Fabrice sourit en regardant le ciel avant de tourner son regard vers moi pour répondre à mes questions. Il s’exprimait de manière calme et apaisante et eut tôt fait de me rassurer concernant la chasse que les hommes du San Felicia devaient avoir lancé contre les personnes ayant pillé leur navire et tué plusieurs de leurs compagnons la nuit précédente. Quand je l’interrogeais sur la nature de ses activités, il eut un petit rire avant de dire
“Je pense que l'on est tout plein de choses. Frères d'armes, esprits libres. Voleurs de pirates ? Disons que je règle quelques dettes. On ne fait pas affaire avec ce qui nous dépasse en espérant les filouter. Et le capitaine du San Felicia voulait me filouter”.
J’attendis un moment afin de lui laisser l’opportunité de continuer, mais comme le silence s'éternisait et qu’il ne semblait pas vouloir me donner plus de détails, je me relevais finalement et, montrant avec un sourire l’état de ma tenue je dis, en réponse à son regard interrogateur
“Savez-vous ou je pourrai profiter d’un peu d’intimité et de calme pour laver mes affaires ? Je pense que cela leur ferait le plus grand bien.” “Oh.. Oui, bien sûr" me répondit-il en se redressant vivement.
“Suivez-moi je vais vous montrer”. Après m’avoir fournis un gros savon de couleur verte qui me semblait être fait à base d’huile d’olive et une brosse à poils durs, il m’accompagne jusqu’à ce qui ressemblait à un lavoir abandonné. Arrivé au bord du vieux bassin de pierre, Fabrice s’arrêta puis, après avoir parcouru les environs du regard il me dit
“voilà, ici vous devriez être tranquille, il y a bien longtemps que plus personne ne vient utiliser ce point d’eau. Retrouvez-nous à la chaumière quand vous aurez fini !”.
Il avait raison, tandis qu’il s’éloignait sur le petit chemin poussiéreux qui nous avait emmené jusqu’au lavoir, je contemplais à mon tour le paysage. Ici la végétation était plus dense que sur le plateau où était installée la maison du père de Fabrice, il faisait plus frais sous les arbres proches de la source d’eau et le calme régnait. C’était une vision assez bucolique qui s’offrait à moi et je me fis la réflexion que la campagne de Sartosa était aussi calme que la ville portuaire était agitée. Sans plus de cérémonies, j’ôtais mes vêtements et les mis à tremper dans l’eau. Je les frottais ensuite énergiquement avec le gros morceau de savon pour en enlever les traces de sang séché et la transpiration qui les avaient imprégnées. Une fois cette tâche accomplie, je trouvais un gros rocher plat en plein soleil et étendis mes affaires sur la surface chaude de la pierre. Je me retournais ensuite vers le bassin pour m’y immerger à mon tour. Je ne pus retenir un petit frisson lorsque la fraîcheur de l’eau mordit ma peau mais je m'avançai néanmoins jusqu’au centre du bassin. Je passais de longues minutes à me laver méticuleusement puis, sorti de l’eau pour aller m’allonger sous un arbre dans l’herbe rase et sèche qui poussait la.
Profitant de cet instant de calme et de sérénité, j’entrepris de faire le tri dans mes pensées et d'éclaircir les éléments de la veille. Qui était ce Fabrice et quelle était la nature des échanges qu’il entretenait avec le capitaine du San Felicia avant que ce dernier ne cherche visiblement à le doubler ? Avais-je déjà entendu parler du San Felicia ? Cela ne me disait rien. De ce que j’avais pu voir la veille au soir, ces chiens de Qharis avaient réussi à revenir de ma terre natale avec leur cale remplie de trésors. Pire encore, il semblait que je n’étais pas la seule à avoir été enlevée par les envahisseurs. Les fers que j’avais vus la veille, ainsi que les armes provenant sans aucun doute de mon peuple ne laissaient malheureusement que peu de doutes sur l’identité des prisonniers qui avaient été détenus sur le navire. Toutes ces réflexions m’amenèrent à repenser à mon rêve du matin. Qu’avais-je vraiment vu durant cet épisode comateux ? Était-ce une des mères immortelles, descendantes illustres de celles qui côtoyèrent les Dieux qui s’était adressée à moi dans mon sommeil ? Et si oui, quel était le sens de son message ? Si j’écoutais mon instinct, il me semblait qu’elle avait voulu me pousser à partir à la recherche de mes sœurs réduites en esclavage pour les libérer, mais tout cela n’était-il pas finalement juste le fruit de l’imagination d’un esprit fiévreux et embrumé par la douleur et la colère ? Non.. Tout au fond de moi, je le sentais, quelque chose c’était passé et une détermination grandissante enflée dans mes entrailles, enflammant ma colère. Je devais secourir mon peuple, c’était la mission que m'avait confiée celle qui m’était apparue en songe. Depuis que j’avais été arraché à ma jungle, j'avais l'impression d'avoir été jeté dans un monde dont j’étais censé respecter des règles qu'on refusait de m'expliquer. Et bien cela allait changer et j’allais montrer à tous ces chiens que, même arrachée à sa jungle, une panthère reste une panthère.
