- "Que l'on apporte une table et des tabourets, et qu'on les dispose sur la place du village, face à l'auberge. Le procès de cette sombre engeance se tiendra céans !" ordonna Enguerrand alors que deux sergents saisissaient Grogmar pour le faire descendre. Ils coupèrent les liens de ses chevilles et le forcèrent à marcher jusqu'au centre du Guet, dans l'allée boueuse. Les soldats et les paysans les suivirent tandis que d'autres amenaient prestement le mobilier demandé et l'installaient dans la boue. Naturellement, trois tabouret furent ajoutés sur lesquels prirent place Enguerrand flanqué d'Hubert et de Gontrand, en armure.
Fangon vint se placer derrière eux, la sacoche de Grogmar en main, regardant le futur condamné droit dans les yeux sans aucune émotion. Il y avait désormais une foule compacte autour de ce tribunal improvisé en quelques minutes. Tous les soldats et les villageois étaient réunis pour assister au simulacre de procès qui allait se dérouler. Deux sergents en arme se tenaient derrière Grogmar et sur un signe d'Enguerrand, l'un d'eux lui envoya un coup de pied derrière l'articulation pour le forcer à s'agenouiller dans la boue. Une nouvelle vague de douleur envahit le nécromancien bailloné, qui manqua de défaillir. Son regard erra au dessus du village, et tomba mollement sur le donjon. Il vu la silhouette de Hélène de Picotin, qui observait la scène depuis l'une des grandes fenêtres. Enguerrand de Blancpenoy posa ses gros poings sur la table installée devant lui et s'éclaircit la voix afin de se faire entendre de tous.
- "Aujourd'hui s'ouvre le procès de cet impérial dénommé Grogmar, étranger de nos contrées et venu en Moussillon dans l'espoir de pouvoir développer sa maîtrise de la magie noire !" clama-t-il à l'assemblée, qui fut parcourue d'expressions de surprises et de prières discrètes à la Dame.
Enguerrand hocha la tête d'un air entendu et reprit.
- "Il est accusé de sorcellerie, de nécromancie, de profanation de corps, de parjure pour avoir volé l'identité d'un prêtre de Morr et de trahison envers le seigneur François de Picotin, et à travers lui le Duc Adélard de Lyonesse et le Roy Louen Coeur-de-Lion en personne ! Moi, Enguerrand de Blancpenoy et dépositaire du pouvoir en l'absence de notre seigneur, déciderai de la condamnation encourue par cet être abject. Je serai secondé dans cette tâche par les nobles sires Hubert de Montgiscard et Gontrand d'Ocre-Bois. Mais tout d'abord, voyez vous même, peuple du Guet-de-l'Estran, les preuves accablantes de ses noires pratiques !" continua-t-il d'une voix forte en faisant signe à Fangon.
Ce dernier s'avança et vide la sacoche sur la table, faisant tomber le grimoire nécromantique, le carnet de traduction, les tablettes de cire et l'outre de liquide étrange. Enguerrand saisi les livres et les porta haut.
- "Voyez ! Ces manuscrits impies étaient en sa possession ! Ils contiennent mille et une formules maléfiques destinées à tuer les vivants et relever les morts ! C'est une injure à la Dame ! Qu'on les brûle."
Quelques insultes fusèrent dans la foule à l'égard de Grogmar, tandis que trois hommes d'armes amenaient des gerbes de paille et quelques morceaux de bois entre les jurés et le condamné. Ils y mirent le feu à l'aide de torche, avant qu'Enguerrand n'y lance les deux ouvrages. Les pages jaunies prirent feu rapidement tandis que les flammes montaient, en même tant que certains paysans lançaient une brève acclamation. Un des soldats saisi ce qu'il restait de la sacoche du nécromancien ainsi que l'outre de liquide noir et jeta le tout dans les flammes. Lorsque l'outre atterit dans le petit brasier, une réaction incroyable se produisit. Il y eu une énorme détonation et une flamme grande comme cinq hommes se dressa d'un coup pour retomber quelques secondes après. L'assistance poussa un cri mêlant peur et surprise et les enfants se mirent à pleurer tandis qu'Enguerrand sauta sur ses pieds, pointant un doigt accusateur vers Grogmar.
- "Voyez ! Voyez par vous même ! Sorcellerie et maléfices, il tâchait de protéger cette besace impie par quelques sortilèges obscurs. Demain, il sera brûlé en place publique, et une prière collective sera adressée à la Dame pour nous demander de protéger nos terres contre la venue de telles engeances. Sire Hubert, sire Gontrand ?"
Hubert tira une moue.
- "Cet homme s'est joué de notre confiance et de nos valeurs. Il s'est dévoyé, et seules les flammes sauront purifier son âme souillée. A mort."
Gontrand reprit.
- "A mort !"
La foule se mit à répéter cela en coeur, et quelques légumes avariés furent jetés à la figure de Grogmar. Sur un signe d'Enguerrand, les sergents le forcèrent à se relever et se frayèrent un chemin dans la foule pour l'amener dans le donjon tandis que certains paysans lui décochèrent des crochets ou des coups de pieds.
Le nécromancien fut trainé sur les dalles de pierre et emmené dans la cave du donjon, vide jusqu'à alors, à part un mobilier restreint de réserve. Les chevilles de Grogmar furent à nouveau liées et il fut laissé là, au sol, tandis qu'un sergent allumait une bougie sur la table et s'en allait. Le paria resta ainsi seul, dans le noir, baillonné.
Après un temps qui lui paru extrêmement long, il entendit des bruits de pas dans l'escalier, accompagné d'un cliquetis métallique : Enguerrand. En effet, l'immense chevalier descendit seul les marches et s'approcha de Grogmar, par terre, posant ses poings lourds sur la table.
- "Ta petite comédie est terminée, désormais. Tu ne pourras pas compter sur ... ce Vladimir Kergan pour te sauver la vie. La vermine de ton espèce est faite pour rôtir dans les flammes. Tu n'as jamais fait partie des plans que nous avons pour ce Duché. Au moins, maintenant, ne nous gêneras-tu plus." lui lança-t-il avec mépris avant de l'observer quelques secondes, puis de jurer à voix basse et de souffler la bougie. Il remonta les marches, tandis qu'un homme d'arme descendait pour le surveiller.
Grogmar, ainsi prostré, perdit complètement la notion du temps. Sa blessure le faisait atrocement souffrir, et il ne savait pas depuis combien de temps il était là, dans le noir, ni quelle heure du jour ou de la nuit il était. Il ne pouvait pas parler, pas bouger, difficilement respirer. Il était destiné au bûcher, qui arriverai tôt ou tard. L'homme d'arme affecté à sa garde ronflait, il semblait dormir. Soudain, Grogmar aperçu une ombre derrière le garde. La lame d'une dague brilla et il eut un bruit étouffé, comme un cri empêché, puis le bruit mat et lourd d'un corps qui tombe à terre. Le garde tomba et l'ombre s'approcha. Grogmar sentit qu'on tranchait les liens de ses poignets et de ses chevilles, jusqu'à ce que des mains invisibles ne lui enlèvent son baillon.
- "Je suis vraiment navré de vous avoir infligé cela, messire Grogmar, mais c'était le seul moyen de vous faire entendre raison". lui murmura une voix. Fangon. "Ne faites aucun bruit, je vous en conjure, ou nous mourrons tous les deux. Suivez moi en silence, nous allons quitter cet endroit au plus vite."
Le nécromant meurtris aperçus l'ombre dans la pénombre, qui se dirigeait à pas de chat vers l'escalier qui remontait dans le donjon.