Le chevalier s’était exercé à parer des coups d’estoc, à esquiver des revers d’épée, et même à répliquer face à un combattant voulant engager un pugilat. Pourtant, il ne vit pas la gifle partir et fut momentanément troublé par celle-ci. Qu’une servante le fuît ainsi était une chose, mais qu’elle osait le frapper était intolérable ! Et pour couronner le tout, elle jugea approprié de le réprimander tel un enfant ayant brisé un vase par accident. Alors que la demoiselle essaya de retirer son bras, effort futile étant donné l’écart de force, Gastien senti la colère monter en lui et s’apprêta à répondre face à pareille humiliation. Cependant, un mot dans le sermon de la dame le surprit, car sans savoir pourquoi, il avait une vague impression de connaître le nom de Maldred. Bien qu’il connaissait l’histoire de la Bretonnie, il n’arrivait pas à se rappeler, probablement car l’alcool lui faisait plus d’effet qu’il ne voulait l’admettre.
Plongé dans une réflexion qui ne menait nulle pars, le chevalier ne remarqua qu’à l’instant la lame affûtée en bas de son ventre. Réalisant enfin que l’inoffensive demoiselle était celle qui avait l’avantage, la colère se changea en stupeur, puis en frayeur. Il retenait toujours la servante, mais non plus car ils voulaient l’empêcher de fuir, mais plutôt car il n’osait plus bouger, au risque de se faire transpercer. Ce n’était que quand elle rengaina sa lame que Gastien desserra sa main. La domestique récupéra alors son bras de la poigne du chevalier, qui ne résista pas en retour, puis se pressa de quitter les lieux. Néanmoins, elle dédaigna répondre au noble en lui donnant son nom, avant de disparaître au tournant d’un couloir. Gastien ne réagit pas de suite, regardant toujours bêtement l’endroit d’où Avelyne avait disparu. Quelques minutes passèrent et il se rappela enfin pourquoi il voulait retourner dans ses appartements. Le chevalier se dirigea alors vers sa chambre en espérant que personne n’était là pour assister à la scène.
Arrivé dans sa chambre, il referma aussitôt la porte avant de s’effondrer sur le lit. La demoiselle venait de lui donner bien plus de questions que de réponse. Le plus gênant étant que Gastien ne s’attendait pas à ce genre de réponse. Il imaginait que c’était un chevalier ou une dame de la cour qui était à l’origine du message, pas une vulgaire roturière. Mais était-ce vraiment le cas ? En y réfléchissant, ce n’était pas la première fois qu’il la voyait. Elle n’était pas une employée du château, mais une musicienne dont il avait écouté les prestations pendant le dîner. Mais alors, depuis combien de temps travaillait-elle au château d’Hane ? Pourquoi avait-elle une arme sur soi ? Comment cela se faisait-il qu’elle sache écrire ? Et par dessus tout, qu’elle était son but ? Pourquoi vouloir refuser de l’aide dans un tel moment ? Quelque chose ne collait pas dans cette histoire, mais une chose était sûre. Elle était sûrement l’une des rares personne à qui il pouvait faire confiance. Le problème étant que le bretonnien ne pouvait pas la voir sans raison, au risque d’éveiller les soupçons. Et malheureusement, Avelyne ne semblait pas prête à coopérer. Il fallait donc un nouveau plan. Un plan plus réfléchi et moins bruyant que le précédent. Ou peut-être qu’il faudrait l’inverse...
La nuit se passa sans encombre, excepté les quelques aboiements venant de l’extérieur. Un domestique vient tirer le chevalier de son sommeil. Il en profita pour ouvrir les volets de la chambre, laissant la lumière du soleil pénétrer les lieux. Gastien fut tenté de rester un peu plus pour se prélasser au lit, tant la chaleur de la chambre était agréable. Mais le message du serviteur lui rappela qu’il avait à faire durant cette journée. Aucassin l’attendait, son équipement était fin prêt et le chevalier était paré au voyage. Il devait néanmoins faire deux trois tâches avant de partir, à commencer par se restaurer. Il n’était pas bon de partir le ventre vide, surtout s’il devait s’attendre à combattre un mage noir et ses pantins morts-vivants. Le bastognois suivi donc le domestique jusqu’à la salle du banquet de la veille. La salle n’avait pas tellement changé depuis, excepté le nombre de convives à table qui avait diminué. Gastien vit au loin le maître d’Hane et décida d’aller le saluer, tout en prenant son repas. Bien que plus modeste que pendant la soirée, il y avait tout de même quantité de mets savoureux.
