Mais au bout d’un moment, il trouva le courage de passer à l’action, et il alla tout au bout de la pièce, dans le second secrétaire, qu’il devina correctement être celui de la Révérende-Mère.
Il y avait beaucoup d’effets personnels qui lui appartenait ; de jolis encriers, des plumes, du papier-vélin, une boîte à bijoux remplie de gourmettes et de bagues. De quoi faire un merveilleux butin pour un larcin, mais Éloi n’était pas Halfelin. Il découvrit, plus étonnant peut-être, quelque chose qui lui aurait attiré de grands ennuis ; des lettres soigneusement cachées sous des enveloppes. Rien qui n’aidait à sa mission — c’était là des lettres d’amour, parfumées, certaines signées de rouge-à-lèvre et de Yolande. Il suffit de lire quelques lignes pour comprendre la lubricité certaine de ces mots.
Rangeant tout soigneusement, Éloi décida de fouiller ensuite dans les étagères, parcourues de livres, d’incunables et de compilations de chartes en tout genre. Ses mains fouillaient partout, cherchant on-ne-sait trop quoi ; Une trappe secrète ? Un levier révélant une pièce dérobée ? Le genre de ressort théâtral qui lui serait bien venu en aide. Hélas, ce n’était là qu’une immense perte de temps, alors qu’il ignorait quand l’assistante de Sébire reviendrait.
Il bondit vers le premier bureau, toujours à la recherche d’une aide. Il dérangea le chat, qui lui lança un mauvais regard, tandis qu’il se jetait dans une immense correspondance en tout genre — des serments de fieffés, des ordres envoyés à des hôpitaux, des bons de commande… Tous ces papiers avaient des écritures différentes, mais tous étaient signés du sceau de la colombe, signature personnelle de Sébire de Malicorne. Le culte de Shallya était immensément riche et influent, mais ce n’était pas un scoop.
En pleine recherche, il prit une pause, et creusa ses méninges.
Thierry Adelwijn planquait ses documents et son argent dans un globe terrestre. Peut-être que Sébire en faisait de même…
Il regarda autour de lui. Des broderies, une armoirie, une fresque. Il eut finalement la parfaite intuition : la grosse horloge, juste devant lui.
Il s’avança, l’ouvrit, et toucha partout, poussant le bois assez fin de l’objet. Il poussa une plaque en dessous du cadran, sentit que quelque chose n’était pas vissé, et…
…et patatra, tout s’effondra. Sursautant, Éloi vit le pendule s’écraser par terre, et sonner d’un « DOONG » caractéristique.
En bas, venait de s’effondrer un tout petit coffret métallique, verrouillé par une serrure. Le secouant, il crut entendre le bruit de papiers pliés à l’intérieur.
Avec une force insoupçonnée, Éloi parvint à soulever le pendule, à le refixer, et à glisser le coffret là où il l’avait vu chuter. Il remit la plaque, ferma l’horloge, vérifia avec anxiété que les aiguilles continuaient de tourner, puis en deux trois mouvements, il s’affala à nouveau sur sa chaise, et prit l’air le plus nonchalant possible.
Aléarde ouvrit la porte à peine une minute plus tard, avec une bouteille sous le bras.
« Pardonnez-moi, ça a pris plus de temps que prévu ! Pourriez-vous chercher les verres dans le coffret là-bas ? »
Alors qu’Éloi se leva pour aller rendre ce service, Aléarde s’attela à déboucher la bouteille.
Elle observa l’horloge en fronçant des sourcils.
« Huh ? »
L’oblat sua à grosses gouttes.
Puis la secrétaire haussa les épaules et s’en désintéressa complètement.
« Un petit clairet de Parravon ! Vous allez m’en dire des nouvelles ! »
Il fallut bien attendre deux heures en attendant l’office des vêpres. Deux heures à attendre sur le fauteuil, à caresser le chat, Aléarde étant trop occupée avec ses papiers pour être toute disposée à discuter continuellement avec l’oblat — elle avait tout de même eut la gentillesse de lui proposer des pâtes de fruits bien grasses et sucrées pour prévenir quelconque inanition, et d’ailleurs elle-même ne pouvait s’empêcher de grignoter pendant qu’elle bossait ; pour éviter le stress, selon ses propres dires.
Ce sont les cloches de l’abbaye qui prévinrent ces deux jeunes gens qu’il fallait aller prier. Aléarde s’assura que son voile était correctement placé grâce à un miroir de poche, Éloi se recouvrit d’une capuche et lia ses mains dans sa bure, et tous les deux purent sortir pour gagner le cloître.
Il y avait foule. Tout un tas de moniales, la grosse majorité en robes jaunes (Mais il y avait bien quelques blanches qui discutaient avec), venaient de sortir du scriptorium, de l’infirmerie et des jardins pour toutes ensemble rejoindre l’église abbatiale, discutant toutes en petits groupes à voix basse, provoquant un brouhaha de chuchotements.
