Les deux jours suivants d’Isolde ne furent pas bien intéressants. Avachie au lit, le Dogue passait de temps en temps pour lui faire à manger et s’assurer qu’elle aille bien, avant de soudainement l’abandonner pour se mettre au boulot. Pour tout taciturne qu’il était, le Dogue avait au moins le gros avantage d’être complètement autonome et débrouillard : En deux jours, il s’attela à s’occuper de ses bêtes, à aller couper du bois pour retaper sa porte amochée, répara une clôture, et s’occupa même, chose très peu commune pour un bonhomme bien masculin, de laver et de recoudre les vêtements d’Isolde qu’il mit à sécher sur une corde à linge dans le jardin. Le soir, il s’installa sur son porche à siroter une bière, tandis que la chevaleresse jouait pour lui. Bien qu’il demeurait assez peu causant, peut-être par une timidité qu’il cachait habilement derrière un masque de lourdeur virile, il lui arrivait d’un peu s’ouvrir en racontant quelques anecdotes bien drôles sur sa vie dans les montagnes ; Mais jamais, jamais il n’abordait le sujet de sa vie à Brossac, ou sa relation avec Francine, ou le sire Chlodéric. Chaque fois, il fut assez bien habile pour parvenir à détourner la conversation sur quelque chose de plus agréable, et, généralement, beaucoup plus vain.
Au troisième jour, alors qu’ils étaient un bon matin, le Dogue toqua à la porte d’Isolde et entra une fois qu’il fut permit. Comme chaque matin, il lui sourit et s’enquérait de son état.
« Hop là. Comment qu’ça va ce matin ?
Tu peux essayer de marcher ? Attends, j’vais t’aider. »
Isolde avait bel et bien repris du poil de la bête. Elle était beaucoup moins pâle, et si son souffle peinait encore à revenir, si ses muscles étaient encore bien raides, elle pouvait à présent marcher plus ou moins normalement. Le Dogue, comme chaque matin, lui demanda de se déshabiller. Avec une certaine pudeur professionnelle, il éloigna bien ses yeux le temps qu’elle s’exécute, et se contenta d’aller dans son dos pour retirer les bandages et vérifier que tout était en train de bien cicatriser.
C’était étrange. Mais il avait l’œil et les mains apparemment très bien exercés aux soins, chose évidemment très peu commune pour un gueux perdu au milieu des montagnes profondes de la Bretonnie.
« Ma foi ! Ça cicatrise bien ! Pas d’infections…
Tu l’as échappée franchement belle. À la bonne heure. T’oublieras pas de filer une petite pièce au culte de Shallya quand tu passeras devant l’un de ses autels, hein ? »
Il s’éloigna et la laissa se rhabiller. Oui, Isolde allait définitivement mieux dans ses tissus et ses chairs.
La chose était un peu différente dans son corps.
La douleur était toujours aussi atroce. Lancinante. Comme des piqûres qui la lançaient partout où elle avait été sauvagement éraflée. Elle avait passé une très bonne journée il y a deux jours, mais c’était probablement race à la délicieuse mandragore que le Dogue lui avait fait boire ; à présent, le mal était revenu, plus fort que jamais. Isolde suait, avait des cernes sous ses yeux, et le bout de ses doigts tremblotaient. Il était clair que le Dogue s’en était aperçu, parce qu’alors qu’Isolde remettait ses fringues, il lui attrapa soudainement la main sans prévenir, et son sourire disparut dans une moue pincée. Il lui ferma ses poings et les caressa un peu, alors qu’il était à moitié assis sur le lit.
« Arf… Merde. »
Il renifla, tic qu’il semblait acquérir chaque fois que quelque chose le contrariait ; Isolde avait dû le noter, car durant ces deux derniers jours, il n’avait pas avalé sa morve une seule fois. C’était uniquement en voyant le bout de ses doigts s’agiter tous seuls qu’il avait soudain repris cette habitude peu hygiénique.
« Je… Je peux peut-être te préparer une autre dose, si tu veux. C’est… ça te fera peut-être du bien. Au moins pour la journée. »
Il se gratta derrière la nuque.
« J’ai des trucs à faire aujourd’hui. Je dois aller voir des copains. Des Dawi de Karak Skrati. Ils ont des choses à me remettre et moi j’ai des choses à leur dire.
Tu as envie de venir avec moi ? »