[Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
« Alors ? »
« Hé bien quoi ? Tu aurais pu me prévenir ! »
"Je te croyais grande aventurière !" La Gantière dégaina son sourire le plus fripon tout en essuyant la table débarrassée de ses couverts.
« Je le suis ! » répondit l’amazone en rendant son sourire à sa compagne « Mais je dois avouer que je n’avais jamais été aussi mal à l’aise de ma vie. » puis, saisissant une pomme et croquant dedans à pleine dent, elle enchaîna tout en mâchouillant « Enfin, ton ami semble être moins rustre que la moyenne, et visiblement, il m’apprécie assez pour avoir envie de me revoir demain. La journée n’a pas été vaine, merci. »
"Hé ! Ce sont les pommes pour demain matin, gloutonne." Alessandra rigola avant de répondre avec un peu plus de contenance. "Sous ses airs, Gianni est une bonne personne. Je pense surtout qu'il est très seul. Et puis, grâce à lui, tu peux aller à ta guise dans la Haute ville."
Moqueuse, la fille de la jungle lui tendit le fruit entamé, comme pour lui proposer de le récupérer, puis, elle répondit « Oui, j'ai pu me promener cette après-midi et découvrir un peu l'endroit. Tu connais un peu les lieux ? Où penses-tu que je devrais chercher des indices ? »
"C'est compliqué." Elle attrapa la pomme avant de croquer dedans à son tour, un air de défi non dissimulé sur le visage. "Il y a énormément de palais. Elle peut être n'importe où. Il faudra que tu voies avec ce que Gianni peut te donner comme informations. Je pourrais aussi demander à Lars quand il reviendra de laisser trainer les oreilles de ses hommes un peu partout mais… Je ne sais pas quand il reviendra."
Elle essuya nonchalamment le jus coulant de ses doigts sur un morceau de tissu qui trainait là. « Dans ce cas, je n'ai plus qu'à continuer de satisfaire les yeux de notre artiste en espérant qu'il fasse de même pour mes oreilles ! » puis, changeant de sujet, elle demanda « Lars n'est toujours pas revenu en ville ? »
"Non. Il ne devrait pas tarder, je pense. Enfin, je l'espère. Il m'est très utile, bien qu'il soit beaucoup plus rustre que Gianni."
« Quand tu en auras l'occasion, transmets lui mon bon souvenir. » conclut-elle avant de sauter de la table ou elle était assise pour se diriger vers la remise qui lui servait de chambre.
"Ce sera chose faite ! Après ça on ira tous trinquer à cette petite entreprise !"
Le lendemain, après une remontée de plus en plus familière à travers la ville, et l'attente mortifère pour pouvoir rentrer, sous l'œil bovin et torve de soudards bien trop désireux de vérifier que "Madame n'cache ni armes ni contrebandes vous comp'enez ?" et le salut sous la forme d'un Blaise toujours aussi blasé, Nola se retrouva bien vite dans le salon du peintre, qui l'accueillit avec le thé et quelques gâteaux. "Ma chère ! Comment allez-vous aujourd'hui ?"
Plus habituée aux coups de gueule du quartier maitre à la descente du hamac qu’à un accueil matinal aussi charmant, Nola ne put retenir un petit rire sonore à la salutation de son hôte. S’asseyant sans cérémonie et avec une nonchalance qui lui était propre sur le fauteuil en face de Il Basilio, elle prit quelques instants de réflexion avant de répondre « Très bien. » commença-t-elle tout en attrapant un petit gâteau à la pâte dur, mais dont le cœur semblait plus moelleux « J’ai adoré discuter avec votre serviteur, il est si sympathique, vraiment ! ». Elle marqua un temps d’arrêt et reprit « Et vous ? Êtes-vous toujours aussi inspiré qu’hier ? »
"Blaise ? Il ne vous a pas sermonné sur je ne sais quel verset de l'Étiquette ? Souriant, il ajouta : "Oh, je fourmille d'idées ! Vous avez de la conversation et de la Grâce, la plupart des gens que je rencontre ont l'un ou l'autre, voir aucun des deux. Alors, profitez bien de ces victuailles, je m'occupe de préparer mon matériel."
On lui avait déjà fait bien des compliments, et elle savait très bien l’effet qu’elle faisait aux hommes, mais on ne lui avait jamais évoqué sa grâce. Pourtant, elle sourit et regarda attentivement le jeune peintre sortir une large boîte en bois laqué avec de précieux petits fermoirs dorés. Il l’ouvrit et commença à disposer ses pinceaux et fusains dans un ordre précis sur le plan de travail à ses côtés. De temps en temps, il lui jetait un regard complice et souriait en voyant qu’elle semblait sincèrement intéressée par ses outils. Posant un coude sur l’accoudoir du fauteuil et calant son menton sur sa main, elle demanda l’air songeur « Ces tableaux, qu’en faites-vous ensuite ? Je veux dire, vous peigniez des femmes nues, et après ? Vous les contemplez la nuit pour vous donner du plaisir ? »
Il la regarda un moment. Pantois, avant de partir dans un éclat de rire phénoménale digne des chevaliers du banquet auquel elle avait participé il y a quelques semaines. Un rire tonitruant. "Par les Dieux, Léna, vous êtes merveilleuse !" Reprenant son calme, les joues encore rouges, dans une carnation qu'il aurait sûrement adoré représenter sur sa toile, il ajouta ensuite en reprenant son souffle. "Non non, même si maintenant l'idée me passe par l'esprit. Plus sérieusement, je comptais les présenter dans une réception. Quand je serai satisfait de mes œuvres."
Elle se força à rire de concert avec lui, puis, comme le calme revenait sur le salon privé, elle demanda innocemment :« Pensez-vous que je pourrai avoir le privilège de voir ces œuvres et de contempler les différentes femmes que vous avez déjà peintes ? »
L'artiste opina du chef. "Bien sûr. Elles sont dans l'antichambre juste là. Faites juste attention de ne trébucher sur rien."
Il ne lui fallut pas longtemps pour les voir. Sans cadres pour l'instant, mais dépliées, les toiles étaient rassemblées. Il n'y avait que six tableaux finalisés. De femmes en robes, ou nues. Et une peinture de paysage, qui devait être la vue du port depuis un point de vue surélevé.
Elle prit son temps pour observer les différentes réalisations de Il Basilio, tout en faisant attention à ne rien renverser dans le bazar organisé de l’artiste. Elle se fit d’ailleurs la réflexion que pour un homme se déplaçant sur une seule jambe, il devait être sacrément agile pour se mouvoir dans un environnement si chargé. Bien que son expérience de l’art, notamment de la peinture, soit proche du néant, elle ne pouvait qu’apprécier le travail de l’unijambiste qui avait réussi à coucher sur la toile avec un réalisme troublant les corps et les expressions de ses modèles. Elle observa attentivement chacune des jeunes femmes représentées sur les tableaux, mais aucune ne lui évoqua la beauté sauvage des habitantes de sa jungle natale. En revanche, une des œuvres attira son œil unique. Il s’agissait de la représentation d’une femme d’âge moyen dans le corps, intégralement nu, était peint de dos. Le modèle se tenait debout sur la pointe des pieds, ses mains reposant sur ce qui devait être le rebord d’une fenêtre ou d’un balcon et son menton était levé, franc et décidé, orientant son regard vers un horizon imaginaire. Ses cuisses, bien que moins musclées que celle de Nola était ferment et gracieuses et la courbe de ses fesses, joliment arrondies, était une invitation à la contemplation. Des cheveux aussi noirs que ceux de l’amazone tombaient en cascade sur ses reins, laissant voir une épaule blanche et délicate. Nola la reconnut immédiatement comme étant Alessandra, la gantière chez laquelle elle logeait depuis plusieurs jours maintenant.
Comme plus un bruit ne lui parvenait du salon reconverti en atelier de peinture, elle se décida enfin à revenir voir ce que faisait le maître de lieux.
Évitant avec souplesse les différents obstacles sur son chemin, ses pieds nus ne produisant aucun bruit sur l’épaisse moquette, elle s’en retourna au côté d’un Il Basilio qui l’attendait, sourire aux lèvres et un éclat de convoitise dans le regard. Lui rendant son sourire, elle déclara « Je n’y connais rien dans l’art de la peinture, pourtant je pourrai me laisser séduire par n’importe laquelle des femmes peintes sur vos toiles. D’ailleurs, la femme brune qui semble regarder vers l’inconnu et qui vous tourne le dos, c’est notre amie commune, je me trompe ? »
"Alessandra avait un désir dans ses longues années au service des Princes de Tilée et de leurs favorites, c'était de se voir immortaliser en art, elle aussi. À défaut d'être sculpteur, je l'ai couché sur une toile."
« Et le travail est plus que réussi. » dit-elle en dégrafant sa robe pour la laisser tomber à ses pieds en une couronne de tissus encadrant ses chevilles. Puis, jetant négligemment le vêtement à l’aide de ses orteils sur le fauteuil le plus proche et s’approchant du peintre, en faisant exprès de le frôler pour que la peau de sa cuisse effleure subtilement la main de l’artiste, elle enchaîna « Un ami d’Alessandra nous a parlé il y a quelques jours d’une femme qui me ressemblait et qui aurait été amenée ici elle aussi, savez-vous où je pourrai me rendre pour avoir des informations à son sujet ? »
Elle avança jusqu’à l’endroit le plus lumineux de la pièce et fit un tour sur elle-même, comme pour inviter l’homme à la contempler sous tous les angles et à choisir celui qu’il préférait.« Vous avez connu la maitresse d’Alessandra ? Elle n’en parle que très peu et je dois avouer que la curiosité fait partie de mes nombreux défauts »
Gianni Il Basilio prit un temps de réflexion sincère tout en admirant son égérie. Pour la première question, il dit simplement : "Vous devriez voir avec les Douanes. C'est par elles que tout circule. Vous devriez y glaner des informations en attendant que je récolte les miennes. Assurément." Attrapant ses carnets de croquis, il immobilisa Nola dos à lui et commença à griffer le papier. Après un petit instant, il ajouta : "Alessandra m'en a parlé en effet. C'était la favorite du prince de Luccini. Et elle était sa dame de chambre. Une histoire affreuse. J'ai subi les conséquences de mon orgueil, Alessandra a subi les répercussions d'une histoire qui n'était pas la sienne. Et pourtant elle a encaissé. Elle a tenu bon. Et je la respecte pour cela. Énormément."
Elle se plia aux consignes de l’artiste sans rechigner. Se laissant manipuler à distance comme les marionnettes qu’on pouvait voir sur les marchés des grandes villes ou dans les foires. Parfois, quand elle ne parvenait pas à reproduire la position exacte que le peintre voulait, celui-ci se levait et boitait jusqu’à elle pour l’aider à se mettre en place. Le contact de ses doigts froids sur sa peau lui tirait à chaque fois un petit frisson électrique.
Alors qu’il retournait à sa place après un énième ajustement, elle répondait « J’irais voir aux douanes alors, mais je crains qu’ils ne mettent que peu d’entrain à m’aider, je suis une fille de la ville après tout. »
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, Il Basilio la contemplait avec dévotion « Je me demande qui a pu s’en prendre à la maîtresse d’Alessandra, cette soif de vengeance semble la ronger et j’en suis triste pour elle… »
"De ce que j'ai cru comprendre, il s'agissait d'un amant éperdu de la Dame. Le cœur a ses raisons qui ne s'accordent que rarement au bien fondé des Hommes. Elle y a perdu celle qu'elle aimait, sa place, sa ville. Pour échouer à Myrmidens comme beaucoup d'autres. J'espère que vous, vous en sortirez."
Elle fit la moue avant de répondre « la meilleure solution, ça reste de ne pas s’attacher, de vivre pour soi. Au fait, connaissez-vous quelqu’un à qui je puisse m’adresser de votre part en allant aux douanes ? Cela me ferait gagner un temps précieux ! »
Il se creusa l'esprit un court instant. "Bien entendu. Il me semble que le chef des Douanes se nomme... Rah. Il est d'origine impériale... Verner Schloesing, voilà !"
Elle ne cilla pas à la mention du nom de celui qui l’avait envoyé combattre dans les fosses de la jumelle et dont l’amant était prisonnier dans le sous-sol d’Alessandra depuis plusieurs jours, mais un nouveau frisson, moins agréable celui-ci, lui parcouru l’échine. Comment avait-elle pu être assez stupide pour croire que le peintre parlait des douanes de la haute ville uniquement et non de celles dirigées par Schloesing. D’un ton plus sérieux, elle déclara « on raconte partout en ville que Schloesing était en affaire avec le capitaine du Sangre Azul et qu’il a également pâti de l’attaque sauvage qui a eu lieu sur ce bâtiment il y a peu. Je doute qu’il n’ait l’envie et le temps d’aider une pauvre femme comme moi à retrouver une de ses semblables alors qu’il a tant à s’occuper déjà »
Nola pu entendre une pause dans les griffonages du peintre. Puis d'une voix souscieuse : "C'est vrai... Je vais voir ce que je peux faire sur la question. Au plus vite."
« Merci … Gianni. »
« Hé bien quoi ? Tu aurais pu me prévenir ! »
"Je te croyais grande aventurière !" La Gantière dégaina son sourire le plus fripon tout en essuyant la table débarrassée de ses couverts.
« Je le suis ! » répondit l’amazone en rendant son sourire à sa compagne « Mais je dois avouer que je n’avais jamais été aussi mal à l’aise de ma vie. » puis, saisissant une pomme et croquant dedans à pleine dent, elle enchaîna tout en mâchouillant « Enfin, ton ami semble être moins rustre que la moyenne, et visiblement, il m’apprécie assez pour avoir envie de me revoir demain. La journée n’a pas été vaine, merci. »
"Hé ! Ce sont les pommes pour demain matin, gloutonne." Alessandra rigola avant de répondre avec un peu plus de contenance. "Sous ses airs, Gianni est une bonne personne. Je pense surtout qu'il est très seul. Et puis, grâce à lui, tu peux aller à ta guise dans la Haute ville."
Moqueuse, la fille de la jungle lui tendit le fruit entamé, comme pour lui proposer de le récupérer, puis, elle répondit « Oui, j'ai pu me promener cette après-midi et découvrir un peu l'endroit. Tu connais un peu les lieux ? Où penses-tu que je devrais chercher des indices ? »
"C'est compliqué." Elle attrapa la pomme avant de croquer dedans à son tour, un air de défi non dissimulé sur le visage. "Il y a énormément de palais. Elle peut être n'importe où. Il faudra que tu voies avec ce que Gianni peut te donner comme informations. Je pourrais aussi demander à Lars quand il reviendra de laisser trainer les oreilles de ses hommes un peu partout mais… Je ne sais pas quand il reviendra."
Elle essuya nonchalamment le jus coulant de ses doigts sur un morceau de tissu qui trainait là. « Dans ce cas, je n'ai plus qu'à continuer de satisfaire les yeux de notre artiste en espérant qu'il fasse de même pour mes oreilles ! » puis, changeant de sujet, elle demanda « Lars n'est toujours pas revenu en ville ? »
"Non. Il ne devrait pas tarder, je pense. Enfin, je l'espère. Il m'est très utile, bien qu'il soit beaucoup plus rustre que Gianni."
« Quand tu en auras l'occasion, transmets lui mon bon souvenir. » conclut-elle avant de sauter de la table ou elle était assise pour se diriger vers la remise qui lui servait de chambre.
"Ce sera chose faite ! Après ça on ira tous trinquer à cette petite entreprise !"
Le lendemain, après une remontée de plus en plus familière à travers la ville, et l'attente mortifère pour pouvoir rentrer, sous l'œil bovin et torve de soudards bien trop désireux de vérifier que "Madame n'cache ni armes ni contrebandes vous comp'enez ?" et le salut sous la forme d'un Blaise toujours aussi blasé, Nola se retrouva bien vite dans le salon du peintre, qui l'accueillit avec le thé et quelques gâteaux. "Ma chère ! Comment allez-vous aujourd'hui ?"
Plus habituée aux coups de gueule du quartier maitre à la descente du hamac qu’à un accueil matinal aussi charmant, Nola ne put retenir un petit rire sonore à la salutation de son hôte. S’asseyant sans cérémonie et avec une nonchalance qui lui était propre sur le fauteuil en face de Il Basilio, elle prit quelques instants de réflexion avant de répondre « Très bien. » commença-t-elle tout en attrapant un petit gâteau à la pâte dur, mais dont le cœur semblait plus moelleux « J’ai adoré discuter avec votre serviteur, il est si sympathique, vraiment ! ». Elle marqua un temps d’arrêt et reprit « Et vous ? Êtes-vous toujours aussi inspiré qu’hier ? »
"Blaise ? Il ne vous a pas sermonné sur je ne sais quel verset de l'Étiquette ? Souriant, il ajouta : "Oh, je fourmille d'idées ! Vous avez de la conversation et de la Grâce, la plupart des gens que je rencontre ont l'un ou l'autre, voir aucun des deux. Alors, profitez bien de ces victuailles, je m'occupe de préparer mon matériel."
On lui avait déjà fait bien des compliments, et elle savait très bien l’effet qu’elle faisait aux hommes, mais on ne lui avait jamais évoqué sa grâce. Pourtant, elle sourit et regarda attentivement le jeune peintre sortir une large boîte en bois laqué avec de précieux petits fermoirs dorés. Il l’ouvrit et commença à disposer ses pinceaux et fusains dans un ordre précis sur le plan de travail à ses côtés. De temps en temps, il lui jetait un regard complice et souriait en voyant qu’elle semblait sincèrement intéressée par ses outils. Posant un coude sur l’accoudoir du fauteuil et calant son menton sur sa main, elle demanda l’air songeur « Ces tableaux, qu’en faites-vous ensuite ? Je veux dire, vous peigniez des femmes nues, et après ? Vous les contemplez la nuit pour vous donner du plaisir ? »
Il la regarda un moment. Pantois, avant de partir dans un éclat de rire phénoménale digne des chevaliers du banquet auquel elle avait participé il y a quelques semaines. Un rire tonitruant. "Par les Dieux, Léna, vous êtes merveilleuse !" Reprenant son calme, les joues encore rouges, dans une carnation qu'il aurait sûrement adoré représenter sur sa toile, il ajouta ensuite en reprenant son souffle. "Non non, même si maintenant l'idée me passe par l'esprit. Plus sérieusement, je comptais les présenter dans une réception. Quand je serai satisfait de mes œuvres."
Elle se força à rire de concert avec lui, puis, comme le calme revenait sur le salon privé, elle demanda innocemment :« Pensez-vous que je pourrai avoir le privilège de voir ces œuvres et de contempler les différentes femmes que vous avez déjà peintes ? »
L'artiste opina du chef. "Bien sûr. Elles sont dans l'antichambre juste là. Faites juste attention de ne trébucher sur rien."
Il ne lui fallut pas longtemps pour les voir. Sans cadres pour l'instant, mais dépliées, les toiles étaient rassemblées. Il n'y avait que six tableaux finalisés. De femmes en robes, ou nues. Et une peinture de paysage, qui devait être la vue du port depuis un point de vue surélevé.
Elle prit son temps pour observer les différentes réalisations de Il Basilio, tout en faisant attention à ne rien renverser dans le bazar organisé de l’artiste. Elle se fit d’ailleurs la réflexion que pour un homme se déplaçant sur une seule jambe, il devait être sacrément agile pour se mouvoir dans un environnement si chargé. Bien que son expérience de l’art, notamment de la peinture, soit proche du néant, elle ne pouvait qu’apprécier le travail de l’unijambiste qui avait réussi à coucher sur la toile avec un réalisme troublant les corps et les expressions de ses modèles. Elle observa attentivement chacune des jeunes femmes représentées sur les tableaux, mais aucune ne lui évoqua la beauté sauvage des habitantes de sa jungle natale. En revanche, une des œuvres attira son œil unique. Il s’agissait de la représentation d’une femme d’âge moyen dans le corps, intégralement nu, était peint de dos. Le modèle se tenait debout sur la pointe des pieds, ses mains reposant sur ce qui devait être le rebord d’une fenêtre ou d’un balcon et son menton était levé, franc et décidé, orientant son regard vers un horizon imaginaire. Ses cuisses, bien que moins musclées que celle de Nola était ferment et gracieuses et la courbe de ses fesses, joliment arrondies, était une invitation à la contemplation. Des cheveux aussi noirs que ceux de l’amazone tombaient en cascade sur ses reins, laissant voir une épaule blanche et délicate. Nola la reconnut immédiatement comme étant Alessandra, la gantière chez laquelle elle logeait depuis plusieurs jours maintenant.
Comme plus un bruit ne lui parvenait du salon reconverti en atelier de peinture, elle se décida enfin à revenir voir ce que faisait le maître de lieux.
Évitant avec souplesse les différents obstacles sur son chemin, ses pieds nus ne produisant aucun bruit sur l’épaisse moquette, elle s’en retourna au côté d’un Il Basilio qui l’attendait, sourire aux lèvres et un éclat de convoitise dans le regard. Lui rendant son sourire, elle déclara « Je n’y connais rien dans l’art de la peinture, pourtant je pourrai me laisser séduire par n’importe laquelle des femmes peintes sur vos toiles. D’ailleurs, la femme brune qui semble regarder vers l’inconnu et qui vous tourne le dos, c’est notre amie commune, je me trompe ? »
"Alessandra avait un désir dans ses longues années au service des Princes de Tilée et de leurs favorites, c'était de se voir immortaliser en art, elle aussi. À défaut d'être sculpteur, je l'ai couché sur une toile."
« Et le travail est plus que réussi. » dit-elle en dégrafant sa robe pour la laisser tomber à ses pieds en une couronne de tissus encadrant ses chevilles. Puis, jetant négligemment le vêtement à l’aide de ses orteils sur le fauteuil le plus proche et s’approchant du peintre, en faisant exprès de le frôler pour que la peau de sa cuisse effleure subtilement la main de l’artiste, elle enchaîna « Un ami d’Alessandra nous a parlé il y a quelques jours d’une femme qui me ressemblait et qui aurait été amenée ici elle aussi, savez-vous où je pourrai me rendre pour avoir des informations à son sujet ? »
Elle avança jusqu’à l’endroit le plus lumineux de la pièce et fit un tour sur elle-même, comme pour inviter l’homme à la contempler sous tous les angles et à choisir celui qu’il préférait.« Vous avez connu la maitresse d’Alessandra ? Elle n’en parle que très peu et je dois avouer que la curiosité fait partie de mes nombreux défauts »
Gianni Il Basilio prit un temps de réflexion sincère tout en admirant son égérie. Pour la première question, il dit simplement : "Vous devriez voir avec les Douanes. C'est par elles que tout circule. Vous devriez y glaner des informations en attendant que je récolte les miennes. Assurément." Attrapant ses carnets de croquis, il immobilisa Nola dos à lui et commença à griffer le papier. Après un petit instant, il ajouta : "Alessandra m'en a parlé en effet. C'était la favorite du prince de Luccini. Et elle était sa dame de chambre. Une histoire affreuse. J'ai subi les conséquences de mon orgueil, Alessandra a subi les répercussions d'une histoire qui n'était pas la sienne. Et pourtant elle a encaissé. Elle a tenu bon. Et je la respecte pour cela. Énormément."
Elle se plia aux consignes de l’artiste sans rechigner. Se laissant manipuler à distance comme les marionnettes qu’on pouvait voir sur les marchés des grandes villes ou dans les foires. Parfois, quand elle ne parvenait pas à reproduire la position exacte que le peintre voulait, celui-ci se levait et boitait jusqu’à elle pour l’aider à se mettre en place. Le contact de ses doigts froids sur sa peau lui tirait à chaque fois un petit frisson électrique.
Alors qu’il retournait à sa place après un énième ajustement, elle répondait « J’irais voir aux douanes alors, mais je crains qu’ils ne mettent que peu d’entrain à m’aider, je suis une fille de la ville après tout. »
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, Il Basilio la contemplait avec dévotion « Je me demande qui a pu s’en prendre à la maîtresse d’Alessandra, cette soif de vengeance semble la ronger et j’en suis triste pour elle… »
"De ce que j'ai cru comprendre, il s'agissait d'un amant éperdu de la Dame. Le cœur a ses raisons qui ne s'accordent que rarement au bien fondé des Hommes. Elle y a perdu celle qu'elle aimait, sa place, sa ville. Pour échouer à Myrmidens comme beaucoup d'autres. J'espère que vous, vous en sortirez."
Elle fit la moue avant de répondre « la meilleure solution, ça reste de ne pas s’attacher, de vivre pour soi. Au fait, connaissez-vous quelqu’un à qui je puisse m’adresser de votre part en allant aux douanes ? Cela me ferait gagner un temps précieux ! »
Il se creusa l'esprit un court instant. "Bien entendu. Il me semble que le chef des Douanes se nomme... Rah. Il est d'origine impériale... Verner Schloesing, voilà !"
Elle ne cilla pas à la mention du nom de celui qui l’avait envoyé combattre dans les fosses de la jumelle et dont l’amant était prisonnier dans le sous-sol d’Alessandra depuis plusieurs jours, mais un nouveau frisson, moins agréable celui-ci, lui parcouru l’échine. Comment avait-elle pu être assez stupide pour croire que le peintre parlait des douanes de la haute ville uniquement et non de celles dirigées par Schloesing. D’un ton plus sérieux, elle déclara « on raconte partout en ville que Schloesing était en affaire avec le capitaine du Sangre Azul et qu’il a également pâti de l’attaque sauvage qui a eu lieu sur ce bâtiment il y a peu. Je doute qu’il n’ait l’envie et le temps d’aider une pauvre femme comme moi à retrouver une de ses semblables alors qu’il a tant à s’occuper déjà »
Nola pu entendre une pause dans les griffonages du peintre. Puis d'une voix souscieuse : "C'est vrai... Je vais voir ce que je peux faire sur la question. Au plus vite."
« Merci … Gianni. »
- Nola Al'Nysa
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Le reste de la matinée se déroula dans un silence agréable. Perdue dans mes pensées, je restais parfaitement immobile, nue devant Gianni Il Basilio qui, concentrait sur son travail, ne parlait plus que pour faire des petits commentaires à voix basses pour lui-même. Le soleil qui brillait dehors et traversait la baie vitrée remplissait la pièce d’une douce chaleur et venait caresser ma peau, faisant briller les petits clous dorés qui perçaient mes seins et la petite chaîne en argent qui pendait de l'hélix de mon oreille à son lobe. Seul le bruit du fusain de l’artiste venait troubler la quiétude du lieu. Par moment, le son d’une cloche à quelques patés de maison de nous résonnait, marquant l'avancée lente mais régulière de la journée.
En milieu de matinée, un jeune page se présenta avec un plateau couvert de pâtisseries et une théière fumante. Il rougit en me voyant ainsi dévêtue ce qui me fut sourire, puis il s’en fut les joues cramoisies après avoir déposé son chargement et fait une brève révérence à son maître. Je ne prenais même pas la peine de remettre ma robe durant le court moment de cet entracte bienvenue, pourquoi aurais-je voulu cacher ma nuditié à un homme qui, justement, peignait mon corps depuis plusieurs heures ?
Je me rendis compte en me laissant tomber dans le fauteuil à côté du peintre que j’avais les jambes ankylosées d’être restées trop longtemps immobiles et gainées et ce court moment de répit me fit le plus grand bien. Pendant que nous buvions notre boisson, la conversation vola de sujets frivoles à d’autres à peine plus sérieux, Gianni savait faire la discussion et était bien plus cultivé que moi, mais je sentais qu’il appréciait sincèrement le vent de fraîcheur que j’amenais dans son existence calme et rangée. À plusieurs reprises, je fis des remarques qui semblèrent le surprendre avant de le faire éclater de rire et finalement, je dus concéder que je prenais moi aussi plaisir à discuter avec lui, malgré la situation pour le moins insolite. Je me sentais bien dans ce salon et surtout, je me sentais en confiance avec le peintre car, bien qu’il me dévorait des yeux, il n’avait pas le moindre geste déplacé à mon encontre et faisait même preuve d’une douceur à laquelle je n’étais pas habituée. Avachis sur le fauteuil moelleux, les jambes pendant par-dessus l’un des accoudoirs et les pieds battants dans le vide, il me fallut me faire violence pour me remettre debout afin que nous puissions reprendre le travail.
Il refusa plusieurs fois en riant de me montrer l’avancée de ses travaux, et ceux même malgré mes menaces de le faire trébucher ou de le bousculer, chose qu’on avait pas du lui dire depuis des années, et je finis par reprendre ma place au milieu de la pièce tandis qu’il claudiquait jusqu’à sa toile. Durant la seconde partie de la matinée, il commença à mettre de la peinture par-dessus l’esquisse faite plus tôt. Je souris intérieurement en pensant à mon empressement de voir le résultat final : depuis quand voir mon portrait peint par un artiste m'intéressait-il ? Ce monde que je passais mon temps à maudire finissait tant bien que mal par me changer, ou bien est-ce moi qui réussissais petit à petit à l’apprivoiser ?
Enfin, alors que mon ventre commençait à émettre des grondements mécontent, Gianni finit par se redresser, puis en s’étirant, il dit :
- « Hé bien, je crois que pour aujourd’hui ce sera déjà pas mal. Il est difficile de rester concentré aussi longtemps, même pour un si beau modèle. »
- « Je crois que ça fait bien longtemps que je ne sens plus mes jambes » dis-je, trop heureuse d’être libérée de ma position inconfortable. Je me pliais en deux jusqu’à toucher mes orteils du bout de mes doigts pour détendre mon dos courbaturé, faisant craquer mes vertèbres avec un bruit sourd et satisfaisant.
- « Je m’excuse de t’infliger cela Léna, mais je t'assure que le résultat en vaudra la peine » dit-il avec un sourire tout en attrapant ma robe la ou je l’avais jetée et en s’avançant dans ma direction.
J’enfilais le vêtement léger puis me relevais afin de prendre congé du maître des lieux mais il s’approcha et me contourna lentement en laissant sa main courir le long de mon bras nu. Je pivotais pour me retrouver face à lui et je me rendis compte que malgré son handicap, il possédait encore une carrure athlétique et que lorsqu'il se tenait debout et parfaitement droit, il me dominait de plus d’une tête. Surprise par cette soudaine proximité je demandais :
- « Que pense votre femme de votre activité disons...particulière ? »
- « Oh, vous m'en voyez navré mais je ne suis pas marié. Le père de ma promise a rompu les fiançailles car il n'acceptait pas l'idée de jeter sa fille à un infirme. Je cite ses mots. »
- « Un infirme peut être, mais talentueux. »
- « Je ne crois pas que cela ait été un argument suffisant pour lui » conclut-il avec une moue boudeuse mais une étincelle rieuse dans le regard.
- « Nous avons cela de commun, nous les infirmes, que les gens nous considèrent toujours comme plus faibles, jusqu’à ce qu’ils comprennent leur erreur, souvent trop tard » dis-je avec conviction.
Lorsque finalement, je quittais enfin la demeure de Il Basilio, c’est l’esprit confus que je remontais les petites ruelles toujours aussi propres de la haute ville en direction de l’avenue principale. Je me demandais à quoi rimait ma situation, alors que j’étais censé retrouver l’une de mes soeurs surement en fâcheuse posture et que je perdais un temps précieux à me faire dessiner nu par un artiste dont je ne connaissais rien et qui avait promis de m’aider seulement par désir pour moi. Pourtant, il me fallait reconnaître également que c’était pour le moment le seul début de piste que j’avais et que sans Gianni, je n’aurais pas la moindre chance de poursuivre ma découverte de cette partie de la ville réservée à l’élite et à leurs serviteurs.
Mes pas me menèrent finalement sans que je m’en rende réellement compte jusqu’à un lavoir ou une armée d’employés des riches familles vivant ici était occupé à laver le linge de leurs nobles patrons. Je m’approchais d’un groupe de femmes qui discutaient tout en battant les précieux tissus pour les débarrasser de toutes traces d'impureté et je demandais sans préambule :
- « Je cherche une fille. »
- « C’est pas la spécialité ici » répondit l’une des femmes avec un air perplexe « si ton maître cherche de la viande fraîche, il faudrait plutôt t’adresser ailleurs. »
- « Ce n’est pas ce que vous croyez » dis-je précipitamment en comprenant le malentendu que je venais de créer « je suis à la recherche d’une amie qui serait arrivée dans la cité haute il y a quelques jours ou une semaine tout au plus, elle se nomme Yasmina, peut-être l’une d’entre-vous en a t’elle entendu parler ? »
Malheureusement, ce nom n’évoqua rien aux lavandières, à moins qu’elles n'aient pas envie de donner des informations à une inconnue si étrange. Toujours est-il que je quittais les lieux sans en savoir plus et avec la drôle d’impression d’être passée pour une sotte.
Poussée par la faim, je repris la direction de la grande place où se tenait le palais de la bourse. Une fois arrivée, je retrouvais le vendeur de beignets fourrés qui me fit un grand sourire lorsqu’il me vit m’avancer vers lui. Je lui commandais le même repas que la veille et il m’offrit un petit gâteau sec aux amandes en plus en précisant qu’il espérait me revoir régulièrement. Pendant que je mangeais, je regardais vaguement la foule de personnes pressées qui se croisaient devant moi en me demandant comment des gens pouvaient accepter de vivre ainsi les uns sur les autres avec l’air d’être toujours stressés et angoissés par la journée à venir. Dans ces moments, ma jungle natale et le rythme de vie de mon peuple me manquait. Certes, la vie était rude et dangereuse en Lustrie, mais au moins nous savions profiter de chaque instant et jouir de ce que la nature luxuriante et immense nous offrait. Ici, ce n’était que de la pierre, des cris et de l’agressivité. Mes pensées dérivèrent ensuite et je me demandais où se trouvaient l’Aslevial et son équipage. Est-ce que le capitaine Syrasse, le vieux Gindast et les autres pensaient un peu à moi et Kidd de temps en temps ? Est-ce que le navire avait réussi à rallier Sartosa sans nouvelles avaries pour profiter des ressources pillées à Matorca ? La traversée de retour avait-elle été calme ou bien avaient-ils dû affronter du gros temps ? Tant de questions auxquelles je ne pouvais répondre…
Après ce repas toujours aussi savoureux, je décidais de me mettre en quête d’un point de passage entre les deux parties de la cité différent de celui que j’empruntais le matin. J’avais l’intuition que l’abondance de denrées que je voyais depuis que je côtoyais les petits nobles locaux devait bien entrer dans la ville haute par un endroit dédié au transit des marchandises. Si je parvenais à trouver cet endroit, j'aurais peut-être plus de chance de pouvoir faire pénétrer Chuji et Kidd dans l’enceinte de ces murs et ainsi de disposer d’alliés de première main à proximité de moi. Pourtant, après plus de deux heures à errer dans les rues et les impasses de la vieille ville et après avoir passé un bon moment à longer autant que possible le mur d’enceinte, je dus me rendre à l’évidence : si un point de passage existait, il était discret.
