« Bien sûr-sûr, chef-gouverneur, bien sûr…
Ce n’est pas comme s’il ne te restait que-que quelques jours…
Allons. Je saurai bien comment te retrouver-revoir. »
Et ceci étant dit, le voilà qui partit ouvrir la petite porte, et la refermer poliment derrière, comme un être fort poli.
Sigrid ne perdit pas une seconde. Elle dégaina son pistolet, leva la main, souffla un mot en magikane, et ainsi, elle verrouilla magiquement la porte.
« Putains d’incompétents !
Tu as raison — ce putain de rat a peut-être des mouchards dans les égouts. J’ai entendu des rumeurs sur ces saloperies-là, on ne peut jamais être trop prudent.
Prépare le Cauchemar, je vais faire le tour de nos troupes et m’assurer que ce genre de connerie ne se reproduise jamais ! »
La petite sorcière quitta la pièce illico, et laissa Reinhard seul, tandis que le Coësre pouvait entendre des beuglements et des ordres vociférés étouffés par les murs et les tunnels.
Elle revint beaucoup plus tard. Elle avait laissé le Coësre plus d’une demi-heure tout seul. La petite sorcière avait changé d’aspect : son pantalon était humide jusqu’à ses genoux, elle avait un peu de flotte boueuse et noire sur son visage, et elle sentait fort l’ammoniac — une odeur de poudre à canon, comme si elle avait fait l’usage d’une arme à feu.
Elle étouffa dans l’œuf toutes questions de son patron, puisqu’elle fit un rapport immédiatement :
« Tu as un nouveau chef de la sécurité. »
Elle dégaina son pistolet et le posa sur une table.
« On a poursuivi Thanquol. Il était accompagné de Skavens, tout blancs comme lui. On a essayé de le traquer à travers les égouts, pour voir quels passages secrets il a pu emprunter.
Malheureusement, ce sale enfoiré était malin. Il nous a laissé des pièges explosifs derrière lui — il n’avait vraiment pas envie qu’on le traque. Le temps qu’on les désamorce pour pas tous sauter, il s’était déjà volatilisé, sans laisser une trace derrière lui.
J’ai demandé à ton ex-chef de la sécurité d’aller nager dans le canal pour les poursuivre. Il a eu des états d’âmes et m’a dit que c’était impossible pour un être humain de nager à travers de la merde sur des lieues sans mourir.
Alors je lui ai placé une balise dans la bouche, je l’ai tué d’une balle, et je l’ai jeté dedans. Le courant devrait l’amener chez Thanquol. »
Elle avait un petit sourire rempli de fierté en annonçant ça. Comme une petite fille ravie de dire qu’elle avait bien travaillé à l’école à son père.
« Le nouveau type chargé de ta sécurité, c’est le bon chevalier de l’ordre des Éperons Ensanglantés — Wilhelm Werner zu Holswig-Nikse. Il est très récent dans la secte alors certains ne lui font pas confiance, mais c’est un excellent guerrier et un vrai vétéran. Il va un peu modifier l’ordre de tes gardes du corps et remplacer les vieux cultistes un peu décrépis par des militaires des Troupes d’État convertis.
C’est une honte. Je te demande pardon, Grand Coësre. Je sais que tu avais la situation en main face à ce rat, mais tu n’aurais jamais dû être laissé seul ainsi.
Maintenant, allons voir comment gérer un putain de dragon. »
Elle ouvrit un tiroir, et attrapa les tubes à essais remplis de drogues et la poudre hallucinogène.
Et ensemble, mentor et apprentie se rejoignaient, pour pénétrer dans le Cauchemar.
Depuis l’instant où Maximale Leistung avait été élu prévôt des marchands de la cité de Nuln, la secte de Nurgle s’était activée à travailler dans l’ombre à un grand plan. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Reinhard Faul en tant qu’homme politique, mais pas qu’il était inactif dans son mandat ; Plus de deux ans avaient été dédiés au recrutement de fidèles, qui, sommes toutes, avaient les mêmes besoins que des fidèles de Sigmar ou Ulric. Un croyant, ça a besoin de se réunir avec d’autres croyants, d’écouter la bonne parole, de faire des petites fêtes, de porter des insignes religieux, et de dresser des temples consacrés. Et comme toutes les religions, un Dieu n’est jamais aussi puissant que le nombre et la qualité de personnes prêts à l’honorer…
Dans les royaumes du Chaos, Reinhard commençait à compter. Il faisait partie des plus grands séides du Pôle Nord, et il était parvenu, non sans souffrance, à utiliser les sacrifices et la force d’âme des corrompus de Nuln (Et d’au-delà, tant son épidémie se propageait), pour se tailler rien qu’à lui un morceau des frontières à jamais changeantes de l’Immatériel. Un petit bout d’un lieu fait uniquement par la magie lui appartenait, et il ne revenait qu’à lui de servir d’architecte et urbaniste. Ainsi, il avait créé une Nuln à son image, peuplée d’une flore, d’une faune, et d’habitants qu’il avait décidés.
Parmi eux, il y avait sa première victime. Karl, le bébé, était bien là, enterré sous la pierre d’un immense beffroi municipal Nurglite. L’énergie d’un pauvre chérubin perdu dans les limbes pour l’éternité servait à illuminer de mille feux cette belle structure. La petite sœur d’Irmfried, la pauvre prêtresse, était là elle aussi ; suspendue sur un tréteau devant un champ, elle servait d’épouvantail. Elle ne cessait de pleurer, comme sa déesse l’avait commandé, mais là où autrefois ses larmes servaient à faire souffrir Reinhard, aujourd’hui, c’était de la merde qui coulait de ses yeux, et qui servait à fertiliser la terre sous ses pieds afin de faire pousser de magnifiques céréales qui promettaient des banquets copieux.
