourcils. Quelques souffles se retenir. Et la femme qui hurlait, en parlant avec les mains, en prenant des poses, dans un air parfaitement théâtral.
« Mais que crois-je entendre ?!
Vous voulez savoir comment éviter à ce destin ? Comment tromper les prophéties ? N’avez-vous donc pas retenu la morale des contes ?!
La prophétie est inévitable ! Et chacune de vos actions, consciente ou non, travaille déjà à ces desseins !
Le monde va chanceler ! Mórr va ouvrir grand le Portail et emporter dans une grande farandole vos enfants et vos êtres aimés ! Rien ne vous sauvera ! RIEN NE VOUS SAUVERA ! »
Ça, par contre… ça, ça faisait réellement froid dans le dos. Les prêtres prêcheurs étaient connus à Remas, mais leurs avertissements avaient toujours pour but d’inciter la foule à chercher la sauvegarde et la rédemption. Qu’un prêtre hurle au peuple qu’il n’y avait pas d’espoir, c’était inconnu, inconcevable même…
« Les courageux seront les premiers fauchés par les lames ! Les riches seront les premiers dépouillés par la banqueroute ! Les érudits seront les premiers mis au bûcher par l’intolérance ! Les plus belles seront les premières fanées par les maladies ! Les plus honorables seront les premiers empoisonnés par les sicaires ! Les plus pieux seront les premiers enfermés dans les cellules !
Je le répète, Remas, je le signe, c’est écrit dans les étoiles par le signe du Divin : Rien, rien ne vous sauvera !
Ne vous réfugiez pas, Remassiens ! Perdez-vous ! Perdez-vous une dernière fois ! Buvez tout votre saoul, car les vignes vont putréfier ! Égorgez les bêtes et manger viande et gras, car le bétail tout entier va faisander ! Dépensez tous vos biens, car Haendryk et les princes se saisiront de votre épargne ! Trompez vos femmes et vos maris — vous ne connaîtrez plus jamais les plaisirs de la chair ! »
Tous les badauds se regardaient, mutuellement. Certains réagissaient avec colère, se mettaient à hurler des insultes. D’autres fuyaient. Une jeune fille se couvrait les oreilles.
Mais la conviction de la prêtresse semblait gagner tout le monde, qu’ils le veuillent ou non…
« Le feu consume, mais la fumée ne se dissipe point ! La lame tranche, le pistolet décharge, sans répit ! La folie s’empare de la Tilée ! Les convictions vont être testées ! L’ordre ancien va être renversé ! Les gens de bien enchaînés !
Les voix des vertus vont se taire ! Et seuls, seuls hurleront les Vices !
Une dernière danse ! UNE DERNIÈRE DANSE, AVANT D’ALLER À MÓRR ! »
C’était une Veggente. Une Augure de Mórr. Une mystique, censée connaître les destins de chaque être humain sur Terre.
Et voilà son sermon.
Mercadì 13 Ulricheo 2511.
Un an après la révolte échouée de Myrmidens.
Nuit sans lune. Froid à en perler la peau de chair de poule. La femme avait repris sa marche sous la pluie, alors que maintenant, ses semelles de bottes couinaient tant elles étaient gorgées d’eau. Et enfin, l’hospitalité d’un refuge s’offrait à elle.
Elle était dans le mauvais quartier de Remas, celui de l’autre côté du port, celui construit à flanc d’une des collines de la ville — c’est que Remas était bâtie sur un immense promontoire vallonné, la sécurité du massif ayant probablement beaucoup motivé les premiers habitants, qui ne pensaient pas qu’un jour l’urbanisme serait un souci concret. De l’extérieur, l’immeuble ne ressemblait à rien, ou plutôt, ressemblait à tout : un pâté de maison auquel on accédait en descendant un grand escalier en marbre, on aurait dit un de ces innombrables blocs d’habitations et de commerces qui s’étalaient à la vue des marins arrivant en ville par la rade — une façade colorée ocre, de grandes fenêtres brillantes, des balcons couverts de fleurs et de lierre, il est vrai fanés à cause de la saison froide d’Ulric. Une insula, on appelait ça, l’habitat archétypique de Tilée apparemment : le rez-de-chaussée était fait pour des ateliers et des magasins, les étages supérieurs pour des chambres louées à des habitants, le tout appartenant à un ou plusieurs riches propriétaires qui extorquaient mensuellement leur loyer.