Fatiguée et craignant d’attirer l’attention à force de rôder sans but précis, je me décidais donc à rejoindre la sortie de la cité haute. Sur ma route, je traversais une place magnifique par laquelle je n’étais pas encore passé. Une fontaine merveilleusement ouvragée faisait couler de l’eau dans un bruit cristallin en son centre tandis qu’autour, des allées ombragées aux colonnes sculptées permettaient aux passants de se déplacer à l'abri du soleil. D’énormes pots en granit clair étaient garnis de fleurs rouges et au-dessus, un palace somptueux dominait le décor. Une fois l’enceinte de ce jardin d’Eden franchie, je plongeais de nouveau dans la crasse et la puanteur de Myrmidens, et cela me donna le sourire. J’avais l’impression d’avoir passé les deux derniers jours dans un univers aseptisé où chaque action, chaque phrase était réfléchi, pensée, mesurée, ou rien n’était naturel et j’en eu presque la nausée. En redescendant vers la boutique d’Alessandra, je m'arrêtais chez un commerçant dont l’étale, bien que moins rutilante que celles que j’avais vu plus tôt dans l’après-midi, était bien agencée et aguicheuse. Je dépensais mes derniers sous pour acquérir deux bouteilles d’un vin estalien dont il me promit qu’il me ravirait les papilles et j’achetais une tarte à la crème faite le matin même par son épouse. Mes emplettes sous le bras, je rentrais à la demeure de la gantière, heureuse de retrouver mes amis.
Je passais ce soir-là une de mes plus agréables soirées depuis bien longtemps. Après un copieux repas généreusement arrosé, c’est le ventre bien rempli que je sortis de la boutique de notre hôte pour aller fumer un cheroot dans la petite rue. En effet, Alessandra m’avait catégoriquement interdit de fumer à l’intérieur de son échoppe par peur que ses tissus ne s'imprègnent de l’odeur produite par les petits cigares courts que j’affectionnais tant. Alors que je réfléchissais aux événements des dernières journées en expirant une longue bouffée de fumée par les narines, j’entendis la porte du magasin s’ouvrir puis se refermer silencieusement. Tournant la tête, je vis Alessandra, enroulée dans un châle de laine sortir et se diriger vers moi. Elle s’assit à mes côtés sur le perron de la fenêtre en étouffant un frisson.
- « Ça s'est rafraîchi » dit-elle tout en jetant un regard à ma tenue « tu n’as pas froid toi ? »
- « Je trouve qu’au contraire, un peu de fraîcheur ne fait pas de mal dans cette ville » commentais-je avec un petit sourire, puis, sans la regarder, je dis « j’ignorais que tu avais un grain de beauté sous la fesse droite. »
- « Que, quoi ? » s'étouffa-t-elle surprise alors que je pouffais de rire « qui t’as dis ça ? »
- « Personne, j’ai juste vu une peinture d’une femme peinte de dos chez Gianni, je t’ai reconnu instantanement. »
- « Il avait juré de le garder pour lui » dit-elle en souriant à son tour « on ne peut donc jamais faire confiance aux hommes ! »
- « Est-ce que lui et toi vous avez déjà, comment dire… »
- « Étaient amants ? »
- « Oui »
- « Nous nous apprécions. De là à être amant. Lui comme moi naviguons vers des caps bien éloignés. Mais Gianni est ce qu'il est. Et il est bon. Même s'il ne le réalise pas lui-même. Il t'aiderait même avec bien moins d'intérêts que moi dans ton entreprise. » dit-elle après un instant d’hésitation.
- « Quel cap peut bien suivre un homme vivant dans un palais qui éblouit les pauvres de la ville tel un phare ? »
- « Si tu es familière avec la mer, et je sais que tu l'es bien plus que ce que tu n'en révèleras jamais, tu ne peux qu'avoir un pincement au coeur pour ces vieux navires qui après tant de traversées restent coincés à quais sans revoir le soleil se coucher sur le vaste horizon de la pleine mer. Gianni est né riche et vivra richement. Une richesse que je n'ai pu que frôler dans ma vie et dont chaque miette suffirait au commun des Hommes et pourtant. Tu sais ce qu'il voulait faire à un moment ? Jeter son or dans les bassines des temples de Shallyah et vouer sa vie à aider les miséreux comme le dernier des pauvres hères qui trainent leurs guêtres dans la maison de la Miséricordieuse. »
Malgré une journée plutôt calme comparé à celles que j’avais l’habitude d’affronter, je m’endormis en quelques minutes après m’être allongé aux côtés de Chuji dans le petit appenti nous servant de chambre. Bercée par la respiration régulière de ma sœur et de Kidd qui dormait sur un matelas au pied de notre lit, je fermais les yeux et en peu de temps, le sommeil m’emporta. Pourtant, rapidement, je sombrais dans un mauvais rêve dont je ne parvenais pas à m’extraire. Une vieille femme nue, la peau bronzée et les cheveux gris m’apparut. Elle portait quelques bijoux simples au poignet, au cou et sur la tête et me regardais d’un air sévère.
- « Honte à toi Nola Al’Nysa » dit l’ancienne, car il s’agissait bien d’une des mères supérieures de mon peuple, à moins que ce ne soit une apparition divine.
- « Mère ! Pourquoi dites-vous cela ? Que me reprochez-vous ? » lui demandais-je paniqué.
- « Tu as renié ton peuple ma fille, tu as trahi nos croyances et bafoué l’éducation que les mères de ta tribu t'ont offerte » poursuivit-elle en pointant vers moins un index accusateur.
- « Non ! » m’écriais-je, blessée par ses propos « Mère ! Je voue ma vie à sauver mes sœurs prisonnières des qharis dans cette partie du monde. »
- « Tu t’es laissée pervertir ma fille ! Tu étais l’une des grandes promesses de notre peuple et te voilà maintenant une des leurs. Tu te repais de leurs alcools et de leur fumée, tu ris avec ceux-là même qui viennent chez nous piller nos temples et tuer nos guerrières. Tu sympathises avec ces hommes que tu mettais tant de cœur à combattre. »
- « Tous ne sont pas mauvais mère ! Je le croyais mais j’ai appris à mieux les connaître » m’exclamais-je, des larmes coulant sur mes joues.
- « Entends-tu tes propos ?! Ma fille, le peuple de la jungle te reniera si tu ne te ressaisis pas rapidement. Prends cela comme un dernier avertissement » poursuivit l’ancienne sans s’interrompre, insensible à mes pleurs.
- « Je ne vous décevrai pas mère ! »
- « La mère de la jungle te montreras la voix, ne laisse pas tes sœurs seules face à la destruction. Les épées des hommes il te faut combattre, les boucliers des rois il te faut briser. »
Je me réveillais en sursaut, le corps couvert de sueur, les cheveux plaqués sur le front par la transpiration et la respiration haletante. Des mains tenaient mon bras et je me débattais pour me défaire de cette étreinte. D’autres mains tenaient mes mollets et je commençais à paniquer, me demandant qui s’en prenait à moi.
« Nola ! Nola c’est juste nous calme toi ! » je reconnus enfin la voix de Kidd et cessais de gesticuler et de ruer en tous sens. Le calme revenant, je me rendis compte que Chuji se tenait assise à côté de moi sur le bord du lit tandis que le gamin rouquin était à mes pieds, un masque d’inquiétude sur le visage.
- « J’ai voulus t’aider, tu psalmodier dans un langage étrange, mais Chuji, elle m’a empêchée de te réveiller » dit-il en colère.
- « Tu parlais dans notre langue » intervint ma soeur en utilisant ce même langage afin que Kidd ne puisse pas nous comprendre « une des mères t’es apparue ? Qu’a t’elle dit ? » demanda-t-elle avec empressement.
- « Rien que je ne sache déjà » répondis-je simplement en m’extirpant des draps mouillés de transpiration avec dans la bouche, le goût iodé de mes larmes qui n’avait pas coulées que dans mon rêve.
L’apparition d’une Alessandra inquiète me sauva de devoir donner plus d’explications. La gantière semblait croire que l’on nous avait attaqués car elle tenait un poignard dans une de ses mains. Quand elle vit qu’il n’y avait finalement aucun danger, elle tenta de le dissimuler derrière son dos, mais cela ne m’avait pas échappé. Après un moment, le calme finit par revenir sur la petite maisonnée et finalement, tous repartirent se coucher afin de finir leur nuit. Pour ma part, il m’était impossible de retrouver le sommeil. J’avais les nerfs à vif suite à mon échange avec l’ancienne. Que croyait-elle ? Ne voyait-elle pas tout ce que j’avais sacrifié pour sauver Chuji et les autres ? Pensait-elle réellement que je prenais plaisir à vivre dans l’ancien monde, que je n’attendais pas la première occasion de rentrer chez moi, en Lustrie, avec impatience ? Cependant, au fil de mes pensées, des questions que j’avais enfouies au fond de mon âme commencèrent à se frayer un passage jusqu’à mon esprit. Est-ce que j’avais vraiment envie de retourner chez moi, dans la jungle ? Est-ce que je détestais réellement tout ce qui composait ce monde que j’apprenais encore à connaître et dont je n’avais visité qu’une infime partie ? Ces interrogations tournaient en boucle dans ma tête et me rendaient folle. Finalement, je passais la fin de cette nuit étrange à faire des exercices physiques pour m’occuper l’esprit et m’empêcher de trop réfléchir.
Au petit matin, je me préparais un bain bouillant et m’y immergeais pour me débarrasser de toute trace de transpiration. Après tout, il me fallait retourner voir Gianni, même si le cœur n’y était plus. Ce dernier avait promis de trouver des informations sur Yasmina et je tentais de me convaincre que j’allais le voir uniquement pour cette raison. Quand je débarquais une heure plus tard dans la petite cuisine où tous étaient assis en train de déjeuner, c’est avec un masque impassible sur le visage que je les saluais. Tout n’était pas encore clair dans ma tête, mais l’échange d’hier avec l’ancienne et les réflexions qui s’en étaient suivies m'avaient permis de tirer quelques conclusions. En mâchonnant mon gruau, je regardais Alessandra à la dérobée en me demandant si elle avait entendu Kidd m’appeler Nola durant la nuit. Je me promis de lui poser la question plus tard, mais pour le moment, il me fallait me hâter pour ne pas faire attendre Il Basilio.
En milieu de matinée, un jeune page se présenta avec un plateau couvert de pâtisseries et une théière fumante. Il rougit en me voyant ainsi dévêtue ce qui me fut sourire, puis il s’en fut les joues cramoisies après avoir déposé son chargement et fait une brève révérence à son maître. Je ne prenais même pas la peine de remettre ma robe durant le court moment de cet entracte bienvenue, pourquoi aurais-je voulu cacher ma nuditié à un homme qui, justement, peignait mon corps depuis plusieurs heures ?
Je me rendis compte en me laissant tomber dans le fauteuil à côté du peintre que j’avais les jambes ankylosées d’être restées trop longtemps immobiles et gainées et ce court moment de répit me fit le plus grand bien. Pendant que nous buvions notre boisson, la conversation vola de sujets frivoles à d’autres à peine plus sérieux, Gianni savait faire la discussion et était bien plus cultivé que moi, mais je sentais qu’il appréciait sincèrement le vent de fraîcheur que j’amenais dans son existence calme et rangée. À plusieurs reprises, je fis des remarques qui semblèrent le surprendre avant de le faire éclater de rire et finalement, je dus concéder que je prenais moi aussi plaisir à discuter avec lui, malgré la situation pour le moins insolite. Je me sentais bien dans ce salon et surtout, je me sentais en confiance avec le peintre car, bien qu’il me dévorait des yeux, il n’avait pas le moindre geste déplacé à mon encontre et faisait même preuve d’une douceur à laquelle je n’étais pas habituée. Avachis sur le fauteuil moelleux, les jambes pendant par-dessus l’un des accoudoirs et les pieds battants dans le vide, il me fallut me faire violence pour me remettre debout afin que nous puissions reprendre le travail.
Il refusa plusieurs fois en riant de me montrer l’avancée de ses travaux, et ceux même malgré mes menaces de le faire trébucher ou de le bousculer, chose qu’on avait pas du lui dire depuis des années, et je finis par reprendre ma place au milieu de la pièce tandis qu’il claudiquait jusqu’à sa toile. Durant la seconde partie de la matinée, il commença à mettre de la peinture par-dessus l’esquisse faite plus tôt. Je souris intérieurement en pensant à mon empressement de voir le résultat final : depuis quand voir mon portrait peint par un artiste m'intéressait-il ? Ce monde que je passais mon temps à maudire finissait tant bien que mal par me changer, ou bien est-ce moi qui réussissais petit à petit à l’apprivoiser ?
Enfin, alors que mon ventre commençait à émettre des grondements mécontent, Gianni finit par se redresser, puis en s’étirant, il dit :
- « Hé bien, je crois que pour aujourd’hui ce sera déjà pas mal. Il est difficile de rester concentré aussi longtemps, même pour un si beau modèle. »
- « Je crois que ça fait bien longtemps que je ne sens plus mes jambes » dis-je, trop heureuse d’être libérée de ma position inconfortable. Je me pliais en deux jusqu’à toucher mes orteils du bout de mes doigts pour détendre mon dos courbaturé, faisant craquer mes vertèbres avec un bruit sourd et satisfaisant.
- « Je m’excuse de t’infliger cela Léna, mais je t'assure que le résultat en vaudra la peine » dit-il avec un sourire tout en attrapant ma robe la ou je l’avais jetée et en s’avançant dans ma direction.
J’enfilais le vêtement léger puis me relevais afin de prendre congé du maître des lieux mais il s’approcha et me contourna lentement en laissant sa main courir le long de mon bras nu. Je pivotais pour me retrouver face à lui et je me rendis compte que malgré son handicap, il possédait encore une carrure athlétique et que lorsqu'il se tenait debout et parfaitement droit, il me dominait de plus d’une tête. Surprise par cette soudaine proximité je demandais :
- « Que pense votre femme de votre activité disons...particulière ? »
- « Oh, vous m'en voyez navré mais je ne suis pas marié. Le père de ma promise a rompu les fiançailles car il n'acceptait pas l'idée de jeter sa fille à un infirme. Je cite ses mots. »
- « Un infirme peut être, mais talentueux. »
- « Je ne crois pas que cela ait été un argument suffisant pour lui » conclut-il avec une moue boudeuse mais une étincelle rieuse dans le regard.
- « Nous avons cela de commun, nous les infirmes, que les gens nous considèrent toujours comme plus faibles, jusqu’à ce qu’ils comprennent leur erreur, souvent trop tard » dis-je avec conviction.
Lorsque finalement, je quittais enfin la demeure de Il Basilio, c’est l’esprit confus que je remontais les petites ruelles toujours aussi propres de la haute ville en direction de l’avenue principale. Je me demandais à quoi rimait ma situation, alors que j’étais censé retrouver l’une de mes soeurs surement en fâcheuse posture et que je perdais un temps précieux à me faire dessiner nu par un artiste dont je ne connaissais rien et qui avait promis de m’aider seulement par désir pour moi. Pourtant, il me fallait reconnaître également que c’était pour le moment le seul début de piste que j’avais et que sans Gianni, je n’aurais pas la moindre chance de poursuivre ma découverte de cette partie de la ville réservée à l’élite et à leurs serviteurs.
Mes pas me menèrent finalement sans que je m’en rende réellement compte jusqu’à un lavoir ou une armée d’employés des riches familles vivant ici était occupé à laver le linge de leurs nobles patrons. Je m’approchais d’un groupe de femmes qui discutaient tout en battant les précieux tissus pour les débarrasser de toutes traces d'impureté et je demandais sans préambule :
- « Je cherche une fille. »
- « C’est pas la spécialité ici » répondit l’une des femmes avec un air perplexe « si ton maître cherche de la viande fraîche, il faudrait plutôt t’adresser ailleurs. »
- « Ce n’est pas ce que vous croyez » dis-je précipitamment en comprenant le malentendu que je venais de créer « je suis à la recherche d’une amie qui serait arrivée dans la cité haute il y a quelques jours ou une semaine tout au plus, elle se nomme Yasmina, peut-être l’une d’entre-vous en a t’elle entendu parler ? »
Malheureusement, ce nom n’évoqua rien aux lavandières, à moins qu’elles n'aient pas envie de donner des informations à une inconnue si étrange. Toujours est-il que je quittais les lieux sans en savoir plus et avec la drôle d’impression d’être passée pour une sotte.
Poussée par la faim, je repris la direction de la grande place où se tenait le palais de la bourse. Une fois arrivée, je retrouvais le vendeur de beignets fourrés qui me fit un grand sourire lorsqu’il me vit m’avancer vers lui. Je lui commandais le même repas que la veille et il m’offrit un petit gâteau sec aux amandes en plus en précisant qu’il espérait me revoir régulièrement. Pendant que je mangeais, je regardais vaguement la foule de personnes pressées qui se croisaient devant moi en me demandant comment des gens pouvaient accepter de vivre ainsi les uns sur les autres avec l’air d’être toujours stressés et angoissés par la journée à venir. Dans ces moments, ma jungle natale et le rythme de vie de mon peuple me manquait. Certes, la vie était rude et dangereuse en Lustrie, mais au moins nous savions profiter de chaque instant et jouir de ce que la nature luxuriante et immense nous offrait. Ici, ce n’était que de la pierre, des cris et de l’agressivité. Mes pensées dérivèrent ensuite et je me demandais où se trouvaient l’Aslevial et son équipage. Est-ce que le capitaine Syrasse, le vieux Gindast et les autres pensaient un peu à moi et Kidd de temps en temps ? Est-ce que le navire avait réussi à rallier Sartosa sans nouvelles avaries pour profiter des ressources pillées à Matorca ? La traversée de retour avait-elle été calme ou bien avaient-ils dû affronter du gros temps ? Tant de questions auxquelles je ne pouvais répondre…
Après ce repas toujours aussi savoureux, je décidais de me mettre en quête d’un point de passage entre les deux parties de la cité différent de celui que j’empruntais le matin. J’avais l’intuition que l’abondance de denrées que je voyais depuis que je côtoyais les petits nobles locaux devait bien entrer dans la ville haute par un endroit dédié au transit des marchandises. Si je parvenais à trouver cet endroit, j'aurais peut-être plus de chance de pouvoir faire pénétrer Chuji et Kidd dans l’enceinte de ces murs et ainsi de disposer d’alliés de première main à proximité de moi. Pourtant, après plus de deux heures à errer dans les rues et les impasses de la vieille ville et après avoir passé un bon moment à longer autant que possible le mur d’enceinte, je dus me rendre à l’évidence : si un point de passage existait, il était discret.
Fatiguée et craignant d’attirer l’attention à force de rôder sans but précis, je me décidais donc à rejoindre la sortie de la cité haute. Sur ma route, je traversais une place magnifique par laquelle je n’étais pas encore passé. Une fontaine merveilleusement ouvragée faisait couler de l’eau dans un bruit cristallin en son centre tandis qu’autour, des allées ombragées aux colonnes sculptées permettaient aux passants de se déplacer à l'abri du soleil. D’énormes pots en granit clair étaient garnis de fleurs rouges et au-dessus, un palace somptueux dominait le décor. Une fois l’enceinte de ce jardin d’Eden franchie, je plongeais de nouveau dans la crasse et la puanteur de Myrmidens, et cela me donna le sourire. J’avais l’impression d’avoir passé les deux derniers jours dans un univers aseptisé où chaque action, chaque phrase était réfléchi, pensée, mesurée, ou rien n’était naturel et j’en eu presque la nausée. En redescendant vers la boutique d’Alessandra, je m'arrêtais chez un commerçant dont l’étale, bien que moins rutilante que celles que j’avais vu plus tôt dans l’après-midi, était bien agencée et aguicheuse. Je dépensais mes derniers sous pour acquérir deux bouteilles d’un vin estalien dont il me promit qu’il me ravirait les papilles et j’achetais une tarte à la crème faite le matin même par son épouse. Mes emplettes sous le bras, je rentrais à la demeure de la gantière, heureuse de retrouver mes amis.
Je passais ce soir-là une de mes plus agréables soirées depuis bien longtemps. Après un copieux repas généreusement arrosé, c’est le ventre bien rempli que je sortis de la boutique de notre hôte pour aller fumer un cheroot dans la petite rue. En effet, Alessandra m’avait catégoriquement interdit de fumer à l’intérieur de son échoppe par peur que ses tissus ne s'imprègnent de l’odeur produite par les petits cigares courts que j’affectionnais tant. Alors que je réfléchissais aux événements des dernières journées en expirant une longue bouffée de fumée par les narines, j’entendis la porte du magasin s’ouvrir puis se refermer silencieusement. Tournant la tête, je vis Alessandra, enroulée dans un châle de laine sortir et se diriger vers moi. Elle s’assit à mes côtés sur le perron de la fenêtre en étouffant un frisson.
- « Ça s'est rafraîchi » dit-elle tout en jetant un regard à ma tenue « tu n’as pas froid toi ? »
- « Je trouve qu’au contraire, un peu de fraîcheur ne fait pas de mal dans cette ville » commentais-je avec un petit sourire, puis, sans la regarder, je dis « j’ignorais que tu avais un grain de beauté sous la fesse droite. »
- « Que, quoi ? » s'étouffa-t-elle surprise alors que je pouffais de rire « qui t’as dis ça ? »
- « Personne, j’ai juste vu une peinture d’une femme peinte de dos chez Gianni, je t’ai reconnu instantanement. »
- « Il avait juré de le garder pour lui » dit-elle en souriant à son tour « on ne peut donc jamais faire confiance aux hommes ! »
- « Est-ce que lui et toi vous avez déjà, comment dire… »
- « Étaient amants ? »
- « Oui »
- « Nous nous apprécions. De là à être amant. Lui comme moi naviguons vers des caps bien éloignés. Mais Gianni est ce qu'il est. Et il est bon. Même s'il ne le réalise pas lui-même. Il t'aiderait même avec bien moins d'intérêts que moi dans ton entreprise. » dit-elle après un instant d’hésitation.
- « Quel cap peut bien suivre un homme vivant dans un palais qui éblouit les pauvres de la ville tel un phare ? »
- « Si tu es familière avec la mer, et je sais que tu l'es bien plus que ce que tu n'en révèleras jamais, tu ne peux qu'avoir un pincement au coeur pour ces vieux navires qui après tant de traversées restent coincés à quais sans revoir le soleil se coucher sur le vaste horizon de la pleine mer. Gianni est né riche et vivra richement. Une richesse que je n'ai pu que frôler dans ma vie et dont chaque miette suffirait au commun des Hommes et pourtant. Tu sais ce qu'il voulait faire à un moment ? Jeter son or dans les bassines des temples de Shallyah et vouer sa vie à aider les miséreux comme le dernier des pauvres hères qui trainent leurs guêtres dans la maison de la Miséricordieuse. »
Malgré une journée plutôt calme comparé à celles que j’avais l’habitude d’affronter, je m’endormis en quelques minutes après m’être allongé aux côtés de Chuji dans le petit appenti nous servant de chambre. Bercée par la respiration régulière de ma sœur et de Kidd qui dormait sur un matelas au pied de notre lit, je fermais les yeux et en peu de temps, le sommeil m’emporta. Pourtant, rapidement, je sombrais dans un mauvais rêve dont je ne parvenais pas à m’extraire. Une vieille femme nue, la peau bronzée et les cheveux gris m’apparut. Elle portait quelques bijoux simples au poignet, au cou et sur la tête et me regardais d’un air sévère.
- « Honte à toi Nola Al’Nysa » dit l’ancienne, car il s’agissait bien d’une des mères supérieures de mon peuple, à moins que ce ne soit une apparition divine.
- « Mère ! Pourquoi dites-vous cela ? Que me reprochez-vous ? » lui demandais-je paniqué.
- « Tu as renié ton peuple ma fille, tu as trahi nos croyances et bafoué l’éducation que les mères de ta tribu t'ont offerte » poursuivit-elle en pointant vers moins un index accusateur.
- « Non ! » m’écriais-je, blessée par ses propos « Mère ! Je voue ma vie à sauver mes sœurs prisonnières des qharis dans cette partie du monde. »
- « Tu t’es laissée pervertir ma fille ! Tu étais l’une des grandes promesses de notre peuple et te voilà maintenant une des leurs. Tu te repais de leurs alcools et de leur fumée, tu ris avec ceux-là même qui viennent chez nous piller nos temples et tuer nos guerrières. Tu sympathises avec ces hommes que tu mettais tant de cœur à combattre. »
- « Tous ne sont pas mauvais mère ! Je le croyais mais j’ai appris à mieux les connaître » m’exclamais-je, des larmes coulant sur mes joues.
- « Entends-tu tes propos ?! Ma fille, le peuple de la jungle te reniera si tu ne te ressaisis pas rapidement. Prends cela comme un dernier avertissement » poursuivit l’ancienne sans s’interrompre, insensible à mes pleurs.
- « Je ne vous décevrai pas mère ! »
- « La mère de la jungle te montreras la voix, ne laisse pas tes sœurs seules face à la destruction. Les épées des hommes il te faut combattre, les boucliers des rois il te faut briser. »
Je me réveillais en sursaut, le corps couvert de sueur, les cheveux plaqués sur le front par la transpiration et la respiration haletante. Des mains tenaient mon bras et je me débattais pour me défaire de cette étreinte. D’autres mains tenaient mes mollets et je commençais à paniquer, me demandant qui s’en prenait à moi.
« Nola ! Nola c’est juste nous calme toi ! » je reconnus enfin la voix de Kidd et cessais de gesticuler et de ruer en tous sens. Le calme revenant, je me rendis compte que Chuji se tenait assise à côté de moi sur le bord du lit tandis que le gamin rouquin était à mes pieds, un masque d’inquiétude sur le visage.
- « J’ai voulus t’aider, tu psalmodier dans un langage étrange, mais Chuji, elle m’a empêchée de te réveiller » dit-il en colère.
- « Tu parlais dans notre langue » intervint ma soeur en utilisant ce même langage afin que Kidd ne puisse pas nous comprendre « une des mères t’es apparue ? Qu’a t’elle dit ? » demanda-t-elle avec empressement.
- « Rien que je ne sache déjà » répondis-je simplement en m’extirpant des draps mouillés de transpiration avec dans la bouche, le goût iodé de mes larmes qui n’avait pas coulées que dans mon rêve.
L’apparition d’une Alessandra inquiète me sauva de devoir donner plus d’explications. La gantière semblait croire que l’on nous avait attaqués car elle tenait un poignard dans une de ses mains. Quand elle vit qu’il n’y avait finalement aucun danger, elle tenta de le dissimuler derrière son dos, mais cela ne m’avait pas échappé. Après un moment, le calme finit par revenir sur la petite maisonnée et finalement, tous repartirent se coucher afin de finir leur nuit. Pour ma part, il m’était impossible de retrouver le sommeil. J’avais les nerfs à vif suite à mon échange avec l’ancienne. Que croyait-elle ? Ne voyait-elle pas tout ce que j’avais sacrifié pour sauver Chuji et les autres ? Pensait-elle réellement que je prenais plaisir à vivre dans l’ancien monde, que je n’attendais pas la première occasion de rentrer chez moi, en Lustrie, avec impatience ? Cependant, au fil de mes pensées, des questions que j’avais enfouies au fond de mon âme commencèrent à se frayer un passage jusqu’à mon esprit. Est-ce que j’avais vraiment envie de retourner chez moi, dans la jungle ? Est-ce que je détestais réellement tout ce qui composait ce monde que j’apprenais encore à connaître et dont je n’avais visité qu’une infime partie ? Ces interrogations tournaient en boucle dans ma tête et me rendaient folle. Finalement, je passais la fin de cette nuit étrange à faire des exercices physiques pour m’occuper l’esprit et m’empêcher de trop réfléchir.
Au petit matin, je me préparais un bain bouillant et m’y immergeais pour me débarrasser de toute trace de transpiration. Après tout, il me fallait retourner voir Gianni, même si le cœur n’y était plus. Ce dernier avait promis de trouver des informations sur Yasmina et je tentais de me convaincre que j’allais le voir uniquement pour cette raison. Quand je débarquais une heure plus tard dans la petite cuisine où tous étaient assis en train de déjeuner, c’est avec un masque impassible sur le visage que je les saluais. Tout n’était pas encore clair dans ma tête, mais l’échange d’hier avec l’ancienne et les réflexions qui s’en étaient suivies m'avaient permis de tirer quelques conclusions. En mâchonnant mon gruau, je regardais Alessandra à la dérobée en me demandant si elle avait entendu Kidd m’appeler Nola durant la nuit. Je me promis de lui poser la question plus tard, mais pour le moment, il me fallait me hâter pour ne pas faire attendre Il Basilio.
Modifié en dernier par Nola Al'Nysa le 04 avr. 2024, 11:37, modifié 2 fois.
La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, mais on ne revient jamais en arrière.
Nola Al’Nysa, Voie du Forban
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Les Jardins du seigneur Di Pontereschia étaient d'une taille modeste, tant l'espace était recherché, rare et désiré, sur les hauteurs de la Cité. Pourtant, sous le houppier éclatant des arbres d'ornement et entre les buissons et les parterres de fleurs chatoyantes que les jardiniers devaient entretenir avec soin, on retrouvait presque l'illusion d'une jungle. D'une jungle domptée, à nu, livrant ses secrets à l'admirateur passionné, assis sur sa chaise d'extérieur et tirant le portrait de sa muse tropicale sous un plus sympathique décor que les murs de plâtre du salon de peinture.
Le noble estropié fit signe que la pause était venue. Du thé, des pâtisseries sucrées et l'occasion de se dégourdir, mais surtout de discuter. Gianni servit une tasse à son modèle avant d'annoncer :
"J'ai peut-être une lumière à apporter à vos interrogations. Mais avant cela, je vous demanderai deux infimes faveurs."
Quelques mois auparavant, cela aurait sans aucun doute surpris l’amazone mais depuis, elle avait appris qu’ici dans le vieux monde, rien n’était jamais gratuit et désintéressé. Prudente et sans rien laisser paraitre, elle dit simplement :« Je vous écoute… »
"Premièrement...Je souhaiterais un baiser. Ensuite, je veux la vérité et toute la vérité quand je vous livrerai mes découvertes. Vous avez sur mon honneur la certitude que tout ce qui se dit ici restera entre nous."
La belle et exotique jeune femme failli rire à la première demande de son hôte, avant de retrouver très vite son sérieux lorsqu’il poursuivit son propos.
Sans qu’elle sache pourquoi, l’image de Wolfgang s’imposa un court instant à son esprit. Son ancien guide lui avait formulé la même requête quelques semaines auparavant et sa réponse avait été ferme et sans appels. Pourtant, alors qu’elle se trouvait totalement nue, assise face à Gianni, elle n’avait pas esquissé le moindre geste pour punir l’audace du peintre qui ne savait apparemment plus se contenter du plaisir des yeux, mais voulait maintenant goûter à ce qu’il peignait avec entrain depuis trois jours.
Après un moment de flottement aussi futile que gênant, la fille de la jungle prit sa décision. Se levant lentement en déposant le reste de sa pâtisserie sucrée sans précaution sur l’accoudoir de son fauteuil, elle s’avança lentement vers un Gianni qui, bouche-bée, attendait de connaître son verdict. Sous ses pieds nus, la caresse de l’herbe grasse et tiède était agréable. En quelques pas, elle arriva devant le maître des lieux, ses hanches se balançant légèrement à chaque enjambée. Son regard bleu fixé dans celui de Gianni, elle posa une main sur son épaule alors que l’homme, assis sur son tabouret d’artiste tendait les bras pour l’accueillir. Pourtant, elle esquiva son étreinte et, laissant sa main glisser le long des larges épaules de son ami, elle passa dans son dos afin de faire monter un peu plus la tension qui régnait entre eux. Achevant de le contourner, elle finit par se présenter de nouveau face à lui et s’assit sur l’unique, mais encore solide, jambe de l’ancien soldat.
Se lovant dans ses bras, elle pressa sa poitrine contre le torse encore musclé de son hôte, puis elle approcha ses lèvres des siennes. Il l’accueillit comme une offrande, sa bouche fraîche et encore sucrée par les gâteaux qu’il venait de manger s’entrouvrit pour laisser passer la langue de sa muse à la peau dorée. Plaquant une main sur la joue du peintre, Nola embrassa son amant d’un baiser à la fois sauvage et plein de promesses. Un baiser comme l’homme n’en avait jamais connu. Puis, sans prévenir, elle finit par reculer son visage, lentement, laissant Gianni la suivre alors qu’il refusait de décoller ses lèvres des siennes. Alors qu’elle se trouvait presque hors de portée, elle lui mordit fermement la lèvre inférieure pour lui signifier de la libérer.
Enfin, avec un petit sourire, elle se leva et marcha doucement jusqu’au fauteuil qu’elle avait quitté seulement quelques secondes plus tôt, laissant Gianni sans voix. Une fois de retour dans les coussins moelleux de son assise, elle déclara « Je me suis acquittée de ta première demande. À toi de satisfaire ma curiosité maintenant, ainsi, j’aurais peut-être l’envie de t’en dire plus sur qui je suis… »
Le teint devenu aussi rouge que les carnations de peinture sur sa palette, Il Basilio balbutia du regard un instant avant de se ressaisir. "Nous, les Nobles, aimons tout ce qui nous sort de la confortable routine que sont nos petites vies bien rangées. Certains chassent, quelques-uns peignent. La plupart... Affectionnent les bals. Les réceptions, les festivités. Bien entendu. Le clou d'une réception est de surprendre les invités. Acrobates et contorsionnistes, musiciens, traiteurs halfelins, bardes de Bretonnie et toute autre distraction un tant soit peu exotique."
Un vent léger d'été parcouru le feuillage et les fleurs du jardin tandis que l'artiste continua son propos : "Et je pense que tu en connais bien plus sur l'Exotisme recherché que la plupart des habitants de cette ville." Il n'y avait aucune hostilité dans son regard. Pourtant... "Il y a des années, quand j'étais plus jeune et plus en jambes qu'aujourd'hui, des Hommes étaient venus au palais de mon père. Ils étaient d'Estalie. Et ils me parlaient d'un trésor fabuleux. L'Orgueil des Conquistadors. L'Hybris de Don Hernanjo Salvadore. J'ai hésité longuement, j'étais jeune, riche. Et l'aventure et encore plus de richesses. Comment résister ? Toutefois, dans la cour où l'on étrillait nos montures, moi et mes frères, un autre homme nous est apparu. Il m'a dit. Il m'a dit que seule la mort m'attendrait là-bas. Mais que le Nouveau Monde viendrait à moi un jour. Je n'ai pas compris ces paroles, mais elles ont suffi à me faire décliner l'offre des Explorateurs. Ils sont morts désormais. Morts depuis des années. Le reste appartient à l'Histoire. Mais j'ai maintenant compris. Votre amie disparue. Vous-même. Dans ce Nouveau Monde, des Hommes comme eux, et comme ceux-là mêmes qui épatent la galerie dans les réceptions de cette maudite ville. Des Hommes comme eux ont trouvé quelque chose encore plus attrayant que l'or. Est-ce la vérité ?"
Au fur et à mesure que Gianni racontait son histoire, l'attitude de sa jeune invitée s'était modifiée. De manière subtile au début, puis de plus en plus significativement. Elle s'était d'abord redressée dans son fauteuil, abandonnant au fil des paroles du peintre sa nonchalance feinte pour arborer sans réellement s'en rendre compte, par instinct, une posture plus défensive. Un court instant, elle avait failli bondir à la gorge de son hôte, prête à la lui déchirer avec ses dents s'il le fallait. Ne sachant pas le danger qui l'avait guetté un court moment, le peintre avait continué de parler comme si de rien était, expliquant qu'il n'avait pas pris part à l'expédition des siens dans la jungle où Nola avait grandi. Mais alors, comment avait-il percé si facilement sa véritable identité ? Est-ce qu'Alexandra l'avait renseigné d'une manière ou d'une autre ? Est-ce que l'un de ses gardes ou de ses serviteurs était en fait un vétéran des expéditions meurtrières que les qharis organisaient sur sa terre ? Tellement de questions se bousculaient dans son esprit sans qu'elle puisse y répondre.
