« Qu’est-ce que vous foutez ?! »
Mais les quelques secondes d’inattention furent tout ce que la Damoiselle désirait. La volupté noire s’envola à toute vitesse dans l’autre direction, directement vers le crâne. Le vieux morceau de calcium entre les mains d’Isarn sembla briller comme d’obsidienne, puis il y eut un flash, une sorte de contrecoup, et un cri — et alors, dans le ciel, la revenante tendit tous ses muscles, avant de disparaître dans une sorte d’implosion : toutes ses parodies de membres se soudèrent, s’enfoncèrent sur eux-mêmes, et après, il n’y eut plus rien.
On entendit un immense fracas métallique. Partout autour d’eux, les squelettes s’écrasaient à terre et disparaissaient dans un nuage de poussière. Et alors, les gendarmes, encore pleins d’adrénaline, regardaient hagards autour d’eux alors qu’il n’y avait plus aucun adversaire.
Les yeux d’Éloi se redirigeaient vers la tombe ouverte. Damoiselle Isarn était à genoux dedans, son front collé contre celui du crâne qu’elle maintenait fermement contre elle. Deux immenses larmes coulaient sur ses joues, et elle déposa un baiser sur la boîte osseuse qui continuait de briller d’une inquiétante lueur noire.
Juste à côté du prêtre, Beuves referma nonchalamment le cylindre, poussa assez violemment Éloi de côté, et se déplaça dans le mausolée comme s’il était chez lui : alors que tout le monde était encore sous le choc et sidéré sur place, le sire de Malicorne alla rechercher la sphère de plomb qu’il avait jetée pendant le combat, permettant au prêtre de voir une terrible vision de l’Enfer. Il la rangea dans une sorte de petit sachet en soie couvert de broderies, qu’il plaça à l’intérieur de son veston comme s’il s’agissait d’un simple outil comme un autre.
Sitôt qu’il eut fait ça, Isarn déposa délicatement le crâne au fond de la tombe. Se releva. Enjamba la sépulture. Et, regardant Beuves, elle se mit à serrer des dents…
« Ma dame… »
Et à sprinter dans sa direction, main ouverte, cordes vocales sifflant une prière qui déjà fit danser des lucioles vertes autour de ses phalanges.
« ISARN, NON ! »
Sous les pieds de Beuves, le sol en pierre s’éclata, et des sortes d’immenses branchages couvertes d’épines s’enroulèrent autour de ses chevilles, et de ses cuisses, pour l’empêcher de s’enfuir. Un instant, « Guillemot » parut absolument terrifié : il avait la bouche ouverte, et les yeux entièrement écarquillés. Mais cet instant se dissipa vite, alors qu’il tourna sa main, et dégaina un pistolet à poudre dont il tira le levier avec son pouce. Il ne fit pas l’insulte d’aller jusqu’à braquer la damoiselle, mais son bras était levé, et son arme prête à l’emploi.
Les gendarmes n’étaient pas restés bêtement là à ne rien faire ; sire Lanfranc, Guido, et frère Éloi s’étaient jetés en avant pour lui barrer la route aussi délicatement que possible. Mais la scène était parfaitement ridicule : trois bonhommes bien musclés essayant de retenir sans lui faire mal une petite dame hurlante et bougeant tous les sens telle une anguille, les paumes de mains devant elle, comme si elle voulait arracher la tête de monsieur Beuves à mains nues.
« Putain de DÉGÉNÉRÉ ! Je vais le tuer ! LAISSEZ-MOI LE TUER !
– Laissez-le, ma dame… Ma dame, il est avec nous ! »
Aénor, pourtant blessée, avait accouru au sauvetage de son supérieur. La Norse utilisa une dague effilée pour tirer sur les racines des branchages, et libérer les pattes de l’espion. Ainsi, les deux représentants du Secret du Roy purent commencer à s’éloigner, plus profondément dans les catacombes.