De la venaison accompagnée de diverse pois et lentille constituait le plat principal, le tout accompagné de quelques miches de pain. Du vin était aussi à disposition, mais se rappelant les débauches de la nuit précédente, le jeune chevalier préféra s’abstenir. Quand le repas se termina avec des pâtisseries, l’errant en profita pour discuter avec le seigneur local. Après avoir échangé quelques mots sur la soirée, et heureusement l’accident avec Avelyne ne fut pas mentionné, Gastien en profita pour lui demander un service. Le chevalier voulait profiter du peu de temps qu’il avait pour en apprendre un peu plus sur le duché, et donc il demanda si le maître des lieux avait quelques livres à disposition et s’il pouvait les lire avant son départ. D'abord surpris, Aucassin répondit qu’il avait bien les archives du château mais celui-ci voulait bien savoir en quoi ses écrits pouvaient aider le chevalier à vaincre le nécromancien. Par sécurité, Gastien décida de ne pas lui avouer ses doutes et lui dit simplement qu’il voulait savoir s’il y avait des livres parlant de la nature hostile du Moussillon pour le voyage à venir. Le seigneur local lui autorisa l’accès, bien qu’il ne garentie pas au chevalier qu'il trouvera ce qu’il voulait dans ses vieux grimoires. Suite au repas, Gastien se dirigea donc vers les salles privées du château d’Hane pour trouver des réponses.
La salle n’était pas réellement bien grande à première vue, plusieurs étagères de taille modeste ainsi qu’un espace pourvu d’une table et de chaises pour lire en toute quiétude. Cependant il aurait fallu un temps considérable au chevalier pour pouvoir examiner l’intégralité des documents ici présents mais il savait précisément ce qu’il cherchait. Ses premières recherches reposèrent bien sur la nature dangereuse du Moussillon. Malheureusement, il ne trouva rien à ce sujet, il devra donc demander conseil auprès de ses camarades de voyage. Ensuite, il chercha des informations sur les fameux Hommes gris, espérant en apprendre plus que des récits contradictoires. Et là encore, il ne trouvait rien de concluant. Démoralisé, il espérait au moins trouver quelques pistes sur Maldred, dont il n’arrivait toujours pas à se souvenir quoi que ce soit. Et cette fois si, il trouva enfin ce qu’il voulait. Maldred était le dernier duc du Moussillon, et était tristement célèbre pour l’affaire du Faux Graal, une sombre histoire de Bretonnie où le duc maléfique avait essayé d’usurper le trône en usant de mensonges et de sorcellerie. Bien qu’il fût découvert et vaincu, de nombreuses familles nobles s’étaient rangés à ses côtés durant le conflit et certains avait même réussit à échapper à leur jugement. Que des fidèles de ce dément puissent encore exister était intolérables ! Mais nul à en douter que telle la vermine, ils se tapissaient dans l’ombre en attendant sagement leur heure pour renverser le royaume.
*Alors qu’il pensait en avoir terminé, le jeune chevalier tomba par hasard sur un livre des plus intéressant : une chronique relatant l’histoire du château d’Hane. Poussé par sa curiosité, il lut le livre sans en espérer grand-chose. Le document fit référence à l'histoire du château et remonta sur pas loin de dix siècles, avec des mentions remontant à la fondation même de la Bretonnie. Concernant l'affaire du Faux Graal, plusieurs longs passages y sont consacrés, que ce soit au niveau des intrigues de l'époque ou des batailles. Le maître d'Hane a, durant chacun de ses événements, obéit aux liens vassaliques en levant son ost pour porter assistance à son suzerain. Il est mentionné que pendant la crise, le maître d'Hane de l’époque avait reçu le droit de porter la fleur de lys sur son blason. Mais quelque chose n’allait pas avec ce récit. En soit, il n'y avait rien de bien particulier dans ces écrits, les exploits de la noblesse étant toujours soigneusement retranscrit pour en garder les traces. Or, ces temps-là furent si troublés qu’il n’y eût pas un, mais deux Roy. Le perfide duc du Moussillon avait, pendant un temps, réussit à usurper le trône, avant que le grand Gaston le Preux réussit à déjouer ses machinations. Quand l’idée germa dans la tête du jeune bretonnien, son sang ne fit qu’un tour. Il avait beau retourner la chronique dans tous les sens, il ne trouva rien qui pouvait répondre à ses doutes. Son teint devient blême quand une question se répercuta dans son crâne : s’il y avait eu deux Roy à l’époque, qui fut le maître du seigneur d’Hane ? Dans ce cas, est-ce que la distinction d’Aucassin lui avait été accordé car sa famille avait combattu le chevalier maléfique, ou parce qu’il avait rejoint ?