Elle savait évidemment à quoi Gianni faisait référence. Alors qu'elle n'avait que quatorze ans, des hommes venus de par-delà la grande flak avaient débarqué en nombre à l'embouchure du fleuve Amaxon. De là, ils avaient fini, à force de persévérance et au prix de beaucoup de sang versé, tant dans leur rang que dans ceux des amazones, par atteindre un lieu sacré pour son peuple, un temple ou des reliques à la valeur inestimable étaient conservées. Ses sœurs gardiennes avaient livré un combat courageux pour les retenir le temps que les renforts affluant de toutes les tribus ne viennent les secourir. Toutes avaient péri sous les balles et les coups de sabres de ces chiens en quête de richesses, mais leur mission était accomplie, et quand les qharis rescapés de la bataille avait finalement émergés des entrailles du temple, une armée de sœur de la sororité était là, sur le pied de guerre, prêt à les exterminer. Si le dénouement de ce tragique épisode avait été heureux pour le peuple amazone, cette expédition avait ouvert la voie à de nombreuses autres et elle avait été le point de départ de la période troublée dans laquelle son peuple était maintenant plongé depuis presque une décennie. Tous ces navires abordant la terre de Lustrie pour piller ses richesses, détruire la faune et la flore et capturer des guerrières de la jungle, comme elle, pour les exhiber fièrement dans leurs palais de marbre et d'or, ici, dans le vieux monde.
Elle revint à l'instant présent quand du coin de l'œil, elle capta un mouvement imperceptible de Gianni qui se penchait vers elle, inquiet.
« Qu'est-ce qui m'a trahi ? » murmura-t-elle simplement.
"D'un versant, on me parle d'une présentation des merveilles et des richesses ramenées du Nouveau Monde. De l'autre, une femme aussi envoutante que farouche recherche son amie dans une forteresse qui lui est interdite. Mais je vous aiderai. Je vous aiderai comme je le peux. Comme je le dois."
Elle se leva de nouveau et s’avança vers l’homme qui lui faisait face. Parvenue devant lui, elle s’agenouilla, s’asseyant sur ses talons, puis attrapa la main de Gianni pour la poser sur son cœur, non pas dans le but de le charmer par ses formes, mais bel et bien pour qu’il comprenne ce qu’elle ressentait. Après un long silence qu’il ne rompit pas, elle dit « Gianni, sais-tu la moindre chose sur la sœur que je recherche ? »
"Il y aura une grande cérémonie. Un grand bal. Où toute la haute ville est conviée. Pour célébrer les richesses acquises en Lustrie. Dans quelque semaines. Ton amie, ta soeur. Elle sera sans aucun doute là bas."
Un rictus cruel déforma ses traits alors que, tenant toujours la main de Gianni plaquée contre sa poitrine, elle dit « Ces richesses ne sont pas acquises, elles sont le fruits d’un pillage barbare. M’aideras-tu à libérer ma sœur et à détruire ce mal jusqu’à sa racine ? »
Il hocha la tête. "Oui."
Elle plongea son regard aux couleurs de l’océan dans les yeux sombres du bel artiste, comme pour sonder son cœur, puis elle demanda « Pourquoi fais-tu une telle chose ? »
"J'aurais été un ignoble dirigeant. Mais je pense pouvoir être un bon défenseur des causes que l'on pense perdu."
Nola amena la main de Gianni de sa poitrine à ses lèvres, puis à son front, signe de respect pour les guerrières de la jungle, puis elle se redressa et reprit sa pose pour permettre au peintre de se remettre au travail.
Alors qu’il reprenait ses pinceaux et essayer de mettre un peu d’ordre dans ses affaires après cet échange passionné et passionnel, l’amazone, elle se plongea dans ses propres pensées.
Pouvait-elle avoir confiance en cet homme ? Après tout, pourquoi lui venait-il en aide à part pour son attirance envers elle ? Et pourtant, depuis qu’elle avait débarqué dans cette partie du monde, elle devait bien se rendre à l’évidence : son jugement sur les hommes avait changé. Certes, elle méprisait toujours les qharis, mais plusieurs d’entre eux l’avaient aidé ces derniers mois. Fabrice, Kidd, le capitaine Syrasse et même Wolfgang d’une certaine manière, alors pourquoi pas Gianni ?
Le noble estropié fit signe que la pause était venue. Du thé, des pâtisseries sucrées et l'occasion de se dégourdir, mais surtout de discuter. Gianni servit une tasse à son modèle avant d'annoncer :
"J'ai peut-être une lumière à apporter à vos interrogations. Mais avant cela, je vous demanderai deux infimes faveurs."
Quelques mois auparavant, cela aurait sans aucun doute surpris l’amazone mais depuis, elle avait appris qu’ici dans le vieux monde, rien n’était jamais gratuit et désintéressé. Prudente et sans rien laisser paraitre, elle dit simplement :« Je vous écoute… »
"Premièrement...Je souhaiterais un baiser. Ensuite, je veux la vérité et toute la vérité quand je vous livrerai mes découvertes. Vous avez sur mon honneur la certitude que tout ce qui se dit ici restera entre nous."
La belle et exotique jeune femme failli rire à la première demande de son hôte, avant de retrouver très vite son sérieux lorsqu’il poursuivit son propos.
Sans qu’elle sache pourquoi, l’image de Wolfgang s’imposa un court instant à son esprit. Son ancien guide lui avait formulé la même requête quelques semaines auparavant et sa réponse avait été ferme et sans appels. Pourtant, alors qu’elle se trouvait totalement nue, assise face à Gianni, elle n’avait pas esquissé le moindre geste pour punir l’audace du peintre qui ne savait apparemment plus se contenter du plaisir des yeux, mais voulait maintenant goûter à ce qu’il peignait avec entrain depuis trois jours.
Après un moment de flottement aussi futile que gênant, la fille de la jungle prit sa décision. Se levant lentement en déposant le reste de sa pâtisserie sucrée sans précaution sur l’accoudoir de son fauteuil, elle s’avança lentement vers un Gianni qui, bouche-bée, attendait de connaître son verdict. Sous ses pieds nus, la caresse de l’herbe grasse et tiède était agréable. En quelques pas, elle arriva devant le maître des lieux, ses hanches se balançant légèrement à chaque enjambée. Son regard bleu fixé dans celui de Gianni, elle posa une main sur son épaule alors que l’homme, assis sur son tabouret d’artiste tendait les bras pour l’accueillir. Pourtant, elle esquiva son étreinte et, laissant sa main glisser le long des larges épaules de son ami, elle passa dans son dos afin de faire monter un peu plus la tension qui régnait entre eux. Achevant de le contourner, elle finit par se présenter de nouveau face à lui et s’assit sur l’unique, mais encore solide, jambe de l’ancien soldat.
Se lovant dans ses bras, elle pressa sa poitrine contre le torse encore musclé de son hôte, puis elle approcha ses lèvres des siennes. Il l’accueillit comme une offrande, sa bouche fraîche et encore sucrée par les gâteaux qu’il venait de manger s’entrouvrit pour laisser passer la langue de sa muse à la peau dorée. Plaquant une main sur la joue du peintre, Nola embrassa son amant d’un baiser à la fois sauvage et plein de promesses. Un baiser comme l’homme n’en avait jamais connu. Puis, sans prévenir, elle finit par reculer son visage, lentement, laissant Gianni la suivre alors qu’il refusait de décoller ses lèvres des siennes. Alors qu’elle se trouvait presque hors de portée, elle lui mordit fermement la lèvre inférieure pour lui signifier de la libérer.
Enfin, avec un petit sourire, elle se leva et marcha doucement jusqu’au fauteuil qu’elle avait quitté seulement quelques secondes plus tôt, laissant Gianni sans voix. Une fois de retour dans les coussins moelleux de son assise, elle déclara « Je me suis acquittée de ta première demande. À toi de satisfaire ma curiosité maintenant, ainsi, j’aurais peut-être l’envie de t’en dire plus sur qui je suis… »
Le teint devenu aussi rouge que les carnations de peinture sur sa palette, Il Basilio balbutia du regard un instant avant de se ressaisir. "Nous, les Nobles, aimons tout ce qui nous sort de la confortable routine que sont nos petites vies bien rangées. Certains chassent, quelques-uns peignent. La plupart... Affectionnent les bals. Les réceptions, les festivités. Bien entendu. Le clou d'une réception est de surprendre les invités. Acrobates et contorsionnistes, musiciens, traiteurs halfelins, bardes de Bretonnie et toute autre distraction un tant soit peu exotique."
Un vent léger d'été parcouru le feuillage et les fleurs du jardin tandis que l'artiste continua son propos : "Et je pense que tu en connais bien plus sur l'Exotisme recherché que la plupart des habitants de cette ville." Il n'y avait aucune hostilité dans son regard. Pourtant... "Il y a des années, quand j'étais plus jeune et plus en jambes qu'aujourd'hui, des Hommes étaient venus au palais de mon père. Ils étaient d'Estalie. Et ils me parlaient d'un trésor fabuleux. L'Orgueil des Conquistadors. L'Hybris de Don Hernanjo Salvadore. J'ai hésité longuement, j'étais jeune, riche. Et l'aventure et encore plus de richesses. Comment résister ? Toutefois, dans la cour où l'on étrillait nos montures, moi et mes frères, un autre homme nous est apparu. Il m'a dit. Il m'a dit que seule la mort m'attendrait là-bas. Mais que le Nouveau Monde viendrait à moi un jour. Je n'ai pas compris ces paroles, mais elles ont suffi à me faire décliner l'offre des Explorateurs. Ils sont morts désormais. Morts depuis des années. Le reste appartient à l'Histoire. Mais j'ai maintenant compris. Votre amie disparue. Vous-même. Dans ce Nouveau Monde, des Hommes comme eux, et comme ceux-là mêmes qui épatent la galerie dans les réceptions de cette maudite ville. Des Hommes comme eux ont trouvé quelque chose encore plus attrayant que l'or. Est-ce la vérité ?"
Au fur et à mesure que Gianni racontait son histoire, l'attitude de sa jeune invitée s'était modifiée. De manière subtile au début, puis de plus en plus significativement. Elle s'était d'abord redressée dans son fauteuil, abandonnant au fil des paroles du peintre sa nonchalance feinte pour arborer sans réellement s'en rendre compte, par instinct, une posture plus défensive. Un court instant, elle avait failli bondir à la gorge de son hôte, prête à la lui déchirer avec ses dents s'il le fallait. Ne sachant pas le danger qui l'avait guetté un court moment, le peintre avait continué de parler comme si de rien était, expliquant qu'il n'avait pas pris part à l'expédition des siens dans la jungle où Nola avait grandi. Mais alors, comment avait-il percé si facilement sa véritable identité ? Est-ce qu'Alexandra l'avait renseigné d'une manière ou d'une autre ? Est-ce que l'un de ses gardes ou de ses serviteurs était en fait un vétéran des expéditions meurtrières que les qharis organisaient sur sa terre ? Tellement de questions se bousculaient dans son esprit sans qu'elle puisse y répondre.
Elle savait évidemment à quoi Gianni faisait référence. Alors qu'elle n'avait que quatorze ans, des hommes venus de par-delà la grande flak avaient débarqué en nombre à l'embouchure du fleuve Amaxon. De là, ils avaient fini, à force de persévérance et au prix de beaucoup de sang versé, tant dans leur rang que dans ceux des amazones, par atteindre un lieu sacré pour son peuple, un temple ou des reliques à la valeur inestimable étaient conservées. Ses sœurs gardiennes avaient livré un combat courageux pour les retenir le temps que les renforts affluant de toutes les tribus ne viennent les secourir. Toutes avaient péri sous les balles et les coups de sabres de ces chiens en quête de richesses, mais leur mission était accomplie, et quand les qharis rescapés de la bataille avait finalement émergés des entrailles du temple, une armée de sœur de la sororité était là, sur le pied de guerre, prêt à les exterminer. Si le dénouement de ce tragique épisode avait été heureux pour le peuple amazone, cette expédition avait ouvert la voie à de nombreuses autres et elle avait été le point de départ de la période troublée dans laquelle son peuple était maintenant plongé depuis presque une décennie. Tous ces navires abordant la terre de Lustrie pour piller ses richesses, détruire la faune et la flore et capturer des guerrières de la jungle, comme elle, pour les exhiber fièrement dans leurs palais de marbre et d'or, ici, dans le vieux monde.
Elle revint à l'instant présent quand du coin de l'œil, elle capta un mouvement imperceptible de Gianni qui se penchait vers elle, inquiet.
« Qu'est-ce qui m'a trahi ? » murmura-t-elle simplement.
"D'un versant, on me parle d'une présentation des merveilles et des richesses ramenées du Nouveau Monde. De l'autre, une femme aussi envoutante que farouche recherche son amie dans une forteresse qui lui est interdite. Mais je vous aiderai. Je vous aiderai comme je le peux. Comme je le dois."
Elle se leva de nouveau et s’avança vers l’homme qui lui faisait face. Parvenue devant lui, elle s’agenouilla, s’asseyant sur ses talons, puis attrapa la main de Gianni pour la poser sur son cœur, non pas dans le but de le charmer par ses formes, mais bel et bien pour qu’il comprenne ce qu’elle ressentait. Après un long silence qu’il ne rompit pas, elle dit « Gianni, sais-tu la moindre chose sur la sœur que je recherche ? »
"Il y aura une grande cérémonie. Un grand bal. Où toute la haute ville est conviée. Pour célébrer les richesses acquises en Lustrie. Dans quelque semaines. Ton amie, ta soeur. Elle sera sans aucun doute là bas."
Un rictus cruel déforma ses traits alors que, tenant toujours la main de Gianni plaquée contre sa poitrine, elle dit « Ces richesses ne sont pas acquises, elles sont le fruits d’un pillage barbare. M’aideras-tu à libérer ma sœur et à détruire ce mal jusqu’à sa racine ? »
Il hocha la tête. "Oui."
Elle plongea son regard aux couleurs de l’océan dans les yeux sombres du bel artiste, comme pour sonder son cœur, puis elle demanda « Pourquoi fais-tu une telle chose ? »
"J'aurais été un ignoble dirigeant. Mais je pense pouvoir être un bon défenseur des causes que l'on pense perdu."
Nola amena la main de Gianni de sa poitrine à ses lèvres, puis à son front, signe de respect pour les guerrières de la jungle, puis elle se redressa et reprit sa pose pour permettre au peintre de se remettre au travail.
Alors qu’il reprenait ses pinceaux et essayer de mettre un peu d’ordre dans ses affaires après cet échange passionné et passionnel, l’amazone, elle se plongea dans ses propres pensées.
Pouvait-elle avoir confiance en cet homme ? Après tout, pourquoi lui venait-il en aide à part pour son attirance envers elle ? Et pourtant, depuis qu’elle avait débarqué dans cette partie du monde, elle devait bien se rendre à l’évidence : son jugement sur les hommes avait changé. Certes, elle méprisait toujours les qharis, mais plusieurs d’entre eux l’avaient aidé ces derniers mois. Fabrice, Kidd, le capitaine Syrasse et même Wolfgang d’une certaine manière, alors pourquoi pas Gianni ?
- Nola Al'Nysa
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
“Combien d’illusions s’effondrent avec la raison, alors que le cœur y croit encore secrètement ?”
- proverbe arabéen
Une phrase répétée à de multiples reprises par le vieux Gindast à bord de l’Aslevial me trottait dans la tête tandis que je m’en retournais lentement vers le domicile d’Alessandra après mon intrigant échange avec Gianni dans le jardin d’agrément de sa demeure « Il n’y a pas de bons ou de mauvais plans Nola, il y a juste ceux qui fonctionnent et dont les gens sont encore vivants pour en témoigner et ceux qui échouent ».
Le peintre m’offrait sur un plateau une occasion rêvée de faire d’une pierre deux coups, en libérant ma sœur captive d’une part, et en réglant leur compte à certains gros poissons à l’origine des expéditions en Lustrie d’autres part, mais cela n’était pas sans risques. Je continuais d’ailleurs d’essayer de mesurer la part de confiance que je pouvais placer en Gianni, certes, il semblait avoir de l’affection pour moi, mais ne m’avait-il pas fait miroiter son aide dans le seul but d’obtenir plus de faveur de ma part après le baiser que je lui avais accordé ? Après tout, il n’était qu’un homme parmi tant d’autres et Rigg et Kalith m’en soient témoins, je plaisais à ces qharis prétentieux. Pour autant, une part de moi ne pouvait se résoudre à concevoir que le jeune noble ne faisait cela que par désir charnel, car la sincérité que j’avais lue dans son regard ainsi que l’émotion qui avait transparu dans sa voix avaient réveillé en moi l’espoir et la rage de vaincre. Soit Gianni était un excellent comploteur doublé d’un acteur brillant et je m'apprêtais à me jeter de moi-même dans la gueule du loup, soit il y avait réellement du bon chez cet homme et il ferait son possible pour m’aider à sauver Yasmina des griffes de ses tortionnaires.
Plongée dans mes pensées, je ne me rendis même pas compte que j’avais dépassé la demeure de la gantière jusqu’à ce que j’entende quelqu’un m’appeler derrière moi « Léna ! Ou tu vas comme ça ? » me faisant sursauter. Je me retournais vivement pour voir la tête d’Alessandra dépasser dans l’ouverture de la porte de sa boutique, un air perplexe sur le visage. Comme j’arrivais à sa hauteur, elle me jeta un coup d'œil interrogateur « ça va ? » mais je passais devant elle sans m’arrêter pour disparaître à l’intérieur de la bâtisse. Me dirigeant vers la pièce qui me servait de chambre, je fouillais frénétiquement dans mes affaires jusqu’à retrouver le petit pot d’herbes à fumer que j’avais récupéré à Matorca et en prélevais une bonne pincée à mettre avec du tabac dans un cherooth. Une fois cela fait, je poussais le lit devant la porte pour être sûr qu’on ne vienne pas me déranger puis, après avoir allumé le mélange de tabac et d’herbes, je m’allongeais sur le matelas de fortune que Kidd s’était fabriqué au fil des jours. Quelqu’un essaya bien d’entrer dans la pièce mais après quelques tentatives infructueuses de pousser la porte, elle n’insista pas et me laissa tranquille. Allongé au sol sur le dos, les pieds sur le rebord du lit, je tirais de longues bouffées de fumées verdâtres et odorantes que je retenais plusieurs secondes dans mes poumons avant de l’expirer lentement. Les effets relaxants de l’herbe ainsi que le calme qui régnait dans la pièce me permirent enfin de diminuer les battements de mon cœur et le flot incessant de pensées qui tournoyaient en tous sens dans ma tête.
Ainsi allongée, je fixais le plafond à travers les motifs étranges que dessinaient les volutes de fumée en réfléchissant à la marche à suivre. Gianni avait parlé d’un délai de quelques semaines avant la cérémonie, cela me paraissait à la fois extrêmement loin, mon impatience habituelle étant une fois de plus mise à rude épreuve et paradoxalement très proche, car monter une opération de cette envergure en si peu de temps relevé de l’exploit. Il y avait aussi la question de qui impliquer dans cette mission périlleuse, entre les amis que je ne voulais pas mettre en danger et les contacts en qui je ne savais pas si je pouvais avoir confiance, le champ des opportunités se réduisait drastiquement. Pourtant, au fil des heures, les idées commencèrent à s’imbriquer entre elles dans mon esprit et une ébauche de plan commença à se dessiner.
Lorsque je me décidais enfin à sortir de ma torpeur, le soir était déjà là. Après m’être changée pour enfiler ma tenue habituelle, délaissant la robe prêtée par Alessandra sans aucun regret, je quittais la chambre pour rejoindre la cuisine ou mes amis prenaient leur dîner. L’esprit embrumé, je m’assis sans un mot sur le banc de bois à côté de Chuji en faisant semblant de ne pas remarquer le silence de plomb que mon entrée avait déclenché. Finalement, n’y tenant plus, je déclarais entre deux cuillères de potage tiède :
- « Je sais comment mettre un terme à tout ça. »
- « Euh… tout ça quoi ? » demanda Kidd perplexe en se frottant le début de barbe rousse qu’il s’était décidé à laisser pousser récemment tandis qu’Alessandra pour sa part me fixait d’un air interrogateur.
- « Tout ! Libérer Yasmina, couper les têtes pensantes du trafic vers la Lustrie, évincer les adversaires d’Alessandra et permettre aux opprimés de Myrmidens de s’élever contre les inégalités. » poursuivis-je sans relever les yeux de mon bol.
- « Peut-on s’inquiéter de comment tu comptes réaliser ce tour de force ? » demanda la gantière d’une voix calme mais décidée.
- « J’ai parlé avec Gianni, d’après lui, une grande soirée sera organisée dans quelques semaines avec tous les dignitaires et notables locaux, ils pensent que Yasmina sera sûrement présente également. C’est une occasion unique de voir toutes nos cibles réunies en un seul et même lieu, à nous d’en profiter ! » dis-je en cognant du poing sur la table.
- « Et comment comptes-tu que nous nous y prenions tous les quatre ? » s’esclaffa Alessandra en désignant notre petite assemblée d’un geste circulaire de la main.
- « Très marrant. Bien sûr, rien ne sera possible sans renforts. Il nous faudra des hommes et des femmes aguerris et courageux pour mener à bien cette mission. Il nous faudra des voleurs téméraires et hardis ! » je ponctuais cette phrase par un clin d'œil à Kidd qui suivait notre échange médusé, sa cuillère coinçait à mi chemin entre son assiette et sa bouche depuis plusieurs minutes.
- « Des bandits sans foi ni loi en sommes » commenta Alessandra.
- « Des pirates, pour être plus précis » rétorquais-je avec un sourire au coin des lèvres « écoutes, voilà ce que je pense : la plupart des gens considèrent la bonne fortune des autres comme un affront personnel. Si avec l’aide de Lars, j’arrive à attiser les braises allumées par l’incident du Sangre Azul pour que le peuple de Myrmidens se lève contre l’élite, on pourrait déclencher des émeutes le soir du bal organisé dans la vieille ville. Pour l’occasion, il faudra que toi et moi soyons déjà dans l’enceinte de la cité quand les esclandres démarreront. Ensuite, il faudra que la foule fasse assez de grabuge pour que Lars, ses hommes et les pirates que j’aurais rameuté de Sartosa puissent pénétrer les murs eux aussi. Pendant qu’ils s’adonnent au pillage et sèment la panique en ville, je m’occupe de Yasmina et des salauds qui ont organisé tout ça, toi, tu fais ce que bon te semble. Tu pourras sûrement assister à la soirée de manière officielle en t’y présentant au bras de Gianni, tu ne risquera rien j’en suis sur » conclus-je en posant la main sur le bras nu de mon amie.
- « Dans ce cas, ma présence sur place n’a pas d’intérêt ? »
- « Gianni m’a dit que tu lui faisais parfois porter des pièces pour ses tenues. Tu lui porteras une commande complète dans une malle pour l’occasion, sauf que dans un double fond, nous aurons dissimulé mes armes et tout ce dont j’aurais besoin pour l’attaque. Tu es la seule à pouvoir t'acquitter de cela, en tout cas, la seule en qui j’ai confiance. »
Un long silence accueillit ma dernière phrase et chacun se plongea dans ses pensées. Pendant que Kidd et Alessandra éprouvaient intérieurement mon début de plan, je l’exposais à Chuji dans ma langue natale. Comme je l’avais escompté, ma sœur ne fit aucune difficulté et la perspective de sauver l’une des nôtres ralluma une flamme trop longtemps éteinte dans son regard. Pourtant, Kidd me ramena à la réalité quand il demanda :
- « Tu comptes rameuter les frères de la côtes de quelle manière ? »
- « C’est là que tu entre en jeu Kidd » répondis-je avec douceur « j’ai besoin que tu embarques sur le premier navire qui ralliera Sartosa. J’ai bon espoir que l’Aslevial y mouille encore après nos récents pillages. Toi seul dans cette ville est à même de convaincre Syrasse de venir me prêter main forte. »
Devant la moue boudeuse du garçon, je m'apprêtais à devoir argumenter davantage, mais il n’opposa finalement aucune objection et se contenta de croiser les bras d’un air vexé, mécontent de devoir fuir la ville pendant que nous allions préparer l’assaut. Passant les mains derrière ma nuque, je défie le petit fermoir du médaillon que m’avait offert Fabrice lors de nos adieux sur la plage près de la petite bicoque de son père. J’eus un pincement au cœur en regardant le bijou doré dans la paume de ma main. L’homme m’avait dit que celui-ci me porterait chance et me protégerait et il avait parfaitement tenu ce rôle. Pourtant, bien que cela me fasse bizarre, je le déposais dans la main de Kidd, sentant comme un courant froid sur ma peau à l’endroit où il s’était trouvé quelques secondes plus tôt : « Quand tu verras le capitaine Syrasse, remet lui ce médaillon, il le reconnaîtra j’en suis sûr. »
Comme tout avait été dit et que plus personne ne semblait vouloir aller contre ma volonté, je me levais pour me diriger vers la sortie.
- « Lars et les siens sont enfin revenus ? »
- « Il y a plusieurs nuits de cela oui, ils se cachent désormais proche de la criée. » répondit Alessandra.
Hochant la tête pour la remercier, j’attrapais mon lourd manteau de cuir noir avant de disparaître dans la nuit en direction du port de Myrmidens. Arpenter les rues presque désertes et lugubres des quartiers populaires me fit remonter un frisson de plaisir le long de l’échine, je me sentais mieux ici qu’au milieu des dorures et du marbre blanc de la haute ville, là j’étais un félin en quête de proie, dangereuse et redoutable. Après les premiers jours très tendus faisant suite à l’attaque que nous avions menée contre le Sangre Azul, la situation était revenue peu à peu à la normale dans la cité, les milices et les hommes de Schloesing ne parvenant pas à mettre la main sur les coupables, ils avaient finalement dû se résoudre à attendre leur heure et avaient finit par déserter les rues. Cependant, je savais qu’il allait falloir manœuvrer finement pour réussir à attiser la colère de la foule sans trop attirer l’attention des soldats de la ville dans un premier temps. Je comptais sur l’atmosphère particulière de la jumelle pour cela, même si je n’oubliais pas que le vieux douanier et ses hommes y avaient eux aussi leurs entrées. En combat comme en dissimulation, j’étais la meilleure, mais pour ce qui était des intrigues et des complots, je n’y connaissais rien et je comptais donc m’en remettre à quelqu’un de plus expérimenté, que ce soit Lars ou l’un de ses contacts.
Arrivée sur les quais longeant la criée, je fis plusieurs fois le tour des lieux sans découvrir qui que ce soit dont le visage m’était familier. Ça et là, quelques ouvriers ou marins passaient dans un sens et dans l’autre, l’œil jaune et la mine maussade, mais aucun que je ne reconnaissais. Plusieurs s’approchèrent un peu trop près à mon goût, une lueur de convoitise animale dans les yeux, mais semblèrent jauger la prise trop dangereuse pour eux et finirent par se détourner. Après avoir erré au milieu des longs docks rectilignes pendant un bon quart d’heure sans trouver trace de Lars ou de sa bande, je me décidais à me planter au milieu de la rue la plus large du quartier puis, m’adossant contre un mur, j’allumais un cherooth et commençais à le fumer, attendant que quelqu’un se manifeste.
Le petit cigare était consumé de moitié quand un sifflement discret retentit dans une ruelle sombre sur ma droite. Je souris sous ma capuche en expirant de la fumée par les narines avant de tirer une dernière bouffée et de jeter le mégot par terre.
Avançant sur la chaussée aux pavés irréguliers, je reconnus la silhouette épaisse de Rovel qui m’attendait, les bras croisés sur sa poitrine. Comme j’arrivais à sa hauteur, il me fit signe de le suivre. Il ouvrit une porte donnant sur une cave qui se situait un bon mètre en dessous du niveau de la rue. Après l’avoir traversé, Rovel remonta un escalier et déboucha sur un petit entrepôt désert. Tournant à droite, il pénétra à nouveau dans un escalier humide pour redescendre dans une cave, puis un tunnel dans l’aspect branlant et le craquement des poutres me mirent mal à l’aise avant de déboucher sur un grand hangar rempli de caisses mal rangées en tout genre. Il avait plu un peu, tôt ce matin, et du sol de l’entrepôt encore souillé de boue, montait cette odeur d’humidité et de sciure que l’on sent dans les lieux publics après la pluie. Des cris et des voix fortes se faisaient entendre au milieu de la pièce et je m’approchais d’un groupe d’hommes en train de débattre d’un sujet visiblement fort important autour de bouteilles d’alcool. Comme j’entrais dans le cercle de lumière projeté par le feu qu’ils avaient allumé et que je retirais ma capuche, la voix tonitruante familière de Lars résonna dans l’espace vide du bâtiment :
- « Regardez-moi ça ! La fleur du pavé en personne vient nous rendre visite ! Hé beh Léna, je pensais que tu avais pris goût à la vie chez les pisses froid de la hautes et que tu considérais que ton petit cul était bien trop précieux pour nous maintenant ! » s’exclama-t-il dans un grand éclat de rire en se dirigeant vers moi les bras ouverts.
- « Je le considérais déjà bien trop noble pour toi bien avant de connaître la vraie noblesse Lars » répondis-je en retour, en le serrant contre moi. L’assemblée éclata de rire et Lars, bon joueur me pinça la joue dans air faussement boudeur avant de passer une main autour de mes épaules et de me dirigeais vers le centre du cercle qui s’était formé autour de nous : « Messieurs, voici la femme grâce à qui nous avons réalisé le plus beau coup de notre carrière ! Traitez-la avec respect, elle est ici chez elle ! »
Comme tous trinquaient et riaient, je tirais sur la manche de Lars et lui murmurais à l’oreille :
- « Peut-on aller dans un endroit plus calme ? Je dois te parler d’une chose »
- « Oh j’ai déjà vu ce regard chez toi ma belle, qu’est-ce que tu mijotes encore ?! » dit-il soudainement très attentif « viens, suis-moi, on va causer tout les deux ».
Modifié en dernier par Nola Al'Nysa le 04 avr. 2024, 11:38, modifié 1 fois.
La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, mais on ne revient jamais en arrière.
Nola Al’Nysa, Voie du Forban
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Lars le vicelard la guida jusqu'à ce qui semblait être ses quartiers. Ou son bureau. En somme, la cabine d'un capitaine qui n'avait plus vu la mer depuis un moment. L'Impérial scruta Nola tout en frottant les poils rêches de ses joues creuses. "Le dernier coup a rapporté gros. Même si l'on peut plus claquer notre blé dans la Jumelle pour encore quelque temps. Là, tu veux quoi ? Détrousser l'aristo' qui te conte fleurette ? Ça devrait être juteux."
« Les nouvelles vont vite à ce que je vois. » dit-elle avec un sourire sarcastique en attrapant une chaise et en la retournant pour s'assoir dessus à califourchon, les coudes posés sur le dossier en bois. Elle attrapa le verre à la propreté douteuse que lui tendait Lars et bu une gorgée du tord-boyaux que semblaient apprécier les types du coin. « Ce que j'ai à te proposer est sans commune mesure avec ce que l'on a pu faire dans le port l'autre soir. Je te parle d'un plan qui pourrait bien rebattre intégralement les cartes à Myrmidens et permettre à quelques opportunistes n'ayant pas froid aux yeux de changer de condition, voir même, de prendre le contrôle de la cité. »
Tout en disant cela, elle commença à rouler un fin cigare rempli de tabac et d'herbe et lorsqu'elle eut fini de parler, elle s'appliqua à humidifier le rebord de l'une des feuilles du bout de sa langue, laissant le silence flotter entre elle et l'impérial tandis que celui-ci la regardait d'un air songeur en semblant se demander dans quoi la jeune guerrière allait encore l'entraîner.
"Doucement ma jolie. Entre détourner un navire et mener la révolution, y a un léger écart de capacités, mais surtout de risques encourus. Surtout qu'après notre coup sur le Sangre Azul, les ronds-de-cuir vont pas être partants pour perdre encore plus de couronnes."
Elle tendit le bras pour allumer sa préparation à la flamme de l'une des lampes que Lars avait allumées en entrant dans la pièce. Puis, elle prit le temps de tirer une longue bouffée de fumée avant de répondre d'une voix calme « L'avantage que nous avons sur les culs dorés, c'est qu'ils sont bien trop prétentieux pour imaginer que l'on puisse s'en prendre directement à eux. »
Nola marqua un moment d'arrêt, le temps de tirer à nouveau sur le fin cigare, puis enchaîna « le tout, c'est de saisir sa chance quand elle se présente. J'ai appris par une source de première main que dans quelques semaines, tout le gratin de Myrmidens et des Frontalières devait se retrouver au palais de la Bourse pour une de leurs soirées privées » Pointant son index vers le chef des impériaux, elle continua « c'est à ce moment qu'il nous faut agir. Je peux m'occuper de trouver comment vous faire pénétrer dans les murs de la ville haute. Cependant, j'ai besoin de toi pour rassembler le plus d'hommes possibles et souffler sur les braises de la colère qui ronge les gens du peuple pour attiser la haine contre ceux qui les exploitent. Lorsque la ville s'embrasera, les gardes encore fidèles à leurs maitres auront bien trop à faire pour comprendre à temps ce qui se joue réellement. »
Le truand ne paraissait pas très... Convaincu. Un second verre d'alcool fort et il s'exprima, les traits crispés : "Va me falloir quelque chose de plus concret. C'est un peu fin. Puis, c'est pas facile à gérer une foule. On peut tout aussi bien finir au bout de la pique que les Culs Dorés."
L'amazone avait bien des qualités, mais l'organisation d'un tel plan et la gestion des hommes n'en faisaient pas partie. Cependant, elle ne se démonta pas face au peu d'entrain affiché par son compagnon.
« Évidement, c'est encore un peu flou. J'ai eu connaissance de cette réception aujourd'hui seulement. Pourtant, je suis convaincu qu'avec un peu d'ingéniosité et beaucoup de culot, nous pouvons frapper un grand coup. »
Puis, elle se releva en jetant son mégot au sol et se retourna vers la sortie « Maintenant, si tu penses ne pas avoir la carrure pour cette mission, j'irais trouver des types avec un peu plus de courage, ou un peu moins de cervelle. »
Lars se redressa, piqué au vif ? "Tout doux, repose tes gigots sur la chaise. J'ai pas dit que je n'marchais pas. Faut juste le crédit. Si tu peux me fournir dans les jours à venir, toi ou Alessandra, le détail des opérations, moi, je peux voir pour ramener tout ce que la ville compte en traine-savates. Entre la Jumelle, les charmants gaillards à mes côtés et les taudis tout autour. Je pense que je peux trouver du monde. Mais fait gaffe. T'es loin d'être la première à vouloir te frotter aux gros noms de là-haut."
Elle s'arrêta dans son élan, un sourire au coin des lèvres. Faisant volte face pour revenir vers Lars, elle s'approcha jusqu'à poser ses deux mains à plats sur le plateau de bois rugueux de la table et approcha son visage à quelques centimètres de la face buriné du brigand.
« Je savais bien que je pouvais compter sur toi. » lui dit-elle avec une douceur que démentait la froideur de son regard, « Commence à rassembler tes troupes, discrètement, sans attirer l'attention des enfoirés à la solde de Schloesing et de ses amis, je m'occupe de préparer un plan d'action avec Alessandra et mon contact à l'intérieur. », puis, se penchant davantage en avant, elle lui murmura à l'oreille « La différence avec les autres, c'est que je ne me bats pas pour l'or ou pour la gloire, mais parce que j'aime tuer. »
L'Amazone conclut sa phrase en lui mordant durement le lobe de l'oreille. Puis, elle se redressa, attrapa le verre de l'impérial et le vida d'un trait avant de se détourner, laissant son interlocuteur pensif dans son sombre petit bureau improvisé.
