Au tréfonds d'un cimetière oublié depuis des siècles, dont tous les symboles religieux étaient brisés, se trouvait une crypte dont l'entrée était une gueule sculptée, géante et béante, repaire secret du Maître Nécrarque Naasthact... et désormais aussi celui de Necros Ahmôsis, son "élève"...
"Maître et élève"... Ces dénominations étaient possiblement trompeuses. Car Naasthact, toujours plongé dans ses propres expériences obscures, n'était pas vraiment le genre de vampire à apprendre quoique ce soit à quiconque. Quelle perte de temps ce serait pour ses propres recherches!
Ainsi, Necros était laissé à lui même, là, dans un labyrinthe glacial de pierres poussiéreuses seulement animé de squelettes et de zombis... du moins quand ceux-ci bougeaient, ce qui était bien rare. Mais dans cette errance morte parmi les morts, cela ne manquait pas de lieux d'études. Nombreuses étaient les salles de tombeaux transformées en laboratoires, aussi divers les uns que les autres, et tous achalandés de vieux livres doctes et poussiéreux. Alchimie, démonisme, nécromancie, enchantements... Il paraissait y avoir une salle pour chaque domaine. Et le jeune Nécrarque ne les avait sans doute pas toutes trouvées...
Parfois, il croisait Nessthact, dans un laboratoire ou un autre, mais l'inquiétant monstre vampire faisait en général fi de sa présence, sauf pour lui imposer une tâche subalterne.
Toutefois, il serait faux d'affirmer que le puissant Neesthact s'était ainsi toujours désintéressé de son "fils".
Non non, durant la première semaine il l'avait soumis à de nombreux tests, souvent douloureux même pour l'être impie qu'il était devenu:
Amenant son "élève" en une partie secrète de la crypte qui donnait sur une clairière forestière, il avait exposé la main de Nécros à un rai de soleil du midi, cela fut atroce, le rai faisant carrément un trou calciné qui traversa sa paume. Il l'avait piqué avec divers métaux, le contact du gromril nain avait été cuisant. Puis d'autres substances avaient été expérimentées sur lui, la plupart sans effet - pas même le feu, qui ne l'avait pas beaucoup plus brûlé qu'autrefois - mais, chose curieuse, de l'eau vive, de la simple eau, avait été un abominable calvaire. Et l'ail, aussi, particulièrement incommodant...
Ainsi donc, en contrepartie de ses nouveaux pouvoirs, Nécros avait aussi des faiblesses?... Et ses délires de calculs mentaux effrénés étaient bien les moindres, il y avait aussi le métal nain? Et l'eau en mouvement?... le soleil étant de loin le pire...
Fort heureusement, le soleil n'était jamais présent dans la nécropole souterraine... mais l'eau, par contre. Il fallait en utiliser en alchimie. Certes, Necros n'avait pour l'instant rien d'un alchimiste, cependant, dans les tâches subalternes précitées, son "Maître" lui demandait souvent d'en manipuler, d'en faire chauffer...
D'ailleurs, ces "tâches subalternes" avaient exclusivement trait à l'alchimie, ces derniers temps. Naasthact se concentrait là dessus, il testait mille et une formules auxquelles Necros ne comprenait rien.
Un jour. Ou une nuit?
Comme souvent, un squelette avait fait comprendre à Necros qu'il était attendu en laboratoire d'alchimie. Là il avait retrouvé les alambics complexes et retors, les éprouvettes, les fioles, les fumées étranges... Et Naassthact.
Celui-ci, occupé à étudier un goutte à goutte douteux, s'était tourné vers lui, de l'air aussi distrait que peut avoir un hideux nécrarque sans humanité, et avait montré un gros pot de verre rempli de feuilles noirâtres:
-Besoin/nécessité/ordre. L'Hellebore noire/Maîtresse des démons/reine de Sabbat stabilise les Quintessences Sombres. Mon fils/esclave/Nécros doit m'en faire de l'huile forte/chargée/ mirifique... Vite/tout de suite.
Comme toujours, de sa voix monstrueuse il entremêlait certains mots plus ou moins synonymes, et l'on sentait bien qu'essayer de parler à peu près clairement à Necros était pour lui un effort qui lui déplaisait. Mais? Necros ne savait absolument rien en alchimie. Le monstre Nessthact s'en souvint immédiatement et le dépeça de son regard inhumain. Un instant, Necros crut qu'il allait se faire désintégrer par un sombre sortilège.
-L'inculte/ l'ignorant/ l'indigne nécrarque doit apprendre les arts liquides... Vite/ Tout de suite. Infime réflexion. Mais avant/ tout de suite/ ordre, tu vas à Stirfähre. Un homme/cobaye/ vieillard meurt. Un jeune Sur-dieu/Toi/ Fils se nourrira; Et ramènera ce qui te sera donné... Mes morts /produits nécromantiques élémentaires/ pantins te guideront.
Juste après, le squelette en armes anciennes qui avait escorté Necros, rejoint par deux autres, partit...
-Revenir à ton sur-dieu/père/moi sans posséder l'alchimie, ce sera mourir une seconde fois/ disparaître à jamais.
Stirfähre, c'était le village le plus proche; mais plus qu'un village tout de même: en bordure du fleuve Stir, il était peuplé de paysans malsains et consanguins, idiots, et son Seigneur était surnommé "le Fou". Il faisait pendre régulièrement des étrangers, des criminels ou des animaux au grand arbre au centre du village. L'on racontait qu'il récoltait certaines plantes noires dans les déjections de fin de vie des cadavres strangulés...
C'était à deux jours de marche de la Crypte.
Necros ne s'était pas nourri depuis neuf jours.