Le frère suivit Aléarde, alors qu’ils rentraient à nouveau dans l’église. Et là aussi, Éloi put découvrir encore plus de monde — au fond de la nef, des messieurs et des mesdames bien vêtus allaient bras dessus bras-dessous en rang pour se signer et demeurer debout devant les bancs ; on reconnaissait les nobles. Au fond, pieds-nus, boiteux et à béquilles, les indigents partageaient le même bâtiment.
De derrière l’autel, la porte de la sacristie s’ouvrit, et une foule de jeunes filles, huit à quatorze ans, pénétraient dans le chœur. De vieilles dames portaient des reliquaires et des boîtes contenant les meubles liturgiques. Et enfin parut Sébire de Malicorne, mieux habillée que jamais.
Une magnifique robe blanche, décolletée, la taille marquée par une ceinture faite entièrement d’or. Les épaules étaient recouvertes d’une longue cape de velours bleu crénelée de centaines de perles et brodée de fils d’or eux aussi, des cheveux à peine voilés, noués en nattes, et surtout, sur la tête, une immense couronne qui semblait plus imposante et plus coûteuse que celle de la Reine de Bretonnie elle-même ; Son visage était maculé de peinture, des larmes dessinées à l’encre de seiche.
On n’aurait pas dit une prêtresse de Shallya. On aurait dit une princesse, une monarque païenne d’un conte mythologique. Elle s’avança au-devant de l’autel, devant les petites statuettes de platine, de bronze et de fonte représentant des femmes meurtries ou des colombes s’envolant, symboles de piété sacrée.
Une prêtresse à robe blanche, ses cheveux roux sur ses joues à peine cachés par son voile, s’avança et dit à voix basse une phrase :
« Regina cæli. »
Et alors qu’elle avait parlé fort peu, sa voix se porta à travers tout l’édifice, le long des ogives, grâce à un miracle d’acoustique architecturale.
Et toute l’assistance reprit.
« Regina cæli, lætare, alleluia. »
Et alors suivit tout le cérémonial qu’Éloi connaissait par cœur : Les chants, les lectures du Testament de Pergunda, les prières répétées en classique, les moments où être assis puis debout… C’était un simple office de vêpres, rien d’incroyable ou qui devait sortir de la routine. Sébire lit ce qu’on attendait qu’elle lise, avec une voix claire, parlant dans un classique pur et compréhensible.
Vers la fin de la cérémonie, on amena devant elle une bassine en argent remplie d’eau. La grande-prêtresse s’arrêta devant, et la bénit.
Une jeune diaconesse à robe jaune intima, dans la salle, douze hommes et femmes à la suivre — parmi eux, un cul-de-jatte, deux vieillards, un enfant couvert de pustules, une femme aux cheveux rasés, un sale type à la chemise tailladée et au nez manquant sur son visage, probablement arraché pour un crime (Viol ou lèse-majesté).
Chacun s’arrêta devant Sébire, et s’assit sur une magnifique chaise au coussin de soie. Alors, la révérende-mère habillée en princesse s’agenouilla, prit une éponge, et leur lava et embrassa les pieds, un à un, tout en répétant solennellement une prière de protection en classique.
Sébire était une tentatrice, séductrice, avide d’or et de pouvoir.
Mais Éloi était témoin, de ses propres yeux, des pouvoirs que lui conférait le rite.
À la fin des vêpres, Aléarde escorta Éloi dans les couloirs de marbre blanc du monastère. Devant une porte, une petite foule s’était formée. Une foule de jeunes hommes et femmes, en tenue de laïcs ou de clercs, certains chuchotant entre eux.
« Ce sont des pétitionnaires. Ils viennent réclamer des faveurs ou exposer des demandes à la révérende-mère. »
Heureusement, Éloi était accompagné d’un coupe-file bien utile.
Il entra dans une sorte de bureau, comme celui à Orléac. Il y avait là deux bureaux, servis chacun par une prêtresse en jaune ; l’une avait une plume devant un gros grimoire, l’autre fouillait dans un cahier de chartes. Et entre les deux bureaux, il y avait un grand fauteuil, un cathèdre, sur lequel Sébire était assise comme une monarque sur son trône.
« Mes bien chères sœurs ; Veuillez vous retirer quelques instants. »
Les deux prêtresses se levèrent, s’inclinèrent devant la révérende-mère, et quittèrent le bureau par une petite porte annexe derrière.
Immédiatement, Sébire se détendit. Elle croisa une robe par-dessus l’autre, et claqua des doigts.
« Je suis crevée… Tabac, s’il te plaît. »
Aléarde alla fouiller dans un tiroir, pour chercher le poison favori de la grande-prêtresse.
« Mon frère Éloi ; Solène m’a mis globalement au courant des avancées de votre enquête, notamment avec ce méchant docteur à l’université…
Qu’as-tu de plus à me communiquer qui devait passer expressément par mes oreilles personnelles ? »