Dans la cave, on trompait l'ennui en buvant du ratafia à décoller les chicots ou en jouant aux dés. L'Amazone à tendance insurrectionnelle se joignit à un cercle de jeux. Des gaillards qu'elle ne connaissait pas et Herman. Le gosse la salua du chef avant de jeter les dés en os. Bon tirage. Après avoir raflé les pièces de cuivre comme un animal affamé, il tendit le godet et son contenu à Nola. Trois et Un. Mouais. Certes, c'était surtout pour s'occuper.
"Tu as proposé quoi au patron ? Pour qu'il soit resté dans son bureau, c'était soit très plaisant, soit très risqué."
Plutôt amusée par la remarque faussement innocente du gamin, elle répondit avec un rictus amusé « Pour une fois, c'étaient les deux… »
"Tant qu'il y a des ronds à s'faire tu sais." Un autre joua. Herman ne put s'empêcher de bâiller. "Putain, qu'on se casse de cette foutue planque et vite. J'en peux plus."
La remarque du jeune homme fit froncer les sourcils à l’amazone. Songeuse, elle lui demanda d’un ton plus sérieux « Les tunnels que j’ai utilisés pour venir ici, il en existe d’autres, j'imagine ? Quelqu’un a les plans de ce dédale sous-terrain ? J’imagine que cela communique avec la jumelle et le reste de la ville. »
Il se frotta la gueule et répondit : "Pas de plans précis mais... Doit y avoir moyen d'établir ça. C'est gigantesque. Ça remonte aux... Nains, je crois." Un autre trancha : "T'es con ma parole, ce sont les Impériaux qui ont construit la ville sous Sigismund le Conquérant." "C'est les elfes enfin !"
Histoire de la fondation de Myrmidens à part, les joueurs de dés finirent par s'accorder : Entre les connaissances de la bande, et les détails qu'ils obtiendraient en secouant quelques loqueteux, ils pourraient établir le tracé des souterrains de la ville. Et, ce qui s'y trouvait.
Nola, comme toute native de la jungle, n'était pas forcément à l'aise sous terre et dans les souterrains de Myrmidens. Même si elle n'avait pour le moment emprunté que des tunnels plutôt larges, fréquentés et peu profond, cela lui avait déjà donné une certaine sensation de malaise, voir même de claustrophobie. Elle se doutait bien que si le labyrinthe souterrain qui semblait parcourir les sous-sols de la ville pouvait mener jusqu'à la cité haute, cela devait être pas des passages bien plus profonds, étroits et surtout mal entretenus. Pourtant, c'était aussi une opportunité intéressante de faire pénétrer à la barbe des soldats une quantité importante d'hommes et de matériel pour le soir de l'assaut. Aussi, et bien que cette idée la rebute, elle signifia à ses compagnons de jeu qu'il faudrait certainement rapidement mettre la main sur les quelques rôdeurs des bas fonds et leur faire cracher un semblant de plan des lieux.
La nuit s'écoula. Doucement. La fumée du tabac et les vapeurs d'alcool inondèrent la cave. Les esprits ennuyés et enivrés laissèrent la place à la torpeur de ces instants qui duraient des heures sans jamais vouloir passer. Ces truands, d'une certaine façon, étaient comme l'équipage de l'Aslevial. S'ils n'étaient pas unis par le labeur du travail en mer, quelque chose d'autre le faisait. Mais ce serait pour un autre temps et un autre lieu que de chercher à comprendre ce qui courait sous les crânes obtus de deux douzaines de brigands.
L'Aube estivale et son ciel de flammes roses dardait déjà de se pointer quand elle refit surface. L'air marin mêlé à la puanteur des ports passait presque pour une douce caresse du vent après les miasmes de la cave. Vers le Ponant, la mer encore assombrie par la nuit, derrière elle et le chemin pour retourner chez Alessandra, le jour. Le premier d'une longue série de jours à concrétiser un plan. Une vengeance. Pour ce roc arrogant qui la surplombait, avec ses palais et ses cimes au seuil du ciel. La ville haute de Myrmidens était là. Vieille comme le monde, se pensant intouchable.
Elle apprendrait à avoir peur elle aussi des enfants de la Jungle.
« Les nouvelles vont vite à ce que je vois. » dit-elle avec un sourire sarcastique en attrapant une chaise et en la retournant pour s'assoir dessus à califourchon, les coudes posés sur le dossier en bois. Elle attrapa le verre à la propreté douteuse que lui tendait Lars et bu une gorgée du tord-boyaux que semblaient apprécier les types du coin. « Ce que j'ai à te proposer est sans commune mesure avec ce que l'on a pu faire dans le port l'autre soir. Je te parle d'un plan qui pourrait bien rebattre intégralement les cartes à Myrmidens et permettre à quelques opportunistes n'ayant pas froid aux yeux de changer de condition, voir même, de prendre le contrôle de la cité. »
Tout en disant cela, elle commença à rouler un fin cigare rempli de tabac et d'herbe et lorsqu'elle eut fini de parler, elle s'appliqua à humidifier le rebord de l'une des feuilles du bout de sa langue, laissant le silence flotter entre elle et l'impérial tandis que celui-ci la regardait d'un air songeur en semblant se demander dans quoi la jeune guerrière allait encore l'entraîner.
"Doucement ma jolie. Entre détourner un navire et mener la révolution, y a un léger écart de capacités, mais surtout de risques encourus. Surtout qu'après notre coup sur le Sangre Azul, les ronds-de-cuir vont pas être partants pour perdre encore plus de couronnes."
Elle tendit le bras pour allumer sa préparation à la flamme de l'une des lampes que Lars avait allumées en entrant dans la pièce. Puis, elle prit le temps de tirer une longue bouffée de fumée avant de répondre d'une voix calme « L'avantage que nous avons sur les culs dorés, c'est qu'ils sont bien trop prétentieux pour imaginer que l'on puisse s'en prendre directement à eux. »
Nola marqua un moment d'arrêt, le temps de tirer à nouveau sur le fin cigare, puis enchaîna « le tout, c'est de saisir sa chance quand elle se présente. J'ai appris par une source de première main que dans quelques semaines, tout le gratin de Myrmidens et des Frontalières devait se retrouver au palais de la Bourse pour une de leurs soirées privées » Pointant son index vers le chef des impériaux, elle continua « c'est à ce moment qu'il nous faut agir. Je peux m'occuper de trouver comment vous faire pénétrer dans les murs de la ville haute. Cependant, j'ai besoin de toi pour rassembler le plus d'hommes possibles et souffler sur les braises de la colère qui ronge les gens du peuple pour attiser la haine contre ceux qui les exploitent. Lorsque la ville s'embrasera, les gardes encore fidèles à leurs maitres auront bien trop à faire pour comprendre à temps ce qui se joue réellement. »
L'amazone avait bien des qualités, mais l'organisation d'un tel plan et la gestion des hommes n'en faisaient pas partie. Cependant, elle ne se démonta pas face au peu d'entrain affiché par son compagnon.
« Évidement, c'est encore un peu flou. J'ai eu connaissance de cette réception aujourd'hui seulement. Pourtant, je suis convaincu qu'avec un peu d'ingéniosité et beaucoup de culot, nous pouvons frapper un grand coup. »
Puis, elle se releva en jetant son mégot au sol et se retourna vers la sortie « Maintenant, si tu penses ne pas avoir la carrure pour cette mission, j'irais trouver des types avec un peu plus de courage, ou un peu moins de cervelle. »
Lars se redressa, piqué au vif ? "Tout doux, repose tes gigots sur la chaise. J'ai pas dit que je n'marchais pas. Faut juste le crédit. Si tu peux me fournir dans les jours à venir, toi ou Alessandra, le détail des opérations, moi, je peux voir pour ramener tout ce que la ville compte en traine-savates. Entre la Jumelle, les charmants gaillards à mes côtés et les taudis tout autour. Je pense que je peux trouver du monde. Mais fait gaffe. T'es loin d'être la première à vouloir te frotter aux gros noms de là-haut."
Elle s'arrêta dans son élan, un sourire au coin des lèvres. Faisant volte face pour revenir vers Lars, elle s'approcha jusqu'à poser ses deux mains à plats sur le plateau de bois rugueux de la table et approcha son visage à quelques centimètres de la face buriné du brigand.
« Je savais bien que je pouvais compter sur toi. » lui dit-elle avec une douceur que démentait la froideur de son regard, « Commence à rassembler tes troupes, discrètement, sans attirer l'attention des enfoirés à la solde de Schloesing et de ses amis, je m'occupe de préparer un plan d'action avec Alessandra et mon contact à l'intérieur. », puis, se penchant davantage en avant, elle lui murmura à l'oreille « La différence avec les autres, c'est que je ne me bats pas pour l'or ou pour la gloire, mais parce que j'aime tuer. »
L'Amazone conclut sa phrase en lui mordant durement le lobe de l'oreille. Puis, elle se redressa, attrapa le verre de l'impérial et le vida d'un trait avant de se détourner, laissant son interlocuteur pensif dans son sombre petit bureau improvisé.
Dans la cave, on trompait l'ennui en buvant du ratafia à décoller les chicots ou en jouant aux dés. L'Amazone à tendance insurrectionnelle se joignit à un cercle de jeux. Des gaillards qu'elle ne connaissait pas et Herman. Le gosse la salua du chef avant de jeter les dés en os. Bon tirage. Après avoir raflé les pièces de cuivre comme un animal affamé, il tendit le godet et son contenu à Nola. Trois et Un. Mouais. Certes, c'était surtout pour s'occuper.
"Tu as proposé quoi au patron ? Pour qu'il soit resté dans son bureau, c'était soit très plaisant, soit très risqué."
Plutôt amusée par la remarque faussement innocente du gamin, elle répondit avec un rictus amusé « Pour une fois, c'étaient les deux… »
"Tant qu'il y a des ronds à s'faire tu sais." Un autre joua. Herman ne put s'empêcher de bâiller. "Putain, qu'on se casse de cette foutue planque et vite. J'en peux plus."
La remarque du jeune homme fit froncer les sourcils à l’amazone. Songeuse, elle lui demanda d’un ton plus sérieux « Les tunnels que j’ai utilisés pour venir ici, il en existe d’autres, j'imagine ? Quelqu’un a les plans de ce dédale sous-terrain ? J’imagine que cela communique avec la jumelle et le reste de la ville. »
Il se frotta la gueule et répondit : "Pas de plans précis mais... Doit y avoir moyen d'établir ça. C'est gigantesque. Ça remonte aux... Nains, je crois." Un autre trancha : "T'es con ma parole, ce sont les Impériaux qui ont construit la ville sous Sigismund le Conquérant." "C'est les elfes enfin !"
Histoire de la fondation de Myrmidens à part, les joueurs de dés finirent par s'accorder : Entre les connaissances de la bande, et les détails qu'ils obtiendraient en secouant quelques loqueteux, ils pourraient établir le tracé des souterrains de la ville. Et, ce qui s'y trouvait.
Nola, comme toute native de la jungle, n'était pas forcément à l'aise sous terre et dans les souterrains de Myrmidens. Même si elle n'avait pour le moment emprunté que des tunnels plutôt larges, fréquentés et peu profond, cela lui avait déjà donné une certaine sensation de malaise, voir même de claustrophobie. Elle se doutait bien que si le labyrinthe souterrain qui semblait parcourir les sous-sols de la ville pouvait mener jusqu'à la cité haute, cela devait être pas des passages bien plus profonds, étroits et surtout mal entretenus. Pourtant, c'était aussi une opportunité intéressante de faire pénétrer à la barbe des soldats une quantité importante d'hommes et de matériel pour le soir de l'assaut. Aussi, et bien que cette idée la rebute, elle signifia à ses compagnons de jeu qu'il faudrait certainement rapidement mettre la main sur les quelques rôdeurs des bas fonds et leur faire cracher un semblant de plan des lieux.
La nuit s'écoula. Doucement. La fumée du tabac et les vapeurs d'alcool inondèrent la cave. Les esprits ennuyés et enivrés laissèrent la place à la torpeur de ces instants qui duraient des heures sans jamais vouloir passer. Ces truands, d'une certaine façon, étaient comme l'équipage de l'Aslevial. S'ils n'étaient pas unis par le labeur du travail en mer, quelque chose d'autre le faisait. Mais ce serait pour un autre temps et un autre lieu que de chercher à comprendre ce qui courait sous les crânes obtus de deux douzaines de brigands.
L'Aube estivale et son ciel de flammes roses dardait déjà de se pointer quand elle refit surface. L'air marin mêlé à la puanteur des ports passait presque pour une douce caresse du vent après les miasmes de la cave. Vers le Ponant, la mer encore assombrie par la nuit, derrière elle et le chemin pour retourner chez Alessandra, le jour. Le premier d'une longue série de jours à concrétiser un plan. Une vengeance. Pour ce roc arrogant qui la surplombait, avec ses palais et ses cimes au seuil du ciel. La ville haute de Myrmidens était là. Vieille comme le monde, se pensant intouchable.
Elle apprendrait à avoir peur elle aussi des enfants de la Jungle.
- Nola Al'Nysa
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Quelques jours plus tard, je me trouvais à nouveau dans le palais du seigneur Il Basilio dans les hauteurs de la ville. Les séances de peinture touchaient à leur fin, le tableau étant maintenant bien avancé, Gianni n’avait plus besoin que je prenne la pose aussi souvent. Il m’avait par ailleurs confié que mon image était très nette dans son esprit et qu’il aurait même pu se passer de ma présence si celle-ci ne lui avait pas été si agréable. Je ne prêtais pas vraiment attention à ce que je prenais pour des caprices d’artistes, le laissant m’expliquer son travail sans faire preuve d’un enthousiasme débordant.
En outre, un drôle de sentiment me rongeait depuis plusieurs jours maintenant. Lors de notre rencontre, je m’étais imaginé profiter de toutes les informations que l’homme pourrait me fournir avant de lui passer la lame de mon poignard sur la gorge, mais au fil de nos séances de travail et de nos discussions, j’avais trouvé en ce noble estropié un allié de circonstance et en quelques sortes… un ami. Il me coûtait de dire cela à propos d’un homme qui, s’il ne s’était pas retrouvé amputé d’une partie de sa jambe après une bataille aurait très bien pu faire partie d’un des équipages de qharis lancés à la conquête de ma jungle natale.
Plongée de mes réflexions, je me tenais sur le grand balcon jouxtant l’atelier de l’artiste et surplombant l'entièreté de la cité dans un panorama magnifique. Il faisait une chaleur étouffante ce jour-là, sans la moindre brise pour soulager un peu la ville de la chape de plomb qui semblait peser dessus. J’avais repris la pose une petite heure auparavant pour que Gianni puisse peaufiner certains détails et, même nue et inactive, j’avais le corps moite de transpiration. Le temps que mon hôte poursuive son labeur, j’avais revêtu un simple manteau de soie presque transparent que je n’avais pas fermé, laissant mon ventre et ma poitrine à nu et, me saisissant d’un pichet de vin frais et épicé à l’arôme enivrant, je m’étais isolée sur la terrasse déserte du balcon, regardant au loin au-dessus de l’océan la masse menaçante de gros nuages noirs annonciateur d’un orage tant attendu qui s'avançait avec lenteur vers nous.
En contrebas, la ville nichée dans les replis des falaises littorales qui s'affaissaient dans la mer. Un étalage de toits ocres, un dédale de terre cuite aux diverses couleurs, crevassé ça et là par les passages étroits des rues et des venelles. Par endroits, la carapace tuilée était percée par les branches robustes de quelques grands arbres et par les excroissances que constituaient les tours et les beffrois. Des trous plus importants encore marquaient la présence des nombreuses petites places et autres patios ombragés qui étaient le point de convergence de tant de gens au cours des journées. Au cœur de la ville, le dôme du temple de Myrmidia rutilait de milles feux sous les rayons du soleil, tandis qu'au sommet de la colline de Santinela, les longues bannières aux armoiries de la cité ondoyaient mollement sur les murs des casernes. Le port, avec ses quais grouillants de monde, la futaie embroussaillée de ses mâts et de ses vergues s’étalait sur la côte en épousant fidèlement la forme du relief. Au bout de la baie, les remparts gris du petit fortin censé protéger l’accès à la ville depuis la mer présentaient leurs courtines crénelées aux embruns et aux vagues. Au milieu de tout cela, la populace réduite aux dimensions de fourmis qui grouillaient en tous sens, chacun vaquant à ses activités dans un ballet désordonné et pourtant si hypnotisant. La hauteur et la distance agissaient comme un filtre qui me cachait la réalité de la vie dans la cité. D’ici, je ne captais pas les effluves putrides des taudis alignaient contre la muraille extérieure, je n'apercevais pas les monceaux de détritus entassés aux carrefours des ruelles et je ne distinguais pas les mendiants, les orphelins, les tire-laines et autres miséreux qui peuplaient pourtant les allées sombres de la ville.
Un bruit de porte me tira de ma contemplation songeuse. Je me retournais à demi pour apercevoir Blaise qui, penché par-dessus l’épaule de Gianni, lui murmurait quelques mots à l’oreille. Une fois son message délivré, il se redressa et son regard croisa le mien. Je ne fis, comme toujours, pas un geste pour tenter de masquer ma nudité mais, fidèle à ses habitudes, il resta totalement de marbre, inclinant à peine la tête pour me saluer. Puis, sans rien ajouter, il tourna les talons et disparut comme il était venu par la grande porte à double battant donnant sur le reste du palais. Cette vision, aussi brève et anodine soit-elle, réveilla en moi la méfiance que je tentais d’endormir depuis plusieurs jours. Évidemment, que Gianni m'ait proposé son aide pour libérer Yamsina était inespéré, mais n’était-ce pas trop beau pour être vrai ? Tout était tellement simple depuis ma rencontre avec le noble et tout allait si vite que j’avais parfois un frisson qui me parcourait l’échine en me demandant si le riche estropié n’était pas en train de me la mettre à l’envers.
- « Qu’est-ce qu’il voulait ? » demandais-je froidement en pénétrant dans le salon transformé en atelier avec un léger bruissement de tissus, mon vêtement de soie flottant derrière moi et mes pieds nus ne faisant pas le moindre bruit sur les dalles tièdes du sol.
- « Rien d’intéressant ma douce, quelques informations sur des commérages de la haute société de Myrmidens » répondit-il en levant les yeux de son œuvre pour les poser sur moi.
- « Cela semblait assez intéressant pour qu’il vienne t’interrompre dans ton travail et prenne soin que je n’en capte rien » rétorquais-je en avançant dans sa direction. Au passage, j’attrapais discrètement un ouvre lettres en fer doré finement sculpté qui trainait sur un bureau et le glissais dans mon dos.
- « Enfin Léna, tu commences à connaître Blaise, il est toujours aussi taiseux qu’une porte de cachot, c’est comme ça, un bon majordome se doit d’être discret » poursuivit Gianni avec un de ses magnifiques sourires rieurs qui faisait briller son regard d’amusement.
- « Tu n’essaies pas de me doubler Gianni j’espère » dis-je froidement en arrivant à sa hauteur. Il était assis sur un fauteuil ancien, sans accoudoir et dont le rembourrage avait fait son temps. Je m’assis sur ses genoux, face à lui, rejetant le vêtement de soie en arrière sans aucune douceur et pointais mon arme sous son menton.
Je me penchais ensuite en avant, assez près pour un baiser, mon regard plongé dans ses iris aux couleurs si douces. Il ouvrit de grands yeux et son visage exprima un mélange de panique et de désir alors qu’une de ses mains se posait sur la peau nue de ma cuisse, du côté de sa jambe amputée, pour compenser son manque de stabilité. Avoir une telle ascendance sur quelqu’un avait de quoi griser. Surtout quand il s’agissait de l’un des hommes les plus riches et puissants de la cité.
- « C’est donc vrai que tu me veux » dis-je avec un sourire mesquin, suffisamment proche pour sentir la chaleur de son souffle saccadé sur ma poitrine dénudée, en sentant son membre se raidir sous moi.
- « Léna, je… » commença-t-il.
Je modifiais l’angle du coupe papier et le tournais pour qu’il s’enfonce légèrement sur le côté de son cou. Pourtant, Gianni ne semblait pas inquiet du tout, peut-être sûr de son honnêteté, ou bien obnubilé par mon corps collé au sien, il avait sur le visage un masque de sérieux que je lui avais rarement vu. Cependant, l’inquiétude le gagna subitement quand je posais ma main sur son entrejambe et que j’entrepris d’enlever les boutons de son pantalon. Un sourire féroce pointa sur mes lèvres. L’un des nobles les plus importants des Frontalières était à ma merci et c’était encore plus excitant que ce que j’imaginais. De mes doigts ornés de bagues, je traçais une ligne sur sa joue, puis je suivais la courbe de sa lèvre avant de descendre le long de sa gorge. Mon rythme cardiaque s'accéléra, soulevant ma poitrine alors que je sondais son regard stupéfait et que je posais enfin mes lèvres sur les siennes.
Au contact de ma bouche, il sembla enfin se réveiller de l’état de stupéfaction dans lequel mon approche l’avait plongé. Une sorte de frénésie de désir s’empara de lui, faisant écho à la mienne et dans un ensemble de geste désordonnés, brutaux et pourtant étrangement coordonnés, j’achevais de le libérer de ses chausses tandis que je laissais tomber au sol mon arme et mon précieux vêtement de soie, lequel entoura la chaise sur laquelle nous étions installé comme un curieux arc de cercle nuptiale.
D’une main, j’agrippais fermement le dossier du fauteuil et de l’autre, je tirais violemment sur l’arrière de ses cheveux pendant qu’il s’empressait d’embrasser ma poitrine, ma gorge et ma bouche, comme s’il craignait que je ne revienne à la raison avant qu’il n’ait pu profiter de chaque centimètres de mon corps. Sans arrêter de l’embrasser avec des gestes brusques, nos dents s'entrechoquant douloureusement à plusieurs reprises, je l’insérais en moi d’un violent mouvement du bassin. Il eut un hoquet ou se mêlait surprise et bonheur tandis que je commençais à imprimer un rythme de va et vient soutenu sans libérer sa bouche de la mienne.
Est-ce dû à l’instabilité liée à la jambe amputée de Gianni, ou bien à la violence de mes coups de hanches ? Toujours est-il qu’à un moment, l’un des pieds arrières du fauteuil craqua avant de se dérober, nous faisant basculer lui en arrière et moi en avant avec un cri de surprise et d’amusement. Cela marqua une très courte pause dans nos ébats durant laquelle le jeune noble déclara « c’était le fauteuil préféré de ma mère… » avant que je ne relance les hostilités. Je dégageais d’un violent coup de pied derrière moi les restes du fauteuil et repris ma chevauché endiablé. Gianni était maintenant étendu dos contre le sol et je me tenais assise sur lui. Mes mains posées sur sa poitrine puissante, je sentais son cœur battre à tout rompre tandis que les siennes tenaient mes fesses, comme s’il tentait de s’accrocher pour ne pas être distancé. Haletante, je voyais dans ses yeux une lueur extatique, comme s’il n’avait jamais connu de telle expérience auparavant. Je me penchais pour l’embrasser à nouveau, laissant sa langue venir à ma rencontre avant de la mordre gentiment pendant que ses doigts glissaient le long de mon bras tatoué.
Je me redressais tandis que ses mains remontaient mes cuisses pour venir caresser mon ventre et ma poitrine, se tendant vers mon visages comme dans un geste de supplication.
- « J’ai pour habitude de me tenir à une règle bien claire » dis-je d’une voix rauque entrecoupée par des gémissements de plaisir « si je suis confronté à un problème et que la solution me parait trop simple, c’est que quelqu’un essaye de me baiser. »
- « C’est ce que je suis en train de faire » commenta Gianni avec un sourire railleur, la respiration saccadée à cause de l’effort.
- « Espèce de petite merde » le coupais-je d’une voix plus aigue qu’à mon habitude en me penchant vers lui et en le saisissant à la gorge d’une main tout en continuant d’imprimer de mes hanches un rythme soutenu et régulier.
Il eut un petit rire haletant et tenta de m’enlacer avec ses bras pour coller ma poitrine à la sienne et pouvoir m’embrasser à nouveau mais je me débattais avec trop d’énergie et je réussis à échapper à sa prise avant de lui envoyer une vilaine claque du revers de la main tout en continuant de le chevaucher telle une furie.
- « Je te jure que… si tu essayes de me doubler… je détruirais tout ce que tu aimes » essayais-je de continuer alors que le plaisir qui enflammait le bas de mon ventre commençait à se répandre dans tout mon corps.
- « … » il voulut répondre, mais à ses yeux qui se révulsaient, je compris que lui aussi était proche de l’orgasme.
- « Espèce de petit... enculé.. de ta.. raaaaaaaace » je prononçais ce dernier mot dans un cri suraiguë et prolongé, le corps violemment rejeté en arrière, presque plié en deux par une décharge électrique de pur plaisir alors qu’au contraire, Gianni lui, s’était redressé tel un ressort et semblait encore sous le choc. Ses bras entourèrent mon dos pour me soutenir alors que, le visage et la poitrine toujours dressés vers le plafond, les bras pendant mollement dans le vide, je tentais de reprendre un semblant de souffle.
Il enfouit sa tête entre mes seins, jusqu’à ce que je me redresse péniblement, entourant ses épaules de mes bras et caressant sa nuque du bout des doigts. Lentement et avec une douceur toute nouvelle, je continuais d’imprimer quelques mouvements de hanches avec la volonté de prolonger l’extase le plus longtemps possible. Un silence impressionnant semblait régner dans la pièce après la folie des derniers instants. Nos deux corps étaient tellement couverts de sueur que nous glissions presque l’un contre l’autre. Enfin, alors que je me redressais les jambes tremblantes, libérant son membre de mon emprise pour me diriger vers la table d’appoint sur le balcon ou j’avais abandonné le pichet de vin, l’orage éclata dans un vrombissement apocalyptique, libérant des trombes d’eau sur la cité qui n’attendait que ça.
Me servant une coupe, j’avançais jusqu’à la balustrade et, portant le breuvage à mes lèvres, je restais là, sous la pluie diluvienne, profitant de la fraîcheur nouvelle qui s’emparait de la ville. Une vision de dame Mathilde et de son rire lorsque je lui avais parlé de marcher nue face à la tempête me revint et me fit sourire. En claudiquant, Gianni me rejoignit et sans un mot, il m’étreignit par derrière, colla son corps nu contre le miens et posa son menton sur le haut de mon crâne. Contre mes omoplates, je sentais encore le rythme de son cœur qui peinait à se calmer. Pas un mot ne fut prononcé, pourtant, pleins de choses s’exprimaient à travers ce silence complice, et durant de longues minutes, nous regardâmes la ville disparaître derrière les lourds rideaux de pluie, les gouttes lavant nos corps de la sueur et de la salive, comme pour nous purifier après notre échange charnel. Enfin, quand nous fûmes tellement trempés que mes cheveux commençaient presque à être lourds sur ma tête et qu’un premier frisson de froid secoua nos corps, nous nous détournâmes de la cité pour retrouver la chaleur et le confort de l’atelier du peintre.
Quelques heures plus tard, alors que la première nuit de fraîcheur depuis des jours étendait ses ombres sur la cité côtière et que la pluie battante continuait de laver les rues de leur crasse et de rendre le sol des allées pavées glissant, je me retrouvais à déambuler dans les méandres tortueux que constituaient les petites venelles du quartier d’Asparenza, lieu de vie nocturne réputé de Myrmidens. Après notre moment d’égarement de l’après-midi, Gianni avait tout fait pour me convaincre de rester passer la nuit à ses côtés, voir même de venir m’installer de manière plus durable dans son palais. J’avais refusé son offre, prétextant une tâche importante à accomplir pour Alessandra et lui jurant que nous aurions l’occasion de reparler de tout cela d’ici quelque temps. En vérité, je me rendais à un rendez-vous que m’avait arrangé la gantière grâce à l’un de ses contacts avec des trafiquants bien implantés à Myrmidens et qu’elle savait plutôt fiable de réputation.
J’étais encore dans l’attente du résultat des recherches de Lars et de ses hommes sur un potentiel accès à la vieille ville en passant par le réseau de souterrains qui grouillaient sous la cité, mais les premières pistes suivies par l’impérial semblaient prometteuses et il me fallait anticiper mes préparatifs au cas où nous choisirions réellement de suivre cette voie. J’avais dans l’idée qu’en installant une quantité suffisante de poudre dans l’un des tunnels passant sous l’une des portes gardant l’accès aux quartiers nobles de Myrmidens, cela pourrait produire un souffle assez fort pour faire s’effondrer la muraille et ainsi ouvrir une voie vers les richesses jalousement gardées par une petite partie de la population à l’ensemble des habitants. Je ne faisais évidemment pas cela par esprit de grandeur ou pour aider mon prochain, mais je savais que l’appât du gain était la meilleure solution pour déclencher une émeute et un mouvement de foule, ce qui ne manquerait pas d’occuper quelque peu les gardes de la ville.
J’avançais d’un pas vif, profitant de la fraîcheur agréable qui s’était répandu sur la cité avec l’orage. Étonnement, je commençais à me sentir vraiment à l’aise dans cette grande ville du sud des frontalières à l’ambiance si particulière. La nuit était pleine de silhouettes absorbées par leurs tâches et leurs pensées, longeant les venelles et disparaissant dans les impasses. Je me laissais guider par les odeurs familières, les relents de crasse et d’urine, les arômes de vinasse chaude, les bouffées de parfum bon marché. Comme j’étais en avance, j’allais boire de la mauvaise piquette dans divers troquets de la via Darmina et de la via Besquita, histoire de prendre un peu la température de l’ambiance qui régnait dans la cité. Je perdis quelques pièces en pariant sur un combat de rue et pris ensuite un malin plaisir à regarder le manège de deux rabatteurs associés avec un tricheur professionnel. J’aperçus une pute de bas étage en train de se faire sauter sous un porche, à l'abri de l’averse, juste à côté de la file de clients attendant leur tour et cela me donna la nausée.
Finalement, je me dirigeais via Narentia chez Isabella ou avait été fixé le lieu de rendez-vous. Plus qu’un vulgaire bordel, Isabella dirigeait une maison de débauche nommée Les bas de soie en tenant table ouverte dans une demeure, certes un peu vétuste, mais qui imitait à merveille le faste d’un palais décadent. On y dansait sur des musiques de marins et les parquets avaient été lustrés par l’usure, on y buvait des vins de contrebande à peine coupés et on y mangeait dans une argenterie dépareillée rachetée à divers usuriers. Les murs humides de condensation disparaissaient derrière des tentures luxueuses obtenues de marins en rut au prix de quelques passes. Les filles étaient à l’image de la maison : aguicheuses, chères et de premier choix. Il était de notoriété publique que pour peu qu’on soit un minimum fortuné, on trouvait ici les plus jolis petits lots des frontalières. De plus, Isabella était une dame aux idées larges, elle tolérait que ses clients se livrent chez elle à d’autres débordements, quels qu’ils soient, pour peu qu’ils pensent à la remercier à la hauteur de son hospitalité.
Quand j’entrais dans l’établissement, l’animation battait son plein. Par la porte ouverte et par les fenêtres coulaient une lumière rouge et un vacarme discordant de mélodies concurrentes, de rires stridents et de cris alcoolisés. Mon arrivée passa inaperçue des clients, mais fut repérée par les videurs. Trois d'entre eux m’adressèrent un salut discret empreint d’une once de convoitise. Je leur jetais un regard froid destiné à leur faire comprendre que je n’étais pas là pour trouver du travail. Alors que j’avançais dans la bâtisse, je remarquais que les salons étaient combles. J’y vis beaucoup de visiteurs et peu de filles. Dans les alcôves en revanche, ça sentait l'abattage. Isabella parut assez vite, c’était une femme d’un âge avancé qui avait du être plutôt joli dans sa jeunesse, mais dont les excès avaient abîmé le corps et la santé. Plutôt grasse et fripée, elle persistait pourtant à porter des toilettes de jeunes chattes affriolantes. Elle vint à moi en écartant ses bras potelés et m'accueillit avec un sourire en me serrant contre sa poitrine généreuse. J’étais venu ici à plusieurs reprises pour voir Liv, la jolie blonde dont j’avais partagé le lit quelques semaines auparavant après mon combat dans la Jumelle et j’avais fini par sympathiser avec la gérante après qu’elle ait tenté de m’embaucher, allant même jusqu’à me proposer une prime sympathique pour s’attacher mes services exclusifs. Pendant nos discussions, elle me rapporta quelques potins croustillants sur les milieux crapuleux de la ville basse, mais à mon grand soulagement, rien au sujet de Lars et de mes plans.
Quand on eut passé assez de temps en politesse, je lui demandais :
- « Liv, elle est là ce soir ? »
- « Évidemment ! Tu as vu le monde qu’on a ? Elle n'avait pas intérêt à se défiler à nouveau » dit-elle en levant les yeux au ciel.
- « Je pourrais la voir maintenant ? J’ai un rendez-vous d'affaires qui arrive bientôt. »
- « Je te tiens compagnie et toi tu préfères une jeunette sans expérience ? » répondit-elle avec une moue contrariée.
- « Me joue pas le coup de l’amante rejetée, tu sais très bien que j’aime passer du temps avec elle quand j’en ai l’occasion » rétorquais-je avec un bras d’impatience dans la voix.
- « Je sais je sais… mais tu tombes vraiment mal Léna, l’activité en ville reprends en ce moment, et après la tentative de couvre-feu imposé par les hommes de Schloesing ces dernières semaines… ça a donné la trique à tous les hommes de la cité, ça ne désemplit pas depuis trois nuits, une vraie cascade de foutre. En ce moment elle est prise ta jolie colombe. »
- « Elle en a pour la nuit ? » demandais-je, déçue et passablement énervée d’entendre parler de Liv comme d’un vulgaire morceau de viande jeté en pâture.
- « Non mais ça peut durer un peu. Tu ne veux pas que je t’envoie Séréna ? Elle était aux bains quand tu es arrivée. »
Séréna était un joli lot, pas encore trop abîmée et plutôt gentille, c’était attentionné de me la proposer. Cependant, je savais que la matrone se trompait sur mes motivations à passer du temps avec Liv. Certes, la jeune femme était belle et son charme m’avait prit à la gorge à l’instant même ou je l’avais aperçu pour la première fois. Pourtant, quand je venais la voir sur son lieu de travail, c’était avant tout pour le plaisir de passer du temps avec elle, loin des complots, de la haine et de la violence. Liv était devenue en quelques sortes mon échappatoire, le remède à mes mots et celle auprès de laquelle je passais mes rares moments de douceur. J’avais développé quelque chose avec elle, comme une illusion d’histoire, une sorte de mirage d’intimité et peut-être même un début de sentiment. Si je voulais voir Liv ce soir, c’était pour évacuer mes tracas et l’angoisse des préparatifs de l’attaque du palais de la bourse.
