Lothern. Cité portuaire d’Eataine, centre du monde elfique. Le bruit courait que le port de la ville comptait parmi les plus vastes que le monde ait jamais connu, toute époque confondue. En cette ère et heure, le voyageur distrait pouvait encore en saisir la splendeur, embrassant d’un simple regard la magnificence de ce paysage, au gré de ses vagabondages. Forte de son commerce florissant, la ville de Lothern s’était développée et étendue, au point que d’aucuns auraient pu dire dorénavant que la cité bordait la baie, plutôt que l’inverse. Sise à l’embouchure de la Mer Intérieure, point d’ouverture de l’anneau d’Ulthuan sur l’extérieur, ses trois monumentales portes gardaient le détroit contre toute incursion. Il était dit que nul ennemi des Asur n’avait jamais pris la troisième porte lors d’un assaut maritime. Semblables légendes étaient certainement évocatrices pour nombre de jeunes gens, et suscitaient régulièrement des vocations durables au sein de la Garde Maritime. Vision persistante d’une certaine grandeur du peuple elfe à travers les âges, Lothern s’imposait comme l’un de ces symboles dont la simple contemplation pouvait encore faire s’emballer le cœur d’un Asur, dès lors prêt à servir sa nation jusqu’au bout du monde s’il le fallait. |
Yrellion était-il de ces elfes déterminés à faire don de leur vie pour servir leur contrée ? Ou plutôt de ceux qui, lassés d’une existence d’apparence vaine et décadente, tentaient de s’offrir un nouveau départ sur les eaux extérieures d’Ulthuan ? Il était certain qu’il ne faisait pas partie de la dernière catégorie, celle des conscrits d’office, pour lesquels le service militaire constituait une contrainte réelle et non consentie. Lors de son passage à la caserne portuaire, centralité de la Garde Maritime dans cette partie de la cité, on l’avait assigné à un navire spécifique, qui devait appareiller dans la matinée. Encore s’agissait-il de trouver ledit bâtiment, dont notre héros ne connaissait que vaguement la localisation. Effleurant du regard le morceau de parchemin qu’il tenait entre ses doigts gourds, et qui devait lui servir de document d’affectation, le jeune elfe put se remémorer ce qu’on lui avait dit de ce navire.
Le Fierté d’Aislin était un navire de modeste gabarit, remplissant indifféremment des fonctions de patrouilleur ou d’escorteur de bâtiment plus imposant. Baptisé en l’honneur du Premier Maître des Mers, actuellement à la tête de la Garde Maritime de Lothern ainsi que des forces navales d’Ulthuan en temps de guerre, le navire avait fière allure pour un bâtiment de cette taille, et constituait un véritable condensé de savoir-faire elfique. Son gréement classique à deux mâts, l’un central -le grand mât, arborant ostensiblement le symbole d’un phénix stylisé- et un plus petit mât d’artimon, situé légèrement en deçà du premier, pouvant supporter une autre voile de moindres dimensions. |
Le navire était en cours de chargement ; l’ingénierie elfique permettait en effet de tirer le meilleur parti du faible gabarit de ces navires, optimisant leurs capacités de fret. A son bord, plusieurs elfes étaient visibles, affairés, certains portant la livrée blanc et bleu de la Garde Maritime, d’autres non. Sur le quai, un elfe portant une cape à l’ostensible blancheur finissait d’accueillir un autre nouveau-venu. Ayant examiné un parchemin similaire à celui qui avait été remis à Yrellion, l’officier fit un geste en direction du navire, autorisant l’engagé à monter à bord. Comme son regard se tournait ensuite naturellement vers Yrellion, notre héros put détailler davantage l’elfe qui lui faisait face.
Celui-ci portait de façon relativement ostentatoire deux pièces d’armure rutilante, sous la forme d’une épaulière ornementée du côté droit, et d’un heaume ailé ouvragé. Chacune de ces deux pièces semblait trop décorée pour constituer un équipement standard, il était donc probable que ces pièces d’armure d’ithilmar constituent un héritage familial, de même que l’épée que l’elfe arborait à la taille. Par ailleurs vêtu d’une tunique d’un bleu plus riche que l’azur habituel des soldats de la Garde Maritime, l’individu semblait outrancièrement désireux d’affirmer son statut de fils de la petite noblesse. Lorsqu’il parla, s’adressant à Yrellion, son ton était soigneusement condescendant, ce qui n’empêcha pas notre héros de relever l’aspect juvénile des traits de son interlocuteur. En dépit des apparences que l’officier souhaitait donner, Yrellion eut l’intuitive conviction que son vis-à-vis n’avait probablement même pas son âge, et en éprouvait une sorte de complexe.
« Salutations, soldat. Je suis Felynn, capitaine du Fierté d’Aislin. Avez-vous une lettre d’affectation ? » |