Je ne répondis pas, laissant le silence s’installer entre nous. Je n’avais pas été surprise lorsque l’homme s’était déshabillé pour me rejoindre dans le bassin, je m’y étais même attendue et pour dire vrai, cela ne me déplaisait pas. J’ignorais tout des vertus de la chevalerie, en revanche, j’étais bien au fait de mes charmes et de leurs vertus à eux et j’avais depuis longtemps compris le désir que je suscitais chez le chevalier. Pourtant, dire qu’il était beau ou séduisant aurait été un mensonge, mais il émanait de lui un charme indéniable et il dégageait une virilité puissante qui me plaisait.
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« Mais en réalité, vous nous avez tout autant secouru que l'inverse. Vous auriez vu la surprise sur le visage de mes compagnons. »
Il se tenait face à moi, ses bras reposant sur le rebord du bassin et le corps immergé jusqu’à la poitrine.
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« Pour être honnête.. Je ne garde qu'un souvenir diffus de la bataille » soufflais-je tandis que son regard se perdait dans la contemplation de l’eau quelques instants.
« Je pense que nous avons simplement eu la chance de nous rencontrer au bon moment. »
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« La vie n'est qu'une succession de rencontres, chanceuses ou malencontreuses. Jusqu'à la dernière rencontre. Avec Morr le Père. » Il rigola
« Je m'en excuse, humour de soldat. »
Il s’avança dans ma direction, lentement, le souffle court, ne faisant presque aucun bruit dans l’eau. Malgré la pénombre, je voyais briller dans son regard une lueur d’une excitation qu’il peinait à contenir. Comme il arrivait proche de moi, je tendis ma jambe hors de l’eau dans sa direction et je posais mon pied contre sa poitrine, l’immobilisant.
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« Morr peut bien attendre un peu » répondis-je avec un sourire en coin, avant d’enchaîner
« et est-ce que l’homme qui partage mon bain accepterait de me parler un peu de lui ? »
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« Si la femme qui partage le mien accepte aussi de faire de même. » Il inclina la tête sur le côté.
« Que désirez-vous savoir ? Je me nomme Fabio Oliveira de Guadalquera. Je suis né et ai fait mes armes en Estalie. »
Sans me départir de mon sourire, je fixais mon regard dans le sien et, avant de répondre à sa question, je laissais mon pied nu glisser contre sa peau, descendant de son torse jusqu’à son ventre, avant de disparaître à nouveau sous l’eau, entre ses jambes. Mon sourire s’élargit davantage au contact de son membre, dressé comme un soldat au garde-à-vous que je taquinais quelques secondes avant de répondre.
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« il me semble pourtant que c’est vous qui m’y avait rejoint… mais soit, je m’appelle Maria Guerra, j’ai grandi dans un petit village proche de Remas, puis ensuite, je me suis un peu… perdue. Comment un soldat d’Estalie se retrouve à servir un duc étranger sur une terre étrangère ? »
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« Une succession de rencontres, bonnes ou mauvaises. »
Il avait glissé l’une de ses mains sous l’eau, attrapant mon mollet pour remonter un peu ma jambe à la surface et la caressait délicatement, continuant d’essayer d’avancer vers moi. Souriant toujours, j'inclinais la tête de côté tandis que la pression qu’il exerçait augmentait lentement, m’obligeant à contracter ma cuisse.
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« Et le duc dans tout ça ? Vous m’aviez promis d’en dire plus à son sujet. »
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« Le Duc. J'étais déjà dans les Principautés quand je l'ai rencontré. Il vient de Bretonnie. Il a bu le Graal. Et depuis, il veut corriger les maux de ce bas-monde. Et il a décidé de commencer ici, il y a à faire comme vous l'avez vu. »
D’un revers de la main, il écarta mon pied de son chemin, sans que je ne cherche à lui résister et s’avança. S’installant entre mes jambes écartées, il me plaqua contre la paroi de pierre, son visage s’approchant à quelques centimètres du mien. Maintenant collés l’un à l’autre, je sentais pleinement la tension et le désir qui l’habitait, et je décidais de m’en amuser encore un peu.
