Le clodo puant avait grimacé à la mention d'aller rencontrer le "Duc de Reissen". Bien que lui même le connaisse sûrement plutôt sous le nom du "Comte de Bundhofstadt", il avait compris.... et préféra sans doute ne retenir que la suite du discours de Lucrétia:
-Oui oui, oh oui, je vais te montrer! Viens , viens, c'est la bonne heure, allons y, c'est l'heure de Djaf!
Gageons que Lucrétia suivit.
Saard connaissait manifestement des chemins de traverse pour éviter la garde et le couvre-feux, et bientôt le groupe atteint des quartiers misérables et nauséabonds, où la soldatesque n'irait sans doute jamais en cette heure... Le "goupe", oui, car Otto - bien que peu enthousiaste - et Feuer - nettement plus débonnaire - avaient suivis. le chien était resté au hangar.
Ici, il n'y avait plus que lépreux aux cloches tintinnabulantes, volets fermés et décrépis, saleté et puanteur partout.
-Savez vous que les gens d'ici utilisent les cadavres des fosses pour engraisser leurs riches terres fertiles du Sud-Est? gazouilla Feuer sur le ton de l'anecdote: C'est qu'il en faut, de l'engrais, pour nourrir toute les principautés... miam!
-Tagueule tagueule! gronda Saard, qui caracolait, voûté, au devant: les cadavres c'est fait pour être ranimé, pas pour faire des légumes pourris!
Le puant clochard mena le groupe près d'un grand trou rempli de près de cinquante corps, en divers état de décomposition. L'on voyait d'ailleurs bien en effet que la fosse était régulièrement travaillée, pour écarter les corps trop frais, pour prélever ceux qui étaient corrompus à souhait... De fait, en faisait-on de "l'engrais"?...
Trop incommodé, Von Fhur s'arrêta au bord du trou, mais Feuer suivit, se couvrant le visage d'un mouchoir.
Saard se roula dans les corps putréfiés avec joie, se maculant de miasmes et de sang mort.
-C'était bien la peine de le laver et de l'habiller de vêtures neuves, plaisanta Feuer sous son foulard.
Le dément dégueulasse commença à incanter... et rien ne se passa.
-Raaa! 'tendez tendez! C'est juste que Djaf a pas encore le regard sur nous! Il recommença... et cette fois 7 corps zombis se levèrent du charnier en meuglant, bras ballants...
-Voilà!!
Saard se concentra en les regardant, grimaça, puis alla se cacher derrière Lucrétia et Feuer.
-Bon, là, j'arrive pas à les contrôler, maintenant faut se carapater!
Feuer regarda les zombis qui arrivaient lentement vers eux, bras décomposés en avant, en geignant dans le silence. Puis il se tourna vers Lucrétia:
-Voulez vous que les brûle?
La lahmiane percevait - sans les percevoir - d'indicibles présences, qui s'étaient possiblement approchées de leur fosse commune... Quelques choses les observaient?
Trois jours après. Hangar. La nuit.
Diaz Hyando, la "jeune" haute elfe était donc revenue... et fut bien heureuse d'être accueillie à bras ouvert par la lahmiane - qu'elle ignorait être lahmiane, et, avec Saard, c'était bien la seule du petit groupe... Même le chien le savait, peut-être, à voir comme il grognait contre Lucrétia de façon récurrente... Dans les jours qui suivirent, l'influence experte de Diaz, encore meilleure dresseuse qu'Otto, eut toutefois l'heur de calmer le molosse à ce sujet. Très vite, il gambada joyeusement autour de l'elfette...
Tout comme Otto?... "Gambader", ce n'était pas le mot, pour le raide chevalier... Disons que ce fut plutôt Diaz qui "gambada" autour de lui, dans un premier temps, toute émoustillée de ce robuste nordique aux manières courtoises... et le Chevalier, bien que feignant d'y résister, eût égard à ses sentiments pour Lucrétia, n'allait peut-être pas tarder à succomber pour autant?... Une idylle avec cette elfe si simple, aux vrais talents guerriers, ne le séduirait-elle pas plus, finalement, que sa relation intense, mais si complexe, avec sa "maîtresse"?
en tout cas, ils devinrent vire d’inséparables compagnons d'entrainement à l'épée, rivalisant de tailles et d'estocs...
A la question de Lucrétia, Diaz ne put hélas guère répondre:
-Hem... Non pas, j'en suis navrée, Lucrétia, je ne sais. Nul ne m'en a jamais parlé. Bien que je sois presque devenue des leurs, les Asrais ne me mettent sûrement pas au fait de tous leurs secrets... Un sylvain nécromancien? voilà qui est singulier...
Maintenant. Un soir brumeux et frais. Quartiers des Maraudeurs de Bundohfstadt.
Dans les ruelles crasseuses, une bande de reîtres vêtus de gris, les Maraudeurs, chefs de ce quartier, avait repéré et reconnu le groupe de Lucrétia, et l'avait suivi de loin en loin... Leur "officier", le même encapuchonné que la dernière fois, les avait rejoint juste avant que la lahmiane et les siens ne rentrent dans la taverne miteuse et malodorante... ceci étant, elle sentait presque bon en comparaison de Saard.
Le psychopathe puant était en effet venu, bon gré mal gré, car ni Otto ni Diaz ni Feuer n'avait voulu rester au hangar avec lui... Diaz avait toujours le molosse qui lui traînait dans les basques, le caressant régulièrement, et l'ayant renommé: "Män" , ce qui signifiait "Bon", en elfique... "Män Män", lui disait-elle souvent pour le calmer, ce qui avait l'heur d'attendrir Otto.
A la suite de Lucrétia et de ses compagnons, le chef maraudeur était entré avec ses gars, se postant au comptoir, et dans ce coin de la taverne agitée, il y eut comme un froid... mais dans le reste de la grande salle commune, ça continuait de rire, jouer, boire, vomir, fumer, baiser -si si, dans des coins...
L'on ne reconnu point vraiment Lucrétia, bien que certains, sans vergognes, sifflèrent sa beauté avec gaillardise, sous les regards courroucés de Von Fhur.
Repérer l'elfe qu'elle recherchait ne fut pas bien difficile pour Lucrétia... sans même essayer d'user de son inexistante perception de la magie... Si doute elle eut, Feuer, bien plus expert en ce domaine, acquiesça de toute façon en regardant le même individu.
-Puissant, ajouta t-il à voix basse... très.
L'elfe était assis seul dans les fumées épaisse de sa pipe, regardant le néant.. ou alors vous?
Tout paraissait gris autour de lui. Une illusion d'optique dû aux fumées de sa pipe?
Même pour un elfe, il ne paraissait pas très jeune... Émacié, mas pas aussi "vieux" que Iaurrandya, mais quand même, il n'avait plus la juvénilité des Asrais communs... Ses vêtements étaient masqués par une ample pèlerine grise, et il manipulait distraitement un collier de perles noires près d'un verre de mauvais vin.
Pas un mot lorsque Lucrétia s'assit à sa table. Pas une expression. Il ne la regarda même pas... et si elle ne dit rien, un étrange silence allait sans doute s'instaurer...