Mais cette insula là était un peu plus étrange que les autres. Le gardien à l’accueil n’était pas une bonne dame concierge bavarde et un peu espionne, mais une énorme armoire à glace qui faisait peur à voir : crâne rasé et couvert de tatouages, sourire permanent à cause de cicatrices qui allaient jusqu’à ses oreilles, vêtu d’un grand par-dessus matelassé qui faisait penser qu’il planquait une brigandine là-dessus. En voyant apparaître la femme, il mit machinalement une main à sa ceinture, près d’une matraque, avant de la lâcher lorsqu’il reconnut le visage qui brilla subrepticement à la lueur d’une des lanternes à huile de baleine.
Il posa un poing contre son cœur, et avec un ton rempli de sarcasme, il lança :
« Morituri te salutant. »
Le salut des esclaves des arènes. Elle faisait depuis peu partie de cette étrange confrérie si populaire à Remas. La faute à un homme riche qui lui avait sauvé la vie, l’avait rachetée (Mais pas vraiment affranchie…) à un négrier qui l’aurait réduite à un état pire que celui avec lequel elle avait découvert le continent de l’Humanité.
Le gardien toqua contre la porte, en fer. Le judas glissa, observa, puis se referma, et on entendit une demi-douzaine de lourds cliquetis avant que la porte ne s’ouvre. À l’intérieur, d’autres gueules d’anges zieutaient la nouvellement arrivée, qui passa à travers le couloir de pierre tout droit, sachant pertinemment où elle allait.
C’était un choc comparé à l’extérieur. On passait du froid au chaud, au très chaud. Il faisait très humide là-dedans, assez pour embuer les verres d’un lunetteux qui s’aventurerait ici. Et ça empirait alors qu’elle descendait un petit escalier pour se retrouver un peu en-dessous du sol (Même si Remas n’avait pas vraiment de niveau, foutue ville tout en relief qu’elle était…). Et là, on passait du silence et de la pluie à un vacarme assourdissant : Musiques, rires, paroles. Le bouchon d’une bouteille de mousseux qui saute. Et, traversant un voile satiné, la gladiatrice se retrouva dans son rade habituel.
La Griffe Prométhéenne. Un bar. Un cabaret. Un tripot. Un bordel. On ne savait pas trop ce qu’était cet endroit, mais c’était un endroit. La porte de fer trompait — cet endroit était semi-mystérieux, semi-connu. Réservé aux initiés, mais très populaire. Un coin bien fréquenté de Remas, pour des gens infréquentables. Les amants se rencontraient ici quand ils avaient besoin de partager leur secret. Les prêtres s’y rendaient quand ils ne voulaient pas être vus par leurs ouailles. Beaucoup de visages de clients étaient masqués par des loups, et pourtant, on avait l’impression de les reconnaître. Comme Polichinelle, héros de comédie, tout le monde partageait les mêmes confidences.
Nola alla jusqu’au comptoir. Elle s’assit sur un tabouret, et, silencieusement, le serveur, un joli garçon moustachu et gringalet, lui servit un verre — elle n’avait pas commandé, mais ici, il n’y avait pas besoin, surtout quand on connaissait déjà son poison préféré. Et voilà que la gladiatrice put boire en attendant de longues, longues, longues minutes, à simplement profiter de la musique, et de la vision de danseurs qui s’agitaient autour d’un grand brasero central.
Et puis, sans dire un mot, il arriva.
Facino Cane. Un homme d’honneur. Taille moyenne, corpulence moyenne, visage quelconque — pas moche, mais pas ravissant non plus. Barbu, yeux verts, barbe bien taillée. On le confondrait dans la rue avec n’importe quel marchand. Et c’est un peu ce qu’il était, puisqu’il était le gérant de cet établissement.
Une créature d’euphémisme. Discret, parlant toujours avec courtoisie. Et pourtant, tout ça sonnait faux chez lui.
Il était un malfrat de la 'Ndrangheta. Il avait probablement tué plus d’hommes que Nola, et c’était peu dire. Mais le voilà qui s’approcha d’elle, lui posa une main sur la hanche, et lui fit la bise.
« Bonsoir à toi. Rude semaine ? »
Oui, il y avait de quoi — toujours les mêmes entraînements. Inlassables. Quotidiens. Les munera de fin d’année approchaient, et donc, les grands combats d’arènes. Et visiblement, les mentors de Nola n’avaient pas prévu de la laisser tranquille d’ici là. Il fallait qu’elle soit absolument parée pour la compétition.
Facino s’installa à côté de la gladiatrice, fit un signe au serveur, et se fit ainsi préparer lui aussi sa dose de poison.
« Toutes les chambres sont prises, mais par des personnes qui ne sont pas contre de la compagnie. Je sais que tu aimes te poudrer le nez en solitaire, mais comme tu vois, on est blindés aujourd’hui. Et pourtant on est pas santodì… »
Il regarda la salle. Puis Nola, tout droit.
« Comment vas-tu ? »