“Je vous retrouverai mes sœurs, j’en fait le serment..” Promesse aussi vide que l’air dans lequel je la murmurait.
C’est l’esprit apaisé et le corps revigoré que je retournais à la chaumière quelques heures plus tard. Le soleil avait déjà commencé sa descente vers l’horizon et le ciel commençait à se couvrir de couleurs pourpres et dorés, “de couleurs sang et or” me dis-je pour moi-même avec ironie en pensant aux événements de la nuit passée. Lorsque j’arrivais devant l’entrée de la bâtisse, chacun vaquait encore à ses occupations, je croisais le regard de Sigmund qui me fit un sourire avant de se détourner et reporter toute son attention sur son ouvrage lorsque je ne lui rendis pas. Pablo et le vieillard étaient eux occupés à ranger des provisions qui semblaient venir du marché de la ville et ne me prêtèrent pas plus d’attention que nécessaire. Fabrice quant à lui semblait guetter mon arrivée car, à peine avais-je franchi la clôture de bois qui entourait la maison qu’il ferma le livre dans lequel il avait pourtant l’air d’être plongé et se redressa pour venir à ma rencontre
“Cela vous dit de découvrir un peu plus notre île ?” me lança-t-il
“hé bien oui, pourquoi pas..” répondis-je après une seconde d’hésitation. Ma réponse le fit sourire et, posant son livre sur un banc, il s’élança sur le petit chemin qui partait de l’autre côté de l’habitation en direction de la mer.
“Dans ce cas, suivez-moi” dit-il par-dessus son épaule, et c’est ce que je fis, non sans m’étonner un peu de l’entrain qu’il manifestait pour cette excursion.
Le chemin que nous suivions descendait en pente douce en serpentant au milieu des buissons et des fougères. Très vite, nous perdîmes de vue la chaumière tandis que nous avancions lentement en direction de l’océan. Au bout d’un moment, nous débouchâmes sur une petite plage sur laquelle un petit ponton de bois semblait servir de quai. La barque en bois qui nous avait servi pour venir y était accrochée, tanguant lentement au gré des vagues. Mais ce qui attira mon attention, était une grande épave de navire échoué sur le sable qui, au vu de l’usure avancée de sa coque devait être là depuis un long moment déjà. Suivant mon regard, Fabrice répondit à ma question muette
“Voici l'Aquilon. Le navire de mon père à l'époque. C'est avec celui-là que ses hommes ont atteint Sartosa.”
Tandis que nous avancions lentement dans le sable en direction du navire, je demandais
"D'où venaient votre père et ses hommes ? Comment ce navire s'est-il retrouvé échoué ici et pourquoi votre père se retrouve-t-il seul dans une chaumière alors qu’il avait avant un si beau navire ?”
"De Bretonnie. C'est une terre lointaine. Il a choisi de se mutiner. De vivre libre. Avec ses hommes. Ils ont écumé l'océan des années. Puis ils se sont dispersés. Et le navire a fini ses jours ici."
Nous marchâmes encore un moment avant de nous installer près du vieux vaisseau dans le sable encore tiède après une si belle journée. Un vent chaud balayait avec légèreté la plage et faisait onduler nos cheveux, c’était un lieu paisible et bien différent de ce que j’avais pu connaître depuis plusieurs mois. Tandis que j’enlevais mes bottes pour profiter de la caresse du sable sous mes pieds, Fabrice sortit de sa poche une bouteille contenant un liquide d’une jolie couleur orangée.
“Qu’est-ce que c’est ?” demandais-je avec circonspection.
“Vous-êtes bien curieuse tout d’un coup” me dit-il dans un éclat de rire, “
mais vous avez raison, avant de vous laisser repartir pour la ville et votre vie de flibustière, je pensais qu’il serait intéressant d’apprendre à plus se connaître Nola, et ce breuvage est parfait pour ce genre de moment ! C’est du rhum dans lequel nous laissons mariner des fruits pendant un hiver entier, cela donne cette belle couleur. Qu’en dites-vous ?” Et comme pour donner de la valeur à ce qu’il venait de dire, il déboucha la bouteille et un bu une grande gorgée avant de la tendre vers moi.