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« Le Graal ou autre chose... » dis-je en haussant les épaules.
« L'influence du Duc semble importante. S'étend-elle jusqu'à Myrmidens ? »
Il frémit tandis que je caressais son torse, du bout des doigts et ses mains se glissèrent sous l’eau pour arriver sous mes fesses. Sans un mot, il me souleva légèrement alors que je l’entourais de mes jambes et il fit quelques pas en arrière, m’emmenant avec lui.
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« Pas exactement. Leurs rapports sont... Peu cordiaux. Myrmidens n'aime pas les rivaux. Et nous en devenons un de jour en jour. »
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« Dommage... c'est là-bas que nous nous rendons mon frère et moi. »
Nous dérivions lentement dans le bassin, collés l’un à l’autre, comme une seule entité. J’avais passé mes bras autour de son cou et me pressais contre lui, les petits clous de fer dorés perçant mes seins frottant doucement contre les poils de son torse viril. Ses mains caressaient le bas de mon dos et mes fesses et nos visages étaient si proches maintenant que je sentais l’air qu’il expirait par le nez, alors que sa respiration devenait de plus en plus saccadée.
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« Beaucoup de gens s'y rendent. C'est une grande ville. Selon les perspectives locales. Tout semble plus grand ici. »
Il sembla penser que cette phrase pourrait conclure la discussion et avança ses lèvres pour embrasser les miennes. Me tenant toujours à lui par mes jambes serrées autour de sa taille, je me rejetais en arrière, esquivant de peu son baisé et me laissais flotter sur le dos, me maintenant à la surface en battant légèrement des bras tandis qu’il me soutenait, passant ses mains sous mes reins.
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« Je vois, et toi ? Cela fait un moment que tu es dans la région, tu dois bien connaître la cité non ? »
Il ne réagit pas à ma dérobade, mais je le sentais prêt à céder, ne répondant à mes questions que pour accélérer le moment où je m’offrirais à lui. Cela m'amusait, j’avais, durant ma jeunesse, assister à des scènes ou certaines de mes sœurs plus âgées parvenaient à rendre fou d’envie pour elles, des hommes qu’elles avaient attaquées, blessées et capturées et qu’elles condamnaient à la mort et j’avais appris à ces occasions la meilleure façon de torturer ces qharis, en se jouant de leurs désirs.
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« J'y suis passé quelques fois. Mais j'aime l'appel des grands espaces. La ville est presque aussi grande que les petites cités de Tilée. Il y a une haute et une basse ville. Toute la péninsule est à eux. Ils l'ont bardé de fortins, de petits bourgs. Et de gardes pour faire payer l'octroi. »
Il me soutenait toujours d’un bras, mais son autre main caressait mon ventre, descendant à chaque aller-retour de plus en plus bas, finissant même par arriver jusqu’à mon entre-jambe. Bien que ce soit moi qui menais le jeu depuis le début, je dus néanmoins me faire violence pour résister à l’envie de mettre moi aussi fin à cette conversation pour me jeter sur lui. Entre mes seins, le petit médaillon offert par Fabrice avant mon départ flottait au gré des vaguelettes que nous provoquions, mais je décidais de ne pas y prêter attention.
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« Huuuuuumm... Je devais rejoindre un homme à Matorca, mais la ville a été attaquée par des pillards avant que je ne le rencontre. On m'a dit de demander après des hommes du nom de Felipe, Dubreuil, Gonzalo, Schloesing, quelque chose comme ça, et de les chercher à Myrmidens. Mais la route est semée d'embûches, la survie est compliquée sur ces terres. »
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« Vous en avez des amis... Ou des ennemis. »
Je devais reconnaître que l’homme était plein de maîtrise, mais obnubilé par son excitation, il commençait à s’impatienter et ses réponses étaient de plus en plus courtes. Ce qui m’arracha un petit rire qu’il interpréta comme une réaction à sa dernière réponse plutôt que comme une moquerie concernant son empressement.
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« Pas autant que vous apparemment. J’ai vu que le fort était en travaux. Le duc et ses partisans préparent une vraie place forte pour s’y retrancher » dis-je dans un souffle.