- « J'attendrai Liv. »
Isabella essaya encore un peu de me dissuader en me proposant d’autres filles, mais je n’en démordais pas et restais sur mon idée. Pour finir, elle fut appelée ailleurs et me laissa avec une nouvelle carafe de vin en me disant que la maison offrait les rafraîchissements. Je me mis donc à l’aise sur ma chaise et je commençais à boire pour tuer le temps, défiant du regard chacun des hommes qui tentaient une approche d’oser venir s’installer près de moi. Au fond de la pièce, j’observais avec un peu de stupeur le spectacle d’une jolie brune à la peau bronzée qui, en petite tenue faites de morceau de tissus brodés de fil d’or dansait sur une table autour d’un serpent dont la tête sortait par moment du panier dans lequel il avait été transporté. La jeune femme semblait concentrée, attentive aux moindres mouvements du reptile dont la morsure pouvait, à n’en pas douter, la refroidir dans la demi-heure. Cette attention donnée à l’animal avait au moins l’avantage de la distraire des commentaires gras et grossiers des spectateurs. Je ne comprenais pas exactement comment elle s’y prenait pour captiver la créature, mais il me semblait que cela venait des petits grelots accrochés au drap de soie qu’elle agitait avec une lenteur calculée au-dessus de sa tête. J’eus un petit sourire en me demandant qui du serpent ou des clients agglutinés autour de la table et jetant des pièces à la jeune danseuse était le plus charmé par ses gestes lents et sensuels et les formes agréables de son corps. Moi qui pensais avoir tout vu, je découvrais que les habitants du vieux monde en avaient encore en réserve pour me surprendre.
Je n’avais vidé que deux ou trois verres quand quatre hommes firent leur entrée. Il s’agissait visiblement de gaillards d’un certain statut social, car sous les lourds manteaux de cavalier gorgés de pluie, on devinait des pourpoints de bonne facture ainsi que la gaine de dagues et d’épées. Ils parcoururent les lieux du regard en quête de sièges et certainement de filles et l’un d’eux s’arrêta sur moi avant de s’inviter à ma table avec ses acolytes en prime. Je me redressais à leur approche, la lèvre supérieure retroussée et je grognais.
- « J’attends du monde. Ici il n’y a plus de place. »
L’homme qui semblait diriger le groupe s’esclaffa et je notais ses yeux déjà bien injectés par l’alcool.
- « T’es toujours aussi agressive ma jolie ? » ricanna-t-il « tu dois te débattre comme une diablesse dans la couche d’un homme ».
Je pris une profonde inspiration et je posais mes mains bien à plat sur la table.
- « Putain, c’est pas prudent de me chercher des poux. »
- « Hé ! Elle mord la jeune chatte ! » commenta l’indélicat.
- « Il se trouve que vous avez une sacrée veine » rétorquais-je « des pouilleux ordinaires joueraient déjà avec leurs doigts cassés, mais j’ai pas envie de m’encastrer un aristocrate de bas étage ».
Mon interlocuteur poussa un juron comique. Il avait déjà la lèvre un peu molle de celui qui a vidé trop de pichets. Même sans l’ébriété qui noyait son regard, il n’avait pas l’air en très bonne forme. Je relevais chez lui les cheveux ternes, les rides précoces et le teint flétrie des individus usés par une vie de plaisir.
- « C’est marrant » repris le joli cœur « on dirait presque que tu me reproches de vouloir prendre du bon temps avec une beauté comme toi ».
- « Il y a pleins d’autres filles ici avec lesquelles faire vos affaires. Je gage qu’elles se feront une joie de vous alléger les bourses, dans tous les sens du terme. »
Un éclair mauvais traversa sa pupille trouble.
- « Ecoute, je me suis emmerdé toute la journée, ça me rend irritable, j’ai besoin de me délasser. Pourquoi ne pas me laisser goûter ta sueur sucrée et m'installer bien au chaud entre tes cuisses ? » puis saisissant mon pichet de vin il ajouta « aurais-tu au moins l’obligeance de partager ton vin avec moi ? »
- « Il se trouve que je n’ai qu’un verre ». Il fit une grimace pas très aimable et ses compagnons commencèrent à s’agiter. Du coin de l'œil je ne les lâchais pas du regard, surtout celui en retrait qui m’avait l’air moins gris que les autres.
- « C’est une impression où tu es en train de me chercher ? » grogna le chef du groupe.
- « Je ne cherche rien du tout, c’est vous qui êtes venu vous poser à cette table. »
- « Bon sang, en arrivant ici j’étais pourtant content de voir de la chair fraîche d’aussi bonne qualité » reprit-il en prenant ses compagnons à témoin.
- « Merci pour la pommade. Je sais bien que ce qui vous intéresse, c’est tous les moyens possibles d’approcher mon cul d’assez près pour lui faire la bise. Faut vraiment être bourré pour me confondre avec une putain. »
- « Ecoutes-moi bien, quand j’ai envie de tirer un coup, je vais aux putes. Et quand j’y suis, je n’ai pas pour habitude que l’une d’elles se refuse à moi. »
Il se mit à faire du tapage pour qu’on lui serve à boire et qu’on lui envoie de la compagnie puis, prenant à témoin ses compagnon, il dit :
- « Je trouve vraiment qu’on me manque de considération, ce qui n’est pas très malin ».
- « Et continuer de me les briser vous trouvez ça malin ? »
Son sourire se fit encore plus narquois. Toutefois, au pincement de ses paupières je compris qu’il commençait à s’échauffer.
- « Il y a bien une chose que j’aimerai briser ma belle. T’as du culot et j’aime ça, mais tu joues à un jeu dangereux, je pourrais te faire cracher tes dents. »
- « Cela prendrait toujours plus de temps que n’en a besoin une femme pour te faire cracher toi » feulais-je, consciente d’avoir franchi le point de non retour.
Il y eut un long moment de silence durant lequel les quatre compères échangèrent des regards amusés, ce qui m’étonna. Pour ma part, j’étais à moitié dressé sur ma chaise, les deux mains reposant sur le plateau de la table. Je tentais de donner l’apparence d’une feinte décontraction, mais j’étais en réalité prête à bondir au moindre mouvement hostile de l’un de mes visiteurs inopportuns. Pourtant, après ce qui me sembla durer une éternité, l’homme qui me faisait face éclata d’un rire tonitruant en se tapant sur la cuisse, bientôt imité par les trois autres. Face à ma mine déconfite et mon attitude toujours prudente, il me tendit une main franche en s’exclamant : « Tu dois être la fleur du pavé ! On ne m’avait pas menti en me parlant de ton caractère. Il me semble que nous avions rendez-vous ce soir pour parler affaires ».
Je restais médusée, cet imbécile prétentieux avait failli déclencher un affrontement entre nous simplement pour s’amuser, alors qu’il semblait évident qu’il m’avait reconnu depuis le début. Décidément, la bêtise des qharis était vraiment sans limite. Me rasseyant sur ma chaise, je lui tendis mon verre de vin à demi vidé en signe d’apaisement. Vu le profil du gandin, la négociation s'annonçait ardue.
En outre, un drôle de sentiment me rongeait depuis plusieurs jours maintenant. Lors de notre rencontre, je m’étais imaginé profiter de toutes les informations que l’homme pourrait me fournir avant de lui passer la lame de mon poignard sur la gorge, mais au fil de nos séances de travail et de nos discussions, j’avais trouvé en ce noble estropié un allié de circonstance et en quelques sortes… un ami. Il me coûtait de dire cela à propos d’un homme qui, s’il ne s’était pas retrouvé amputé d’une partie de sa jambe après une bataille aurait très bien pu faire partie d’un des équipages de qharis lancés à la conquête de ma jungle natale.
Plongée de mes réflexions, je me tenais sur le grand balcon jouxtant l’atelier de l’artiste et surplombant l'entièreté de la cité dans un panorama magnifique. Il faisait une chaleur étouffante ce jour-là, sans la moindre brise pour soulager un peu la ville de la chape de plomb qui semblait peser dessus. J’avais repris la pose une petite heure auparavant pour que Gianni puisse peaufiner certains détails et, même nue et inactive, j’avais le corps moite de transpiration. Le temps que mon hôte poursuive son labeur, j’avais revêtu un simple manteau de soie presque transparent que je n’avais pas fermé, laissant mon ventre et ma poitrine à nu et, me saisissant d’un pichet de vin frais et épicé à l’arôme enivrant, je m’étais isolée sur la terrasse déserte du balcon, regardant au loin au-dessus de l’océan la masse menaçante de gros nuages noirs annonciateur d’un orage tant attendu qui s'avançait avec lenteur vers nous.
En contrebas, la ville nichée dans les replis des falaises littorales qui s'affaissaient dans la mer. Un étalage de toits ocres, un dédale de terre cuite aux diverses couleurs, crevassé ça et là par les passages étroits des rues et des venelles. Par endroits, la carapace tuilée était percée par les branches robustes de quelques grands arbres et par les excroissances que constituaient les tours et les beffrois. Des trous plus importants encore marquaient la présence des nombreuses petites places et autres patios ombragés qui étaient le point de convergence de tant de gens au cours des journées. Au cœur de la ville, le dôme du temple de Myrmidia rutilait de milles feux sous les rayons du soleil, tandis qu'au sommet de la colline de Santinela, les longues bannières aux armoiries de la cité ondoyaient mollement sur les murs des casernes. Le port, avec ses quais grouillants de monde, la futaie embroussaillée de ses mâts et de ses vergues s’étalait sur la côte en épousant fidèlement la forme du relief. Au bout de la baie, les remparts gris du petit fortin censé protéger l’accès à la ville depuis la mer présentaient leurs courtines crénelées aux embruns et aux vagues. Au milieu de tout cela, la populace réduite aux dimensions de fourmis qui grouillaient en tous sens, chacun vaquant à ses activités dans un ballet désordonné et pourtant si hypnotisant. La hauteur et la distance agissaient comme un filtre qui me cachait la réalité de la vie dans la cité. D’ici, je ne captais pas les effluves putrides des taudis alignaient contre la muraille extérieure, je n'apercevais pas les monceaux de détritus entassés aux carrefours des ruelles et je ne distinguais pas les mendiants, les orphelins, les tire-laines et autres miséreux qui peuplaient pourtant les allées sombres de la ville.
Un bruit de porte me tira de ma contemplation songeuse. Je me retournais à demi pour apercevoir Blaise qui, penché par-dessus l’épaule de Gianni, lui murmurait quelques mots à l’oreille. Une fois son message délivré, il se redressa et son regard croisa le mien. Je ne fis, comme toujours, pas un geste pour tenter de masquer ma nudité mais, fidèle à ses habitudes, il resta totalement de marbre, inclinant à peine la tête pour me saluer. Puis, sans rien ajouter, il tourna les talons et disparut comme il était venu par la grande porte à double battant donnant sur le reste du palais. Cette vision, aussi brève et anodine soit-elle, réveilla en moi la méfiance que je tentais d’endormir depuis plusieurs jours. Évidemment, que Gianni m'ait proposé son aide pour libérer Yamsina était inespéré, mais n’était-ce pas trop beau pour être vrai ? Tout était tellement simple depuis ma rencontre avec le noble et tout allait si vite que j’avais parfois un frisson qui me parcourait l’échine en me demandant si le riche estropié n’était pas en train de me la mettre à l’envers.
- « Qu’est-ce qu’il voulait ? » demandais-je froidement en pénétrant dans le salon transformé en atelier avec un léger bruissement de tissus, mon vêtement de soie flottant derrière moi et mes pieds nus ne faisant pas le moindre bruit sur les dalles tièdes du sol.
- « Rien d’intéressant ma douce, quelques informations sur des commérages de la haute société de Myrmidens » répondit-il en levant les yeux de son œuvre pour les poser sur moi.
- « Cela semblait assez intéressant pour qu’il vienne t’interrompre dans ton travail et prenne soin que je n’en capte rien » rétorquais-je en avançant dans sa direction. Au passage, j’attrapais discrètement un ouvre lettres en fer doré finement sculpté qui trainait sur un bureau et le glissais dans mon dos.
- « Enfin Léna, tu commences à connaître Blaise, il est toujours aussi taiseux qu’une porte de cachot, c’est comme ça, un bon majordome se doit d’être discret » poursuivit Gianni avec un de ses magnifiques sourires rieurs qui faisait briller son regard d’amusement.
- « Tu n’essaies pas de me doubler Gianni j’espère » dis-je froidement en arrivant à sa hauteur. Il était assis sur un fauteuil ancien, sans accoudoir et dont le rembourrage avait fait son temps. Je m’assis sur ses genoux, face à lui, rejetant le vêtement de soie en arrière sans aucune douceur et pointais mon arme sous son menton.
Je me penchais ensuite en avant, assez près pour un baiser, mon regard plongé dans ses iris aux couleurs si douces. Il ouvrit de grands yeux et son visage exprima un mélange de panique et de désir alors qu’une de ses mains se posait sur la peau nue de ma cuisse, du côté de sa jambe amputée, pour compenser son manque de stabilité. Avoir une telle ascendance sur quelqu’un avait de quoi griser. Surtout quand il s’agissait de l’un des hommes les plus riches et puissants de la cité.
- « C’est donc vrai que tu me veux » dis-je avec un sourire mesquin, suffisamment proche pour sentir la chaleur de son souffle saccadé sur ma poitrine dénudée, en sentant son membre se raidir sous moi.
- « Léna, je… » commença-t-il.
Je modifiais l’angle du coupe papier et le tournais pour qu’il s’enfonce légèrement sur le côté de son cou. Pourtant, Gianni ne semblait pas inquiet du tout, peut-être sûr de son honnêteté, ou bien obnubilé par mon corps collé au sien, il avait sur le visage un masque de sérieux que je lui avais rarement vu. Cependant, l’inquiétude le gagna subitement quand je posais ma main sur son entrejambe et que j’entrepris d’enlever les boutons de son pantalon. Un sourire féroce pointa sur mes lèvres. L’un des nobles les plus importants des Frontalières était à ma merci et c’était encore plus excitant que ce que j’imaginais. De mes doigts ornés de bagues, je traçais une ligne sur sa joue, puis je suivais la courbe de sa lèvre avant de descendre le long de sa gorge. Mon rythme cardiaque s'accéléra, soulevant ma poitrine alors que je sondais son regard stupéfait et que je posais enfin mes lèvres sur les siennes.
Au contact de ma bouche, il sembla enfin se réveiller de l’état de stupéfaction dans lequel mon approche l’avait plongé. Une sorte de frénésie de désir s’empara de lui, faisant écho à la mienne et dans un ensemble de geste désordonnés, brutaux et pourtant étrangement coordonnés, j’achevais de le libérer de ses chausses tandis que je laissais tomber au sol mon arme et mon précieux vêtement de soie, lequel entoura la chaise sur laquelle nous étions installé comme un curieux arc de cercle nuptiale.
D’une main, j’agrippais fermement le dossier du fauteuil et de l’autre, je tirais violemment sur l’arrière de ses cheveux pendant qu’il s’empressait d’embrasser ma poitrine, ma gorge et ma bouche, comme s’il craignait que je ne revienne à la raison avant qu’il n’ait pu profiter de chaque centimètres de mon corps. Sans arrêter de l’embrasser avec des gestes brusques, nos dents s'entrechoquant douloureusement à plusieurs reprises, je l’insérais en moi d’un violent mouvement du bassin. Il eut un hoquet ou se mêlait surprise et bonheur tandis que je commençais à imprimer un rythme de va et vient soutenu sans libérer sa bouche de la mienne.
Est-ce dû à l’instabilité liée à la jambe amputée de Gianni, ou bien à la violence de mes coups de hanches ? Toujours est-il qu’à un moment, l’un des pieds arrières du fauteuil craqua avant de se dérober, nous faisant basculer lui en arrière et moi en avant avec un cri de surprise et d’amusement. Cela marqua une très courte pause dans nos ébats durant laquelle le jeune noble déclara « c’était le fauteuil préféré de ma mère… » avant que je ne relance les hostilités. Je dégageais d’un violent coup de pied derrière moi les restes du fauteuil et repris ma chevauché endiablé. Gianni était maintenant étendu dos contre le sol et je me tenais assise sur lui. Mes mains posées sur sa poitrine puissante, je sentais son cœur battre à tout rompre tandis que les siennes tenaient mes fesses, comme s’il tentait de s’accrocher pour ne pas être distancé. Haletante, je voyais dans ses yeux une lueur extatique, comme s’il n’avait jamais connu de telle expérience auparavant. Je me penchais pour l’embrasser à nouveau, laissant sa langue venir à ma rencontre avant de la mordre gentiment pendant que ses doigts glissaient le long de mon bras tatoué.
Je me redressais tandis que ses mains remontaient mes cuisses pour venir caresser mon ventre et ma poitrine, se tendant vers mon visages comme dans un geste de supplication.
- « J’ai pour habitude de me tenir à une règle bien claire » dis-je d’une voix rauque entrecoupée par des gémissements de plaisir « si je suis confronté à un problème et que la solution me parait trop simple, c’est que quelqu’un essaye de me baiser. »
- « C’est ce que je suis en train de faire » commenta Gianni avec un sourire railleur, la respiration saccadée à cause de l’effort.
- « Espèce de petite merde » le coupais-je d’une voix plus aigue qu’à mon habitude en me penchant vers lui et en le saisissant à la gorge d’une main tout en continuant d’imprimer de mes hanches un rythme soutenu et régulier.
Il eut un petit rire haletant et tenta de m’enlacer avec ses bras pour coller ma poitrine à la sienne et pouvoir m’embrasser à nouveau mais je me débattais avec trop d’énergie et je réussis à échapper à sa prise avant de lui envoyer une vilaine claque du revers de la main tout en continuant de le chevaucher telle une furie.
- « Je te jure que… si tu essayes de me doubler… je détruirais tout ce que tu aimes » essayais-je de continuer alors que le plaisir qui enflammait le bas de mon ventre commençait à se répandre dans tout mon corps.
- « … » il voulut répondre, mais à ses yeux qui se révulsaient, je compris que lui aussi était proche de l’orgasme.
- « Espèce de petit... enculé.. de ta.. raaaaaaaace » je prononçais ce dernier mot dans un cri suraiguë et prolongé, le corps violemment rejeté en arrière, presque plié en deux par une décharge électrique de pur plaisir alors qu’au contraire, Gianni lui, s’était redressé tel un ressort et semblait encore sous le choc. Ses bras entourèrent mon dos pour me soutenir alors que, le visage et la poitrine toujours dressés vers le plafond, les bras pendant mollement dans le vide, je tentais de reprendre un semblant de souffle.
Il enfouit sa tête entre mes seins, jusqu’à ce que je me redresse péniblement, entourant ses épaules de mes bras et caressant sa nuque du bout des doigts. Lentement et avec une douceur toute nouvelle, je continuais d’imprimer quelques mouvements de hanches avec la volonté de prolonger l’extase le plus longtemps possible. Un silence impressionnant semblait régner dans la pièce après la folie des derniers instants. Nos deux corps étaient tellement couverts de sueur que nous glissions presque l’un contre l’autre. Enfin, alors que je me redressais les jambes tremblantes, libérant son membre de mon emprise pour me diriger vers la table d’appoint sur le balcon ou j’avais abandonné le pichet de vin, l’orage éclata dans un vrombissement apocalyptique, libérant des trombes d’eau sur la cité qui n’attendait que ça.
Me servant une coupe, j’avançais jusqu’à la balustrade et, portant le breuvage à mes lèvres, je restais là, sous la pluie diluvienne, profitant de la fraîcheur nouvelle qui s’emparait de la ville. Une vision de dame Mathilde et de son rire lorsque je lui avais parlé de marcher nue face à la tempête me revint et me fit sourire. En claudiquant, Gianni me rejoignit et sans un mot, il m’étreignit par derrière, colla son corps nu contre le miens et posa son menton sur le haut de mon crâne. Contre mes omoplates, je sentais encore le rythme de son cœur qui peinait à se calmer. Pas un mot ne fut prononcé, pourtant, pleins de choses s’exprimaient à travers ce silence complice, et durant de longues minutes, nous regardâmes la ville disparaître derrière les lourds rideaux de pluie, les gouttes lavant nos corps de la sueur et de la salive, comme pour nous purifier après notre échange charnel. Enfin, quand nous fûmes tellement trempés que mes cheveux commençaient presque à être lourds sur ma tête et qu’un premier frisson de froid secoua nos corps, nous nous détournâmes de la cité pour retrouver la chaleur et le confort de l’atelier du peintre.
Quelques heures plus tard, alors que la première nuit de fraîcheur depuis des jours étendait ses ombres sur la cité côtière et que la pluie battante continuait de laver les rues de leur crasse et de rendre le sol des allées pavées glissant, je me retrouvais à déambuler dans les méandres tortueux que constituaient les petites venelles du quartier d’Asparenza, lieu de vie nocturne réputé de Myrmidens. Après notre moment d’égarement de l’après-midi, Gianni avait tout fait pour me convaincre de rester passer la nuit à ses côtés, voir même de venir m’installer de manière plus durable dans son palais. J’avais refusé son offre, prétextant une tâche importante à accomplir pour Alessandra et lui jurant que nous aurions l’occasion de reparler de tout cela d’ici quelque temps. En vérité, je me rendais à un rendez-vous que m’avait arrangé la gantière grâce à l’un de ses contacts avec des trafiquants bien implantés à Myrmidens et qu’elle savait plutôt fiable de réputation.
J’étais encore dans l’attente du résultat des recherches de Lars et de ses hommes sur un potentiel accès à la vieille ville en passant par le réseau de souterrains qui grouillaient sous la cité, mais les premières pistes suivies par l’impérial semblaient prometteuses et il me fallait anticiper mes préparatifs au cas où nous choisirions réellement de suivre cette voie. J’avais dans l’idée qu’en installant une quantité suffisante de poudre dans l’un des tunnels passant sous l’une des portes gardant l’accès aux quartiers nobles de Myrmidens, cela pourrait produire un souffle assez fort pour faire s’effondrer la muraille et ainsi ouvrir une voie vers les richesses jalousement gardées par une petite partie de la population à l’ensemble des habitants. Je ne faisais évidemment pas cela par esprit de grandeur ou pour aider mon prochain, mais je savais que l’appât du gain était la meilleure solution pour déclencher une émeute et un mouvement de foule, ce qui ne manquerait pas d’occuper quelque peu les gardes de la ville.
J’avançais d’un pas vif, profitant de la fraîcheur agréable qui s’était répandu sur la cité avec l’orage. Étonnement, je commençais à me sentir vraiment à l’aise dans cette grande ville du sud des frontalières à l’ambiance si particulière. La nuit était pleine de silhouettes absorbées par leurs tâches et leurs pensées, longeant les venelles et disparaissant dans les impasses. Je me laissais guider par les odeurs familières, les relents de crasse et d’urine, les arômes de vinasse chaude, les bouffées de parfum bon marché. Comme j’étais en avance, j’allais boire de la mauvaise piquette dans divers troquets de la via Darmina et de la via Besquita, histoire de prendre un peu la température de l’ambiance qui régnait dans la cité. Je perdis quelques pièces en pariant sur un combat de rue et pris ensuite un malin plaisir à regarder le manège de deux rabatteurs associés avec un tricheur professionnel. J’aperçus une pute de bas étage en train de se faire sauter sous un porche, à l'abri de l’averse, juste à côté de la file de clients attendant leur tour et cela me donna la nausée.
Finalement, je me dirigeais via Narentia chez Isabella ou avait été fixé le lieu de rendez-vous. Plus qu’un vulgaire bordel, Isabella dirigeait une maison de débauche nommée Les bas de soie en tenant table ouverte dans une demeure, certes un peu vétuste, mais qui imitait à merveille le faste d’un palais décadent. On y dansait sur des musiques de marins et les parquets avaient été lustrés par l’usure, on y buvait des vins de contrebande à peine coupés et on y mangeait dans une argenterie dépareillée rachetée à divers usuriers. Les murs humides de condensation disparaissaient derrière des tentures luxueuses obtenues de marins en rut au prix de quelques passes. Les filles étaient à l’image de la maison : aguicheuses, chères et de premier choix. Il était de notoriété publique que pour peu qu’on soit un minimum fortuné, on trouvait ici les plus jolis petits lots des frontalières. De plus, Isabella était une dame aux idées larges, elle tolérait que ses clients se livrent chez elle à d’autres débordements, quels qu’ils soient, pour peu qu’ils pensent à la remercier à la hauteur de son hospitalité.
Quand j’entrais dans l’établissement, l’animation battait son plein. Par la porte ouverte et par les fenêtres coulaient une lumière rouge et un vacarme discordant de mélodies concurrentes, de rires stridents et de cris alcoolisés. Mon arrivée passa inaperçue des clients, mais fut repérée par les videurs. Trois d'entre eux m’adressèrent un salut discret empreint d’une once de convoitise. Je leur jetais un regard froid destiné à leur faire comprendre que je n’étais pas là pour trouver du travail. Alors que j’avançais dans la bâtisse, je remarquais que les salons étaient combles. J’y vis beaucoup de visiteurs et peu de filles. Dans les alcôves en revanche, ça sentait l'abattage. Isabella parut assez vite, c’était une femme d’un âge avancé qui avait du être plutôt joli dans sa jeunesse, mais dont les excès avaient abîmé le corps et la santé. Plutôt grasse et fripée, elle persistait pourtant à porter des toilettes de jeunes chattes affriolantes. Elle vint à moi en écartant ses bras potelés et m'accueillit avec un sourire en me serrant contre sa poitrine généreuse. J’étais venu ici à plusieurs reprises pour voir Liv, la jolie blonde dont j’avais partagé le lit quelques semaines auparavant après mon combat dans la Jumelle et j’avais fini par sympathiser avec la gérante après qu’elle ait tenté de m’embaucher, allant même jusqu’à me proposer une prime sympathique pour s’attacher mes services exclusifs. Pendant nos discussions, elle me rapporta quelques potins croustillants sur les milieux crapuleux de la ville basse, mais à mon grand soulagement, rien au sujet de Lars et de mes plans.
Quand on eut passé assez de temps en politesse, je lui demandais :
- « Liv, elle est là ce soir ? »
- « Évidemment ! Tu as vu le monde qu’on a ? Elle n'avait pas intérêt à se défiler à nouveau » dit-elle en levant les yeux au ciel.
- « Je pourrais la voir maintenant ? J’ai un rendez-vous d'affaires qui arrive bientôt. »
- « Je te tiens compagnie et toi tu préfères une jeunette sans expérience ? » répondit-elle avec une moue contrariée.
- « Me joue pas le coup de l’amante rejetée, tu sais très bien que j’aime passer du temps avec elle quand j’en ai l’occasion » rétorquais-je avec un bras d’impatience dans la voix.
- « Je sais je sais… mais tu tombes vraiment mal Léna, l’activité en ville reprends en ce moment, et après la tentative de couvre-feu imposé par les hommes de Schloesing ces dernières semaines… ça a donné la trique à tous les hommes de la cité, ça ne désemplit pas depuis trois nuits, une vraie cascade de foutre. En ce moment elle est prise ta jolie colombe. »
- « Elle en a pour la nuit ? » demandais-je, déçue et passablement énervée d’entendre parler de Liv comme d’un vulgaire morceau de viande jeté en pâture.
- « Non mais ça peut durer un peu. Tu ne veux pas que je t’envoie Séréna ? Elle était aux bains quand tu es arrivée. »
Séréna était un joli lot, pas encore trop abîmée et plutôt gentille, c’était attentionné de me la proposer. Cependant, je savais que la matrone se trompait sur mes motivations à passer du temps avec Liv. Certes, la jeune femme était belle et son charme m’avait prit à la gorge à l’instant même ou je l’avais aperçu pour la première fois. Pourtant, quand je venais la voir sur son lieu de travail, c’était avant tout pour le plaisir de passer du temps avec elle, loin des complots, de la haine et de la violence. Liv était devenue en quelques sortes mon échappatoire, le remède à mes mots et celle auprès de laquelle je passais mes rares moments de douceur. J’avais développé quelque chose avec elle, comme une illusion d’histoire, une sorte de mirage d’intimité et peut-être même un début de sentiment. Si je voulais voir Liv ce soir, c’était pour évacuer mes tracas et l’angoisse des préparatifs de l’attaque du palais de la bourse.
- « J'attendrai Liv. »
Isabella essaya encore un peu de me dissuader en me proposant d’autres filles, mais je n’en démordais pas et restais sur mon idée. Pour finir, elle fut appelée ailleurs et me laissa avec une nouvelle carafe de vin en me disant que la maison offrait les rafraîchissements. Je me mis donc à l’aise sur ma chaise et je commençais à boire pour tuer le temps, défiant du regard chacun des hommes qui tentaient une approche d’oser venir s’installer près de moi. Au fond de la pièce, j’observais avec un peu de stupeur le spectacle d’une jolie brune à la peau bronzée qui, en petite tenue faites de morceau de tissus brodés de fil d’or dansait sur une table autour d’un serpent dont la tête sortait par moment du panier dans lequel il avait été transporté. La jeune femme semblait concentrée, attentive aux moindres mouvements du reptile dont la morsure pouvait, à n’en pas douter, la refroidir dans la demi-heure. Cette attention donnée à l’animal avait au moins l’avantage de la distraire des commentaires gras et grossiers des spectateurs. Je ne comprenais pas exactement comment elle s’y prenait pour captiver la créature, mais il me semblait que cela venait des petits grelots accrochés au drap de soie qu’elle agitait avec une lenteur calculée au-dessus de sa tête. J’eus un petit sourire en me demandant qui du serpent ou des clients agglutinés autour de la table et jetant des pièces à la jeune danseuse était le plus charmé par ses gestes lents et sensuels et les formes agréables de son corps. Moi qui pensais avoir tout vu, je découvrais que les habitants du vieux monde en avaient encore en réserve pour me surprendre.
Je n’avais vidé que deux ou trois verres quand quatre hommes firent leur entrée. Il s’agissait visiblement de gaillards d’un certain statut social, car sous les lourds manteaux de cavalier gorgés de pluie, on devinait des pourpoints de bonne facture ainsi que la gaine de dagues et d’épées. Ils parcoururent les lieux du regard en quête de sièges et certainement de filles et l’un d’eux s’arrêta sur moi avant de s’inviter à ma table avec ses acolytes en prime. Je me redressais à leur approche, la lèvre supérieure retroussée et je grognais.
- « J’attends du monde. Ici il n’y a plus de place. »
L’homme qui semblait diriger le groupe s’esclaffa et je notais ses yeux déjà bien injectés par l’alcool.
- « T’es toujours aussi agressive ma jolie ? » ricanna-t-il « tu dois te débattre comme une diablesse dans la couche d’un homme ».
Je pris une profonde inspiration et je posais mes mains bien à plat sur la table.
- « Putain, c’est pas prudent de me chercher des poux. »
- « Hé ! Elle mord la jeune chatte ! » commenta l’indélicat.
- « Il se trouve que vous avez une sacrée veine » rétorquais-je « des pouilleux ordinaires joueraient déjà avec leurs doigts cassés, mais j’ai pas envie de m’encastrer un aristocrate de bas étage ».
Mon interlocuteur poussa un juron comique. Il avait déjà la lèvre un peu molle de celui qui a vidé trop de pichets. Même sans l’ébriété qui noyait son regard, il n’avait pas l’air en très bonne forme. Je relevais chez lui les cheveux ternes, les rides précoces et le teint flétrie des individus usés par une vie de plaisir.
- « C’est marrant » repris le joli cœur « on dirait presque que tu me reproches de vouloir prendre du bon temps avec une beauté comme toi ».
- « Il y a pleins d’autres filles ici avec lesquelles faire vos affaires. Je gage qu’elles se feront une joie de vous alléger les bourses, dans tous les sens du terme. »
Un éclair mauvais traversa sa pupille trouble.
- « Ecoute, je me suis emmerdé toute la journée, ça me rend irritable, j’ai besoin de me délasser. Pourquoi ne pas me laisser goûter ta sueur sucrée et m'installer bien au chaud entre tes cuisses ? » puis saisissant mon pichet de vin il ajouta « aurais-tu au moins l’obligeance de partager ton vin avec moi ? »
- « Il se trouve que je n’ai qu’un verre ». Il fit une grimace pas très aimable et ses compagnons commencèrent à s’agiter. Du coin de l'œil je ne les lâchais pas du regard, surtout celui en retrait qui m’avait l’air moins gris que les autres.
- « C’est une impression où tu es en train de me chercher ? » grogna le chef du groupe.
- « Je ne cherche rien du tout, c’est vous qui êtes venu vous poser à cette table. »
- « Bon sang, en arrivant ici j’étais pourtant content de voir de la chair fraîche d’aussi bonne qualité » reprit-il en prenant ses compagnons à témoin.
- « Merci pour la pommade. Je sais bien que ce qui vous intéresse, c’est tous les moyens possibles d’approcher mon cul d’assez près pour lui faire la bise. Faut vraiment être bourré pour me confondre avec une putain. »
- « Ecoutes-moi bien, quand j’ai envie de tirer un coup, je vais aux putes. Et quand j’y suis, je n’ai pas pour habitude que l’une d’elles se refuse à moi. »
Il se mit à faire du tapage pour qu’on lui serve à boire et qu’on lui envoie de la compagnie puis, prenant à témoin ses compagnon, il dit :
- « Je trouve vraiment qu’on me manque de considération, ce qui n’est pas très malin ».
- « Et continuer de me les briser vous trouvez ça malin ? »
Son sourire se fit encore plus narquois. Toutefois, au pincement de ses paupières je compris qu’il commençait à s’échauffer.
- « Il y a bien une chose que j’aimerai briser ma belle. T’as du culot et j’aime ça, mais tu joues à un jeu dangereux, je pourrais te faire cracher tes dents. »
- « Cela prendrait toujours plus de temps que n’en a besoin une femme pour te faire cracher toi » feulais-je, consciente d’avoir franchi le point de non retour.
Il y eut un long moment de silence durant lequel les quatre compères échangèrent des regards amusés, ce qui m’étonna. Pour ma part, j’étais à moitié dressé sur ma chaise, les deux mains reposant sur le plateau de la table. Je tentais de donner l’apparence d’une feinte décontraction, mais j’étais en réalité prête à bondir au moindre mouvement hostile de l’un de mes visiteurs inopportuns. Pourtant, après ce qui me sembla durer une éternité, l’homme qui me faisait face éclata d’un rire tonitruant en se tapant sur la cuisse, bientôt imité par les trois autres. Face à ma mine déconfite et mon attitude toujours prudente, il me tendit une main franche en s’exclamant : « Tu dois être la fleur du pavé ! On ne m’avait pas menti en me parlant de ton caractère. Il me semble que nous avions rendez-vous ce soir pour parler affaires ».
Je restais médusée, cet imbécile prétentieux avait failli déclencher un affrontement entre nous simplement pour s’amuser, alors qu’il semblait évident qu’il m’avait reconnu depuis le début. Décidément, la bêtise des qharis était vraiment sans limite. Me rasseyant sur ma chaise, je lui tendis mon verre de vin à demi vidé en signe d’apaisement. Vu le profil du gandin, la négociation s'annonçait ardue.
Modifié en dernier par Nola Al'Nysa le 04 avr. 2024, 11:42, modifié 1 fois.
La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, mais on ne revient jamais en arrière.
Nola Al’Nysa, Voie du Forban
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- [MJ] Le Roi maudit
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Négocier avec des scélérats de la pire espèce, dans un lupanar, dans l'une des pires villes du monde connu, pour une révolution sans aucun but que le chaos.
Qu'est-ce qui pouvait mal tourner ?
Son interlocuteur était une bête. Il était vrai que la poignée d'années passées dans le Vieux Monde avait surtout offert en Qharis les spécimens les moins attrayants, boucaniers, pirates, déserteurs, soudards et contrebandiers. Mais lui. Il n'était pas riche par ses titres comme Gianni. Pas par la gloire de la conquête et de la foi comme le Duc d'Armstrang. Pas même par le pillage comme Syrasse et tant d'autres. Lui, il vendait à ces gens-là. L'Or noir.
Vendeur d'armes. Et parfait enfoiré. Devant lui pour affaires. Il n'ajouta rien. Attendant que l'Amazone fasse sa proposition. Et de trouver comment en sortir gagnant.
