Versant d’amères larmes sur les ruines de Kavzar
Ils osèrent implorer les puissances du Chaos.
Ils engendrèrent alors des monstres contrefaits,
Les jeunes comme les vieux subirent le fléau,
Les forts comme les faibles également frappés.
Et pendant tout ce temps, descendues de la tour,
Les treize sonneries résonnaient dans les cours,
Les treize sonneries marquant leur dernier jour,
Les treize sonneries qui ébranlaient Kavzar. »
– Les Treize Sonneries du Glas
Entassés dans un wagon du Malerail, des centaines de rats se bousculaient, s’agrippant au pelage des uns et des autres pour se tenir debout, provoquant des cris de rage, des menaces vociférées par les Skavens incommodés par leurs compagnons, et une odeur nauséabonde de musc de frousse qui envahissait toute la locomotive à bestiaux. À toute vitesse, le Malerail remontait les galeries et les tunnels impies du Cloaque, dans un vacarme de pistons et d’engrenages qui propulsaient à toute vitesse des roues crissantes et projetant des étincelles. Le moteur à Malepierre rugissait, dans un écho terrifiant qui se propageait tout le long du réseau. Un instant terrifiant et répugnant à vivre pour tous les rats transportés au front depuis leur belle cité maudite de Skarogne.
Enfin, le train s’arrêta, en freinant bien sèchement, ce qui bousculait tous les rats dans le wagon. On entendit des cliquetis métalliques, les grosses portes coulissaient, et alors, des milliers de rats se jetèrent hors du Malerail, sous des cris de solides guerriers claniques Skaven qui forçaient tout le monde à descendre à toute vitesse, en répétant inlassablement la même phrase tout en agitant leurs fouets :
« Terminus-nus ! Terminus-nus ! Dehors-dégagez oui-oui ! Terminus ! »
Snikkit était avec ses trois camarades. Couchés dans un coin du wagon, ils attendirent que la masse d’esclaves et de sous-fifres descendent dehors pour enfin se relever, en ramassant leurs petits baluchons avec leurs affaires contre l’épaule. Les guerriers des clans responsables de vider les wagons se levèrent pour aller les fouetter, mais soudain, ils se ravisèrent en découvrant que les quatre vermines recroquevillées n’étaient pas de simples nuisibles bons à être jetés dans une fosse à malepierre. Ils se tranquillisèrent donc, et se contentèrent de demander oralement aux Eshins de déguerpir.
Snikkit pouvait donc débarquer sur le quai, et respirer à plein museau l’air renfermé et souterrain d’une nouvelle cité toute récente des Skavens. Après avoir passé des semaines dans la gigantesque métropole de Skarogne, il fallait dire que l’endroit paraissait bien plus modeste et agréable : Le train s’arrêtait juste devant un gros mur de roche, où des centaines d’esclaves rats, ainsi que quelques dizaines d’humains en haillons, le corps creusé par la maigreur et l’effort, étaient tous enchaînés les uns aux autres, pour tenter d’agrandir et approfondir les tunnels Skavens, tout ça sous la menace de fouets et la surveillance de ratlings braquées sur eux. La locomotive du train dont venait de descendre Snikkit fumait, et déjà, des esclaves sortaient de petits bâtiments par douzaines, tirant avec eux des petits wagonnets remplis d’outils en tout genre. L’un d’eux était même escorté par des globadiers bien sinistres, et Snikkit comprit vite pourquoi : Ce wagonnet-là était chargé à ras bord de malepierre. Le coureur nocturne ne put s’empêcher de se lécher les babines en voyant la délicieuse et infâme lueur verte qui resplendissait dans l’obscurité du tunnel.
Chevauchant le Malerail, un Technomage du Clan Skryre bondissait en agitant un pistolet à malepierre.