Je me redressais, contractant mes abdominaux sous sa main caressant mon ventre et repris ma position contre sa poitrine, un bras autour de son cou, l’autre posé sur son torse et je laissais le bout de ma langue remonter le long de son cou. Un frisson le parcourut au contact de ma bouche sur sa peau et il resserra sa prise sur mes cuisses.
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« Un souverain se doit d'avoir une demeure à son image. Ne vous méprenez pas. Ferdinand est un homme bon. Peut-être même trop bon pour ces contrées. Nous, on survit. On s'adapte. Malgré les marques que le temps nous laisse. »
Ses mains agrippaient si fort mes hanches que s’en était presque douloureux et je sentais son entrejambe dressé frottait contre le bas de mon ventre.
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« J'ai rencontré une femme qui venait d'un petit port du nom de Detburg, quelque chose comme ça » dis-je tout en effleurant du bout de mes doigts une cicatrice sur le torse du soldat
« et je ne crois pas que "bon" soit le mot qu'elle est utilisé pour décrire ton Duc. Mais si tous les gens d'ici pense comme toi, alors j'imagine qu'elle parlait à tort ».
Il me plaqua avec rudesse contre le rebord du bassin, mon dos claquant contre la pierre et dans un souffle rauque, parla comme réfléchissant à haute-voix.
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« Detburg... Dietelburg ! Une sordide affaire. Le seigneur Dotlaff. Le Duc lui avait proposé de le rejoindre. Après tout, un Duc à des vassaux. Il avait fait écorcher l'envoyé. On y est allé à quatre douzaines. On a fait comprendre que sa sauvagerie devenait intolérable. Il y a même eu un procès et ... »
Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, je posais mes lèvres contre les siennes. Il réagit directement, sa main attrapant l’arrière de mon cou tandis que l’autre se posait à côté de mon épaule, agrippant le rebord du bassin pour nous stabiliser.
Je sentis le moment où il s’abandonna, se collant toujours plus à moi. Il m’embrassa fougueusement, animé par une sorte de désir dévorant, ses doigts se prenant dans mes cheveux. Nos dents, nos lèvres, nos langues se touchant et s’emmêlant.
Alors que notre baiser durait, comme si aucun de nous deux ne voulait détacher sa bouche de celle de l’autre, je descendis ma main entre ses jambes. Il se raidit de plaisir lorsque je saisis son membre entre mes doigts pour commencer à lui faire du bien. J’agissais lentement, avec douceur, car si nous étions à l’abri des regards, l’intimité des bains n’était pas totale et l’on pouvait nous entendre.
Enfin, au bout de longues minutes, un tremblement violent le traversa des pieds à la tête, et avec un soupire de plaisir, il décolla sa bouche de la mienne et plongea son visage entre mon cou et mon épaule. Après quelques instants, sans rien ajouter, je me détachais de lui, le libérant de l’emprise de mes jambes et me dirigeais vers les marches permettant de quitter le bain. Je pris mon temps pour sortir de l’eau, sentant son regard braqué mon dos tandis que je longeais le bassin, puis j’attrapais une serviette posée sur le rebord et, tout en me séchant, je lui dis, un sourire salace au coin des lèvres :
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« Considère cela comme un remerciement pour aujourd’hui. Et peut-être ce soir pourras-tu me montrer l’étendue de ta vigueur ». Sans attendre de réponse de sa part, je sortis de la pièce, le laissant planté là, hébété, mais heureux, un sourire un peu idiot sur le visage.
Une fois sortie des bains, on me conduisit à travers un dédale de couloirs et d’escaliers jusqu’à la chambre qui m’avait été attribuée. Je n’aimais pas marcher dans ces sombres corridors de pierre ou la lumière ne perçait que par de petits interstices dans les murs, je me sentais oppressée et j’avais de plus toujours la peur que l’immense édifice ne s’effondre sur lui-même. Ces immenses constructions étaient certainement l’une des choses qui m’avait le plus marqué à mon arrivée dans le vieux monde. Si les géants de bois utilisés par les qharis pour envahir nos jungles représentaient déjà une curiosité fascinante pour mon peuple, cela n’était rien comparé aux jungles de pierre des villes et aux immenses châteaux, dont je ne parvenais toujours pas à comprendre par quel miracle ils ne finissaient pas par s’écrouler sous leur poids. Une fois, un marin m’avait expliqué que cela consistait à un assemblage savant de contreforts, de poutres et à un calcul précis de la répartition des masses, mais malgré tout cela, je préférais largement me trouver hors des entrailles de ces immenses bâtisses.
