Rédigé par Snorri Sturillson, Assistant MJ
Les regards circonspects de ses hôtes s'éclipsèrent une fois que le jeune errant empoigna sa boisson et emboita le pas.
La feinte porta ses fruits à merveille, et l'on goba une bonne lampée de vin, laissant plâner un silence cordial pendant un instant. Ensuite, voyant le chevalier faillir jusqu'à son siège, ils firent de même, imitant tant bien que mal ses manières. Faire partir ses deux guides nocturnes prit un peu plus de temps que prévu, et surtout un autre verre de vin pur. Du vin pur, aux mains de simples paysans. Quelle idée, n'est-ce pas?
Quoi qu'il en soit, une fois ceux-ci congédiés, Déan continua de tournicoter autour des meubles de sa demeure, époussetant ici, débarrassant là, repoussant un tabouret, etc. Les pivotements nerveux de sa nuque et de ses yeux lui donnaient un air presque bestial, mi-homme mi-roquet, faisant des rondes autour de son maître temporaire...
- " C'qu'on fait à Carcassin, missire? Ah ben qu'on est des pêcheurs et des él'veurs, même si on est pas très nombreux icitte. On vivra de c'que la Bonne Dame nous donne, avec la terre et les courants. On essayera d'pas trop jaser pour pas 'ttirera l'mauvais oeil, missire, surtout si on ira sur l'rive..."
Son oeil fou vire en un éclair vers la porte, fixant tout aussi ardemment qu'il avait fixé le chevalier auparavant.
- "La Dame aimera pas si on jase quand on ira, alors on s'taira. Pis qu'y a aussi l'Marquis qui guette, et qui passe...ra 'vec ses gens pour l'part du Duc, l'part d'la Dame et la part d'pêche. C'est un bon missire le Morquis, comme vous missire, avec ses gens à ca.. cheval, et ses gens d'armes. Il passera pas souvent, mais il a ras-de-choses à faire dans sa ville, à Bois-Giron, ça oui-da!"
A la notion de carte - ou juste avant ? -, son gros oeil retourna à la normale, fixant le chevalier.
- "Une carte? Ah non missire, nouz'aut' on a p-pas d'ça icitte. Mais vous en faites pas missire, y'a qu'une seule route qui va vers Bois-Giron missire, vous pourrez pas vous p... perdre, pour sûr !"
Le reste de la conversation s'écarta de l'interrogatoire pour tourner aux remerciements, aux courbettes maladroites de Déan, et à l'extinction des feux. Visiblement, Déan n'attendait pas de contrepartie pour tous ses renseignements. Il se contentait de lancer des "missire" à tout-va, ce qui faisait presque oublier les pirouettes et spirales de son œil proéminent.
Lourd de son échec maritime, remué par les eaux, et un tantinet assoupi par le vin non coupé, Prestenent s'engouffra sans problème dans les bras de Morr pour quelques heures...
Il était lourd, très lourd... Écrasé de toute part, comme coincé et en même temps libre de mouvement... Cela pesait au moins une tonne, comme si l'obscurité elle-même lui pesait. Il se surprit à avancer, regarder en l'air, au sol, partout oû il y avait l'ombre. Il faisait froid, mais pas quelque chose de givrant. Juste froid, ou frais. Sa peau aussi était froide, comme s'il venait de sortir d'un bain d'été.
...
Et la lumière fut.
D'un bruit visqueux et mou, un raclement fit apparaître une lueur pâle, une sorte d'orange malade, de pomme tallée et jaunie qui vint cajoler et refouler le voile alentour. La lueur flottait... flottait et semblait onduler lentement, loin devant... Partout sur son passage, l'ombre se dissipait, laissant place à un environnement morne, délavé, comme si ceux-là aussi avaient été rincé... Tout ce qui passait près de la lueur semblait propre, mais terriblement étranger. Les larges pierres blanchâtres semblaient peser un poids considérable, soutenant sans problème ce voile trouble, ce voile de plomb qui étouffait sensiblement le chevalier. Des pierres, des dalles, des gravures... Aucune trace d'herbe, de boue, de v- Oui, de vie...
Soudain, un son vint perturber la lenteur et la maçonnerie cyclopéenne. Un son fort, grave, abject, comme une corne de brume, ou un... clairon ?
Le voile se mit à trembler, la lueur se mit à vriller, puis à se dédoubler. Deux billes malades virevoltaient désormais, comme deux mailles jointes d'un chaînon agité, en proie à une panique certaine.
Le son s'arrêta soudainement, et la lourdeur disparut aussitôt, laissant place au ballet lumineux qui s'éloignait en ondulant. Alors que le tocsin doublait son appel rauque et grondant, un murmure vint aux oreilles de Prestenent :
- " Viens... Viens, Aide-m... Aaaaa... "
Les lueurs flottaient toujours au loin, tandis que les environs retrouvaient encore leur torpeur si étrangère... Lors du troisième appel, tout éructa : Le murmure chancelant se fit un cri déchirant, le grondement résonnait de toute part, puis l'univers entier se mit à vibrer, à perdre toute bordure, toute limite.
- " Aaaaaaa.... Aide... Aaaa... Chevalier, à l'aide ! "
...
L'instant d'après, Prestenent était allongé, arme au poing, prêt à trancher le bas-plafond ou les linteaux du lit débraillé. Il était humide, encore.
Le chevalier était toujours au même endroit, dans cette pauvre masure de Carcassin. Un autre son s'immisca jusqu'à lui :
- "Mi... re... Vou... do... ? D'to'n-llagive... veul..."
Impossible de comprendre un mot, le son devait être brouillé par un linge épais. Et puis...
- "Vi... ! Viens-dez miss... ! Missire, vous avez b'zoin d'aide ? Vous avez faim ? Missire, des gens d'not'village veulent vous vouère !"
Déan.
Déan appelait depuis l'autre coté.
Sa voix était nerveuse.
En fait, non, rectification : Prestenent était humide, tout comme l'air des environs et...
Ça sentait le poisson.