« La paix est toujours plus profitable que la guerre. La paix ça vient avec le commerce, c’est les entrepôts remplis, c’est les impôts qui construisent des ponts et des routes au lieu de bombardes et de frégates.
Mais c’est plus profitable pour les honnêtes gens que pour les contrebandiers. »
Et elle offrit un sourire… Étrange. Surcouf était incapable de savoir si Hylke avait dit ça pour être taquine, pour le provoquer, ou pour l’insulter. Les femmes avaient ce pouvoir, les troubadours de Bretonnie en étaient certains.
« La Bretonnie est un pays si beau, et si prospère. Il pourrait être tellement plus si seulement ses aristocrates le voulaient.
À moins que ta nation n’est prospère que parce qu’elle est horrible. Savais-tu que la Bretonnie inondait tous les marchés du Vieux Monde avec de la matière agricole ? Le vin d’Aquitanie, le blé de Bastogne, la laine de Gasconnie… ils mêlent la quantité et la qualité, en si grand nombre que les paysans de l’Empire ont du mal à joindre les deux bouts — les taxes punitives décidées par Karl-Franz ne sont pas qu’une simple mesure de rétorsion, c’est aussi une mesure très populaire auprès du peuple, mais terrible pour les manufacturiers et les aristocrates.
La Bretonnie peut se permettre cette puissance, car des millions de serfs travaillent à créer du surplus d’exportation. Régulièrement, il y a des disettes dans les bourgs Bretonniens, alors que Salzenmund ou Bilbali débordent de froment.
Qu’en penses-tu, Dan ? Est-ce que tu souhaites simplement avoir ta part du gâteau, là-dedans ? Haendryk t’y encouragerais. »
Elle parlait du Dieu des affaires et du business, celui que les Bretonniens connaissaient sous le nom de Affairiche. Les rumeurs disaient aussi que Haendryk n’était pas un vrai Dieu, mais un simple déguisement endossé par son « frère », Ranald le malicieux voleur.
Haendryk ne roulait ni pour la justice, ni pour la révolte, ni pour changer le monde. Il voulait juste se faire ses dividendes. C’était un culte d’État à Marienburg, pour de très bonnes raisons.
Hylke grinça des dents. Un des coqs venait enfin de mourir, et alors les parieurs firent un vacarme assourdissant : des sifflets et des cris de joie pour les gagnants, des vociférations et des coups sur la barricade pour les perdants. Et alors les bookmakers s’agitaient dans tous les sens, tandis qu’un gros monsieur debout sur une chaise annonçait les prochains combats.
Au milieu de ce tumulte, Surcouf découvrit un visage familier.
Foucaud de Banterlu, chevalier errant. S’il y avait des chevaliers Bretonniens qui étaient des chics types, même si un peu naïfs, Foucaud n’était pas de cette trempe-là. Fils d’une famille très pauvre (Surcouf n’avait pour tout dire plus aucune idée de quel duché cette raclure venait), il avait décidé de se faire un peu de fric en servant de passeur de serfs ; il aidait des paysans à fuir et à trouver des refuges avant d’embarquer sur un navire.
La justice avait fini par le retrouver, et plutôt que de rester pour subir son jugement comme un homme, il prit la décision de cavaler à toute vitesse et de rejoindre Marienburg, comme un énième exilé comme on en trouvait partout dans cette ville.
Plein de rumeurs circulaient à son sujet, notamment que plusieurs fois, il avait empoché l’argent de serfs avant de les foutre dans une barge pourrie achetée pour une bouchée de pain, puis de l’abandonner en haute-mer. Il avait probablement tué un paquet de gens comme ça. Surcouf avait travaillé avec lui sur une affaire l’année passée ; Foucaud était resté dans ses souvenirs comme quelqu’un de sacrément désagréable, qui exigeait du respect et du « monseigneur ». Nul doute que ça aurait eu du sens en Bretonnie. Pas dans la République du Jutonesryk, où tous les privilèges avaient été abolis, et où les nobles passaient devant les mêmes tribunaux que les roturiers.
Mais Foucaud était un des lieutenants de Saint-Räzell. Une brute efficace pour la bagarre, et bizarrement maline pour connaître les bas-fonds de la ville. Il était une de ces personnes avec qui il fallait bien bosser quand on embrassait le crime.
Surcouf pouvait tenter de lui parler, à moins qu’il n’en ait aucune envie.