Complètement perdue et désorientée, je m’en remettais totalement au jeune page chargé de me guider jusqu’à mes quartiers. Après un long moment, nous finîmes par arriver devant une porte à laquelle il toqua avant d’en pousser le battant et de s’écarter pour me laisser entrer. Il referma la porte derrière moi et je soupirais, contente de me trouver enfin un peu seule.
« Hé bien vous vous êtes perdue en route ? » Je sursautais et me tournais dans la direction d’un provenait la voix. Une vieille femme à l’air sévère se tenait dans le coin de la pièce, un coffre de vêtements posé à ses pieds dont certains étaient déjà étendus sur le dossier d’un fauteuil. Je voulus parler et m'apprêtais à lui demander sans ménagements de sortir de ma chambre mais elle me prit de cours.
« Le banquet démarre dans une heure alors il n’y a plus de temps à perdre. Approchez-vous de la fenêtre que je vous examine un peu, je .. oh.. qu’est-ce que.. » elle marqua un temps d’arrêt quand son regard se posa sur la cicatrice barrant mon œil. Puis, elle se reprit et m’attrapa par le bras pour m’installer à côté du fauteuil où elle avait déjà entrepris de préparer des tenues. « Déshabillez-vous » continua-t-elle tout en fouillant dans un sac pour en sortir un lourd peigne en os.
« Mon dieu cette tignasse, je vous préviens, je viendrais à bout de tous les nœuds, et ne vous avisez pas de vous plaindre. »
Étonnement, j’étais tellement surprise par le caractère implacable de cette drôle de veille femme que je me surpris à lui obéir sans protester. Détachant le nœud de la chemise que j’avais enfilée à la sortie des bains, je la laissais tomber à mes pieds et me camper à l’endroit désigné. Elle haussa un sourcil et eut un hochement de tête réprobateur à la vue de mon bras tatoué et de mes autres cicatrices révélées par ma nudité, mais eut le bon sens de ne rien ajouter.
Tournant autour de moi, elle marmonna pour elle-même
« évidemment, si personne ne me prévient que la fille qu’on me demande de préparer est plus musclée que les deux tiers de la garnison, c’est plus marrant. » et tandis que je me tournais pour la suivre des yeux elle claqua des doigts, m’intimant l’ordre de ne pas bouger.
Alors que j’avais toujours fait de ma nudité une force, sachant que rares étaient les hommes qui y restaient insensibles, je me sentais bizarrement fort mal à l’aise face à cette vieille femme qui me scrutait sous toutes les coutures d’un air sévère. Enfin, après un court moment de réflexion, elle finit par dire
« La verte fera sans doute l’affaire. »
S’ensuivit une longue fouille dans les fins fonds du lourd coffre de bois qu’elle avait fait monter avec elle, jusqu’à ce qu’elle finisse par en extirper une longue robe au tissu fin et délicat, d’un vert sombre et profond. S’approchant de moi, elle la tendit à bout de bras au niveau de mon épaule, et son œil expert fit des allers-retours vif entre la robe et moi. Ce n’est qu’à ce moment-là que je réalisais réellement ce qu’elle était en train de faire et tandis qu’elle continuait de marmonner, je lui dis :
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« Il est hors de question que je mette une de ces robes. »
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« Vous préférez y aller nue ? » dit-elle sans même me regarder
« bon alors cessez de dire des bêtises et laissez-moi réfléchir. »
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« Mes vêtements habituels feront très bien l’affaire. »
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« Je les ai envoyés chez les blanchisseuses pour qu’ils y soient lavés et reprisés, je pense qu’ils en avaient bien besoin. »
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« Mais je… »
Elle claqua de la langue.