Gastien reprit ses esprits au moment où le livre heurta le sol. Dans la confusion, il avait à peine remarqué que la chronique lui avait glissé des mains. En hâte, il attrapa le livre, le reposa sur l’armoire et quitta les lieux d’un pas pressé. Maintenant qu’il n’était plus sûr de rien, il devait parler à Avelyne au plus vite. Si ça se trouvait, il se trouvait dans la gueule du loup depuis le début. Il se pouvait que chacune de ses actions fût épiée dans l’ombre. Il était même probable que sa soi-disant aventure n’était qu’en réalité un piège fatal. Si cette femme savait des choses sur cette histoire, il devait vite le savoir, au risque de disparaître sans laisser de traces. Errant dans le couloir, le chevalier tomba sur un domestique quelconque, et lui ordonna de retrouver Avelyne ainsi que de lui trouver une salle libre pour discuter seuls. Quand celui-ci lui demanda de quoi il voulait lui parler, le noble répondit simplement qu’elle devait répondre de ses actes, tout en posant un regard sévère sur le pauvre serf. Son teint virant au blanc, le serviteur dit comprendre la situation et lui demandât de le suivre.
Le chevalier arriva dans une pièce plutôt banale. Une table centrale, cernée de plusieurs tabourets, quelques plans de travail pour la cuisine ainsi qu’une grande cheminée au fond avec à l’intérieur une marmite pleine. Cela devait être une salle réservée au domestique pour éviter de déranger les nobles durant leur repas. Le serviteur ayant accompagné Gastien s’absenta une bonne dizaine de minute. Et quand la porte s’ouvrit de nouveau, c’était Avelyne qui s’y trouvait. Sa tenue avait peu changé, mais son regard était plus fuyant qu’à leur première discussion. Refermant la porte avec précaution, elle s’inclina quand le noble se tenait devant elle :
Messire de Vagne, en quoi une humble musicienne peut vous aider ?
Avelyne, je pense que tu sais pourquoi tu es là. Je ne pouvais pas laisser impuni ce qui c’était passer la nuit dernière.
Méfiante, la servante ne quittait plus le chevalier du regard et s’éloigna de lui lentement :
Je... Je ne vois pas de quoi vous...
N’essaye pas de nier. Tu crois qu’une simple gueuse peut se permettre d’agir ainsi envers un chevalier ? S'il ne s’était rien passé, je n'aurais rien fait. Mais bafouer mon honneur en osant lever la main sur moi est intolérable !
Pendant son discours frénétique, Gastien n’arrêta pas de marcher à grands pas dans la pièce, comme pour évacuer sa colère montante. Néanmoins, il s’arrêta près d’une chaise et la saisit avec une main :
C’est dommage, car tu as un minois qui n’est pas déplaisant au regard. Mais il faut savoir punir le chien quand il mord la main de son maître. Si Aucassin ne s’en charge pas, je m’en occuperai moi-même !
Et un instant, le bastognois prit le meuble à deux mains et le lança à l’autre bout de la pièce en hurlant :
Connais ta place misérable !!!
Le tabouret se fracassa dans la cheminée, renversant la broche tenant la marmite alors que son contenu s'éparpillait sur le sol. Plusieurs minutes passèrent, entre le chevalier qui fixait la servante alors que celle-ci, apeurée, s’était collée au mur suite à la violence du noble. Subitement, Gastien laissa échapper un soupir avant d’ajouter :
Je pense que cela devrait suffire pour persuader les oreilles indiscrètes. J’espère que ma petite prestation ne vous a pas trop effrayée.
Avelyne ne se détendit pas pour autant, visiblement confuse que son agresseur lui parlât ainsi. Baissant d'un ton, le chevalier continua :
Vous pensiez qu’un simple avertissement suffirait à me faire peur ? Je traque un nécromancien depuis plusieurs semaines, j’ai combattu vaillamment ses pantins et perdu de preux compagnons sur le chemin. J’ai fait serment de toujours combattre le mal, et ce n’est pas maintenant que je vais fuir en sachant que des traîtres se cachent dans ce château même.
J’ai fait des recherches de mon côté et j’ai trop peu d’informations pour savoir précisément qui est notre ennemi. Je ne peux faire confiance quand la personne qui m’a prévenu du danger, c’est-à-dire vous. Et n’essayer pas de nier, je sais que vous n’êtes pas une paysanne du coin. Si nous travaillons ensemble, je pourrai vous apporter ma force et nous réussiront à vaincre le mal qui se terre ici. Dans ce cas, dites moi ce que vous savez sur le château d’Hane.