A la tombée de la nuit:
Après qu'Arnaès se fut vaguement expliqué à Marquez, le sinistre pirate avait serré sa grosse mâchoire barbue, regardant autour de lui comme s'il s'attendait à voir surgir d'inconcevables créatures des ombres, puis il avait eu un sourire inquiétant :
-Il est parfois des alliances qu'il vaut mieux éviter, avait finalement grondé le colosse,
j'espères que tu sais ce que tu fais... Si je devine bien, bientôt ce ne sera plus Manann qui veillera sur nous, mais des démons des mers... Cette "gloire" et cette "légende" dont tu parles ne seront peut-être que "mort et damnation"...
Mais il avait beau dire, cette perspective lui plaisait manifestement : Mort Marquez était de ces hommes qui aimaient à affronter le diable.
(Mais pas les cyclopes, on l'avait vu...)
Vitor, quant à lui, gardait désormais un air perpétuellement inquiet: entre le cyclope et les squelettes vus aux fenêtres de la Tour, puis les nouvelles terrifiées ramenées de l'épave voisine, et enfin le mystérieux cloisonnement ordonné par Arnaès, n'y avait-il pas de quoi?
Nombre d'hommes d'équipage avaient le même air que lui: tous craignaient la suite des événements...
... sauf Gaspar bien sûr! Maintenant loin du cyclope, celui-ci avait recommencé à blaguer comme d'habitude:
-Bouhhouuuu, faut pas sortir, y'a des fantômes dehors! hé, j'en ai une bonne, écoutez voir:
Deux fantômes discutent: "Attention, t'as fait tomber ton mouchoir !" que y en a un qui dit, et l'autre répond: "C'est pas mon mouchoir, mec, c'est mon fils !"
Et de s'esclaffer... mais cela ne faisait rire que le Crochet et les plus aguerris.
Au milieu de la nuit:
L'horrifique incantation avait commencée à résonner dans le lointain... Et dura... dura...
Gaspar avait cessé de blaguer.
La panique était venue. Certains forbans avaient même voulus mettre les canots à l'eau pour regagner le Nautile...
Test de CHA d'Arnaès: 8, réussi
Mais le discours sibyllin de leur capitaine les avait remis dans le droit chemin... ou du moins leur avait assez fait craindre le pire pour qu'ils retournent se terrer dans la bâtisse centrale du village... nombreux étaient ceux qui se signaient, invoquaient le nom de Manann à les protéger...
Fin de la nuit:
Les imprécations avaient cessés.
Une heure plus tard, un épouvantable glapissement s'entendit, omniprésent, d'une stridence telle qu'il vous pénétrait jusqu'aux os... Les marins se serrèrent les uns contre les autres dans le bâtiment.
Test de Courage (INT) pour Arnaès: 13, raté
Test de "comédie" (CHA) : 14, raté
-Demain est un grand jour mes frères !
Cette phrase d'Arnaès avant de quitter l'équipage effrayé n'avait sans doute pas été dite avec toute l'assurance qu'il aurait voulue. Sa voix avait chevroté, son coeur battait la chamade...
Tous le regardèrent néanmoins partir comme s'il était un demi dieu... ou un fou?
A une centaine de mètres du village l'attendait la banshee.
-Viiieeennns... ssssssuis moi, mooortel, siffla l'angoissante créature; elle regardait Arnaès d'un air meurtrier, comme si elle n'avait qu'une envie: le déchiqueter.
... mais bien sûr elle ne le fit pas, se bornant à le guider comme on le lui avait ordonné, jusqu'à une crique voisine...
Là bas: quel spectacle!
Près d'un trois mâts échoué et couvert de végétation se tenaient trente squelettes, certains couverts de vases, tous armés, mais diversement, de sabres, d'épées, de haches, de boucliers...
Mais Arnaès n'eut guère le loisir de les observer longuement, d'autant qu'il faisait encore très sombre, car la banshee l'enjoint à la suivre immédiatement dans l'épave: Et au vu de son air assassin, il valait mieux ne pas la contrarier...