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« Jeune fille, j’habille la famille d’Ambrandt depuis des années et il est hors de question que je vous laisse débarquer en guenille à un banquet organisé par le Duc. Maintenant, taisez-vous et enfilez ça ».
Me résignant, j’attrapais le vêtement qu’elle me tendait et entrepris de l’enfiler avec son aide. Après avoir bataillé un moment, nous finîmes par venir à bout de la robe et je pus me diriger vers un miroir pour m’observer tandis que la vieille femme disait
« Finalement, ce n’est pas mal du tout. Je ne ferai pas mieux de toute façon. »
J’étouffais un hoquet de surprise devant l’image que me renvoyait la glace. La robe était en satin vert, ses manches longues étaient parcourues de fils d’argents remontant jusqu’aux épaules. Elles me serraient les bras, mais d’après la servante, cela était simplement dû au fait que je ne répondais pas au standard physique des jeunes filles de Bretonnie. Au niveau de la poitrine, le tissu était en velours, d’un vert plus foncé et les bretelles de fer qui y étaient dissimulées soulevaient mes seins, mettant ma poitrine pourtant plutôt modeste en avant. La robe laissait mon dos entièrement nu, tenant derrière ma nuque par une petite chaîne d’or et elle s’évasait à la taille, tombant en larges plis épais autour de mes jambes, ne me permettant même plus de voir mes pieds. Je devais reconnaître que l’habit était magnifique, pourtant, je me sentais déguisée et empotée ainsi engoncée dans toute cette masse de tissus.
Fouillant encore dans son coffre, la vieille femme en sortit une paire de sandales de cuir toute simple qu’elle me tendit, en me faisant signe de venir m’asseoir devant elle dans le confortable fauteuil. Alors qu’elle s’occupait de coiffer mes cheveux, je ne pouvais m’empêcher de manipuler le corset de ma robe, essayant de trouver une position plus agréable. En effet, je me sentais à l’étroit dans le précieux vêtement, mais j’avais beau le tirer dans tous les sens, rien n’y faisait.
« Arrêtez, vous allez finir par l’abîmer enfin » pesta la gouvernante exaspérée. Elle s’écarta quelques instants, prenant du recul pour contempler le résultat de son travail, ce qui me permit de me regarder à nouveau dans le miroir. Elle avait proprement démêlé la masse de mes cheveux et avait fait deux petites tresses qui entouraient ma tête. Je n’avais pas le souvenir d’avoir déjà vu mes mèches rebelles aussi bien domptées et cela me tira un sourire.
Après encore quelques préparatifs qui me parurent interminables, et une dernière dispute concernant le petit bracelet de cuir que je portais toujours à la cheville et que je refusais d'enlever, de même que la petite chaîne en argent reliant le lobe de mon oreille à l'hélix, elle sembla me juger digne de me présenter au banquet. Moqueuse, je lui dis :
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« Heureusement que toutes les femmes ne mettent pas autant de temps à se préparer. »
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« Je ne vous contredirais pas la dessus » admit-elle et j’eus la surprise de la voir sourire pour la première fois.
Elle m’avait retiré les bagues que je portais habituellement aux mains et qui étaient selon ses termes “grossières et pas du tout adaptées à la situation” et m’avait asperger d’une brume de corps dégageant une puissante odeur de jasmin et d’orange puis avait déclarée tout en rangeant ses affaires :
« Lorsque la cloche de la chapelle sonnera, tâchez d’être devant les portes de la grande salle. Une dernière chose également, tâchez de vous tenir convenablement, dans le doute, attendez et faites comme les autres » avant de s’en aller sans un regard en arrière.