Ce cauchemar horrifique, de plus en plus de Nulner tombaient dedans chaque soir. Les sorciers qui surveillaient les trames des vents étaient les victimes les plus probables, mais également celles les mieux armées pour y résister : les astromanciens errant trop proche ne tombaient jamais dans les pièges préparés par le Coësre. On ne pouvait pas en dire autant des malades, des lépreux, des désespérés et des âmes tristes qui elles pouvaient halluciner de ces lieux. Souvent, ils se réveillaient vite, en ne pensant n’avoir fait qu’un mauvais rêve. Mais s’il suffisait qu’un centième de Nuln fasse ce cauchemar, et qu’un seul centième de ce centième soit profondément marqué, cela représentait déjà un peu moins d’une dizaine de futurs cultistes potentiels à chaque nouvelle nuit.
C’est ça, la beauté de Nurgle. Il est patient. Une maladie est exponentielle. Personne ne panique quand il y a dix nouveaux malades tous les jours. Personne ne se rend compte que très vite, ces dix malades deviennent cent, puis mille, puis c’est le désastre…
En haut du beffroi, Reinhard tenait son conseil. Mais pas son conseil fait des responsables bien terrestres. Ici, pas d’Irmfried bien sérieux, ou de Heidemarie précautionneuse. Le conseil du cauchemar était constitué de quelques-uns des êtres les plus vils des royaumes de Nurgle, que le Grand Coësre invitait ponctuellement quand il avait besoin d’aide. Il savait recevoir ses voisins — il les faisait entrer dans cette grande pièce où ils pouvaient s’allonger dans des fauteuils.
Sigrid s’était installée derrière un bureau, à patienter comme une greffière.
Marteen Ruchen, en tant que sorcier, était capable de se matérialiser sans mal dans le rêve. Il était là, en train de grignoter des petits asticots qui grouillaient dans un bol comme un apéritif. Ruchen était devenu beaucoup plus servile et serviable que la première fois que Reinhard l’avait connu — c’était bien normal, lorsque sœur Emma avait attaqué avec ses fanatiques, l’autre magus de Nuln avait passé tout le combat à fuir, tout terrorisé qu’il était par la petite umbramancienne meurtrière de Steiner.
Le docteur Festus aussi était ici. Enfin, pas vraiment ici — aux dernières nouvelles, il était à Altdorf, occupé qu’il était à gérer sa secte. Mais il appréciait le Coësre, et était ravi d’échanger régulièrement avec lui. Même si son aide était souvent teintée de condescendance, et qu’il était persuadé que le Coësre n’était qu’un amateur à qui il pouvait tout enseigner…
Actuellement, Festus était en train de discuter gentiment avec son voisin, à lui lancer des blagues sur des Shalléennes mortes.
Le Gros Groff était un boucher de la ville de Marienburg. Un parfait amateur, il était magicien sans le savoir, et trouva le Cauchemar sans faire exprès. Lâché par sa maman sur le sol à la naissance, il en était resté un peu demeuré mental. Mais s’il avait la colère facile, il était bizarrement un bon préparateur de potions. Un allié comme un autre à avoir dans sa manche.
Tout en armure, crâne chauve, visage anéanti par des décennies de guerres, Feytor l’Impur n’aimait pas du tout les petites plaisanteries de Festus, et préférait faire la gueule sur sa chaise. Feytor, en fait, n’aimait même pas être ici ; il était un des ex-lieutenants d’Archaon, un Émissaire Noir qui avait participé au Grand Déluge qui avait failli avaler le monde. Hélas, Archaon avait échoué, Feytor perdit toutes ses faveurs et ses artefacts, et fut tué à Middenheim par un chevalier Kislévite. Son corps avait été reconstruit dans le domaine de Nurgle, et parce qu’il se drapait encore de toute sa fierté d’ancien champion élu, il avait du mal à accepter qu’il devait revenir au rang de simple courtisan suivant quelqu’un de plus puissant que lui.
Épidémius, le Grand Intendant, avait pu libérer un peu de place dans son emploi du temps. Le porte-peste était constamment occupé à devoir comptabiliser toutes les nouvelles maladies de Papy, aussi, le trouver disponible constituait une rare exception. Évidemment, c’était l’excuse qu’il donnait, parce que dans les royaumes du Chaos, il n’y a ni emploi du temps ni aucune conception des horaires. Là, Épidémius n’arrêtait pas de toucher le gras de l’épaule de Feytor, pour essayer de lui montrer une grimace afin de lui remonter le moral.
Enfin, il y avait le grand manitou. Le patron direct de Reinhard, toujours aussi beau et bien portant alors qu’il était vêtu de la peau du marin Tiléen, Vitale Candiano. Il boulottait actuellement une pomme, tout debout qu’il était, à sautiller d’un pied sur l’autre, comme s’il essayait de faire des gestes d’être humain qu’il reproduisait très mal : Furug’ath le Crade (Cela ne rimait toujours pas), Grand Immonde au servicede Nurgle !
Tout ce beau monde réunit, l’aîné des participants décida de lancer la conversation :
Furug’ath (Grandiloquent) : « Nous sommes tous réunis ici pour toi, petit asticot ! Ça faisait un petit moment ! Allez, dis tout à tes petits amis ; Comment les choses vont-elles à Nuln ? »
Épidémius (La voix enrouée et grésillante, obstruée par des mouches) : « Il y a eut une forte perturbation magique. Nous avons senti le vent de Shyish à travers ton cauchemar. Se pourrait-il qu’un thanatomancien soit à tes trousses ? »
Feytor (Avec une voix de faucet) : « Se pourrait-il que ce soit la thanatomancienne ? Celle qui a tué Tamurkhan ? »