J’attrapais la bouteille et reniflais avec méfiance son contenu. Cela sentait en effet les fruits mais c’était tout de même l’odeur de l’alcool qui dominait. À mon tour, je portais la bouteille à mes lèvres et avalais une longue lampée. Dans un premier temps, la douceur fruitée du mélange chatouilla mes papilles puis dans un second, l’alcool réchauffa ma gorge et mon ventre de manière agréable. Il avait dit vrai, le mélange était très bon.
Nous profitâmes donc d’un magnifique coucher de soleil tout en discutant, le temps semblé s’être arrêté tandis que j’écoutais Fabrice me parler de la Bretonnie, de l’ancien monde dans sa globalité et de certaines histoires qui circulaient sur ces lieux et les créatures qu’on pouvait paraît-il y croiser. Petit à petit, la barrière entre nous s’effaça, l’aventure que nous avions traversée la nuit précédente nous avait certes rapproché, mais c’était différent de ce moment où nous étions un peu hors du temps. La bouteille de rhum était finie depuis un moment déjà quand le ciel se tapissa d’étoiles, nous étions allongés dans le sable pour contempler ce tableau magnifique.
“Je m’étonne toujours quand je me dis que ce sont les mêmes étoiles qui brillaient au-dessus de moi lorsque, il y a quelques mois, je rentrais chez moi après une longue journée de chasse dans la jungle et qui aujourd’hui me guide à travers les océans..”.
Tournant son visage vers moi, il chassa du bout des doigts une mèche sombre qui me barrait le front puis en laissant retomber sa main, caressa ma joue et frôla une veine qui commençait à palpitait follement sur mon cou.
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“Tu reverras ta terre natale un jour.. J’en suis persuadé.”
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“Que penses-tu faire avec l'or de mon peuple ? J'imagine que vous avez maintenant de grands projet Pablo, Sigmund et toi...”
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"Je me permets de garder quelques secrets. En temps voulu nous en reparlerons."
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“Je ne sais même pas si nos chemins se croiseront de nouveau un jour..”
Comme pour la première fois depuis un long moment, un silence s'était installé, il se redressa et avec un petit sourire en coin demanda
“Une baignade nocturne ? Le premier arrivé à l’eau a gagné !” et sans attendre ma réponse, il sauta sur ses jambes et entreprit d’avancer vers la mer tout en se dévêtant. Il avait pour lui l’effet de surprise, mais j’avais pour ma part déjà enlevé mes bottes et en un clin d'œil, je fus sur ses talons. Nous courûmes à travers la plage déserte pour arriver en même temps dans l’eau en riant, puis nous avançâmes vers l’océan. Arrivée au point où l'eau atteignait ma taille, j’attrapais la main de Fabrice pour qu’il se retourne et lui dit
“Je pense que je ne vais pas aller plus loin”, il se retourna dans ma direction
“j’ai, il me semble, un bon prétexte à cela je crois” ajoutais-je en désignant le bandage sur mon flanc.
“Oh oui, c’est vrai” dit-il en se rapprochant de moi sans me lâcher la main.
“D’ailleurs je ne l’ai pas examiné de la journée, laissez-moi regarder” et il continua de s’approcher jusqu’à ce que nous soyons collés l’un à l’autre. L’ambiance se chargea d’électricité, mon cœur s’emballa et je levais mon œil unique vers son visage. Il se pencha et m’embrassa, sa bouche avait le goût fruité du rhum que nous avions bu. Ses mains remontèrent le long de mon corps pour se poser sur ma poitrine tandis que nous échangions un long baiser. Puis subitement, il attrapa mes cuisses et, me tenant collé contre lui sans cesser de m’embrasser, me souleva du sol pour me ramener vers la plage. Il me déposa sur le sable humide et s’allongea sur moi, ses lèvres quittèrent les miennes pour descendre embrasser mes seins, puis mon ventre avant d’arriver entre mes cuisses. Mon corps se cambra au contact de ses lèvres à cet endroit et mes jambes se raidirent. Puis, tout comme il était descendu, il remonta pour m’embrasser à nouveau tandis qu’il entrait en moi. Il procédait en douceur, sans hésitation mais sans excès de hâte, comme s’il craignait de me blesser. D’un coup de rein, je le retournais et me retrouvai à califourchon sur lui, dans mon peuple, il était hors de question de laisser un homme nous dominer. Attrapant fermement sa gorge de l’une de mes mains, je l’enfourchais, fixant mon regard dans ses pupilles et tandis que je commençais à le chevaucher avec impétuosité, j’y vis poindre une lueur de ravissement surpris. Il n’avait jamais dû connaître cela avec les femmes fades et soumises de cet ancien monde. Avec un sourire sauvage et sans laisser son regard fuir le mien, je redoublais d’intensité, et c’est à la lumière des étoiles, avec la lune pour seul témoin que nous poursuivîmes durant de très longs instants ce moment de partage et de plaisir mutuel.