Nola poussa un profond soupir en s'adossant contre le dossier de sa chaise. Maintenant que les présentations étaient faites, elle allait s'engager dans une négociation dangereuse dont bien des choses allaient dépendre. La fière guerrière appréhendait pourtant ce moment, non seulement, elle n'était pas habituée à ce genre de tractations, mais en plus, elle n'avait pas réellement d'idée du coût de ce qu'elle souhaitait exiger des trafiquants d'armes et des leviers qu'elle pouvait activer pour faire pencher la balance dans son sens.
Sous le regard toujours vigilant de son interlocuteur et de ses trois gardiens, elle passa la main sous sa brassière de cuir pour saisir un petit papier plié en deux contre son sein droit. Sans l'ouvrir, elle le déposa sur la table et le fit glisser lentement vers le chef des truands qui s'en saisi prudemment. Ce mot, rédigé par Alessandra en début de soirée, dressait la liste de l'ensemble de ce que l'amazone souhaitait acquérir de manière discrète. Lars et ses hommes possédaient un arsenal impressionnant, mais ce que la jeune femme voulait acheter aux contrebandiers était d'une tout autre nature : de la poudre explosive en baril ainsi que des mèches et des grenades à fumée, le genre de chose que l'on ne trouve pas chez le marchand lambda au coin de la rue.
Pendant que l'homme assis en face d'elle prenait connaissance de la liste, elle s'appliqua à afficher un masque d'impassibilité sur son visage tout en surveillant les tables alentours pour décourager les regards un peu trop curieux.
Le marchand lu la petite liste avec un sourire en coin. Il écarquilla les sourcils sans en démordre de ce foutu rictus avant de dire : "Et bien ma cocotte. Pour se venger de ton ancien maquereau, tu peux juste y aller avec une bonne lame ou une brioche empoisonnée, tu sais."
Elle haussa un sourcil, du côté de son œil intact, puis eut finalement un petit sourire « Tu te déplaces souvent pour aider les putes à régler leur ardoise ? Si j'ai envie de partir dans un feu d'artifice, ça me concerne. Peux-tu me fournir ce qu'il y a sur cette liste rapidement, ou dois-je m'adresser un quelqu'un de plus compétent ? »
"Pour quelqu'un de ce côté-ci de la transaction, je te trouve bien effrontée." Il s'arrêta pour regarder une jeune femme passer au bras d'un officier de marine. "Oh des culs comme celui-là. C'est déjà une bonne raison de pousser jusqu'à Myrmidens. Mais je m'égare. Donc. Tu veux ce qu'il y a sur la liste. Heureusement pour toi, je suis d'humeur généreuse et conciliante. Je te fais le tout à soixante-dix couronnes impériales. Soixante-cinq si tu montes avec moi à l'étage."
Elle prit un court instant pour réfléchir. Même sans être une comptable hors pair, elle savait que la somme demandée était plus que conséquente. Pourtant, il fallait reconnaitre que sa commande sortait de l'ordinaire.
« Disons cinquante couronnes impériales et un levier de premier choix pour faire pression sur Schloesing. Pour un homme avec des activités respectables comme toi, avoir le responsable des douanes dans la poche doit être intéressant, non ? » puis jetant un regard vers l'escalier conduisant aux alcôves confortablement meublées de canapés et de sofas, elle ajouta « ce qui me gêne, c'est que si je t'emmène à l'étage, je crains que tu n'en redescendes pas et cela me peinerait de nuire à notre arrangement, après tout, c'est un rendez-vous entre professionnels, non ? »
"Tu es aussi experte que cela ? Je crois que je suis de plus en plus intéressé." Ses trois camarades ricanèrent grassement. "Cinquante ? Tu me peines. Je sais que les temps sont durs, mais j'ai une famille à nourrir." Il inclina la tête sur le côté avec une fausse moue attristée.
« Tu n'as pas idée » ricana-t-elle entre ses dents serrées. « Il faudra peut-être te serrer un peu la ceinture, mais je suis convaincu qu'avec une telle somme, ils seront à l'abri du besoin quelque temps. T'as l'air d'être plus malin que ce que tu t'amuses à laisser croire, avec le petit chien fidèle du vieux Schloesing entre tes mains, je suis sûr que tu réussiras à mettre à profit l'avenir. » Elle se pencha légèrement vers lui pour qu'il puisse lire la détermination dans son œil aux nuances bleues « de toute façon, je n'ai pas plus à offrir et on sait toi et moi que cette somme est plus que convenable. »
Imperturbable, il la regarda en croisant les bras. "Soixante. Et le mignon du vieux douanier. Ma proposition tient toujours si tu es aussi ric-rac au niveau de la bourse."
La jeune guerrière avait le sang chaud, mais elle se mordit l'intérieur de la joue pour se contenir et s'obligea à rester calme, au moins d'apparence. Son problème était double, car bien que Gianni lui ait donné une lettre de marque pour lui permettre de financer la préparation de l'évasion de Yasmina, elle ne savait pas jusqu'à combien son noble amant était prêt à aller dans les enchères. Quant à la proposition charnelle du coquin, elle avait déjà offert son corps à des hommes pour parvenir à ses fins, le capitaine Merker aurait pu en témoigner s'il n'avait pas été refroidi dans la foulée, mais lorsque l'idée venait d'un qharis et non d'elle-même, sa fierté l'empêchait d'accepter.
« Cinquante-cinq, le petit cul favori de Schloesing et je m'arrange avec Isabella pour qu'elle vous trouve quelques filles pour vous vider les bourses à l'œil ce soir. » finit-elle par dire en tendant la main de son bras tatoué au trafiquant.
Il laissa la main dans le vent. "Je suis partant à condition d'avoir l'or devant moi avant la fin de la soirée. Et pour les filles, on aura droit de regard sur la marchandise."
Telle une chatte sauvage, elle s'étira de tout son long pour attraper la main du bandit. « L'or à la livraison de la marchandise, je ne suis pas née de la dernière pluie. Par contre, pour t'assurer de ma fiabilité, j'ai ça... » dit-elle en portant à nouveau la main sous sa brassière pour en retirer un nouveau document rédigé sur un papier de meilleure qualité. « Il s'agit d'une lettre de change d'une des grosses fortunes de la ville. Je te la remettrai lorsque tu m'auras apporté les garanties qu'on roule bien ensemble. » conclut-elle en lui lâchant la main et en se laissant retomber sur sa chaise.
Ils partirent dans un éclat de rire si fort que même à l'étage, les grincements et les gémissements s'étaient interrompus un bref instant. Encore hilare, Ses pattes d'oie pleines de larmes, reprenant son souffle, le trafiquant lança : "Je te... Oh bon sang. Je te remercie. La dernière fois que j'ai ris autant, c'était après avoir fait picoler un âne et l'avoir vu essayer de manger des figues. Bon sang. Bon. Ma jolie. Regarde-moi. J'ai beau être aussi superbe que Sigmar en son temps. Si je me ramène avec cette jolie petite lettre dénichée entre tes nichons à un courtier, il va me demander de la remettre là où je l'ai trouvé. Je veux de l'or. L'or contre la poudre. Moi, je sais que j'ai ma marchandise. Je veux la garantie que tu aies l'or. Et qu'il soit à moi."
Piquée au vif dans sa fierté, l'amazone se releva vivement, puis, finissant son verre d'un trait, elle déclara « t'es sûr que c'était pas un miroir que tu regardais ce jour-là ? La moitié de l'argent demain soir, l'autre moitié plus l'otage à la livraison de la marchandise. À prendre ou à laisser. »
Puis, elle poussa sa chaise d'un geste nerveux du pied et dépassa l'un des hommes de main du contrebandier en faisant exprès de le bousculer de l'épaule.
Elle ressentit l'effet caractéristique des corps qui se tendent, des bras qui se tiennent prêts à dégainer. Le marchand lança : "On se calme. On peut faire ça mais tout d'abord : Je veux un gage. Et pas une simple lettre. Quelque chose qui, s'il arrivait que je ne revois plus jamais ta frimousse, m'ait au moins évité de perdre mon temps. Ensuite. Je ne livre pas en ville. À vous de vous occuper de réceptionner la marchandise et de l'acheminer là. Enfin... Un autre verre ?"
Arrêtée nette dans son élan, l’impulsive jeune femme se retourna puis, tout en faisant signe à une jeune femme qui passait non loin de là avec un plateau chargé de pichets, elle reprit sa place en face de l’homme.
« Je t’écoute, quel gage te rassurerais assez pour que je puisse prendre congé de toi et de tes molosses ? » Elle marqua une pause pour montrer les dents à l’un des trois gardes du corps qui se tenaient toujours debout, mimant un chien en alerte.
« Pour ce qui est de la livraison, on la fera en dehors des murs de la cité, ça me parait en effet être l’idéal. »
Le trafiquant prit le temps de la réflexion. "Un objet ou... Une personne de valeur. Je tiens mes engagements. C'est le moment de la réciprocité. Et ensuite, nous profiterons du privilège accordé ce soir et toi... Tu feras ce qui te chante."
Elle hésita un instant, cherchant la meilleure option qu’elle avait dans son jeu pour répondre à la requête de son voisin. Son choix se serait normalement porté sur Kidd car s’était son plus vieil ami ici et il n’avait jamais eut froid aux yeux. Mais à l’heure qu’il était, le jeune rouquin devait déjà se trouver dans les eaux chaudes proches de Sartosa. Chuji aurait été parfaite comme garantie, mais la pauvre sortait à peine d’une longue période de captivité et sa méconnaissance de la langue des qharis la rendait trop vulnérable et risquait de susciter l’intérêt du bandit. Alessandra était peut-être la meilleure option, elle connaissait la ville et ses rouages, était une amie de Gianni et était à l’origine de ce petit rendez-vous nocturne. Pourtant, est-ce que son amie accepterait de jouer le rôle de la caution et de fermer sa boutique ?
Soupirant, Nola se résigna à répondre « Demain soir, notre amie commune vous apportera la première moitié du paiement et repartira avec vous comme gage de ma bonne foi. »
Elle se maudit intérieurement de mettre son amie dans une telle situation, mais elle était prête à tout pour sauver sa sœur encore prisonnière et détruite à la racine le sombre trafic vers la Lustrie.
"Bien. C'est toujours un plaisir de faire des affaires dans cette belle ville de Myrmidens."
Qu'est-ce qui pouvait mal tourner ?
Son interlocuteur était une bête. Il était vrai que la poignée d'années passées dans le Vieux Monde avait surtout offert en Qharis les spécimens les moins attrayants, boucaniers, pirates, déserteurs, soudards et contrebandiers. Mais lui. Il n'était pas riche par ses titres comme Gianni. Pas par la gloire de la conquête et de la foi comme le Duc d'Armstrang. Pas même par le pillage comme Syrasse et tant d'autres. Lui, il vendait à ces gens-là. L'Or noir.
Vendeur d'armes. Et parfait enfoiré. Devant lui pour affaires. Il n'ajouta rien. Attendant que l'Amazone fasse sa proposition. Et de trouver comment en sortir gagnant.
Nola poussa un profond soupir en s'adossant contre le dossier de sa chaise. Maintenant que les présentations étaient faites, elle allait s'engager dans une négociation dangereuse dont bien des choses allaient dépendre. La fière guerrière appréhendait pourtant ce moment, non seulement, elle n'était pas habituée à ce genre de tractations, mais en plus, elle n'avait pas réellement d'idée du coût de ce qu'elle souhaitait exiger des trafiquants d'armes et des leviers qu'elle pouvait activer pour faire pencher la balance dans son sens.
Sous le regard toujours vigilant de son interlocuteur et de ses trois gardiens, elle passa la main sous sa brassière de cuir pour saisir un petit papier plié en deux contre son sein droit. Sans l'ouvrir, elle le déposa sur la table et le fit glisser lentement vers le chef des truands qui s'en saisi prudemment. Ce mot, rédigé par Alessandra en début de soirée, dressait la liste de l'ensemble de ce que l'amazone souhaitait acquérir de manière discrète. Lars et ses hommes possédaient un arsenal impressionnant, mais ce que la jeune femme voulait acheter aux contrebandiers était d'une tout autre nature : de la poudre explosive en baril ainsi que des mèches et des grenades à fumée, le genre de chose que l'on ne trouve pas chez le marchand lambda au coin de la rue.
Pendant que l'homme assis en face d'elle prenait connaissance de la liste, elle s'appliqua à afficher un masque d'impassibilité sur son visage tout en surveillant les tables alentours pour décourager les regards un peu trop curieux.
Le marchand lu la petite liste avec un sourire en coin. Il écarquilla les sourcils sans en démordre de ce foutu rictus avant de dire : "Et bien ma cocotte. Pour se venger de ton ancien maquereau, tu peux juste y aller avec une bonne lame ou une brioche empoisonnée, tu sais."
Elle haussa un sourcil, du côté de son œil intact, puis eut finalement un petit sourire « Tu te déplaces souvent pour aider les putes à régler leur ardoise ? Si j'ai envie de partir dans un feu d'artifice, ça me concerne. Peux-tu me fournir ce qu'il y a sur cette liste rapidement, ou dois-je m'adresser un quelqu'un de plus compétent ? »
"Pour quelqu'un de ce côté-ci de la transaction, je te trouve bien effrontée." Il s'arrêta pour regarder une jeune femme passer au bras d'un officier de marine. "Oh des culs comme celui-là. C'est déjà une bonne raison de pousser jusqu'à Myrmidens. Mais je m'égare. Donc. Tu veux ce qu'il y a sur la liste. Heureusement pour toi, je suis d'humeur généreuse et conciliante. Je te fais le tout à soixante-dix couronnes impériales. Soixante-cinq si tu montes avec moi à l'étage."
Elle prit un court instant pour réfléchir. Même sans être une comptable hors pair, elle savait que la somme demandée était plus que conséquente. Pourtant, il fallait reconnaitre que sa commande sortait de l'ordinaire.
« Disons cinquante couronnes impériales et un levier de premier choix pour faire pression sur Schloesing. Pour un homme avec des activités respectables comme toi, avoir le responsable des douanes dans la poche doit être intéressant, non ? » puis jetant un regard vers l'escalier conduisant aux alcôves confortablement meublées de canapés et de sofas, elle ajouta « ce qui me gêne, c'est que si je t'emmène à l'étage, je crains que tu n'en redescendes pas et cela me peinerait de nuire à notre arrangement, après tout, c'est un rendez-vous entre professionnels, non ? »
"Tu es aussi experte que cela ? Je crois que je suis de plus en plus intéressé." Ses trois camarades ricanèrent grassement. "Cinquante ? Tu me peines. Je sais que les temps sont durs, mais j'ai une famille à nourrir." Il inclina la tête sur le côté avec une fausse moue attristée.
« Tu n'as pas idée » ricana-t-elle entre ses dents serrées. « Il faudra peut-être te serrer un peu la ceinture, mais je suis convaincu qu'avec une telle somme, ils seront à l'abri du besoin quelque temps. T'as l'air d'être plus malin que ce que tu t'amuses à laisser croire, avec le petit chien fidèle du vieux Schloesing entre tes mains, je suis sûr que tu réussiras à mettre à profit l'avenir. » Elle se pencha légèrement vers lui pour qu'il puisse lire la détermination dans son œil aux nuances bleues « de toute façon, je n'ai pas plus à offrir et on sait toi et moi que cette somme est plus que convenable. »
Imperturbable, il la regarda en croisant les bras. "Soixante. Et le mignon du vieux douanier. Ma proposition tient toujours si tu es aussi ric-rac au niveau de la bourse."
La jeune guerrière avait le sang chaud, mais elle se mordit l'intérieur de la joue pour se contenir et s'obligea à rester calme, au moins d'apparence. Son problème était double, car bien que Gianni lui ait donné une lettre de marque pour lui permettre de financer la préparation de l'évasion de Yasmina, elle ne savait pas jusqu'à combien son noble amant était prêt à aller dans les enchères. Quant à la proposition charnelle du coquin, elle avait déjà offert son corps à des hommes pour parvenir à ses fins, le capitaine Merker aurait pu en témoigner s'il n'avait pas été refroidi dans la foulée, mais lorsque l'idée venait d'un qharis et non d'elle-même, sa fierté l'empêchait d'accepter.
« Cinquante-cinq, le petit cul favori de Schloesing et je m'arrange avec Isabella pour qu'elle vous trouve quelques filles pour vous vider les bourses à l'œil ce soir. » finit-elle par dire en tendant la main de son bras tatoué au trafiquant.
Il laissa la main dans le vent. "Je suis partant à condition d'avoir l'or devant moi avant la fin de la soirée. Et pour les filles, on aura droit de regard sur la marchandise."
Telle une chatte sauvage, elle s'étira de tout son long pour attraper la main du bandit. « L'or à la livraison de la marchandise, je ne suis pas née de la dernière pluie. Par contre, pour t'assurer de ma fiabilité, j'ai ça... » dit-elle en portant à nouveau la main sous sa brassière pour en retirer un nouveau document rédigé sur un papier de meilleure qualité. « Il s'agit d'une lettre de change d'une des grosses fortunes de la ville. Je te la remettrai lorsque tu m'auras apporté les garanties qu'on roule bien ensemble. » conclut-elle en lui lâchant la main et en se laissant retomber sur sa chaise.
Ils partirent dans un éclat de rire si fort que même à l'étage, les grincements et les gémissements s'étaient interrompus un bref instant. Encore hilare, Ses pattes d'oie pleines de larmes, reprenant son souffle, le trafiquant lança : "Je te... Oh bon sang. Je te remercie. La dernière fois que j'ai ris autant, c'était après avoir fait picoler un âne et l'avoir vu essayer de manger des figues. Bon sang. Bon. Ma jolie. Regarde-moi. J'ai beau être aussi superbe que Sigmar en son temps. Si je me ramène avec cette jolie petite lettre dénichée entre tes nichons à un courtier, il va me demander de la remettre là où je l'ai trouvé. Je veux de l'or. L'or contre la poudre. Moi, je sais que j'ai ma marchandise. Je veux la garantie que tu aies l'or. Et qu'il soit à moi."
Piquée au vif dans sa fierté, l'amazone se releva vivement, puis, finissant son verre d'un trait, elle déclara « t'es sûr que c'était pas un miroir que tu regardais ce jour-là ? La moitié de l'argent demain soir, l'autre moitié plus l'otage à la livraison de la marchandise. À prendre ou à laisser. »
Puis, elle poussa sa chaise d'un geste nerveux du pied et dépassa l'un des hommes de main du contrebandier en faisant exprès de le bousculer de l'épaule.
Elle ressentit l'effet caractéristique des corps qui se tendent, des bras qui se tiennent prêts à dégainer. Le marchand lança : "On se calme. On peut faire ça mais tout d'abord : Je veux un gage. Et pas une simple lettre. Quelque chose qui, s'il arrivait que je ne revois plus jamais ta frimousse, m'ait au moins évité de perdre mon temps. Ensuite. Je ne livre pas en ville. À vous de vous occuper de réceptionner la marchandise et de l'acheminer là. Enfin... Un autre verre ?"
Arrêtée nette dans son élan, l’impulsive jeune femme se retourna puis, tout en faisant signe à une jeune femme qui passait non loin de là avec un plateau chargé de pichets, elle reprit sa place en face de l’homme.
« Je t’écoute, quel gage te rassurerais assez pour que je puisse prendre congé de toi et de tes molosses ? » Elle marqua une pause pour montrer les dents à l’un des trois gardes du corps qui se tenaient toujours debout, mimant un chien en alerte.
« Pour ce qui est de la livraison, on la fera en dehors des murs de la cité, ça me parait en effet être l’idéal. »
Le trafiquant prit le temps de la réflexion. "Un objet ou... Une personne de valeur. Je tiens mes engagements. C'est le moment de la réciprocité. Et ensuite, nous profiterons du privilège accordé ce soir et toi... Tu feras ce qui te chante."
Elle hésita un instant, cherchant la meilleure option qu’elle avait dans son jeu pour répondre à la requête de son voisin. Son choix se serait normalement porté sur Kidd car s’était son plus vieil ami ici et il n’avait jamais eut froid aux yeux. Mais à l’heure qu’il était, le jeune rouquin devait déjà se trouver dans les eaux chaudes proches de Sartosa. Chuji aurait été parfaite comme garantie, mais la pauvre sortait à peine d’une longue période de captivité et sa méconnaissance de la langue des qharis la rendait trop vulnérable et risquait de susciter l’intérêt du bandit. Alessandra était peut-être la meilleure option, elle connaissait la ville et ses rouages, était une amie de Gianni et était à l’origine de ce petit rendez-vous nocturne. Pourtant, est-ce que son amie accepterait de jouer le rôle de la caution et de fermer sa boutique ?
Soupirant, Nola se résigna à répondre « Demain soir, notre amie commune vous apportera la première moitié du paiement et repartira avec vous comme gage de ma bonne foi. »
Elle se maudit intérieurement de mettre son amie dans une telle situation, mais elle était prête à tout pour sauver sa sœur encore prisonnière et détruite à la racine le sombre trafic vers la Lustrie.
"Bien. C'est toujours un plaisir de faire des affaires dans cette belle ville de Myrmidens."
- Nola Al'Nysa
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- Localisation : Myrmidens
Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Il existe une heure morte dans la nuit, l'heure la plus froide, la plus noire, celle où le monde a oublié le soir et où l'aube n'est pas encore une promesse, une heure où il est beaucoup trop tôt pour se lever mais si tard que se coucher n'a plus d'intérêt.
C’est à cette heure que je sortais enfin de l’établissement d’Isabella avec la très nette impression que la négociation ne s’était pas déroulée comme je l’avais escompté. Certes, j’avais maintenant un accord avec le marchand d’armes de contrebande le plus réputé des frontalières, mais cinquante-cinq couronnes impériales me semblaient être une somme énorme et j’imaginais mal comment j’allais pouvoir en réunir la moitié en moins de vingt-quatre heures. Je doutais que Gianni soit en mesure de me fournir une trentaine de couronnes sans poser plus de questions et je voulais justement éviter qu’il ne se rende compte que ce qui, pour lui, devait être une simple opération pour libérer Yasmina était devenu pour moi l’occasion de réduire à néant toute la belle organisation de trafic entre la Lustrie et le vieux continent qui s’était créée ici à Myrmidens. Après une courte réflexion, je jugeais que je pouvais espérer récupérer une quinzaine de couronnes auprès de mon noble amant, ce qui me laissait encore le double à dégoter en très peu de temps.
Resserrant mon long manteau de cuir et remontant ma capuche sur ma tête, je m’enfonçais dans les ruelles sombres et tortueuses de la cité. Un crachin tenace, poussé par un vent de sud continuait de tomber sur la ville, s’infiltrant dans les rues étroites et faisant luire comme du métal poli les murs épais des vieilles fortifications. Un plafond de nuages couleur de plomb glissait, menaçant et sans failles, au-dessus des maisons serrées les unes contre les autres, ne laissant à la lune qu’une lueur faible et maussade. Seul l’océan semblait vivant durant cette nuit aux allures d’apocalypse. Sur toute la largeur de la baie, les rafales fouettaient et brisaient la surface de l’eau et sous cette lumière étrange, les crêtes des vagues se détachaient, d’un jaune de soufre.
Sans vraiment y réfléchir, j’avais pris la direction des docks, vers un lieu ou, je le savais, des filles faisaient des passes à prix abordables pour une clientèle moins fortunée que celle qui fréquentait l’établissement d’Isabella. Cela n’avait pas le charme des Bas de Soie, mais Lars m’avait dit une fois que ces activités brassaient néanmoins une somme rondelette les nuits de forte fréquentation et j’avais dans l’idée de détrousser un ou deux maquereaux des gains de la soirée. Évidement, je ne faisais pas ça par pur esprit féministe, bien que cela ne me déplaisait guère de faire un sort à quelques-uns de ces hommes qui faisaient leur beurre sur le dos de pauvres filles obligées de se vendre pour subvenir à leurs besoins ou pour rembourser un crédit qu’elles avaient contracté, bien souvent d’ailleurs auprès de ces mêmes proxénètes.
Toujours sous la pluie, je pris position sous un porche à l’arrière d’un établissement réputé non pas pour la qualité de ses filles, mais pour le nombre de clients qu’il pouvait accueillir et je commençais à attendre. Les premières personnes qui sortirent furent justement certaines des malheureuses qui, après avoir écarté les cuisses durant la nuit, s'enfuyaient avant l’aube pour profiter de quelques heures de sommeil avant d’attaquer une nouvelle journée de labeur. Pouvoir vivre de la prostitution était, je l’avais compris récemment, réservé à certaines femmes seulement. Pour les autres, cela permettait uniquement d’ajouter un peu d’argent dans une bourse bien maigre en complément d’un travail plus conventionnel. Une vraie vie de misère qui ne durait de toute façon jamais bien longtemps.
La sortie discrète de trois hommes par la petite porte dérobée que je guettais me tira de mes pensées sordides. Je me renfonçais encore davantage dans le petit espace où j’avais pris place le temps que les trois gredins passent devant moi, puis je m’ébrouais vivement pour sortir de la torpeur dans laquelle la pluie, la nuit et le froid m’avaient plongé. Sans un bruit, j’emboîtais le pas aux trois gaillards qui se dirigeaient vers les quais. Les deux qui ouvraient la marche étaient relativement bien bâti et avait la mine patibulaire et cabossée de ceux qui ont l’habitude de participer aux règlements de compte de fin de soirée. Le troisième en revanche, qui peinait presque à soutenir le rythme de ses compagnons, était plus petit et discret.
Après une dizaine de minutes de filature, je pensais avoir deviné à peu près la destination de mes proies, cependant, ma méconnaissance de cette partie de la ville ne me permettait pas de prendre de l’avance sur eux afin de leur tendre un embuscade. Pourtant, sans effet de surprise, il me paraissait impossible de venir à bout de trois hommes, même s’ils ne devaient pas être des combattants aguerris. En outre, je n’avais pas pu emmener mes sabres dans l’établissement d’Isabella et je n’avais donc sur moi que ma dague, ce qui était fort approprié pour un affrontement de rue contre un seul adversaire, mais bien insignifiant quand il s’agissait de faire face à trois vilains mécontent qu’on est voulus leur faire les poches.
Pourtant, plus le temps passé, plus il me paraissait évident que j’avais vu juste quant à la destination des trois gaillards et que celle-ci se rapprochait dangereusement. Je savais que si je voulais agir, il me fallait le faire maintenant ou renoncer à ma chasse. Prenant une grande inspiration, j'accélérais le pas pour me rapprocher du trio.
- « Excusez-moi » dis-je d’une voix claire, faisant sursauter l’homme qui fermait la marche. Il se retourna, imité par ses deux compagnons qui s’apprêtaient à passer devant lui pour se mettre en protection. J’ôtais ma capuche et tentais d’afficher un sourire pas trop crispé malgré la tension qui m’habitait à l’approche de l’affrontement. En voyant mon visage, celui qui semblait être le chef et devenait donc ma cible prioritaire, fit signe à ses deux gardes du corps de rester en retrait.
- « Tu t’es perdue ma jolie ? » demanda-t-il avec un sourire goguenard.
- « Oui et non » dis-je en continuant d’avancer vers lui alors qu’il me tendait une main amicale « je suis arrivée en ville il y a peu et je cherche du travail pour… »
Avant d’achever ma phrase, j’étais arrivé à la hauteur de l’homme et tout en saisissant sa main tendue, j’attrapais ma dague et la lui plantais dans la joue, l'enfonçant jusqu’à la garde au point qu’elle ressortit au-dessus de sa mâchoire du côté opposé. Il ne cria pas, les os de son visage étant sûrement brisé à plusieurs endroits, mais poussa des gémissements sourds en s’effondrant au sol et en portant les mains à sa bouche. Je dégageais ma dague et me retournais pour faire face aux deux colosses qui fondaient sur moi. J’avais choisi de lancer le combat dans un endroit où la ruelle, déjà étroite, se rétrécissait encore davantage de manière à gêner mes adversaires dans l’utilisation des épées courtes que j’avais repéré à leur hanche.
Je m’avançais à leur contact pour réduire encore plus leur liberté de mouvement. Le premier tenta de me poinçonner d’un coup direct, mais j’esquivais la pointe de son arme d’un léger déplacement sur la gauche, tout juste suffisant pour me mettre hors de portée de son attaque. Ce mouvement en revanche m’amena à être quasiment collé à mon second adversaire qui, tout en sortant sa lame de son fourreau, en profita pour m'envoyer un méchant coup de coude dans le visage. La violence du choc me fit chanceler une seconde tandis que je faisais quelques pas en arrière pour tenter de rétablir mon équilibre. Les deux gredins voulurent profiter de cet avantage et se jetèrent sur moi d’un seul homme. Je voulus accueillir celui qui m’avait frappé d’un coup de dague, mais il dévia l’attaque avec sa lame avant de me frapper à l’épaule. Malgré mon manteau de cuir, l’acier trancha ma peau et sa morsure me tira un petit cri de douleur qui alluma une lueur de plaisir malsain dans les yeux de mon adversaire.
Pourtant, la blessure n’était pas si grave et cela ne suffit pas à me déconcentrer. Alors que je tentais de me soustraire à l’arme du premier homme en repoussant son bras de l’une de mes mains, le second arriva à ma hauteur et arma un coup d’estoc. En prenant appui sur le mur derrière moi, je lui envoyais un violent coup de pied dans les côtes pour le repousser en arrière, puis, sans lâcher la main qui tenait l’épée courte plantée dans mon épaule, j’imprimais un mouvement de rotation pour propulser mon ennemi dos au mur et me retrouvais à sa place. Profitant de l’élan, je lui plantais ma dague dans le ventre, juste sous les côtes, ce à quoi il répondit avec un cri féroce en me lacérant la cuisse avec son arme d’un geste circulaire. Feulant, je fis un pas en arrière et fut directement saisi au cou par le second homme qui revenait à la charge. Croyant sûrement sa prise autour de ma gorge assez ferme, il leva un bras pour me frapper en plein cœur mais je fus plus rapide et lui envoyais un violent coup de tête dans le visage, faisant craquer de manière désagréable son nez. Puis, je me penchais en avant pour le faire basculer par-dessus moi et lui lorsqu’il atterrit au sol, je lui donnais un violent coup de pied dans le flanc.
J’eus à peine le temps de me redresser que le premier homme arrivait sur moi. Se propulsant contre le mur ou je l’avais épinglé, il arriva à toute allure et me planta son arme dans le ventre. Profitant de son élan, il poursuivit son avancée, me poussant en arrière jusqu’à ce que j’aille violemment heurté le mur derrière moi, l’arrière de mon crâne résonnant sourdement contre la pierre. Par réflexe, je tentais d’immobiliser la main tenant l’arme plantée dans mes abdominaux afin d’empêcher l’homme de la faire tourner ou de la remonter pour faire des dégâts irréparables. Un coup d'œil vers mon ventre nu me permit de constater que le sang coulait déjà abondamment de la blessure, allant se mêler à celui qui sortait de la plaie au niveau de ma cuisse. La situation était mauvaise car, non seulement j’étais déjà blessé sérieusement à trois endroits, mais le temps jouait maintenant contre moi. Plus le combat durerait, plus je perdrais de sang et donc de vivacité. En plus, je n’avais pour le moment mis hors d’état de nuir qu’un seul adversaire et les deux autres, bien qu’amochés, avait encore de la réserve.
Voyant que je l'empêchais de bouger sa lame dans mon ventre, l’homme voulut la retirer pour frapper ailleurs. J’accompagnais son mouvement et lorsque l’arme quitta ma chaire, je me jetais sous le bras de mon assaillant pour passer dans son dos et sans même me retourner, je frappais derrière moi, au niveau de la nuque. Il beugla et je sus que j’avais atteint ma cible. J'expédiais un nouveau coup de pied cruel dans la tête du second assaillant qui peinait à se relever et me retournais pour voir à quel point ma dernière touche avait fait des dégâts. Alors que j’étais encore en train de pivoter sur moi-même, je me baissais par un réflexe extraordinaire pour éviter le coup circulaire que venait d’envoyer le premier homme en se retournant et je sentis le vent qui déplaçait la lame en passant à quelques centimètres au-dessus de mes cheveux. Je me redressais et de toute la puissance de mes jambes, me propulsait en avant pour planter mon arme dans la gorge de mon adversaire. Étrangement il n’émit qu’un grognement bizarre quand l’arme transperça son cou et il s’effondra net lorsque je retirais ma lame.
Même pas le temps de me réjouir qu’un violent choc me percuta dans le dos, m’envoyant valser à nouveau la face contre le mur. Par instinct, je lançais un coup de pied en arrière et touchais le dernier homme encore debout, ce qui m’offrit le temps de me retourner, arme en main. Nous nous faisions face dans la petite ruelle sombre. La pluie battante qui continuait de tomber diluait le sang qui coulait de mes plaies, donnant à mes blessures un aspect moins grave que la réalité. J’étais à bout de souffle et je sentais déjà les forces qui me manquaient.
La mort est comme une vieille amie qui vient te rendre visite. Parfois, tu ne l'attends pas, mais parfois, si. Jetant mes dernières forces dans l’affrontement, j’attaquais soudainement le gredin. Je devais lui reconnaître un certain cran, car après que je me sois occupé de ses deux compagnons, il aurait pu s’enfuir facilement sans que je ne sois en mesure de le poursuivre, mais peut être jugeait-il au vu de mes blessures qu’il avait l’avantage, ce qui aurait sûrement été le cas si son adversaire n’avait pas été une descendant de Kalith. Il tenta de placer son arme devant lui pour que je m'empale dessus dans ma charge mais je la déviais de justesse du bout de ma lame, ce qui le surprit, et j’arrivais sur lui, l’épaule en avant, droit dans son plexus. L’attaque, peu académique, l’envoya rouler au sol et avant qu’il ne puisse se relever, je sautais sur lui et lui plantais ma dague dans le cœur. Je frappais avec tant de force et de rage que mon arme se brisa au niveau de la garde, laissant la lame dans le corps du putain de qharis qui avait crus réussir à venir à bout de moi.
Ses yeux se voilèrent et je me retrouvais assise à califourchon sur lui, à bout de souffle, la nausée saisissant ma gorge. Après quelques respirations laborieuses, je rejetais la tête en arrière et poussais un cri de défi terrible au ciel. Puis, tant bien que mal, je me redressais et titubais jusqu’au premier homme que j’avais touché à la mâchoire et qui tentait maintenant de s’enfuir en rampant lamentablement. Maintenant que le combat contre les trois hommes était gagné, l’adrénaline avait quitté mon corps et je me sentais prête à défaillir à tout moment. Je mis une éternité à rejoindre le rampant qui pourtant n'avançait pas vite. Quand il fut à portée, je me laissais tomber à genoux sur ses omoplates et en attrapant l’arrière de sa tête, je la plongeais dans une flaque d’eau boueuse peu profonde. Il se débattit en ruant faiblement sous moi, mais j’appliquais tout mon poids contre son dos et avec le peu d’énergie qu’il me restait, je réussis à le maintenir jusqu’à ce qu’il ne bouge plus. J’attendis encore quelques longues secondes après qu’il ait arrêté de remuer afin d’être sûr qu’il ne bluffait pas, puis, je me relevais.