L’infirmerie se trouvait hors du château, dans un bâtiment attenant à la petite chapelle située dans la cour. Avec avoir suivi le jeune page qui était mis à ma disposition dans le labyrinthe de couloirs, descendu plusieurs escaliers, traversé quelques grandes salles grouillantes d’activité, je me retrouvais enfin à l’air libre sur la place étroite entre le château et ses remparts. Je traversais la cour avec précaution, tâchant de ne pas salir ma tenue, non par réelle considération pour le vêtement, mais pour m’éviter de terribles représailles de la part de la gouvernante et arrivais enfin dans le petit cloître longeant la chapelle. Une femme vêtue d’une longue robe blanche et portant un châle gris me guida ensuite jusqu’à une large pièce ou plusieurs lits étaient alignés de chaque côté d’un couloir central.
L’infirmerie était bien remplie, la plupart de ses occupants étant des membres de l’expédition à laquelle nous nous étions joint par la force des choses Kidd et moi. Le gros de l’activité devait être passé car lorsque je m’avançais dans la pièce, un calme certain y régnait. Ca et là, des femmes portant la même tenue que celle qui me guidait s’affairaient encore auprès des patients et on entendait quelques gémissements ou plaintes, mais la plupart des hommes étaient déjà occupés à récupérer.
Les lieux étaient propres et bien organisés, et j’eus l’espace d’une seconde la vision de Hertzog, le maître-chirurgien de l’Aslevial s'affairant dans son infirmerie couverte de sang et de crasse après une bataille en mer, et un frisson me parcourut l’échine. Kidd était installé dans un lit sommaire, mais à l’allure confortable tout au fond de la pièce. Sur le dos, un oreiller lui calant la tête, il avait les paupières closes et semblait respirer paisiblement, profitant d’un repos bien mérité. Je m’approchais de lui en silence et lui saisit la main qui dépassait de sous la couverture de laine posée sur lui. Je regardais un instant son visage tuméfié, me maudissant de l’avoir entraîné dans cette aventure. Il faisait peine à voir et je me demandais même avec inquiétude s’il pourrait reprendre la route rapidement. Un instant fugace, l’idée de le laisser derrière moi, à l’abri des remparts du château m’effleura l’esprit et je me promis de reconsidérer la question plus tard.
Comme il dormait, je décidais de le laisser tranquille. D’une main, je soulevais la mèche de cheveux barrant son front pour y déposer un baisé. Alors que je me redressais, il ouvrit difficilement les yeux, comme peinant à s’extraire de sa torpeur et finit par me sourire. Gênée d’avoir été surprise en plein geste de tendresse, chose qui ne me ressemblait pas, je lâchais précipitamment sa main.
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« Nola… c’est bien toi ? » dit-il perplexe en regardant ma tenue de haut en bas.
-
« Maria » répondis-je en murmurant
« je ne voulais pas te réveiller. »
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« J’ai cru un instant que c’était une vision céleste » dit-il avec un sourire mi-farceur, mi-sincère.
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« T’es pas si mal en point si t’arrives encore à dire des conneries » m’exclamais-je en lui mettant une petite tape affectueuse sur le haut de la tête.
« Je vais te laisser te reposer, je reviens te voir demain matin. »
Je le serrais dans mes bras en douceur, mais alors que je m'apprêtais à me retourner, il dit :
-
« No.. euh, Maria, le chevalier.. Fabio »
-
« Oui ? »
-
« Je .. rien .. je pense que tu lui plais, c’est tout. »
-
« Ah.. Possible, tout a été si vite depuis cette après-midi .. »
Lorsque je sortis de l’infirmerie, la cloche de la chapelle sonna, annonçant l’heure du début d’un banquet que je redoutais. J’aurais donné n’importe quoi pour pouvoir me contenter d’aller me reposer dans un lit confortable, plutôt que de jouer les courtisanes dans une tenue qui me paraissait toujours ridicule, mais je n’avais guère le choix. Pressant le pas, je me hâtais vers la grande porte ouverte d’où filtrait la lumière d’un grand feu, espérant que pour une fois, tout se passerait bien. Alors que je traversais de nouveau la cour, je croisais quelques groupes de gardes dont les couleurs attirèrent mon attention. Ils ne portaient pas l’emblème du Duc d’Ambrandt et ne semblaient pas être en poste, mais simplement attendre que l’on fasse appel à eux. On attendait visiblement d’autres invités de marque pour la soirée et cela acheva de me troubler.
