- Marie José Thériault
Le nord. Son allié, le froid mordant. Ensemble, ils gèlent la terre et les cœurs. Heureusement, les Druchii n’ont jamais réellement affectionné l’amour. Pour se protéger, ils enferment leur coeur et bien plus encore dans une prison d’acier noir. Leurs forteresses le reflètent si bien. Une d’entre-elle est si bien connue, Ghrond, la Tour du Nord. Aussi décadente que richissime, aussi assaillie que convoitée, la place forte se dresse fièrement contre les horreurs du nord. Surveillé par la mère même du Roi-Sorcier, le bastion est le symbole parfait de ce qu’est les Elfes Noirs. Tous ? Non, une d’entre elles, piégée dans ces sombres murs, n’aspire pas à cette vie.
Dans les bas-fond de la ville, où se terrent les marchands d’esclaves et les mercenaires, une ruelle presque oubliée même par le temps se démarque. Tel un morceau de charbon dans un océan de diamants, ses impuretés, sa crasse, son architecture archaïque n’attirent que les fins connaisseurs.

C’est cachée derrière cet océan d’oubli que Ciriloth Nixsurge passe une bonne partie de son temps libre. La chance lui sourit, après tout, bien peu peuvent se permettre d’avoir leur propre antre secrète, qu’importe le délabrement de celle-ci. Loin du luxe réservé aux sorcières, elle profite de sa soirée pour tenter d'accomplir un rituel.
Au sol, assise en tailleur, elle relit un passage du grimoire maléfique qu’elle a autrefois dérobé. Un ouvrage interdit même chez les Druchii, car il contient des connaissances que même eux jugent comme trop… dangereuses. Un signe de faiblesse, assurément. Le jeune elfe n’est pas sujette à cela n’est-ce pas ?
Non, elle désire faire partie de quelque chose de bien plus grandiose que les sauteries de ses congénères. Dans le livre, annoté par un inconnu, elle trouve une page bien troublante. Elle est vide, dénuée d’encre, dénuée de savoir. Cependant, comme par réflexe, elle se concentre et attire les vents vers elle. Contrairement à son enseignement, cette fois-ci, elle se moque de la précision. Sans considération ésotérique, elle puise dans l’énergie environnante telle un esclave assoiffé, plus, toujours plus. Ses mains commencent à trembler et son souffle s’accélère. La peur ? Ou est-ce l’excitation ? Sa vue se trouble un court instant, brouillant même ce qui se trouve devant ses propres yeux. Enfin, l’ouvrage maudit s’illumine, et révèle son secret.
Les deux faces sont désormais, véritables. Sur le côté sénestre, un monstre, à l’apparence humanoïde, se dessine. Sans yeux, des mains aussi griffues que les pattes d’une harpie, il semble être ancré dans le sol. Son visage, lisse comme une dune, ne montre qu’une horrible bouche digne d’un molosse. À sa droite, sur l’autre feuille de peau humaine, est inscrite une espèce… d’incantation ? De rituel ? Impossible à dire. Pourtant, elle a étudié la magie noire ! Mais le chaos, lui, s’en moque éperdument. Cruellement même. Elle a temps sacrifié, tant perdu, pour au final, rien ! Une bouffée de chaleur vient rougir le visage de la chaotique.
Soudain, le livre se met lui aussi à trembler, les ombres de la pièce s’élèvent du sol et se rejoignent comme des fils tressés. Ils se superposent, se tordent, se mélangent sans réelle coordination. La masse informe de ténèbres, ressemble désormais à de la boue. Cette mélasse noiratre, d’un coup, s’élève, et une main jaillit ! Déchirant sa couverture, une autre vient la rejoindre, écartant encore plus le cocon. S’extirpant péniblement, tel un nouveau-né, un humain ? Non, aucun homme, pas même le plus exotique esclave, ne ressemble à ça.
L’horreur penche sa tête sans bouger ses épaules, créant mille craquements dans l’air. Désormais debout, au-dessus du précieux bien, même sans avoir de regard, le sien est plongé sur la tatouée.
«Bonjour»
Sa voix est douce, amicale et simplissime, contrastant avec son apparence damnée.
«Le livre, tu l’as ouvert, tu m’as appelé, mais je ne te reconnais pas. »
Il commence à rigoler audiblement, son rire éclate le silence autrefois d’or.
«Ils ne me croiront jamais tu sais ? Qu’une elfe… pardon, une elfe noire me contacte…
Tu ne sais même pas qui je suis, n’est-ce pas ? Ce n’est pas grave, je ne te connais pas non plus à prêt tout. Seulement, je ressens une chose différente avec toi, ton âme…
Elle est si… lointaine, et pourtant, si familière. Tu n’es pas ce que tu montres, hein ? Un point commun entre nous deux hehe. Je ressens tant de chose en toi, de la haine, oh oui, beaucoup même. Mais aussi du désir, de l’ambition, de l'égoïsme.
Tant de qualités, nous sommes faits pour nous entendre, ah. Pour l’instant, appelle moi corbeau, oui, j’aime ce nom, corbeau.
Je ne vais pas tourner autour de toi, nous avons un maître en commun, l’autel derrière toi parle à ta place pas vrai ?
Mon maître se moque des offrandes, il veut bien plus de personnes de talent. Il veut tant… tant…
Mais tu n’as pas confiance en moi, un autre point commun alors. Écoute-moi, esclave des ténèbres, car je ne me répète pas. Si tu désires briser tes chaînes, il te faut bien plus que du pouvoir. Il te faut des alliés, qui partagent ton secret, mais jamais ton pouvoir. Je crois que les marchands appellent cela… des partenaires…
Tu n’en trouveras presque aucun ici, même si j’ignore où tu te trouves.
Je t’offre une chance de t’élever, d’apprendre, de détruire et ruiner. En échange de ces services, je ne te demande qu’une seule unique singulière chose.
Ton aide.
Mais ici, elle ne m’est d’aucune utilité. Et elle ne le sera pas pour le Dieu du Destin.
Qu'es-tu prête à sacrifier, en échange de la vraie puissance, sorcière ?»
Sa main se tend, son composé se mouvant en lui-même. Sa paume, dirigée vers le plafond, ses doigts griffus, écartés. Pour la première fois, Ciriloth perçoit un sourire, malicieux, certes, mais un sourire quand même.
Elle ressent que l'entité ne parvient pas à se dépalcer plus que cela, comme si quelque chose le... bloquait sur place ? Mais quoi donc...
Une offre endiablée par un être aussi, si ce n’est plus, damné qu’elle. Une soirée pour le moins mouvementée, pour une sorcière. Une sorcière libre du choix, libre de ses mots, libre de choisir sa destinée !