Après avoir remonté ma capuche sur ma tête, je fis rapidement les poches des trois hommes. Comme je l’avais deviné, le plus petit, dont le visage disparaissait maintenant dans un mélange d’eau boueuse et sanguinolente, était bien le chef de la troupe. Pourtant, j’eus envie de hurler quand après avoir ramassé mon butin, je me rendis compte que les trois connards ne transportaient sur eux que quatre couronnes impériales. Putain, j’avais failli mourir pour une somme aussi dérisoire. D’ailleurs, je n’étais pas encore tiré d’affaire et j’entrepris donc de prendre la direction de la demeure d’Alessandra, abandonnant derrière moi le corps encore chaud de trois hommes, trois pauvres âmes qui avaient eu la malchance de croiser mon chemin au mauvais moment.
La route jusqu’à la boutique de la gantière fut un long combat contre moi-même. Un bras de fer interminable entre mon corps et ma volonté, le premier me commandant de m’asseoir un moment sous un porche pour faire une sieste et me reposer tandis que la seconde m’interdisait de m’arrêter tant que je ne serai pas arrivé en sécurité. Finalement, à force de grognement et de râles sourds, je parvins au petit matin à destination. Une lumière diffuse filtrait derrière les volets, m’indiquant que la maîtresse des lieux devait, comme à son habitude, déjà être levée. Je m’affalais contre la porte plus que je ne l’ouvris et quand le battant pivota, je tombais comme un pantin désarticulé, face contre terre, dans l’entrée de la boutique. J’entendis un bruit de pas précipités et la voix d’Alessandra qui s’exclamait :
- « Seigneur ! Léna ?? Que s’est-il passé ? » elle me saisit par mon épaule blessée, me tirant un grognement de douleur, et entreprit de me retourner sur le dos.
- « Mauvais… calculs » marmonnais-je entre mes dents serrées. Elle ne fit aucun commentaire mais releva les yeux lorsque quelqu’un que je devinais être Chuji entra à son tour dans la pièce.
- « Aides-moi » dit-elle à l’amazone qui s’accroupissait prestement à mon côté, oubliant certainement que celle-ci ne comprenait pas la langue des qharis. Pourtant, elles réussirent à se mettre d’accord en échangeant quelques signes et d’un même élan, elles me soulevèrent de terre pour aller m’installer sur la table de la cuisine.
Une fois qu’elles m’eurent installé sur mon lit médical de fortune, Alessandra s’adressa de nouveau à moi :
- « Il y a un barbier compétent au coin de la rue, je vais aller le chercher »
- « Non » dis-je en lui attrapant le poignet « médecin… Gianni »
- « Dans cet état tu seras vidée de ton sang bien avant d’être arrivée à destination » dit-elle d’une voix blanche. Puis après un court instant de réflexion elle ajouta « Je vais essayer de bander tes plaies pour te stabiliser et on te fera porter auprès de Gianni. »
Elle s'apprêtait à partir mais je ne lâchais pas son poignet, la forçant à se tourner à nouveau vers moi :
- « Désolé… » murmurais-je simplement.
- « Tu es le fil rouge de toute cette histoire Léna, je t'interdis de mourir ici dans ma cuisine » gronda-t-elle sur un ton presque rieur, bien que l’inquiétude dans ses yeux ne contredise ce ton faussement amusé.
- « Un fil ne va nulle part sans une aiguille pour le guider, heureusement, j’ai rencontré une couturière de talent ».
Elle s’éloigna vivement tandis que Chuji, un seau d’eau et des morceaux de tissu dans les mains commençait à laver mon corps de la crasse et du sang afin de rendre les plaies plus visibles et de préparer le terrain pour que le médecin de Gianni puisse opérer dans les meilleures conditions possibles.
C’est à cette heure que je sortais enfin de l’établissement d’Isabella avec la très nette impression que la négociation ne s’était pas déroulée comme je l’avais escompté. Certes, j’avais maintenant un accord avec le marchand d’armes de contrebande le plus réputé des frontalières, mais cinquante-cinq couronnes impériales me semblaient être une somme énorme et j’imaginais mal comment j’allais pouvoir en réunir la moitié en moins de vingt-quatre heures. Je doutais que Gianni soit en mesure de me fournir une trentaine de couronnes sans poser plus de questions et je voulais justement éviter qu’il ne se rende compte que ce qui, pour lui, devait être une simple opération pour libérer Yasmina était devenu pour moi l’occasion de réduire à néant toute la belle organisation de trafic entre la Lustrie et le vieux continent qui s’était créée ici à Myrmidens. Après une courte réflexion, je jugeais que je pouvais espérer récupérer une quinzaine de couronnes auprès de mon noble amant, ce qui me laissait encore le double à dégoter en très peu de temps.
Resserrant mon long manteau de cuir et remontant ma capuche sur ma tête, je m’enfonçais dans les ruelles sombres et tortueuses de la cité. Un crachin tenace, poussé par un vent de sud continuait de tomber sur la ville, s’infiltrant dans les rues étroites et faisant luire comme du métal poli les murs épais des vieilles fortifications. Un plafond de nuages couleur de plomb glissait, menaçant et sans failles, au-dessus des maisons serrées les unes contre les autres, ne laissant à la lune qu’une lueur faible et maussade. Seul l’océan semblait vivant durant cette nuit aux allures d’apocalypse. Sur toute la largeur de la baie, les rafales fouettaient et brisaient la surface de l’eau et sous cette lumière étrange, les crêtes des vagues se détachaient, d’un jaune de soufre.
Sans vraiment y réfléchir, j’avais pris la direction des docks, vers un lieu ou, je le savais, des filles faisaient des passes à prix abordables pour une clientèle moins fortunée que celle qui fréquentait l’établissement d’Isabella. Cela n’avait pas le charme des Bas de Soie, mais Lars m’avait dit une fois que ces activités brassaient néanmoins une somme rondelette les nuits de forte fréquentation et j’avais dans l’idée de détrousser un ou deux maquereaux des gains de la soirée. Évidement, je ne faisais pas ça par pur esprit féministe, bien que cela ne me déplaisait guère de faire un sort à quelques-uns de ces hommes qui faisaient leur beurre sur le dos de pauvres filles obligées de se vendre pour subvenir à leurs besoins ou pour rembourser un crédit qu’elles avaient contracté, bien souvent d’ailleurs auprès de ces mêmes proxénètes.
Toujours sous la pluie, je pris position sous un porche à l’arrière d’un établissement réputé non pas pour la qualité de ses filles, mais pour le nombre de clients qu’il pouvait accueillir et je commençais à attendre. Les premières personnes qui sortirent furent justement certaines des malheureuses qui, après avoir écarté les cuisses durant la nuit, s'enfuyaient avant l’aube pour profiter de quelques heures de sommeil avant d’attaquer une nouvelle journée de labeur. Pouvoir vivre de la prostitution était, je l’avais compris récemment, réservé à certaines femmes seulement. Pour les autres, cela permettait uniquement d’ajouter un peu d’argent dans une bourse bien maigre en complément d’un travail plus conventionnel. Une vraie vie de misère qui ne durait de toute façon jamais bien longtemps.
La sortie discrète de trois hommes par la petite porte dérobée que je guettais me tira de mes pensées sordides. Je me renfonçais encore davantage dans le petit espace où j’avais pris place le temps que les trois gredins passent devant moi, puis je m’ébrouais vivement pour sortir de la torpeur dans laquelle la pluie, la nuit et le froid m’avaient plongé. Sans un bruit, j’emboîtais le pas aux trois gaillards qui se dirigeaient vers les quais. Les deux qui ouvraient la marche étaient relativement bien bâti et avait la mine patibulaire et cabossée de ceux qui ont l’habitude de participer aux règlements de compte de fin de soirée. Le troisième en revanche, qui peinait presque à soutenir le rythme de ses compagnons, était plus petit et discret.
Après une dizaine de minutes de filature, je pensais avoir deviné à peu près la destination de mes proies, cependant, ma méconnaissance de cette partie de la ville ne me permettait pas de prendre de l’avance sur eux afin de leur tendre un embuscade. Pourtant, sans effet de surprise, il me paraissait impossible de venir à bout de trois hommes, même s’ils ne devaient pas être des combattants aguerris. En outre, je n’avais pas pu emmener mes sabres dans l’établissement d’Isabella et je n’avais donc sur moi que ma dague, ce qui était fort approprié pour un affrontement de rue contre un seul adversaire, mais bien insignifiant quand il s’agissait de faire face à trois vilains mécontent qu’on est voulus leur faire les poches.
Pourtant, plus le temps passé, plus il me paraissait évident que j’avais vu juste quant à la destination des trois gaillards et que celle-ci se rapprochait dangereusement. Je savais que si je voulais agir, il me fallait le faire maintenant ou renoncer à ma chasse. Prenant une grande inspiration, j'accélérais le pas pour me rapprocher du trio.
- « Excusez-moi » dis-je d’une voix claire, faisant sursauter l’homme qui fermait la marche. Il se retourna, imité par ses deux compagnons qui s’apprêtaient à passer devant lui pour se mettre en protection. J’ôtais ma capuche et tentais d’afficher un sourire pas trop crispé malgré la tension qui m’habitait à l’approche de l’affrontement. En voyant mon visage, celui qui semblait être le chef et devenait donc ma cible prioritaire, fit signe à ses deux gardes du corps de rester en retrait.
- « Tu t’es perdue ma jolie ? » demanda-t-il avec un sourire goguenard.
- « Oui et non » dis-je en continuant d’avancer vers lui alors qu’il me tendait une main amicale « je suis arrivée en ville il y a peu et je cherche du travail pour… »
Avant d’achever ma phrase, j’étais arrivé à la hauteur de l’homme et tout en saisissant sa main tendue, j’attrapais ma dague et la lui plantais dans la joue, l'enfonçant jusqu’à la garde au point qu’elle ressortit au-dessus de sa mâchoire du côté opposé. Il ne cria pas, les os de son visage étant sûrement brisé à plusieurs endroits, mais poussa des gémissements sourds en s’effondrant au sol et en portant les mains à sa bouche. Je dégageais ma dague et me retournais pour faire face aux deux colosses qui fondaient sur moi. J’avais choisi de lancer le combat dans un endroit où la ruelle, déjà étroite, se rétrécissait encore davantage de manière à gêner mes adversaires dans l’utilisation des épées courtes que j’avais repéré à leur hanche.
Je m’avançais à leur contact pour réduire encore plus leur liberté de mouvement. Le premier tenta de me poinçonner d’un coup direct, mais j’esquivais la pointe de son arme d’un léger déplacement sur la gauche, tout juste suffisant pour me mettre hors de portée de son attaque. Ce mouvement en revanche m’amena à être quasiment collé à mon second adversaire qui, tout en sortant sa lame de son fourreau, en profita pour m'envoyer un méchant coup de coude dans le visage. La violence du choc me fit chanceler une seconde tandis que je faisais quelques pas en arrière pour tenter de rétablir mon équilibre. Les deux gredins voulurent profiter de cet avantage et se jetèrent sur moi d’un seul homme. Je voulus accueillir celui qui m’avait frappé d’un coup de dague, mais il dévia l’attaque avec sa lame avant de me frapper à l’épaule. Malgré mon manteau de cuir, l’acier trancha ma peau et sa morsure me tira un petit cri de douleur qui alluma une lueur de plaisir malsain dans les yeux de mon adversaire.
Pourtant, la blessure n’était pas si grave et cela ne suffit pas à me déconcentrer. Alors que je tentais de me soustraire à l’arme du premier homme en repoussant son bras de l’une de mes mains, le second arriva à ma hauteur et arma un coup d’estoc. En prenant appui sur le mur derrière moi, je lui envoyais un violent coup de pied dans les côtes pour le repousser en arrière, puis, sans lâcher la main qui tenait l’épée courte plantée dans mon épaule, j’imprimais un mouvement de rotation pour propulser mon ennemi dos au mur et me retrouvais à sa place. Profitant de l’élan, je lui plantais ma dague dans le ventre, juste sous les côtes, ce à quoi il répondit avec un cri féroce en me lacérant la cuisse avec son arme d’un geste circulaire. Feulant, je fis un pas en arrière et fut directement saisi au cou par le second homme qui revenait à la charge. Croyant sûrement sa prise autour de ma gorge assez ferme, il leva un bras pour me frapper en plein cœur mais je fus plus rapide et lui envoyais un violent coup de tête dans le visage, faisant craquer de manière désagréable son nez. Puis, je me penchais en avant pour le faire basculer par-dessus moi et lui lorsqu’il atterrit au sol, je lui donnais un violent coup de pied dans le flanc.
J’eus à peine le temps de me redresser que le premier homme arrivait sur moi. Se propulsant contre le mur ou je l’avais épinglé, il arriva à toute allure et me planta son arme dans le ventre. Profitant de son élan, il poursuivit son avancée, me poussant en arrière jusqu’à ce que j’aille violemment heurté le mur derrière moi, l’arrière de mon crâne résonnant sourdement contre la pierre. Par réflexe, je tentais d’immobiliser la main tenant l’arme plantée dans mes abdominaux afin d’empêcher l’homme de la faire tourner ou de la remonter pour faire des dégâts irréparables. Un coup d'œil vers mon ventre nu me permit de constater que le sang coulait déjà abondamment de la blessure, allant se mêler à celui qui sortait de la plaie au niveau de ma cuisse. La situation était mauvaise car, non seulement j’étais déjà blessé sérieusement à trois endroits, mais le temps jouait maintenant contre moi. Plus le combat durerait, plus je perdrais de sang et donc de vivacité. En plus, je n’avais pour le moment mis hors d’état de nuir qu’un seul adversaire et les deux autres, bien qu’amochés, avait encore de la réserve.
Voyant que je l'empêchais de bouger sa lame dans mon ventre, l’homme voulut la retirer pour frapper ailleurs. J’accompagnais son mouvement et lorsque l’arme quitta ma chaire, je me jetais sous le bras de mon assaillant pour passer dans son dos et sans même me retourner, je frappais derrière moi, au niveau de la nuque. Il beugla et je sus que j’avais atteint ma cible. J'expédiais un nouveau coup de pied cruel dans la tête du second assaillant qui peinait à se relever et me retournais pour voir à quel point ma dernière touche avait fait des dégâts. Alors que j’étais encore en train de pivoter sur moi-même, je me baissais par un réflexe extraordinaire pour éviter le coup circulaire que venait d’envoyer le premier homme en se retournant et je sentis le vent qui déplaçait la lame en passant à quelques centimètres au-dessus de mes cheveux. Je me redressais et de toute la puissance de mes jambes, me propulsait en avant pour planter mon arme dans la gorge de mon adversaire. Étrangement il n’émit qu’un grognement bizarre quand l’arme transperça son cou et il s’effondra net lorsque je retirais ma lame.
Même pas le temps de me réjouir qu’un violent choc me percuta dans le dos, m’envoyant valser à nouveau la face contre le mur. Par instinct, je lançais un coup de pied en arrière et touchais le dernier homme encore debout, ce qui m’offrit le temps de me retourner, arme en main. Nous nous faisions face dans la petite ruelle sombre. La pluie battante qui continuait de tomber diluait le sang qui coulait de mes plaies, donnant à mes blessures un aspect moins grave que la réalité. J’étais à bout de souffle et je sentais déjà les forces qui me manquaient.
La mort est comme une vieille amie qui vient te rendre visite. Parfois, tu ne l'attends pas, mais parfois, si. Jetant mes dernières forces dans l’affrontement, j’attaquais soudainement le gredin. Je devais lui reconnaître un certain cran, car après que je me sois occupé de ses deux compagnons, il aurait pu s’enfuir facilement sans que je ne sois en mesure de le poursuivre, mais peut être jugeait-il au vu de mes blessures qu’il avait l’avantage, ce qui aurait sûrement été le cas si son adversaire n’avait pas été une descendant de Kalith. Il tenta de placer son arme devant lui pour que je m'empale dessus dans ma charge mais je la déviais de justesse du bout de ma lame, ce qui le surprit, et j’arrivais sur lui, l’épaule en avant, droit dans son plexus. L’attaque, peu académique, l’envoya rouler au sol et avant qu’il ne puisse se relever, je sautais sur lui et lui plantais ma dague dans le cœur. Je frappais avec tant de force et de rage que mon arme se brisa au niveau de la garde, laissant la lame dans le corps du putain de qharis qui avait crus réussir à venir à bout de moi.
Ses yeux se voilèrent et je me retrouvais assise à califourchon sur lui, à bout de souffle, la nausée saisissant ma gorge. Après quelques respirations laborieuses, je rejetais la tête en arrière et poussais un cri de défi terrible au ciel. Puis, tant bien que mal, je me redressais et titubais jusqu’au premier homme que j’avais touché à la mâchoire et qui tentait maintenant de s’enfuir en rampant lamentablement. Maintenant que le combat contre les trois hommes était gagné, l’adrénaline avait quitté mon corps et je me sentais prête à défaillir à tout moment. Je mis une éternité à rejoindre le rampant qui pourtant n'avançait pas vite. Quand il fut à portée, je me laissais tomber à genoux sur ses omoplates et en attrapant l’arrière de sa tête, je la plongeais dans une flaque d’eau boueuse peu profonde. Il se débattit en ruant faiblement sous moi, mais j’appliquais tout mon poids contre son dos et avec le peu d’énergie qu’il me restait, je réussis à le maintenir jusqu’à ce qu’il ne bouge plus. J’attendis encore quelques longues secondes après qu’il ait arrêté de remuer afin d’être sûr qu’il ne bluffait pas, puis, je me relevais.
Après avoir remonté ma capuche sur ma tête, je fis rapidement les poches des trois hommes. Comme je l’avais deviné, le plus petit, dont le visage disparaissait maintenant dans un mélange d’eau boueuse et sanguinolente, était bien le chef de la troupe. Pourtant, j’eus envie de hurler quand après avoir ramassé mon butin, je me rendis compte que les trois connards ne transportaient sur eux que quatre couronnes impériales. Putain, j’avais failli mourir pour une somme aussi dérisoire. D’ailleurs, je n’étais pas encore tiré d’affaire et j’entrepris donc de prendre la direction de la demeure d’Alessandra, abandonnant derrière moi le corps encore chaud de trois hommes, trois pauvres âmes qui avaient eu la malchance de croiser mon chemin au mauvais moment.
La route jusqu’à la boutique de la gantière fut un long combat contre moi-même. Un bras de fer interminable entre mon corps et ma volonté, le premier me commandant de m’asseoir un moment sous un porche pour faire une sieste et me reposer tandis que la seconde m’interdisait de m’arrêter tant que je ne serai pas arrivé en sécurité. Finalement, à force de grognement et de râles sourds, je parvins au petit matin à destination. Une lumière diffuse filtrait derrière les volets, m’indiquant que la maîtresse des lieux devait, comme à son habitude, déjà être levée. Je m’affalais contre la porte plus que je ne l’ouvris et quand le battant pivota, je tombais comme un pantin désarticulé, face contre terre, dans l’entrée de la boutique. J’entendis un bruit de pas précipités et la voix d’Alessandra qui s’exclamait :
- « Seigneur ! Léna ?? Que s’est-il passé ? » elle me saisit par mon épaule blessée, me tirant un grognement de douleur, et entreprit de me retourner sur le dos.
- « Mauvais… calculs » marmonnais-je entre mes dents serrées. Elle ne fit aucun commentaire mais releva les yeux lorsque quelqu’un que je devinais être Chuji entra à son tour dans la pièce.
- « Aides-moi » dit-elle à l’amazone qui s’accroupissait prestement à mon côté, oubliant certainement que celle-ci ne comprenait pas la langue des qharis. Pourtant, elles réussirent à se mettre d’accord en échangeant quelques signes et d’un même élan, elles me soulevèrent de terre pour aller m’installer sur la table de la cuisine.
Une fois qu’elles m’eurent installé sur mon lit médical de fortune, Alessandra s’adressa de nouveau à moi :
- « Il y a un barbier compétent au coin de la rue, je vais aller le chercher »
- « Non » dis-je en lui attrapant le poignet « médecin… Gianni »
- « Dans cet état tu seras vidée de ton sang bien avant d’être arrivée à destination » dit-elle d’une voix blanche. Puis après un court instant de réflexion elle ajouta « Je vais essayer de bander tes plaies pour te stabiliser et on te fera porter auprès de Gianni. »
Elle s'apprêtait à partir mais je ne lâchais pas son poignet, la forçant à se tourner à nouveau vers moi :
- « Désolé… » murmurais-je simplement.
- « Tu es le fil rouge de toute cette histoire Léna, je t'interdis de mourir ici dans ma cuisine » gronda-t-elle sur un ton presque rieur, bien que l’inquiétude dans ses yeux ne contredise ce ton faussement amusé.
- « Un fil ne va nulle part sans une aiguille pour le guider, heureusement, j’ai rencontré une couturière de talent ».
Elle s’éloigna vivement tandis que Chuji, un seau d’eau et des morceaux de tissu dans les mains commençait à laver mon corps de la crasse et du sang afin de rendre les plaies plus visibles et de préparer le terrain pour que le médecin de Gianni puisse opérer dans les meilleures conditions possibles.
Modifié en dernier par Nola Al'Nysa le 04 avr. 2024, 11:45, modifié 1 fois.
La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, mais on ne revient jamais en arrière.
Nola Al’Nysa, Voie du Forban
Profil: FOR 11 / END 8 / HAB 9 / CHAR 8 / INT 9 / INI 8 / ATT 11 / PAR 11 / TIR 9 / FOI 0 / NA 1 / PV 65
Mon histoire : ici
Quelques récits sur la vie de Nola : ici
Awards :
Dessins de Nola Al'Nysa réalisés par NmForka :
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- Meilleur PJ - Etoile Montante : 2022
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- [MJ] Le Roi maudit
- Warfo Award 2022 du meilleur MJ - RP
- Messages : 386
- Profil : FOR / END / HAB / CHAR / INT / INI / ATT / PAR / TIR / NA / PV (bonus inclus)
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
La douleur s'évanouit avec elle.
"Léna... Léna ! Léna ! Chuji, garde-là consciente, j'arrive !
"Ma sœur ! Accroche-toi ! Ma sœur !
L'air était lourd. Chargé d'encens et de volutes chargées d'odeur forte. Les herbes médicinales qui se consumaient dans d'imposants brûleurs en bronze. Le matelas moelleux l'engloutissait avec l'appétit des sables mouvants lustriens. Des mains soulevèrent son bras comme si elle n'était qu'une poupée de chiffon laissée là par une quelconque gamine. Encore une fois, elle sombra dans le sommeil et le matelas.
Les songes fiévreux, l'odeur persistante. L'amertume des remèdes qu'on lui faisait ingérer. Pour une poignée de pièces d'or. L'Or. Toujours l'Or. L'Or et l'Orgueil des Qharis.
Et ce sont des mèches d'or qui l'accueillirent à nouveau au royaume des éveillés. Gianni "Il Basilio" di Pontereschia remplissait un verre en cristal d'eau fraiche. Il soupira avant de le porter aux lèvres de la Fleur des Pavés, rester hydrater était primordial dans la chaleur écrasante de l'été. "Léna... Léna… Léna. Mais qui a bien pu vous mettre dans cet état..."
Quelle heure était-il ? Combien de temps avait-elle dormi ? Était-elle encore chez la gantière ? Non, Gianni ne serait pas venu jusqu’ici et son amie ne possédait pas une telle literie.
Elle passa une langue pâteuse sur ses lèvres sèches avant de répondre « j’étais dehors, il y avait quelques hommes devant, puis soudain deux autres ont surgi de nulle part et les ont attaqués. Ils ont dû croire que je faisais partie du groupe auquel ils s’en prenaient et on essayait de me tuer également. J’ai réussi à m’enfuir de justesse au milieu de l’affrontement. »
Il ne répondit pas sur l'instant, lui tendant le verre pour boire. Assis sur le bord du lit, on ne voyait que sa jambe perdue. Rappel du prix de l'Hubris. "Reposez-vous. Vous avez eu beaucoup de chances. J'ai vu des soldats mourir pour des blessures moins graves. Morr nous rappellera tous à lui. Tâchons de retarder cela encore un peu."
Avec un effort de volonté, elle réussit à poser sa main sur l’avant-bras de son amant, puis d’une voix basse, presque un murmure, elle dit « Il faudrait confier la somme de quinze couronnes à Alessandra, afin qu’elle termine les préparatifs pour le soir de la réception. »
"Oh Léna... Cela fait deux jours que vous êtes inconsciente. Alessandra est déjà partie."
Une angoisse sourde s’empara d’elle. Deux jours ! Que s’était-il passé durant ce laps de temps ? Est-ce qu'Alessandra avait réussi à s’arranger avec les trafiquants ? Lars avait-il dégoté le plan des tunnels ? Kidd et le capitaine Syrasse étaient-ils en route ? Il fallait qu’elle se rétablisse au plus vite pour reprendre en main les préparatifs de l’assaut.
Loin des pensées troublées de l'Amazone, le noble déchu regardait par la fenêtre. Les plantes entretenues du jardin bruissaient au vent d'été. Il soupira. "Voudriez-vous que je vous fasse la lecture ? Nous avons tout notre temps. Alessandra partie, ses Hommes qui ne me répondent guère et vous... Convalescente."
Réfléchir était déjà compliqué pour Nola. Dans son état et avec toutes les fumées qui flottaient paresseusement dans la pièce pourtant traversée par un léger courant d’air chaud, il lui était difficile de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il semblait évident qu’elle ne pourrait se concentrer sur l’histoire narrée par Gianni mais la perspective d’être bercée par sa voix grave et douce suffit à la convaincre d’accepter la proposition pleine de sollicitude de son hôte.
Cependant, elle commença par relever un point dans la dernière phrase du peintre qui la troubla « Quels hommes ? »
"Avant de partir, Alessandra m'a dit de joindre des contacts à un endroit précis, à une heure précise, j'ai envoyé un de mes serviteurs et personne ne s'est jamais présenté. La confiance est dure à gagner, et en l'absence de la Gantière, personne ne relie les fils entre eux."
La jeune guerrière esquissa un geste pour se redresser avant qu’une violente déflagration de douleurs ne la rappelle à sa condition de convalescente. Poussant un long soupir, elle tenta d’expliquer cette absence des contacts d’Alessandra, mais les quelques phrases échangées avec Gianni et la vague de douleur qui irradiait maintenant de son ventre lui avaient donné la nausée et lui faisait mal à la tête. Elle passa péniblement un bras sur son front pour s’éponger et ferma son seul œil en murmurant « il faut vraiment que je me remette sur pied rapidement… »
L'Histoire parlait d'un Roi et d'une Déesse faite femme. De l'ambition démesurée des Hommes et de la punition sévère qui s'abattit sur la Cité de Tylos. L'Histoire parlait d'une Déesse et de traitres. D'une Déesse à la lance, une Déesse du Soleil et de la Guerre. Partie vers l'Ouest. Vers chez elle. Les blessures sont longues à se refermer. Mais Gianni avait bien des livres. L'Artiste lui parla des peuples du Nord et de leur Empire. Des villes de Tilée et d'Estalie qu'elle connaissait surtout par les anecdotes rarement fines des pirates de son équipage. Il lui montra même la carte des Terres et des Mers connues de ce monde. Ici, chez elle, là, chez lui. Un océan entre les deux. Quatre journées s'écoulèrent donc.
Et un matin, après que le Chirurgien eut fini de changer ses bandages, la blessure ayant cessé d'être enflammée, c'est la mine moins affriolante d'Ernest qui se présenta dans la chambre. "Excusez-moi de vous déranger... Dame. Léna. Mais quelqu'un a insisté pour que je vous apporte ceci le plus rapidement possible."
Le majordome s'avança d'un pas feutré, et d'un geste tout aussi pondéré, déposa un médaillon sur le meuble où se consumait une nouvelle fournée d'herbes médicinales.
- Nola Al'Nysa
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Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Enfin ils étaient là. Syrasse, Kidd et l’équipage de l’Aslevial. Savoir que ces hommes, ma famille adoptive, se trouvaient proches de moi m’apporta un bien plus grand réconfort que toutes les plantes médicinales et les vapeurs épaisses que l’on m’avait fait ingérer ou respirer depuis plusieurs jours. Cette nouvelle me donna du baume au cœur et j’eus l’impression que déjà mon mal s’éloignait et que ma guérison s'accélérait. Cette nuit-là d'ailleurs, pour la première fois depuis des jours, je dormis d’un sommeil réparateur, à peine entrecoupé de quelques courtes phases éveillées, mais dépourvu de tous rêves enfiévrés. Cela me rappela une fois où le vieux Gindast m’avait expliqué l’importance du moral dans la guérison des maladies. D’après lui, un homme se battant pour une cause juste, ou pour une chose lui tenant à cœur avait bien plus de chance de guérir que son semblable n’ayant personne à aimer, personne à retrouver à son retour. Lorsque la tête lâche disait-il, le corps ne peut s’y substituer et je vérifiais à ce moment la sagesse de ses propos.
Ragaillardi par cette première bonne nouvelle depuis plusieurs jours et par une bonne nuit de sommeil, je me décidais enfin à tenter de quitter mon lit au petit matin. La voix coassante de n’avoir que trop peu parlé, je demandais à l’une des femmes de chambre mise à ma disposition le temps de ma convalescence de me faire monter un bac et de l’eau chaude pour que je puisse me laver. Cette dernière s’était bien sûr déjà occupée de me faire une toilette sommaire deux fois par jour depuis qu’elle était à mes soins, mais je ne m’en sentais pas moins crasseuse et sale et je mourrais d’envie de m’immerger entièrement dans l’eau chaude. La femme, d’un certain âge, m’avertit néanmoins que ce serai de l’eau tiède tout au plus, car une eau trop chaude risquée de raviver mes plaies tous justes cicatrisées voir même de les faire se rouvrir partiellement. Trop contente qu’elle accède à ma demande, je ne fis pas d’histoires, il faisait de toute façon une chaleur lourde depuis que j’étais enfermée ici et même les grandes fenêtres qu’on laissait ouvertes par moment ne parvenaient pas à laisser filtrer assez d’air pour refroidir la pièce.
En attendant le retour de la servante, je remis le médaillon autour de mon cou, sentant avec un plaisir non-négligeable le poids réconfortant du petit bijou peser à nouveau contre ma poitrine. Avant de quitter la pièce, la femme m’avait intimé l’ordre d’attendre son retour avant de me lever, mais, lui désobéissant, je décidais de tenter l’opération seule. Tant bien que mal, je réussis à extraire mes jambes de la masse de couvertures qui les couvraient et à m'asseoir sur le rebord du lit. Prenant une grande inspiration, je me lançais donc et posais les pieds au sol avant de me lever. J’y parvins sans trop de difficultés, mais après seulement deux petits pas mal assurés, un léger vertige vint me saisir et je m’accrochais de justesse aux bois de lit pour ne pas tomber. Je m’accordais quelques instants de répit puis, me risquais à essayer de réaliser la traversée entre le lit et le lourd fauteuil dans lequel Gianni aimait s’installer pour me faire la lecture. Je l’effectuais en quelques enjambées mal assurées avant de me laisser tomber le plus délicatement possible dans le rembourrage épais de l’assise. La manœuvre me tira néanmoins un petit cri de douleur et je portais d’office un coup d'œil inquiet à la plaie sur mon flanc, constatant avec soulagement qu’elle ne s’était pas rouverte.
Mon exploration fut interrompue par l’arrivée de la dame de chambre qui entra sans frapper pour m'annoncer que le bain était prêt. Elle fronça les sourcils en me trouvant assise nue sur le fauteuil de son maître, mais ne dit rien. En revanche, la tête curieuse de Gianni se dessina par-dessus son épaule dans l’embrasure de la porte et lui ne se priva pas de me faire une remontrance :
- « Enfin Léna, pourrais-tu par pitié obéir un jour aux consignes de ceux qui te veulent du bien ?! » s’exclama-t-il, mi irrité, mi amusé.
- « Désolé… » dis-je simplement avec un petit sourire coupable.
Il s’avança vers moi de sa démarche claudicante et me tendit son bras pour m’aider à me relever sans s’émouvoir de ma nuditié ou de l’odeur aigre de transpiration que je sentais émaner de mon corps. Acceptant son offre, je m’agrippais à lui et me remis sur mes pieds, puis nous entreprîmes de traverser la pièce tant bien que mal. J’étais surprise de la stabilité et de la solidité de l’appui qu’il me procurait malgré sa jambe manquante et une fois rassurée, je raffermis davantage ma prise sur son bras et me laissais guider vers la baignoire.
- « Quel couple magistral nous formons » commenta Gianni tandis que nous dépassions la femme de chambre dont le visage ne trahissait aucune émotion « Nous pourrions nous renommer Clopin et Clopant. »
- « Même si l’un de nous deux risque de clopiner plus longtemps que l’autre ? » demandais-je, taquine.
- « Je pourrai te laisser tomber ici-même et te regarder ramper jusqu’à ton bain tu sais ! » répondit-il en riant, bon joueur.
- « Un joli cœur comme toi ne ferait jamais ça ! »
Ces plaisanteries nous amenèrent jusqu’au bain dans lequel Gianni, toujours plein de sollicitude, m’aida à entrer. Lorsque mon premier pied entra au contact de l’eau, je constatais que la femme de chambre avait une définition bien à elle de la tiédeur, mais, étant habitué à me laver dans les cours d’eau de la jungle et à barboter dans les océans, je n’allais pas faire la fine bouche pour un bain à peine chaud. Le contact de l’eau sur mes blessures me piqua de manière désagréable quand je m’assis dans le baquet mais après une ou deux minutes, je n’y fis plus attention. Tirant une chaise à lui et congédiant sa domestique, Gianni vient s'asseoir derrière moi et, pendant que je faisais trempette, il me frotta le dos, défit ma natte et m’aida à me laver les cheveux. Je posais mes bras sur les bords de la baignoire, inclinais la tête et fermais les yeux. Alors que je me détendais, Gianni resta près de moi, au cas où j’aurais besoin de quelque chose. Quand enfin je me décidais à sortir du bain, il m’aida à me sécher les cheveux et le corps, tapotant avec précaution les abords de mes blessures avec une lourde serviette épaisse. Négligeant de me vêtir, je retournais m’étendre sur le lit, ma crinière encore humide formant une auréole autour de ma tête.
« Viens t’allonger à côté de moi » dis-je. Gianni obéit immédiatement, disposant les oreillers adossés à la tête de lit de manière plus confortable. Installé sur le flanc, il me regarda en silence, scrutant mes traits et plongeant son regard dans le miens tout en laissant sa main caresser mes hanches.
- « À qui appartient ce bijou qu’on t’a rapporté et que tu t’es empressée de remettre ? » demanda-t-il entre deux caresses d’un ton sérieux
- « Oh ça, c’est simplement la première chose que je me suis acheté lorsque je suis arrivée sur le continent » répondis-je en espérant qu’il goberait ce mensonge.
Je lui souris et il se pencha vers mon visage, avec lenteur. Il effleura ma bouche de ses lèvres douces et légères et je m'appuyais de tout mon poids contre la pression de ses mains pour me rapprocher de lui. Il eut un rire de gorge et m'embrassa enfin pour de vrai. Avec mon flanc bandé et douloureux entre nous deux, notre langage corporel ne put s'exprimer que par nos bouches et nos mains.
À l’approche du soir, mon amant dû prendre congé pour s’occuper de quelques affaires importantes dont seuls les membres de la noblesse semblent voir l’intérêt. J’avais somnolé une bonne partie de l’après-midi tandis que le beau noble me veillait, laissant ses doigts délicats courir le long de mes bras et de mon ventre et je me sentais en plutôt bonne forme. Profitant d’être enfin seule, je me levais et me dirigeais vers la grande fenêtre faisant face à mon lit afin de profiter des dernières lueurs du jour. Les yeux perdus dans le lointain, je laissais mes pensées vagabonder tandis que l’astre lumineux venait embrasser l’océan. C'était étrange, mais quand le coucher de soleil incendiait d'un même feu ciel et terre, je réussissais enfin à ne penser à rien et à laisser mon esprit se perdre. La seule chose que j’entendais était ce murmure qui me venait du fond de l'âme, comme un chuchotement dans une langue ancienne que j’aurais oubliée.