« Grouillez-dépêchez ! Grouillez-dépêchez ! Tchou-tchou-tchou-tchou, train doit r’partir ! TCHOU TCHOU ! »
C’était leur chef-supérieur direct qui avait demandé au quatuor d’embarquer sur le Malerail pour aller directement en première ligne. Cet avant-poste tout récent était encore en construction : Montés les uns sur les autres, les taudis formaient un immense bidonville dans lesquels les esclaves s’entassaient de toute part, tandis que des édifices plus solides formaient des casernes pour les guerriers des clans Skryre et Mors, les deux factions qui contrôlaient l’endroit. Tout le « village » avait été bâti autour d’une immense cloche de bronze, devant laquelle les Skavens de la colonie devaient implorer le Rat Cornu de les aider. Snikkit et ses camarades marchaient lentement le long du quai, sous le regard intrigué et malveillant de claniques Skryre visiblement bien peu réjouis de la présence de leurs congénères aux vêtements noirs.
Ils allèrent jusqu’à la gare proprement dite. À l’intérieur, quelques Skavens étaient en train de se détendre, avachis sur des divans ou des canapés probablement volés aux choses-hommes de la surface, ils mangeaient des soupes immondes et translucides, ou bien sniffaient avec leurs grands museaux des mélanges d’herbes et de poudres qui devaient leur servir à halluciner dans leurs petites têtes. C’est là qu’ils découvrirent le rat qui les attendait :
« Hmmrrr… Coureurs nocturnes c’est ça ? Venus-arrivés pour moi, hein ? Dégoûtant… »
Il se leva et inspecta un à un les quatre rats qu’on lui avait refilés, qui baissèrent adroitement leurs museaux devant lui. Pattes dans le dos, solidement relevé, il observa leurs yeux, leurs museaux, attrapa parfois l’un d’entre eux pour le forcer à regarder en l’air. Il fut notamment amusé par la capuche rouge de Snikkit, qui lui arracha un rire extrêmement narquois.
« Mon nom est Khisqhil Surveille-les-Trésors, coureur d’égouts. J’ai été envoyé-appelé ici par le Clan pour aider-soutenir nos crétins d’alliés-rivaux ici bas. Dans les jours-semaines-mois qui vont suivre-suivre, cet endroit que vous voyez-observez va être amené-amené à grossier et à accueillir-abriter quantité de Rats, pour attaquer les choses-hommes de la surface.
Perdons pas de temps. »
Visiblement, il était dans un pays des choses-hommes qu’on appelle « Tilée », et il y avait une ville à la surface dont le Conseil souhaitait s’emparer pour de sombres projets inconnus. Le problème était que deux clans rivaux et prédateurs voulaient non seulement prendre la ville, mais prendre la ville les premiers, afin de gagner tous les lauriers de la victoire : Le Clan Mors, un clan de brutes violentes sans intelligence, et le Clan Skryre, une bande de fous furieux obsédés par l’utilisation de la malepierre dans des machines fort étranges et incompréhensibles. La rivalité entre les Mors et les Skryre était telle qu’ils étaient incapables de s’allier pour concentrer leurs efforts, et passaient plus de temps à se mettre des bâtons dans les pattes qu’à véritablement s’en prendre aux hommes.
Un Prophète Gris avait été envoyé sur place pour assurer la médiation entre les rats des deux clans. Et visiblement, il n’avait pas eu de meilleure idée que de payer les Eshins pour se mêler de l’histoire.
À part tout ça, Snikkit n’en savait déjà pas beaucoup plus. Mais c’était déjà bien assez pour le minuscule coureur nocturne qu’il était.
Depuis quelques temps maintenant, partout où Snikkit allait, il était entouré de trois rats qui formaient son escouade de coureurs nocturnes.
Il y avait tout d’abord un que l’on appelait Srenq : Srenq était le plus grand du groupe, une tête de plus que Snikkit, et le plus désagréable et emmerdant des trois. Un fêlé malade, le museau couvert de cicatrices, Srenq était un solitaire qui adorait parler tout seul, surtout dans son sommeil. Il semblait malgré tout être le plus compétent d’entre tous. Srenq était féru de fromages, qu’il collectionnait et grignotait dans son coin : Chaparder secrètement des frometons aux choses-hommes était un moyen pour lui de prouver son talent dans l’infiltration.
