Ella reprit donc :
« Deukire’Treln. Eksi’ni nuh ak’herlen-
– Ella Grimsdóttir ! », cria la démonette en croisant ses bras. « Ella Grimsdóttir, Ella Grimsdóttir, Ella Grimsdóttir ! Moi aussi je connais ton nom, soupirante ! Moi aussi je peux le répéter ! »
Deukire tortura ses lèvres. Les bomba. Comme pour imiter une moue. Comme si le démon souhaitait singer une expression faciale humaine, mais de manière si surjouée que ça paraissait peu naturel.
Ella, elle, se vêtit d’un beau sourire. Elle haussa ses épaules nues, comme seule réponse à la Démonette.
« Cesse donc de parler la Langue Noire, je te prie ; Tu la parles fort mal ! Et je pense que tu l’utilises pour que tes camarades auprès de toi ne puissent pas trop nous comprendre.
C’est… Fort impoli, Ella Grimsdóttir. »
Ella voûta son dos, dans une sorte de courte révérence. Et maintenant, elle parla d’un ton mielleux, hypocrite, et fort servile.
« Je t’assure que seule la courtoisie me guide, aimée du Prince… Et je n’oserais jamais te faire perdre ton temps, ou prétendre pouvoir te manipuler à ma guise…
– Ah oui ? C’est fort aimable de ta part — pourrais-tu me le prouver en effaçant une petite rune gravée du sol avec tes orteils ? Juste un tout petit bout de signe, ça me suffira.
– Aimée du Prince, tu sais que ce n’est jamais aussi facile que ça.
– Non, évidemment. Jamais. »
Alors qu’elle parlait, la démonette marchait dans sa cage, comme si l’immobilisme la mettait mal à l’aise. Elle n’arrêtait pas de faire le tour de l’octogramme, dans le sens horaire, puis inverse, en regardant le sel, les bougies, en élevant son bras pour sentir les limites du tracé qui pulsait de dhar. On aurait dit qu’elle cherchait une faille, une brèche dans laquelle s’engouffrer dans l’espoir de s’échapper.
Ella fit mine de ne pas remarquer, et continua les pourparlers :
« Aimée du Prince, je n’ai que peu de moyens, mais avant de t’appeler, malgré le peu de choses dont je dispose, j’ai bien pris soin de t’offrir un sacrifice, sans rien te demander en échange. Et je me suis faite belle pour toi — ne suis-je pas désirable à tes yeux ? Ne sais-tu pas que j’ai déjà achevés de nombreux pactes avec tes sœurs ? »
Deukire’Treln hocha la tête dans tous les sens. La démonette pencha le visage de côté. Observa une Ella nue et peinte, qui élevait ses bras pour bien montrer son corps.
« Hm-hm. En effet… Tu as témoigné d’un certain… Respect. Et il est vrai que ta silhouette est très agréable à contempler. C’est pour cela que je ne te châtierai pas en tentant de te tuer et t’emporter chez moi tout de suite…
…Mais je ne te promets pas d’accomplir quoi que ce soit pour toi. Pas tout de suite.
– Évidemment. Mais tu nous écouteras ?
– Je t’écouterai. »
La démonette s’assit en tailleur sur le sol. Et puis, elle s’avachit sur le dos, en croisant ses jambes, en relevant son torse, comme si elle prenait la pose pour un peintre.
« Je t’ai invoqué dans ce cercle afin de t’offrir un grand spectacle, pour toi et pour ta troupe ; Un service qui débutera et s’achèvera durant une soirée seulement, au cours de laquelle tu pourras danser et ravir de nombreuses personnes d’un village Norse…
– Oh, Ella, Ella, Ella… Tu sais que je ne dis jamais non à un beau massacre bien abrupt et soudain ; mais ce n’est pas une faveur que tu me fais là. Tu souhaites me voir danser car cela te sert. Donc, tu y as un intérêt.
Il va falloir m’offrir quelque chose, pour m’intéresser moi. »
La démonette se roula sur le ventre. Croisa ses pinces et posa son menton entre elles. Ses grosses pattes animales s’agitaient dans l’air derrière elle. Et elle dévora du regard la völva.
