Des soupirs de bise et des larmes de neige fondue cernaient la piste qu’empruntait le chasseur. Ce n’était qu’à midi que les rayons du soleil étaient assez puissants pour réchauffer la terre et en éloigner les frimas. Le givre matinal et la neige du soir gouttaient des branches nippées de blanc des grands pins et les arbres eux-mêmes gémissaient et craquaient à mesure que dégelait la sève qui les irriguait.
Quand l’hiver sortait ses griffes de gel, seuls les oiseaux et les animaux les plus hardis et farouche à la fois refusaient de quitter les forêts et les montagnes de Norsca. Ils se cachaient dans leurs terriers et leurs antres ou battaient en retraite dans les contrées plus chaudes du Kislev et du sud. Les forêts de pins se vidaient presque de tout habitant et seuls le loup affamé et le têtu bœuf musqué osaient braver les terres battues par la neige…
Mais ce n’était ni le bœuf ni le loup qui arpentait le chemin forestier. De grandes et imposantes silhouettes aux charpentes recouvertes de fourrures et engoncées dans des armures de cuir et de bronze progressaient sous la canopée transie. L’acier des haches et des claymores qu’elles empoignaient fermement scintillait et derrière les heaumes de fer, chaque visage tanné arborait un rictus de haine féroce et de rage blême. Les yeux pâles des Norses ne se concentraient que partiellement sur leurs environs neigeux. L’esprit qui les animait était habité de visions de sang, de tuerie et de vengeance.
Vêtu d’un manteau blanc en fourrure de loup, le premier de ces ravageurs vieillissants était un escogriffe à la barbe grise, les balafres qui déparaient son visage parcheminé témoignaient de son âge. Dans ses mains gantelées, ce vieux chasseurs portait une lourde lance à sanglier dont l’orientation suivait son regard tandis qu’il examinait la lisière des arbres. Il observa une pause et leva le poing. Derrière lui, les guerriers norses firent eux aussi halte, scrutèrent les arbres d’un air menaçant et s’efforcèrent de distinguer par eux-mêmes l’indice que leur avait désigné leur guide.
Le vieux chasseur se retourna lentement et rejoignit les guerriers au petit trot. À grandes enjambées, un des formidables ravageurs vint le saluer. C’était un homme immense, une sorte d’ours, un géant qui dépassait d’une bonne tête les guerriers qui l’entouraient. Ses larges épaules et le tonneau qui lui tenait lieu de poitrail étouffaient dans le lourd haubert de cuir qui lui protégeait le torse. Des muscles épais saillaient sous les fourrures qui habillaient ses membres puissants et une épée large prolongeait un des battoirs qui lui tenait lieu de mains. Son cou noueux supportait une tête qui manquait se perdre dans la chevelure pâle et hirsute qui la recouvrait. Des talismans et des gris-gris d’os étaient tressés dans la crinière blonde de ce guerrier et dodelinaient à chacun de ses mouvements. Deux yeux blafards luisaient dans les tréfonds de son visage, plus froids encore que le monde glacé qui les entouraient.
[table][tr][td][/td][td] Qu’y a-t-il, Svanr ? Quelles sont les ombres qui te rendent nerveux, aujourd’hui ? demanda le guerrier.[/td][/tr][/table]
[table][tr][td][/td][td] Des ombres, ça tu l’as dit ! cracha Svanr. Sur combien d‘hivers as-tu posé les yeux, Einarr fils de Sigdan ? Te permettent- ils de savoir depuis quand ces terres sont prises par le gel ? Te renseignent-ils sur la dernière fois où un loup a arpenté ce chemin ?[/td][/tr][/table]
Jonas appréhenda la sagacité qui imprégnait les paroles du chasseur. Un bon chef de guerre ne se remarquait pas seulement par les atouts qui lui étaient propres, mais aussi par sa capacité à reconnaitre ceux des hommes qu’il dirigeait. Si Svanr pensait que la prudence l’emporterait sur la célérité, Einarr était assez sage pour s’incliner face à l’expérience supérieure du vieux chasseur.
[table][tr][td][/td][td] Les hommes ont hâte de plonger leur acier dans les chairs des Aeslings,déclara Einarr. Ces ordures devront payer le prix fort pour le vol de notre bétail et le massacre de nos hommes et nos serfs ![/td][/tr][/table]
Svanr secoua la tête.
[table][tr][td][/td][td] Nous sommes à présent en territoire aesling, dit le chasseur en pointant vaguement un doigt recouvert de fourrure vers le nord-est. Skraevold ne se trouve qu‘à une demi-journée de cette forêt. En dépit de l‘incroyable force et du formidable courage de nos guerriers, se confronter au village entier verrait les scaldes scander la victoire des Aeslings et non celles des Baersonlings. [/td][/tr][/table]
D’un signe de la tête, Einarr approuva et fit claquer son énorme main sur l’épaule du chasseur.
[table][tr][td][/td][td] Nous allons donc être obligés de nous fier à ta connaissance de ces défilés pour mettre la main sur ces pillards avant qu‘ils ne rallient Skraevold. Mène-nous à eux, Svanr. Nos lames ont soif ! [/td][/tr][/table]
Les derniers échos de l’exhortation du chef de guerre retentissaient encore quand un cri perçant fusa dans la forêt. Un des guerriers d’Einarr tomba à genoux, une lourde lance fichée dans la poitrine. Aucun ravageur n’aida ce camarade blessé. Non, ils firent face à la lisière des arbres, d’où provenait la lance. Une meute furieuse et rugissante surgit alors du feuillage.
[table][tr][td][/td][td] Les Aes‘ ! siffla Einarr en se tournant vers les agresseurs.[/td][/tr][/table]