Mais Beuves ne put s’empêcher de crier un ordre à l’intention de son capitaine :
« Contrôlez vos hommes, Hardouin ! Ils nous empêchent de faire notre boulot ! »
La provocation fit accélérer les mouvements d’Isarn, et ils ne furent pas trop de trois pour la retenir. Mais enfin, elle se fatigua toute seule, et commença à fléchir des genoux, à terre. Et là, sans explications, elle se mit à pleurer, fort, en attrapant fermement ses cheveux par poignées pour tirer dessus.
« Ma dame, calmez-vous, tout va bien et-
– Lanfranc, dégagez putain ! Laissez-lui un moment ! »
C’est Neville qui cria. Il attrapa le jeune chevalier par un morceau de l’armure, et le poussa en désignant un autre endroit où aller.
« On a pas fini de sécuriser les lieux, tout le monde en formation, MAINTENANT ! »
Alors qu’Éloi obéissait, reprenant bien en main son bouclier, il lança un dernier coup d’œil à la damoiselle : elle écrasait sa tête contre le sol, recroquevillée sur place, en hurlant des larmes, ce qui, sur l’instant, la faisait ressembler à la banshee à qui elle avait donné le repos.
Elle avait complètement perdu ses propres moyens. L’expérience avait dû être particulièrement traumatisante pour elle.
Une dernière porte menait à un dernier couloir. Éloi s’arrêta avec le bouclier devant. Aénor passa avec un pied de biche, tandis que juste derrière, un Beuves silencieux se posta avec son pistolet à poudre — Hannes lui attrapa l’épaule derrière avec son arbalète. La Norse glissa son outil dans un interstice, puis cogna fort dessus, avant de tirer contre elle : la porte s’ouvrit net, bientôt aidée par un coup de pied de sa part.
Les hommes se jetèrent dedans, de façon exercée.
« Rien à droite !
– Rien à gauche !
– Clair ! »
Au fond, un passage remontait à la surface. Tout le monde devinait où ça allait amener…
« Guido, Hannes, Neville — suivez le chemin. On a trouvé le passage de sortie du Coësre…
Ramenez le reste de l’équipe ici, le tumulus est sécurisé. »
On approuva les ordres. Une intervention rondement menée — aucune perte. Pourtant, il n’y avait aucune liesse dans l’équipe. Outre les événements qui venaient de se jouer, ils avaient fait chou blanc. Aucune trace de leur cible.
L’endroit où ils avaient atterri ramenait des souvenirs à Éloi : c’était comment la planque qu’il avait pris d’assaut dans le marais de Castel-Brionne. On reconnaissait là un laboratoire, rempli de bocaux et de fioles d’objets que, maintenant, le prêtre ne comprenait que trop — des organes dans du formol, des boîtes de Petri où les minuscules agents de Nurgle se reproduisaient sous la conduite d’un mauvais mage-alchimiste, des lunettes grossissantes, des cages remplies de rongeurs qui servaient de cobayes — tous morts. Et puis, des dizaines de livres, des tableaux avec des formules, des prières en langue noire…
C’était ici que le Grand Coësre préparait ses épidémies. Reposant son bouclier contre le mur, Éloi put commencer son travail, avec la compagnie silencieuse de Beuves qui n’arrêtait pas de lui lancer des mauvais regards.
Alors que le prêtre débutait ses recherches, il ne trouva rien de particulièrement utile pour leurs investigations immédiates — non pas que liquider une planque de Nurglite n’était pas une grosse piste, mais leur urgence, localiser le Grand Coësre, n’était pas assouvie. En attendant que vienne ici le reste des investigateurs, le prêtre découvrit tout de même une chose qui attira son attention…
Sur un tableau vert, à la craie blanche, une sorte de croquis avait été dessiné. Il comprit vite que c’était une carte de la région, du duché de Parravon et de ses environs. Des traits étaient dessinés entre plusieurs villes : Castel-Parravon, Grunère, l’État-tampon de Frugelhofen…
Et il y avait un cercle, quelque chose d’entouré. Un morceau du croquis qui était en fait… Dans Athel Loren. En plein milieu de la forêt Elfe.