« J’ai besoin de ton assistance car à mes côtés se tient mon neveu par la mère ; je dois l’amener au Monolithe où toi et moi nous sommes déjà rencontrées. Mais il me faut des hommes, et du matériel pour aller jusque là-bas…
Le village de Maskaur s’est refusé à m’offrir l’aide que j’ai réclamée pour solder une dette. Ils me serviront donc d’exemples et je les tondrai. Avec ton aide.
– Et à toi les jeunes hommes vigoureux, la myrrhe, et le miel. Et moi, j’ai le droit à quoi dans tout ça ?
– Une nuit de folie.
– Chaque instant qui passe dans l’éternité absolue des Royaumes du Chaos est une nuit de folie — si la nuit existait dans le Sérail. Tu sais que ce n’est pas suffisant pour m’exciter, quand bien même tu t’es grimée pour le plaisir de mes yeux. »
Tove fit un pas en avant, pour se rapprocher d’Ella. Elle aussi fit une petite révérence.
« Je te présente mes hommages, Aimée du Prince… Je pense que nous pouvons t’offrir beaucoup en échange d’une simple nuit… Je peux te gager de jolies âmes, dès ce soir, pour te ravir — et plus tard, lorsque nous serons retournés au Monolithe, nous en sacrifierons beaucoup plus. Il n’y a qu’à trouver un chiffre qui te convient. »
Deukire’Treln éclata de rire. Elle se redressa tout droit, alors qu’elle détaillait la mutante.
« Toi ?! Me gager quoi que ce soit ?!
Je connais ton nom également ! Toi, tu as essayé de faire un pacte avec un Prince Démon ! Regarde tout ce qu’il t’a offert en représailles de l’avoir dérangé ! Il est vrai que c’est très amusant, de te voir te démener avec cet amas de chair, mais si tu continues à me parler, prend garde à ce que je n’abrège pas ton existence en te transformant en Enfant du Chaos ! »
Tove devint toute blanche. Elle fit un pas en arrière et n’osa plus rien dire.
Alors, la Démonette s’intéressa à Rovk. Elle se rapprocha tout, tout au bord de l’octogramme, et se pencha sur ses genoux pour mettre sa tête a peu près à sa hauteur.
« Ella a dit que tu étais son neveu ?
C’est… C’est très intéressant. Neveu de sang, et pas adoptif, en plus de cela… Oui… Et tu as même été béni… Si intéressant… Le Chaos aime les avunculats… C’est une relation très privilégiée, et sous-estimée : les gens ne pensent qu’aux pères et aux mères, jamais aux tantes et aux oncles, et pourtant ils sont si importants dans les trames de l’Au-Delà…
Tu es tout silencieux. Ce n’est pas très courtois. Même sacrément insultant ! Mais je te pardonne — tu as de la chance, tu m’intéresses un peu.
Ne souhaites-tu pas t’approcher pour que nous discutions ? Ce n’est pas comme si je pouvais te mordre !
Pas tant que les runes tiennent en place, du moins… »
Elle posa ses deux genoux à terre, et tapota sur sa cuisse du bout d’une pince, comme pour faire signe à Rovk de venir s’asseoir dessus. C’était impossible, mais il pouvait au moins s’approcher d’elle, en restant bien derrière le tracé…
« Donc tout ça… Tout cet octogramme, cette cérémonie… C’est pour toi ? Ta tante t’aimes donc beaucoup !
Allons, allons, allons… N’es-tu pas heureux de me voir ? Ne suis-je pas magnifique ? Viens tout me dire, jeune homme. Quel est ton nom ? Quel âge as-tu ? Que fais-tu ici ? Que veux-tu ? Comment puis-je te guider ? Est-ce que tu sais faire quelque chose de tes mains ?
Allez, parle ! Je veux tout savoir ! Ne sais-tu pas tout ce que je peux faire pour toi ? Je suis sûr que la nuit tu jalouses ta tante… Tu dois la haïr, pas vrai ? Oh je sais que tout au fond de toi tu la hais… Tu voudrais lui ressembler ? Je peux te faire pousser des seins, et arrondir tes hanches, si c’est ce que tu veux. Je peux t’offrir une jolie dague, comme celle qu’elle porte ! J’ai plein de cadeaux à te donner, il suffit juste de me dire ce que ton petit cœur veut ! »