Or donc, la matinée n'était point encore bien avancée qu'Urunean Serardaliel était déjà debout, frais et dispos, prêt pour cette nouvelle journée. Fils aîné d'un couple sans prétention de la noblesse du royaume d'Avelorn, Urunean ressemblait physiquement à la majorité des habitants d'Ulthuan : les cheveux blonds et très longs, les yeux d'un bleu profond. Rien de très exceptionnel, donc, dans la vie de ce jeune elfe : âgé de quarante-cinq ans, il avait deux sœurs cadettes, l'une ayant huit ans de moins que lui, l'autre onze. Depuis que son père avait perdu la vie, deux ans plus tôt, lors d'un raid druchii sur Cothique, l'un des royaumes extérieurs, Urunean était pour ainsi dire devenu le chef de famille, assistant sa mère dans la gestion des affaires familiales. Mais, en l'occurrence, le problème qui lui occupait l'esprit chaque jour depuis plusieurs mois était d'une complexité déconcertante : souhaitant trouver à sa famille une vraie place dans la société elfe, Urunean avait l'intuition, au plus profond de son cœur, qu'il lui fallait devenir l'un des légendaires Heaumes d'Argent, afin d'être remarqué et d'acquérir ainsi un minimum de prestige pour sa famille. Toutefois, ses préoccupations demeuraient : comment devenir membre de cet ordre célèbre chez les hauts-elfes ? Il allait lui falloir acquérir un équipement différent, et se procurer un destrier elfique dressé au combat, et surtout, le plus important, peut-être, avoir des relations pour intégrer l'ordre des Heaumes d'Argent, qui regroupait le fine fleur des jeunes nobles du pays. Et, comme le bât doit bien blesser quelque part, Urunean se sentait assez peu relié au monde des contrées extérieures, malgré le fait qu'il ai déjà visité Lothern, la capitale, ou bien que feu son père ait connu le célèbre Imrik de Caledor... Les relations de son père étaient multiples, mais le nombre de celles qu'il connaissait personnellement, et pouvait se permettre d'exploiter, demeurait limité, et se comptait sur les doigts de la main : tout restait encore à faire, pour la réputation de sa maison.
C'est avec ces pensées qu'Urunean se débattait, tout en déambulant dans les couloirs du manoir familial, lorsqu'il pénétra ainsi dans la bibliothèque. Cette pièce, située au sommet de l'élégant édifice, donnait sur un grand balcon, dominant les clairières, au milieu des hautes frondaisons des arbres séculaires d'Avelorn ; il faisait toujours bon s'y adosser pour lire, composer quelque poème ou morceau de musique, ou réfléchir à l'avenir. Urunean, pensif, y trouva sa plus jeune sœur, Indsebrim, âgée de trente-quatre ans, et qui, vêtue d'une robe blanche aérienne dont les pans transparents jouaient tranquillement avec la brise forestière. Elle avait un manuscrit entre les mains, qu'Urunean identifia comme traitant des elfes dits "sylvains", ou "Asrai", restés dans le Vieux Monde à l'époque du retrait des colonies de l'empire haut-elfe. Comme l'air était bon, et vivifiant, et que la journée s'annonçait magnifique, l'aîné rejoignit sa sœur sur le balcon, et observa un moment, silencieux, les arbres voisins, et la forêt au milieu de laquelle avait été érigée leur demeure familiale. Puis, Indsebrim lui parla, le regard perdu dans le lointain, une expression rêveuse sur le visage, et sa voix sonnait comme un doux murmure aux oreilles de son frère :
"Comme j'aimerais, si je pouvais, partir là-bas..."