- " Hm, il était apprenti je crois. Il ... travaillait à l'Université, oui. C'est ça qui l'a rendu si méticuleux. Comme quoi ..."
Il tira le gobelet à lui, évitant au passage le bras d'un cocher un peu trop hilare.
- "Vous aussi vous venez de l'Université ?"
Et d'un air très sérieux, l'initiée prend le relais.
-"Oh non, je voyais les étudiants de temps en temps mais je n'y suis jamais allée, à part en passant devant. C'est étonnant qu'il soit ressorti organisé et méticuleux de l'université comme vous dites, généralement les étudiants sont connus pour être agités... Vous saviez ce qu'il étudiait peut-être? Je parie que c'était des matières très pointilleuses..."
- "Euh, la, euh ... les bêtes, de mémoire. Je n'ai jamais été très studieux, je ne lui demandais pas ce genre de choses. Ca n'a jamais été important, et puis ... Pourquoi est-ce que cela vous intéresse ?"
Tétradie ne dit rien, haussant les épaules en guise de réponse. Voyant la mousse à l'intérieur du gobelet d'Ans, elle se lève à nouveau pour le resservir, lançant un simple :
-"Je fais juste la discussion... Et puis les prêtres de Morr disent que c'est important de se rappeler des défunts."
D'un geste bien plus rapide, l'Altdorfer se lève, attrapant le bras de Tétradie avant qu'elle ne quitte la table.
- "Non, non, merci. J'ai déjà du mal à finir celle-là, continuez sans moi."
Et de fait, son dernier gobelet n'est pas vide. Ni même le précédent.
- " Je ne sais pas ce qui nous attend avec cette neige, alors je préfère rester sobre si ça ne vous dérange pas. Peut-être que ces messieurs... messieurs-dames voudront vous suivre ?"
Les cochers tournent alors la tête, ainsi qu'Ursula. A trois, ils accumulent bien une quinzaine de gobelets, dont certains qui ne semblent pas emplis ou vides de bière mais d'un autre alcool.
- "Ben ça, on avait b'zoin d'un quat'ièm' pour la relance. Fraulein sait jouer aux cartes ? " lance justement l'un des conducteurs.
Alors se clôture le dialogue entre Ans et Tétradie, suivi de près par une rude mais amicale partie de "Quatre-Marteaux". Il faut quelques tours à l'initiée pour en capter les règles et les principes - cela se joue par équipe de deux, les cartes sont réparties et numérotée avec quatre symboles, à chaque manche l'un d'eux est favorisé, l'ordre des cartes change pour ce dernier, et à la fin de chaque manche l'on compte les points en y rajoutant ou non les prévisions que l'on a fait avant de démarrer celle-ci. Par chance pour Tétradie, ou bien par habitude de son équipier, le vieux cocher ne cesse de trouver ou bien d'avoir la carte qu'il faut quand il faut, sans pour autant être toujours gagnant. Ainsi, le vieil homme, qui avait été si rugueux et si dur la veille, semblait rajeunir lorsqu'il y avait un enjeu ou une compétition à gagner.
***
Quelques bières suivirent, puis ce fut d'autres alcools, et enfin une pause - ou plutôt un arrêt pour "dégager la table". C'est à ce moment là que Tétradie découvre le nombre de gobelets posé devant elle - qu'elle a tous bu sans sourciller. Il doit bien y avoir une demi-douzaines de verre, soit autant de pintes d'alcool certes familier mais pas moins douteux quant à leur origine ou leur fabrication. Qu'à cela ne tienne, Tétradie dégouline de sueur à l'heure qu'il est. L'air lui semble chaud, capiteux, brumeux par instants, tremblant par d'autres.
C'est sans doute pour cela - ou pour tout un tas d'autres raisons - que lorsque les joueurs retroussent à nouveau leurs manches et que les cochers arrêtent de chanter leur récital en patois ... Que l'initiée préfère se lever, chercher les autres convives du regard, pour finalement s'éclipser vers un lit bien plus douillet qu'il n'y parait.