Vakan était bien différent de Srenq. C’était un joli-rat au pelage tout doux qu’il entretenait avec des peignes et des shampoings volés également à la surface. Fin, élancé, il était toujours confiant et sûr de lui-même. Patient et discret, il était le genre de Skaven qui pouvait se cacher pendant des jours dans une grange sans manger pour surveiller ses cibles. S’il n’avait pas la force ou l’art martial de Srenq, il avait pour lui le fait d’être malin et doué avec ses pattes.
Quant à Uqzit… Uqzit était le plus étrange des trois. Un tout jeune rat grassouillet, il était difficile d’imaginer qu’il soit un coureur nocturne et non un esclave. Toujours entouré d’un léger musc de trouille, il baissait les yeux devant tout le monde. Doux, timide, il était tout le temps gentil avec ses trois camarades. Srenq et Vakan en profitaient pour le martyriser à tour de rôle, en le tabassant ou en volant ses repas régulièrement. Est-ce que Uqzit était réellement le plus faible des quatre, ou bien est-ce que sa servilité n’était que feinte, afin de ne pas attirer l’attention de l’escouade ? Difficile à dire, dans une société comme celle des Skavens.
Toujours est-il que, bon gré, mal gré, ces trois rats étaient devenus les compagnons d’infortune de Snikkit. Ceux sur qui sa vie risquait de reposer, à un moment ou à un autre.
Khisqhil amena ses quatre sbires à travers un tout minuscule tunnel dans lequel il fallait se baisser pour y accéder. Sur le chemin, il désactiva de nombreux pièges, et prévint ses inférieurs contre des trappes remplies de piquants qui devaient être destinées à s’assurer que ni les Mors, ni les Skryre ne s’amusent à aller visiter les Eshin pour les surveiller. Au bout d’une très, très longue marche dans le noir, guidés uniquement par l’odeur de leurs museaux et leurs sensations, Snikkit put enfin commencer à respirer un air très différent de celui étouffant des souterrains. Il sentait l’air, la surface. Khisqhil retira une petite trappe en bois et se souleva à l’extérieur, vite suivi par chacun des quatre petits rats de l’escouade. Derrière-eux, le coureur d’égouts replaça la planche de bois et la camoufla sous un buisson. Snikkit se retrouvait à fouler de l’herbe sous ses pattes, un ciel noir constellé d’étoiles au-dessus de ses yeux. La lune blanche était pleine, mais à son grand désarroi, la magnifique lune verte n’était pas là pour l’émerveiller.
« L’un d’entre-vous ratons aura une Cape Noire, et dirigera-commandera les autres. À mes yeux vous êtes tous-tous lâches, petits et faibles, alors je vais avoir besoin de vous départager-observer avec une épreuve-test. »
Sur un sentier de terre battue, se trouvait une auberge. Rien d’autres à des lieues à la ronde : Il devait s’agir d’une petite auberge d’étape, là où les gens s’arrêtaient pour dormir en toute sécurité avant de reprendre la route. Devant l’auberge, quatre chevaux attachés sur un rondin de bois buvaient devant un abreuvoir. On entendait, dans le bâtiment, quelques bruits et des rires : Nul doute qu’il devait y avoir du monde qui s’amusait à l’intérieur. Devant le bâtiment proprement dit, une chose-homme s’était éloignée pour aller pisser contre un arbre. Khisqhil fit signe aux Skavens de rester cachés, et d’observer.
« Il y a une chose-homme à l’intérieur, chose-homme chef des hommes… Il a un chapeau à plumet, vous le reconnaîtrez facilement-ment.
Mon objectif principal-important est de récupérer des papiers-papiers qu’il a sur lui. Objectif secondaire-pas-important est de le tuer. Ses hommes peuvent être massacrés-tués librement, ils n’ont aucune importance-intérêt, tout comme les pas-guerriers-hommes qui se trouvent dans cette auberge-berge.
Alors allez-y. Surprenez-moi. Dites-moi tout. Vous êtes là, cible est là. Comment vous faites ? Que devez-vous faire ? Quel est votre plan ? Les trucs auxquels penser ? Que feriez-vous ? Qu’allez-vous faire. Vite-vite. Réfléchissez à l’instinct. Réfléchissez Eshin.
Un seul d’entre vous aura droit à la Cape Noire. »