Il me fallut encore trois journées complètes avant que Gianni et son entêté de médecin ne m'autorisent à sortir du palais. J’avais maintenant recouvré largement assez de force pour vaquer à mes occupations seule, bien que la fatigue me gagnait rapidement à chaque fois. Pourtant, j’avais déjà assez perdu de temps et il me fallait reprendre en main les préparatifs de l’attaque contre les nobles de Myrmidens. Le bon sens me disait de commencer par établir le contact avec Lars et ses hommes afin de savoir où ils en étaient de leurs recherches dans les souterrains et s’ils avaient des nouvelles d’Alessandra. Un messager avait glissé à Ernest le message suivant : "La fleur des pavés se cueille là où coule l'eau" ce qui signifiait clairement que l’impérial souhaitait me voir rapidement. Pourtant, c’est vers l’équipage de l’Aslevial que j’avais choisi d’orienter mes pas dans un premier temps. L’homme qui avait confié le médaillon au majordome de Gianni lui avait indiqué qu’il me fallait retourner à la Corne d’Or quand je le pourrai pour me manifester.
L’après-midi était déjà bien entamée ce jour-là lorsque je quittais enfin le palais, puis la ville haute, escortée par deux gardes que mon protecteur avait insisté pour me fournir, en direction de l’établissement que je ne connaissais que trop bien maintenant. J’eus plus d’une fois la tentation de fausser compagnie aux deux soldats, mais mon état de santé encore fragile et leur concentration intense me dissuadèrent de tenter quoi que ce soit. Pourtant, je me sentais ridicule, ainsi affublée de deux gaillards qui me flanquaient de part et d’autre. J’avais l’impression d’être une prisonnière qu’on escortait jusqu’au billot et d’attirer en plus l’attention de nombreux passants. Il nous fallut un moment pour atteindre la Corne d’Or, car je marchais lentement pour économiser mes forces et la chape de plomb qui pesait sur la ville rendait l’effort difficile.
Comme nous approchions de notre destination, je sentais un léger sentiment d’angoisse me saisir. Après tout, ce lieu où je me rendais était l’arrière base de Schloesing, là où il aimait venir en soirée et il y avait fort à parier que certains de ses sbires devaient en permanence rôder dans les parages. Pourtant, dans la moiteur de cette chaude après-midi, j’eus la surprise de trouver l’endroit presque désert. Quelques employés s’affairaient mollement pour nettoyer les dernières traces de la nuit précédente, d’autres finissaient de remettre en place des tonneaux de boissons derrière le comptoir ou d’astiquer les coupes destinées aux boissons plus raffinées. L’homme à l’entrée ne fit aucune difficulté pour nous laisser passer, j’aurais d’ailleurs juré qu’il connaissait au moins l’un de mes deux gardes car ils se saluèrent avec une familiarité un peu trop franche. Il faisait à peine plus frais à l’intérieur, le lieu étant assez mal ventilé et cela rendait l’atmosphère encore plus étouffante. Je n’eus pas à chercher longtemps le contact envoyé par le capitaine Syrasse, en parcourant la large pièce du regard, j’avisais un homme à l’allure taciturne assis dans un coin reculé, sur une place stratégique, le dos collé à un mur et le buste orienté vers la porte d’entrée. Malgré mon grand manteau et ma capuche rabattue sur mon visage, il m’avait lui aussi reconnu et c’est avec un sourire sincère que j’avançais dans sa direction. Jens Dresner était l’un des plus anciens membres de l’équipage et un des hommes de confiance de Syrasse. D’un naturel assez discret, cet impérial d’origine était pourtant assez imposant et sa longue barbe noire ainsi que la masse hirsute de cheveux qu’il ne prenait pas la peine d’entretenir le rendaient parfois assez effrayant.
- « Enfin te voilà ! » dit-il en se levant et en ouvrant largement ses bras immenses pour m'accueillir.
- « Jens ! C’est bon de te revoir » répondis-je en me lovant contre sa poitrine.
- « Et eux ? Ils sont avec toi ? » demanda-t-il en désignant d’un signe de la tête les deux gardes qui attendaient à distance raisonnable.
- « Disons qu’on me les a imposés… D’ailleurs, tant que j’y pense, dans cette cité, on me connaît sous le nom de Léna, alors pas de conneries. »
- « Dans quoi t’as encore fourré ta jolie frimousse… » dit-il avec un sourire canaille.
- « Parfois je me le demande ! » répondis-je en haussant les épaules.
Contrairement à ce que je craignais, mes deux gardiens ne firent pas de réelles difficultés pour me laisser partir seule avec Jens. Après avoir partagé deux tournées avec eux, le forban déposa une petite bourse sur la table et leur indiqua que nous allions devoir prendre congé quelques heures et qu’en attendant, ils pouvaient boire à notre santé. Je quittais la Corne d’Or sur les talons du marin et je m’aperçus que l’après-midi touchait déjà à sa fin. Nous fîmes plusieurs détours afin de semer d’éventuels suiveurs, la prudence était de mise au vu de la poudrière qu’était devenue la cité portuaire depuis plusieurs semaines et finalement, nous prîmes la décision de nous arrêter manger un morceau dans une taverne plutôt bon marché juste à côté des lourdes portes permettant de quitter la ville. Alors que nous nous restaurions, je contemplais les badauds venus vendre des marchandises durant la journée et qui faisaient la queue pour sortir de l’enceinte de la cité et rentrer dans leur campagne. Notre repas achevé, nous nous mêlâmes à la foule et en une petite demi-heure, je me retrouvais hors des murs de Myrmidens. Cela me fit une sensation bizarre, comme si je venais de sortir la tête de l’eau. Enfin, je retrouvais les grands espaces, le calme et les odeurs de la nature et je me rendis compte que durant ces dernières semaines, tout cela m’avait manqué sans que je ne m’en aperçoive réellement. J’inspirais à plein poumon l’air frais du soir et laissais ma main flotter sur les hautes herbes bordant le chemin sur lequel je m’étais engagé à la suite de mon guide.
Ce dernier m’avait prévenu que nous allions avoir une marche plutôt longue à effectuer, c’est d’ailleurs pour cela, et au vu de mon état de forme, qu’il avait souhaité que nous nous restaurions avant d’entamer notre périple. Après avoir suivi la grande route un très court moment, il en était sorti pour rejoindre une piste qui disparaissait sous le couvert des feuillages. À mesure que le chemin montait, les arbres devenaient de plus en plus rares car dans ce sol rocailleux, ancrer leurs racines tenait de l’exploit. La pente devint bientôt plus raide et un sol rocheux succéda à la terre meuble. Les arbres, effectivement moins luxuriants, offraient une vue plus dégagée sur les alentours. Le sentier serpentait sur un terrain accidenté et traversait parfois de petits ravins jonchés de feuilles mortes qui crissaient sous nos pieds. Les pins et les épicéas disparurent, remplacés par des bouleaux dont les branches, moins serrées, laissaient filtrer la lumière du soleil couchant en une myriade de petites lucioles qui dansaient sur les pierres. Avec leurs troncs blancs constellés de points noirs, on aurait cru que des centaines d’yeux nous observaient sournoisement. N’étaient les craquements de quelques branches et le bruit régulier de notre respiration concentrée sur l’effort, un silence rassurant nous enveloppait.
Alors que nous étions en train de traverser un nouveau bosquet, un bruit familier se porta à mes oreilles. J’entendais le bruit de l’océan, libre, entier, pas le son altérer des vagues venant doucement clapoter contre le quai d’un port, derrière les grandes digues protégeant les lieux mais bel et bien le vrombissement des flots sauvages venant du large pour s'échouer inexorablement sur une plage et s’écraser avec violence contre les falaises, le son de la liberté. Je hâtais le pas, dépassant pour la première fois Jens qui sourit, comprenant sans doute en tant que marin qui avait déjà dû relâcher durant de longues périodes loin des flots, ce que je ressentais. Lorsque je débouchais du petit bois, j’arrivais sur le rebord d’un à-pic rocheux que longeait la piste. En contrebas, je vis une petite crique, à peine assez grande pour qu’un navire puisse y mouiller, et en son centre, l’Aslevial. Toujours aussi superbe, le navire se découpait dans le clair de lune, sa coque oscillant doucement au gré des vagues, ses voiles solidement repliées et attachées aux verges, ses écoutilles fermées et scellées pour protéger les pièces d’artillerie des embruns. Cette vision associée au bruit de la mer et à l’odeur iodée du large m’emplit d’un bonheur que je n’avais plus ressenti depuis trop longtemps. Un ciel immense déployait ses champs d’étoiles au-dessus de ma tête et un quartier de lune se mussait avec indolence dans une écharpe nuageuse. Peut-être parce que j’avais failli mourir, je percevais ce monde qui m’entourait avec une acuité fabuleuse et j’abandonnais toute raison pour me plonger dans la sensation pure.
La vigie de l’Aslevial avait déjà dû nous repérer, car alors que nous entreprenions la périlleuse descente menant à la crique, une chaloupe fut mise à la mer et commença à avancer en direction de la petite plage de galets. Portée par l'excitation, je descendais rapidement le petit éboulis rocheux lorsqu’une pierre se déroba sous mon pied et manqua de m’envoyer rouler dix mètres plus bas, me rappelant de manière bien peu subtile à l’ordre. Finalement, après plusieurs longues minutes d’une escalade rendue compliquée par mon état de santé et la fatigue de la marche, j’arrivais enfin sur la grève et, Jens sur les talons, filais vers l’embarcation qui nous attendait. Parmi les six membres d’équipage, je reconnus Sven, Anton, Telaru et Slavio mais les deux autres m’étaient inconnus, sûrement des recrues récentes. Après des embrassades chaleureuses, nous embarquâmes tous et les marins entreprirent de nous arracher aux vagues qui semblaient décider à nous repousser sur la berge inlassablement. En quelques vigoureux coups de rames, nous parvînmes à l’échelle de corde donnant accès au pont de l’Aslevial. Moi qui étais d’ordinaire un véritable singe, toujours parmi les plus agiles des marins à me faufiler dans les gréements, j’éprouvais le plus grand mal cette nuit-là à me hisser à bord du navire, l’escalade de l’échelle de corde faisant jouer mes abdominaux et tirant de manière très peu agréable sur la plaie encore fraîche de ma hanche. Après une longue ascension et de multiples précautions, je sautais finalement le bastingage et atterris sur le plancher de bois épais du vaisseau.
J’avais à peine finis de me redresser qu’un éclair roux fendit l’air et se jeta dans mes bras, me tirant un cri de douleur autant que de surprise.
- « Nola !! » s’écria Kidd et jetant ses bras autour de mon cou « je pars quelques jours et tu t’arranges pour encore finir en lambeaux » poursuivit-il en riant. Le mousse avait l’air en bonne forme et j’aurais juré qu’il avait encore grandi depuis la dernière fois.
- « T’as l’air en forme Kidd » lui lançais-je en ébouriffant ses cheveux roux.
- « Enfin l’Aslevial retrouve sa sirène » dit une voix calme et profonde dans la pénombre « tu nous as manqué Nola, le navire lui-même semblait te réclamer » continua le capitaine Thorne Syrasse en s’avançant dans la lumière tamisée des lampes allumées sur le pont.
Il m'étreignit à son tour, avec plus de retenue que Kidd mais une émotion encore plus importante. Je passais ensuite un long moment à échanger des salutations, des bourrades et des tapes dans le dos avec tous ces marins que je côtoyais depuis des mois, me rendant compte à quel point ils m’avaient manqué, autant que l’océan, sans que je ne m’en aperçoive.
Après m’avoir laissé profiter de ces retrouvailles, le capitaine Syrasse me fit signe de le suivre et je lui emboîtais le pas avec ses quelques hommes de confiance habituels. Je retrouvais avec plaisir la grande cabine de mon protecteur, toujours encombrée de tas de cartes et de documents en tout genre, un vrai bazar organisé dont seul le maître des lieux pouvait comprendre la logique. L’ensemble de notre petite assemblée s’installa en demi-cercle autour du gros bureau surchargé de Syrasse. Il y avait là Saleh, le maître des cartes, Hertzog, le chirurgien impérial taiseux et aussi aimable qu’une porte de prison, le vieux Gindast en sa qualité de vétéran du navire et de représentant de l’équipage, Jens, le bras droit du capitaine et moi-même.
Comme tous les regards étaient braqués sur moi, j’entrepris de raconter mon périple depuis notre séparation après le pillage de Matorca. J’omis volontairement certains détails comme l’étrange rencontre avec les créatures chamanique dans la forêt et je ne m’étendais pas non plus sur notre séjour chez le Duc d’Ambrandt. J’espérais d’ailleurs que Kidd n’avait pas été trop bavard de son côté mais je ne voyais pas l'intérêt de détailler ces événements. Ensuite, vint le moment où je dus expliquer pourquoi j’avais fait revenir l’Aslevial vers les principautés frontalières et surtout aussi proche de Myrmidens. Chacun des hommes autour de la table écouta mon plan, ou plutôt mon ébauche de plan, avec attention. Quand j’eus terminé, le vieux Gindast déclara :
- « Ils volent les pauvres sous couvert de la loi, alors que nous volons les riches sous la seule protection de notre courage. »
- « Cette opération, aussi lucrative qu’elle puisse être, présente de sacré risque Nola » tempéra pour sa part le capitaine.
- « La surprise et la vitesse d'exécution nous protégerons capitaine » dis-je avec passion « nous serons entrés et sortis avant même qu’ils n’aient compris ce qu’il se passe ! »
Pendant que le débat embrasait le petit groupe, je laissais mon esprit se perdre dans d’autres réflexions. J’eus une pensée pour mes deux gardes qui devait se trouver bien embêtés à cette heure tardive de rentrer chez Gianni sans moi, pour Alessandra dont j'espérais que la captivité se déroulait à peu près confortablement et pour Lars qu’il fallait que je m’empresse d’aller voir dès demain. Charmant programme pour une convalescente…
Ragaillardi par cette première bonne nouvelle depuis plusieurs jours et par une bonne nuit de sommeil, je me décidais enfin à tenter de quitter mon lit au petit matin. La voix coassante de n’avoir que trop peu parlé, je demandais à l’une des femmes de chambre mise à ma disposition le temps de ma convalescence de me faire monter un bac et de l’eau chaude pour que je puisse me laver. Cette dernière s’était bien sûr déjà occupée de me faire une toilette sommaire deux fois par jour depuis qu’elle était à mes soins, mais je ne m’en sentais pas moins crasseuse et sale et je mourrais d’envie de m’immerger entièrement dans l’eau chaude. La femme, d’un certain âge, m’avertit néanmoins que ce serai de l’eau tiède tout au plus, car une eau trop chaude risquée de raviver mes plaies tous justes cicatrisées voir même de les faire se rouvrir partiellement. Trop contente qu’elle accède à ma demande, je ne fis pas d’histoires, il faisait de toute façon une chaleur lourde depuis que j’étais enfermée ici et même les grandes fenêtres qu’on laissait ouvertes par moment ne parvenaient pas à laisser filtrer assez d’air pour refroidir la pièce.
En attendant le retour de la servante, je remis le médaillon autour de mon cou, sentant avec un plaisir non-négligeable le poids réconfortant du petit bijou peser à nouveau contre ma poitrine. Avant de quitter la pièce, la femme m’avait intimé l’ordre d’attendre son retour avant de me lever, mais, lui désobéissant, je décidais de tenter l’opération seule. Tant bien que mal, je réussis à extraire mes jambes de la masse de couvertures qui les couvraient et à m'asseoir sur le rebord du lit. Prenant une grande inspiration, je me lançais donc et posais les pieds au sol avant de me lever. J’y parvins sans trop de difficultés, mais après seulement deux petits pas mal assurés, un léger vertige vint me saisir et je m’accrochais de justesse aux bois de lit pour ne pas tomber. Je m’accordais quelques instants de répit puis, me risquais à essayer de réaliser la traversée entre le lit et le lourd fauteuil dans lequel Gianni aimait s’installer pour me faire la lecture. Je l’effectuais en quelques enjambées mal assurées avant de me laisser tomber le plus délicatement possible dans le rembourrage épais de l’assise. La manœuvre me tira néanmoins un petit cri de douleur et je portais d’office un coup d'œil inquiet à la plaie sur mon flanc, constatant avec soulagement qu’elle ne s’était pas rouverte.
Mon exploration fut interrompue par l’arrivée de la dame de chambre qui entra sans frapper pour m'annoncer que le bain était prêt. Elle fronça les sourcils en me trouvant assise nue sur le fauteuil de son maître, mais ne dit rien. En revanche, la tête curieuse de Gianni se dessina par-dessus son épaule dans l’embrasure de la porte et lui ne se priva pas de me faire une remontrance :
- « Enfin Léna, pourrais-tu par pitié obéir un jour aux consignes de ceux qui te veulent du bien ?! » s’exclama-t-il, mi irrité, mi amusé.
- « Désolé… » dis-je simplement avec un petit sourire coupable.
Il s’avança vers moi de sa démarche claudicante et me tendit son bras pour m’aider à me relever sans s’émouvoir de ma nuditié ou de l’odeur aigre de transpiration que je sentais émaner de mon corps. Acceptant son offre, je m’agrippais à lui et me remis sur mes pieds, puis nous entreprîmes de traverser la pièce tant bien que mal. J’étais surprise de la stabilité et de la solidité de l’appui qu’il me procurait malgré sa jambe manquante et une fois rassurée, je raffermis davantage ma prise sur son bras et me laissais guider vers la baignoire.
- « Quel couple magistral nous formons » commenta Gianni tandis que nous dépassions la femme de chambre dont le visage ne trahissait aucune émotion « Nous pourrions nous renommer Clopin et Clopant. »
- « Même si l’un de nous deux risque de clopiner plus longtemps que l’autre ? » demandais-je, taquine.
- « Je pourrai te laisser tomber ici-même et te regarder ramper jusqu’à ton bain tu sais ! » répondit-il en riant, bon joueur.
- « Un joli cœur comme toi ne ferait jamais ça ! »
Ces plaisanteries nous amenèrent jusqu’au bain dans lequel Gianni, toujours plein de sollicitude, m’aida à entrer. Lorsque mon premier pied entra au contact de l’eau, je constatais que la femme de chambre avait une définition bien à elle de la tiédeur, mais, étant habitué à me laver dans les cours d’eau de la jungle et à barboter dans les océans, je n’allais pas faire la fine bouche pour un bain à peine chaud. Le contact de l’eau sur mes blessures me piqua de manière désagréable quand je m’assis dans le baquet mais après une ou deux minutes, je n’y fis plus attention. Tirant une chaise à lui et congédiant sa domestique, Gianni vient s'asseoir derrière moi et, pendant que je faisais trempette, il me frotta le dos, défit ma natte et m’aida à me laver les cheveux. Je posais mes bras sur les bords de la baignoire, inclinais la tête et fermais les yeux. Alors que je me détendais, Gianni resta près de moi, au cas où j’aurais besoin de quelque chose. Quand enfin je me décidais à sortir du bain, il m’aida à me sécher les cheveux et le corps, tapotant avec précaution les abords de mes blessures avec une lourde serviette épaisse. Négligeant de me vêtir, je retournais m’étendre sur le lit, ma crinière encore humide formant une auréole autour de ma tête.
« Viens t’allonger à côté de moi » dis-je. Gianni obéit immédiatement, disposant les oreillers adossés à la tête de lit de manière plus confortable. Installé sur le flanc, il me regarda en silence, scrutant mes traits et plongeant son regard dans le miens tout en laissant sa main caresser mes hanches.
- « À qui appartient ce bijou qu’on t’a rapporté et que tu t’es empressée de remettre ? » demanda-t-il entre deux caresses d’un ton sérieux
- « Oh ça, c’est simplement la première chose que je me suis acheté lorsque je suis arrivée sur le continent » répondis-je en espérant qu’il goberait ce mensonge.
Je lui souris et il se pencha vers mon visage, avec lenteur. Il effleura ma bouche de ses lèvres douces et légères et je m'appuyais de tout mon poids contre la pression de ses mains pour me rapprocher de lui. Il eut un rire de gorge et m'embrassa enfin pour de vrai. Avec mon flanc bandé et douloureux entre nous deux, notre langage corporel ne put s'exprimer que par nos bouches et nos mains.
À l’approche du soir, mon amant dû prendre congé pour s’occuper de quelques affaires importantes dont seuls les membres de la noblesse semblent voir l’intérêt. J’avais somnolé une bonne partie de l’après-midi tandis que le beau noble me veillait, laissant ses doigts délicats courir le long de mes bras et de mon ventre et je me sentais en plutôt bonne forme. Profitant d’être enfin seule, je me levais et me dirigeais vers la grande fenêtre faisant face à mon lit afin de profiter des dernières lueurs du jour. Les yeux perdus dans le lointain, je laissais mes pensées vagabonder tandis que l’astre lumineux venait embrasser l’océan. C'était étrange, mais quand le coucher de soleil incendiait d'un même feu ciel et terre, je réussissais enfin à ne penser à rien et à laisser mon esprit se perdre. La seule chose que j’entendais était ce murmure qui me venait du fond de l'âme, comme un chuchotement dans une langue ancienne que j’aurais oubliée.
Il me fallut encore trois journées complètes avant que Gianni et son entêté de médecin ne m'autorisent à sortir du palais. J’avais maintenant recouvré largement assez de force pour vaquer à mes occupations seule, bien que la fatigue me gagnait rapidement à chaque fois. Pourtant, j’avais déjà assez perdu de temps et il me fallait reprendre en main les préparatifs de l’attaque contre les nobles de Myrmidens. Le bon sens me disait de commencer par établir le contact avec Lars et ses hommes afin de savoir où ils en étaient de leurs recherches dans les souterrains et s’ils avaient des nouvelles d’Alessandra. Un messager avait glissé à Ernest le message suivant : "La fleur des pavés se cueille là où coule l'eau" ce qui signifiait clairement que l’impérial souhaitait me voir rapidement. Pourtant, c’est vers l’équipage de l’Aslevial que j’avais choisi d’orienter mes pas dans un premier temps. L’homme qui avait confié le médaillon au majordome de Gianni lui avait indiqué qu’il me fallait retourner à la Corne d’Or quand je le pourrai pour me manifester.
L’après-midi était déjà bien entamée ce jour-là lorsque je quittais enfin le palais, puis la ville haute, escortée par deux gardes que mon protecteur avait insisté pour me fournir, en direction de l’établissement que je ne connaissais que trop bien maintenant. J’eus plus d’une fois la tentation de fausser compagnie aux deux soldats, mais mon état de santé encore fragile et leur concentration intense me dissuadèrent de tenter quoi que ce soit. Pourtant, je me sentais ridicule, ainsi affublée de deux gaillards qui me flanquaient de part et d’autre. J’avais l’impression d’être une prisonnière qu’on escortait jusqu’au billot et d’attirer en plus l’attention de nombreux passants. Il nous fallut un moment pour atteindre la Corne d’Or, car je marchais lentement pour économiser mes forces et la chape de plomb qui pesait sur la ville rendait l’effort difficile.
Comme nous approchions de notre destination, je sentais un léger sentiment d’angoisse me saisir. Après tout, ce lieu où je me rendais était l’arrière base de Schloesing, là où il aimait venir en soirée et il y avait fort à parier que certains de ses sbires devaient en permanence rôder dans les parages. Pourtant, dans la moiteur de cette chaude après-midi, j’eus la surprise de trouver l’endroit presque désert. Quelques employés s’affairaient mollement pour nettoyer les dernières traces de la nuit précédente, d’autres finissaient de remettre en place des tonneaux de boissons derrière le comptoir ou d’astiquer les coupes destinées aux boissons plus raffinées. L’homme à l’entrée ne fit aucune difficulté pour nous laisser passer, j’aurais d’ailleurs juré qu’il connaissait au moins l’un de mes deux gardes car ils se saluèrent avec une familiarité un peu trop franche. Il faisait à peine plus frais à l’intérieur, le lieu étant assez mal ventilé et cela rendait l’atmosphère encore plus étouffante. Je n’eus pas à chercher longtemps le contact envoyé par le capitaine Syrasse, en parcourant la large pièce du regard, j’avisais un homme à l’allure taciturne assis dans un coin reculé, sur une place stratégique, le dos collé à un mur et le buste orienté vers la porte d’entrée. Malgré mon grand manteau et ma capuche rabattue sur mon visage, il m’avait lui aussi reconnu et c’est avec un sourire sincère que j’avançais dans sa direction. Jens Dresner était l’un des plus anciens membres de l’équipage et un des hommes de confiance de Syrasse. D’un naturel assez discret, cet impérial d’origine était pourtant assez imposant et sa longue barbe noire ainsi que la masse hirsute de cheveux qu’il ne prenait pas la peine d’entretenir le rendaient parfois assez effrayant.
- « Enfin te voilà ! » dit-il en se levant et en ouvrant largement ses bras immenses pour m'accueillir.
- « Jens ! C’est bon de te revoir » répondis-je en me lovant contre sa poitrine.
- « Et eux ? Ils sont avec toi ? » demanda-t-il en désignant d’un signe de la tête les deux gardes qui attendaient à distance raisonnable.
- « Disons qu’on me les a imposés… D’ailleurs, tant que j’y pense, dans cette cité, on me connaît sous le nom de Léna, alors pas de conneries. »
- « Dans quoi t’as encore fourré ta jolie frimousse… » dit-il avec un sourire canaille.
- « Parfois je me le demande ! » répondis-je en haussant les épaules.
Contrairement à ce que je craignais, mes deux gardiens ne firent pas de réelles difficultés pour me laisser partir seule avec Jens. Après avoir partagé deux tournées avec eux, le forban déposa une petite bourse sur la table et leur indiqua que nous allions devoir prendre congé quelques heures et qu’en attendant, ils pouvaient boire à notre santé. Je quittais la Corne d’Or sur les talons du marin et je m’aperçus que l’après-midi touchait déjà à sa fin. Nous fîmes plusieurs détours afin de semer d’éventuels suiveurs, la prudence était de mise au vu de la poudrière qu’était devenue la cité portuaire depuis plusieurs semaines et finalement, nous prîmes la décision de nous arrêter manger un morceau dans une taverne plutôt bon marché juste à côté des lourdes portes permettant de quitter la ville. Alors que nous nous restaurions, je contemplais les badauds venus vendre des marchandises durant la journée et qui faisaient la queue pour sortir de l’enceinte de la cité et rentrer dans leur campagne. Notre repas achevé, nous nous mêlâmes à la foule et en une petite demi-heure, je me retrouvais hors des murs de Myrmidens. Cela me fit une sensation bizarre, comme si je venais de sortir la tête de l’eau. Enfin, je retrouvais les grands espaces, le calme et les odeurs de la nature et je me rendis compte que durant ces dernières semaines, tout cela m’avait manqué sans que je ne m’en aperçoive réellement. J’inspirais à plein poumon l’air frais du soir et laissais ma main flotter sur les hautes herbes bordant le chemin sur lequel je m’étais engagé à la suite de mon guide.
Ce dernier m’avait prévenu que nous allions avoir une marche plutôt longue à effectuer, c’est d’ailleurs pour cela, et au vu de mon état de forme, qu’il avait souhaité que nous nous restaurions avant d’entamer notre périple. Après avoir suivi la grande route un très court moment, il en était sorti pour rejoindre une piste qui disparaissait sous le couvert des feuillages. À mesure que le chemin montait, les arbres devenaient de plus en plus rares car dans ce sol rocailleux, ancrer leurs racines tenait de l’exploit. La pente devint bientôt plus raide et un sol rocheux succéda à la terre meuble. Les arbres, effectivement moins luxuriants, offraient une vue plus dégagée sur les alentours. Le sentier serpentait sur un terrain accidenté et traversait parfois de petits ravins jonchés de feuilles mortes qui crissaient sous nos pieds. Les pins et les épicéas disparurent, remplacés par des bouleaux dont les branches, moins serrées, laissaient filtrer la lumière du soleil couchant en une myriade de petites lucioles qui dansaient sur les pierres. Avec leurs troncs blancs constellés de points noirs, on aurait cru que des centaines d’yeux nous observaient sournoisement. N’étaient les craquements de quelques branches et le bruit régulier de notre respiration concentrée sur l’effort, un silence rassurant nous enveloppait.
Alors que nous étions en train de traverser un nouveau bosquet, un bruit familier se porta à mes oreilles. J’entendais le bruit de l’océan, libre, entier, pas le son altérer des vagues venant doucement clapoter contre le quai d’un port, derrière les grandes digues protégeant les lieux mais bel et bien le vrombissement des flots sauvages venant du large pour s'échouer inexorablement sur une plage et s’écraser avec violence contre les falaises, le son de la liberté. Je hâtais le pas, dépassant pour la première fois Jens qui sourit, comprenant sans doute en tant que marin qui avait déjà dû relâcher durant de longues périodes loin des flots, ce que je ressentais. Lorsque je débouchais du petit bois, j’arrivais sur le rebord d’un à-pic rocheux que longeait la piste. En contrebas, je vis une petite crique, à peine assez grande pour qu’un navire puisse y mouiller, et en son centre, l’Aslevial. Toujours aussi superbe, le navire se découpait dans le clair de lune, sa coque oscillant doucement au gré des vagues, ses voiles solidement repliées et attachées aux verges, ses écoutilles fermées et scellées pour protéger les pièces d’artillerie des embruns. Cette vision associée au bruit de la mer et à l’odeur iodée du large m’emplit d’un bonheur que je n’avais plus ressenti depuis trop longtemps. Un ciel immense déployait ses champs d’étoiles au-dessus de ma tête et un quartier de lune se mussait avec indolence dans une écharpe nuageuse. Peut-être parce que j’avais failli mourir, je percevais ce monde qui m’entourait avec une acuité fabuleuse et j’abandonnais toute raison pour me plonger dans la sensation pure.
La vigie de l’Aslevial avait déjà dû nous repérer, car alors que nous entreprenions la périlleuse descente menant à la crique, une chaloupe fut mise à la mer et commença à avancer en direction de la petite plage de galets. Portée par l'excitation, je descendais rapidement le petit éboulis rocheux lorsqu’une pierre se déroba sous mon pied et manqua de m’envoyer rouler dix mètres plus bas, me rappelant de manière bien peu subtile à l’ordre. Finalement, après plusieurs longues minutes d’une escalade rendue compliquée par mon état de santé et la fatigue de la marche, j’arrivais enfin sur la grève et, Jens sur les talons, filais vers l’embarcation qui nous attendait. Parmi les six membres d’équipage, je reconnus Sven, Anton, Telaru et Slavio mais les deux autres m’étaient inconnus, sûrement des recrues récentes. Après des embrassades chaleureuses, nous embarquâmes tous et les marins entreprirent de nous arracher aux vagues qui semblaient décider à nous repousser sur la berge inlassablement. En quelques vigoureux coups de rames, nous parvînmes à l’échelle de corde donnant accès au pont de l’Aslevial. Moi qui étais d’ordinaire un véritable singe, toujours parmi les plus agiles des marins à me faufiler dans les gréements, j’éprouvais le plus grand mal cette nuit-là à me hisser à bord du navire, l’escalade de l’échelle de corde faisant jouer mes abdominaux et tirant de manière très peu agréable sur la plaie encore fraîche de ma hanche. Après une longue ascension et de multiples précautions, je sautais finalement le bastingage et atterris sur le plancher de bois épais du vaisseau.
J’avais à peine finis de me redresser qu’un éclair roux fendit l’air et se jeta dans mes bras, me tirant un cri de douleur autant que de surprise.
- « Nola !! » s’écria Kidd et jetant ses bras autour de mon cou « je pars quelques jours et tu t’arranges pour encore finir en lambeaux » poursuivit-il en riant. Le mousse avait l’air en bonne forme et j’aurais juré qu’il avait encore grandi depuis la dernière fois.
- « T’as l’air en forme Kidd » lui lançais-je en ébouriffant ses cheveux roux.
- « Enfin l’Aslevial retrouve sa sirène » dit une voix calme et profonde dans la pénombre « tu nous as manqué Nola, le navire lui-même semblait te réclamer » continua le capitaine Thorne Syrasse en s’avançant dans la lumière tamisée des lampes allumées sur le pont.
Il m'étreignit à son tour, avec plus de retenue que Kidd mais une émotion encore plus importante. Je passais ensuite un long moment à échanger des salutations, des bourrades et des tapes dans le dos avec tous ces marins que je côtoyais depuis des mois, me rendant compte à quel point ils m’avaient manqué, autant que l’océan, sans que je ne m’en aperçoive.
Après m’avoir laissé profiter de ces retrouvailles, le capitaine Syrasse me fit signe de le suivre et je lui emboîtais le pas avec ses quelques hommes de confiance habituels. Je retrouvais avec plaisir la grande cabine de mon protecteur, toujours encombrée de tas de cartes et de documents en tout genre, un vrai bazar organisé dont seul le maître des lieux pouvait comprendre la logique. L’ensemble de notre petite assemblée s’installa en demi-cercle autour du gros bureau surchargé de Syrasse. Il y avait là Saleh, le maître des cartes, Hertzog, le chirurgien impérial taiseux et aussi aimable qu’une porte de prison, le vieux Gindast en sa qualité de vétéran du navire et de représentant de l’équipage, Jens, le bras droit du capitaine et moi-même.
Comme tous les regards étaient braqués sur moi, j’entrepris de raconter mon périple depuis notre séparation après le pillage de Matorca. J’omis volontairement certains détails comme l’étrange rencontre avec les créatures chamanique dans la forêt et je ne m’étendais pas non plus sur notre séjour chez le Duc d’Ambrandt. J’espérais d’ailleurs que Kidd n’avait pas été trop bavard de son côté mais je ne voyais pas l'intérêt de détailler ces événements. Ensuite, vint le moment où je dus expliquer pourquoi j’avais fait revenir l’Aslevial vers les principautés frontalières et surtout aussi proche de Myrmidens. Chacun des hommes autour de la table écouta mon plan, ou plutôt mon ébauche de plan, avec attention. Quand j’eus terminé, le vieux Gindast déclara :
- « Ils volent les pauvres sous couvert de la loi, alors que nous volons les riches sous la seule protection de notre courage. »
- « Cette opération, aussi lucrative qu’elle puisse être, présente de sacré risque Nola » tempéra pour sa part le capitaine.
- « La surprise et la vitesse d'exécution nous protégerons capitaine » dis-je avec passion « nous serons entrés et sortis avant même qu’ils n’aient compris ce qu’il se passe ! »
Pendant que le débat embrasait le petit groupe, je laissais mon esprit se perdre dans d’autres réflexions. J’eus une pensée pour mes deux gardes qui devait se trouver bien embêtés à cette heure tardive de rentrer chez Gianni sans moi, pour Alessandra dont j'espérais que la captivité se déroulait à peu près confortablement et pour Lars qu’il fallait que je m’empresse d’aller voir dès demain. Charmant programme pour une convalescente…
Modifié en dernier par Nola Al'Nysa le 04 avr. 2024, 11:47, modifié 1 fois.
La vie est un chemin qui se parcourt dans un seul sens. On peut choisir sa destination, réfléchir quand on arrive à une intersection, ralentir, accélérer, décider de ne plus refaire les mêmes erreurs, mais on ne revient jamais en arrière.
Nola Al’Nysa, Voie du Forban
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