Le galion - de la taille du Nautile, donc - était en bien mauvais état: un des trois mâts était brisé, sa coque était percée en plusieurs endroits, le ponton était crevassé, ses voiles moisies et déchiquetées...
Comme si elle lisait dans les pensées du pirate, la banshee dit:
-Il naviiiguerra, ouiii... ça iraaa...
Dans ce qui restait de la cabine de commandement, elle lui montra un tambour de guerre flambant neuf, enluminé d'or... Il y avait des cartes de bonnes qualités aussi, et un calendrier annoté d'une écriture élégante.
-Tuuu sssais le reeeste, moortel... Jeee te suuurveille, trahiiis eeeet... Elle ouvrit sa bouche et sortit une langue putréfiée:
Je te maaaange viiif!
Puis, intangible, elle passa au travers du plancher, laissant Arnaès seul à son ouvrage.
Test de peur (INT): 10, raté
Il fallut sans doute un bon moment à notre héros pour se remettre de son effroi: cette chose le terrifiait, quoiqu'il fit pour essayer de se dominer...
Et les espèces de chuchotements diffus, de raclements de gorge inuhumains, qu'il ouït ensuite ne firent rien pour l'y aider: c'était comme si des choses invisibles essayaient de lui parler sans qu'il ne puisse comprendre, des choses malsaines. Les craquements du navire, le vent dans les cordages, lui paraissaient comme une sorte de respiration surgie des enfers...
Dans quelle sombre folie Arnaès s'était-il donc embarqué?
Un battement de tambour et des ordres plus tard, les squelettes se mettaient à l'ouvrage sur le navire en ruine... ils tendirent les voiles troués, se mirent à la barre, une eau putride sourça comme par enchantement du sol sous la coque et le galion, craquant et hurlant tel des gémissements de damnés, se retrouva bientôt en mer... Et il tenait bon, voguait normalement, c'était aberrant au vu de son état, mais c'était bel et bien le cas...
Des cartes et des notes, Arnaès put tirer les informations suivantes:
-Le navire Bilbali était un Gros porteur de Guerre Estalien (5 mâts, rapide au long cours, maniabilité moy, très solide, bonne tenue, 1000 hommes maxi / 60 mini), nommé "Reine des Mers"
-400 hommes y avaient embarqués, ainsi que des tonnes de marchandises pour l'Araby (dont la liste ne figurait pas sur les notes d'Arnaès): il avait 2 canons lourds, 2 légers, 4 balistes.
-Sa route maritime était censé le mener dans maintenant une semaine à la pointe ouest de l'Estalie, jusqu'à Gavras, un comptoir franc d'un petit royaume du même nom... pour ré-approvisionnement, puis il partirait pour sa traversée de la mer du sud vers l'Araby.
Depuis les îles mauves, il serait possible de l'atteindre avant Gavras, si le vent aidait... mais peut-être qu'un autre plan d'action serait plus approprié?
Petit matin. Temps couvert:
L'Epaulard attendait sur les eaux de la petite baie du village mauve, Marquez à la proue, ainsi que le puissant Nautile qui le dominait de toute sa hauteur, le jeune Marano, un bras de chemise flottant dans le vent, au poste de capitaine... Certains postes majeurs avaient changés: Vitor se trouvait avec Marano et non plus avec Mort, ayant visiblement troqué sa place avec le Crochet... Ce dernier, rappelons le, était du complot avec Marquez pour la prise du Nautile à Tecora.
Cet échange avait du être fait pour des raisons d'affinités... A voir si le capitaine de la flotte apprécierait et le permettrait...
... Car qui irait maintenant discuter une de ses décisions?
Apparaissant à bord de son inquiétant galion, aux voiles décharnés et peuplé de morts, pourvu de deux canons, dont un bon gros, nul doute qu'il amena effroi et ébahissement à tous les gens présents...