Sans surprise, voir Othon se faire réprimander par la Magister se révéla être une expérience particulièrement satisfaisante. Si le caractère assez taquin du chien lui semblait certainement amusant par moment, qu’il soit ainsi pris à son propre jeu restait tout de même très cathartique à observer. Alors que l’Agromancienne foudroyait le cabot du regard, Faust se contenta de rester à ses côtés, son embarras précédent remplacé par un certain amusement devant ce retour de bâton : ne lui restait donc plus qu’à espérer que l’animal retiendrait la leçon. S’il en était seulement capable, d’ailleurs. Othon restait une créature d’Ulgu, le vent de la tromperie et de la mascarade, alors peut-être bien que son attitude ambiguë faisait tout simplement partit de lui ; comme un trait de personnalité auquel sa nature magique le forçait à se soumettre. Plus encore, c’est dans ce genre de situation que le garçon se demandait quelles pensées habitaient l’esprit de l'invocation. Qu’est ce qu’il ressentait à l’idée d’être une création de toute pièce, fabriqué dans le seul but de servir le collège gris ? Les familiers rêvaient-ils de moutons aetheryques ? Il faudrait qu’il s’y intéresse davantage. Après tout, il n’avait pris connaissance de leur existence que plus tôt dans la journée, alors sans doute lui restait-il nombre de choses à découvrir à leur sujet. Mais pour ça, déjà fallait-il que son compagnon survive à son altercation avec la sorcière de jade...
Et étonnamment, ce fut bien le cas. Malgré la gêne occasionnée, Dorothea conserva son attitude amicale pendant toute la durée de l’entrevue. Son agacement visible ne l’empêchait pas de répondre à ses questions, ce dont Faust lui fut grandement reconnaissant. C’est sur une note assez comique que le duo rebroussa finalement chemin, Othon souhaitant, oh surprise, s’éclipser aussi vite que possible. Dans un collège rempli d’individus si étranges, c’était visiblement l’infirmière qui faisait le plus peur à l’animal.
- Merci encore, et désolé pour le dérangement.
Un sourire discret sur le visage, l’étudiant quitta rapidement la pièce, obligé de passer à nouveau par cette maudite chambre funéraire. Inutile de préciser que son air enjoué disparut aussitôt : de toutes les salles qu’il avait visitées durant les derniers jours, elle était la seule à réellement le mettre mal à l’aise. Il y avait ici une ambiance terriblement malsaine dont il n’arrivait pas à se défaire, un peu comme avec cette procession de morriens qui avaient emporté le corps de son père, lors de l’épreuve d’Hannah ; et qui ne lui faisait que regretter davantage d’avoir quitté le mage de Ghyran. Son envie de partir était telle qu’il ne prêta même pas attention au halo ténébreux qu’il entraperçut à travers les étagères. Othon l’avait prévenu qu’un certain Corneille veillait sur les lieux, sans plus de précision la nature de ce mystérieux gardien. De ce qu’il lui avait dit, ce dernier était parfaitement inoffensif, mais l’umbramancien n’avait de toute manière pas franchement envie d’éprouver la véracité d’une telle information. C’est donc sans un bruit que l’ancien noble reprit sa route, laissant le silence reprendre pleinement possession de ce morne cimetière.
Le temps s’écoulait de manière étrange au sein du collège. Cycle solaire mis à part, Faust peinait légèrement à trouver le moindre repère pouvant lui indiquer l’heure de la journée. Alors qu’il croyait n’être rentré que depuis peu, il ne fut donc pas si étonné de voir que la nuit commençait déjà à recouvrir la carcasse croulante du bâtiment. Les ombres s’infiltraient à travers les couloirs, seulement combattus par ses braseros magiques dont l’apprenti ignorait toujours le fonctionnement. La journée s’achevait, ce qu’Othon se chargea de lui faire comprendre avant de disparaître dans l’obscurité. À sa remarque, le Valdorf ne trouva rien à redire. On ne l’avait pas amené ici pour qu’il se tourne les pouces, et il en était parfaitement conscient, aussi l’avertissement sonna-t-il plus à ses oreilles comme une confirmation que comme une annonce inattendue.
Le reste de la soirée se déroula de manière admirablement calme. Subtilisant de quoi manger dans la cuisine déserte, si ce n’était pour les quelques ombres qui vaguaient à leurs occupations, il s’enferma dans sa chambre, harassé par la journée qui venait de s’écouler. Un morceau de pain entre les dents, son premier réflexe fut d’aller vérifier le contenu de son sac : et heureusement, tout était en ordre. Son grimoire, ses maigres économies, et plus important encore, son pistolet. Ce dernier lui avait été restitué sans aucun souci, ce qui amena d’ailleurs le jeune homme à se demander si Antonius ne s’était pas contenté de le copier.
Aussi dérangeant soit le sentiment d’avoir été imité, Faust devait bien avouer que cette capacité était véritablement incroyable. Un peu comme une ombre ne pouvant exister sans lumière, la propre force d’Antonius semblait entièrement dépendre de celle de son adversaire. Que ce soit face à un simple gobelin ou à un chevalier en armure, le familier serait toujours capable de faire jeu égal ! De ce qu’il avait pu en voir, il ne pouvait néanmoins pas copier ou utiliser la magie, ce qui avait permis au Reiklander de s’en sortir plutôt aisément. Mais si un tel pouvoir pouvait être reproduit via des sortilèges… combiner la capacité d’égaler n’importe qui avec la puissance versatile offerte par le domaine de l’ombre. Autant dire qu’un magister réussissant cet exploit devait être à peu près impossible à défaire en combat singulier. Intrigué par cette alternative, l’apprenti rêveur dégaina son grimoire, ainsi que ses accessoires de calligraphie, sagement entreposés dans sa sacoche. Plus qu’un banal livre d’étude, son cahier était véritablement une sorte de four tout dans lequel le magister notait chaque idée lui passant par la tête et ayant de près ou de loin un rapport avec l’Aethyr. Une jolie compilation de croquis et d’informations tout à fait bordélique (mais propre !), qui lui permettait au moins de garder une trace de ses nombreux projets. Plume dans une main, encrier non loin, il coucha son observation sur le papier, avant de renfermer soigneusement le manuel, déterminé à ce que les lettres ne bavent pas sur les pages, puis rangea de nouveau son matériel.
Son repas de fortune ingéré et ses notes terminés, le magicien se contenta d’aller directement se coucher. Cela faisait quelques semaines qu’il n’avait plus écrit dans son carnet, mais le ressortir lui fit prendre l’importance de la page qu’il venait de tourner, du chemin parcouru depuis ses premières notes, lorsqu’il tentait vainement de comprendre la nature de ses pouvoirs. Il avait passé sa première véritable journée au Collège gris, là où la veille s’était résumée à de simples présentations. Mais il ne s’en réjouissait pas particulièrement, pas plus qu’il ne s’en inquiétait.
Les choses sérieuses allaient enfin commencer. Et Faust se sentait prêt à les surmonter comme il se devait.