Le signal avait été donné deux jours plus tard : l'escadron de l'Ordre de la Couvée du Corbeau était arrivé en ville, s'était rendu aux temples de Mórr et de Sigmar, puis aux Caves avant de repartir sur le champ et de traverser le Talabec pour prendre la route de la Vieille forêt, en direction de Middenheim.
Pendant ces deux jours, Geralt fut gracieusement hébergé dans l'une des demeures cossues de Rebecca von Menzel, dans le quartier commerçant. Les nuits du Loup Blanc furent courtes, car la belle resta à ses côtés. Elle semblait s'être entichée de l'ancien Chevalier-Corbeau, qui était devenu dès lors son nouveau favoris. Elle ne le lâchait plus, faisant trembler l'appartement de deux étages de ses cris, et était encore entre ses bras lorsque que l'un de ses serviteurs vint lui annoncer le passage de la Couvée du Corbeau. C'était le moment tant attendu, et que Rebecca avait soigneusement organisé. Auprès de son père et de son personnel de maison, elle prétendit être souffrante et devoir partir pour une cure thermale à Wahnsinningen. Mais en réalité, elle quitta Talabheim accompagnée de quelques uns de ses fidèles, dont Geralt dont le visage restait dissimulé sous sa capuche enchantée. En outre, Rebecca von Menzel était suffisant influente pour que personne, au sein du guet, ne lui barre la route à elle ou à ceux qui l'accompagnaient.
C'est en compagnie du méprisant Adolf Ziegler qu'ils descendirent le Chemin du Sorcier jusqu'au Talagaad. Un homme, habillé pour la route, les attendait en bas, tenant quatre chevaux. Il avait les cheveux poivre-sel et un air roublard, au sourire orné de fossettes.
- "Voici Oswald, l'un de mes amis les plus chers." dit Rebecca en tendant la main, que l'homme saisit délicatement pour déposer un baiser au dos. "Oswald, je te présente Geralt. Il nous accompagnera."
- "Le fameux Loup Blanc ..." acquiesça Oswald en lui tendant les rennes d'une monture. "C'est un honneur que d'être accompagné par un nom aussi célèbre dans notre bon Empire."
- "Ne prête pas trop attention à ses paroles, mon petit chéri." lança Rebecca à Geralt tandis qu'elle enfourchait son propre cheval. "Oswald est un vrai serpent ... Mais ses talents nous seront précieux pour traquer les Corbeaux."
Elle éclata de rire et talonna sa monture, s'élançant vers le pont du Talagaad.
Ils chevauchèrent ainsi plusieurs heures sur la route de la Vieille forêt avant de bifurquer sur une fourche pour gagner un sentier boueux qui slalomait entre les troncs, au milieu des massifs de fougères. Les trois cavaliers arrivèrent ainsi en bordure d'une clairière où se trouvait du monde. Rebecca fut accueillie par des cris de joie et une quinzaine de personnes s'approchèrent d'elle tandis qu'elle mettait pied à terre. Le Loup Blanc nota la présence de nombreuses mules, qui transportaient une quantité phénoménale de matériel : tentes, poufs en cuir, coussins, meubles, vaisseliers et autres commodités bien encombrantes pour un voyage en forêt.
- "Bienvenue auprès de mes amis, Geralt." dit la fidèle du Corrupteur avec un grand sourire ravi. "Bienvenue au sein de la Fraternité des Papillons. Tu verras, tu t'y sentiras comme chez toi."
Après avoir rencontré Adolf et Oswald, Geralt fit la connaissance de Hannelore von Gnädig, Irène Clarin et Astrid, les trois favorites de Rebecca. Hannelore était une grande blonde aux yeux tristes, Irène une brune complètement hystérique et Astrid une rouquine tout à fait exhibitionniste. Elles étaient toutes trois parées de tenues aussi élégantes qu'aguicheuses, de bijoux d'or et de pierres précieuses, et n'avaient de cesse d'entourer leur maîtresse en tout instant, s'adressant mots doux et embrassades plus que de raison. Si Irène semblait jalouse de l'intérêt porté à Geralt, Hannelore et Astrid le reluquaient, les yeux brillants. Cette dernière ne pouvait d'ailleurs s'empêcher de lever ses jupons dans sa direction, lui dévoilant brusquement sa flamboyante intimité.
Cette joyeuse bande de dégénérés comptait aussi une dizaine de cultistes, la plupart de jeunes gens fanatisés par l'aura furieusement séduisante de Rebecca. Tous étaient relativement bien mis, habillés avec une certaine richesse. L'un avait une longue cagoule pointue de couleur blanche, où seuls deux trous laissaient voir ses yeux. L'autre n'avait qu'un gilet de fourrure sur son torse couvert de tatouages mauves, et ses yeux luisaient d'une lueur étrange tandis qu'il tâtait les dagues à sa ceinture. Ces fidèles représentaient la force vive des Papillons, une milice qui répondait aux moindres de désirs de Rebecca, et qui était sans doute également chargée de la défendre. Pour preuve, chacun d'eux était armé à sa manière, du simple couteau au fléau d'arme.
Parmi tous ces individus aux tenues extravagantes, une personne se tenait en retrait. Muni d'une robe de sorcier sombre garnie de crânes et d'os, son visage était en partie masqué par une capuche brune. Il tenait entre les mains un bâton aux allures malfaisante et observait le groupe se former autour de Rebecca. Un sourire se dessinait dans l'ombre de sa capuche.
Les Papillons étaient partis depuis la veille jour, suivant la piste des Corbeaux à travers l'une des seules routes relativement sûres qui traversait la Drakwald. La traque était dévolue à Oswald qui semblait manipuler la magie. En effet, il s'éloignait régulièrement du groupe pour disparaître bonnement et simplement au détour d'un arbre, et réapparaissait quelques heures plus tard avec des informations précises sur la localisation de leurs proies.
Du reste, les chaotiques avançaient lentement. Ils transportaient beaucoup trop de matériel, mais Rebecca insistait pour que sa grande tente soit dressée chaque soir, et qu'on y joue de la musique tout en servant des collations. Ces fêtes étaient d'un luxe à faire pâlir d'envie un bourgeois d'Altdorf, et finissaient invariablement en orgies débridées auxquelles tout le monde prenait part. Geralt n'était pas en reste, car Rebecca et ses favorites se chamaillaient pour l'avoir, lorsqu'elles ne se jetaient pas sur lui de concert. Après les ébats, Hannelore voulait lui maquiller les yeux, lui teindre les lèvres en noir et le couvrir de colliers et de bijoux, tandis qu'Irène essayait de lui griffer le visage et qu'Astrid lui montrait son cul rond avant de chercher le prétendant le plus proche pour assouvir ses désirs. Rebecca, souvent dans les bras d'Adolf, s'amusait beaucoup de cette situation et invitait généralement Geralt à les rejoindre dans sa couche parfumée, ou bien se laissait aller entre les bras d'un ou plusieurs cultistes, en pâmoison. Même le sorcier encapuchonné, Dedrik le Parjure de son nom, se joignait à la fête, soulevant sa toge plus que de raison. Tout, dans cette procession vicelard, n'était que luxure et désirs assouvis.
Rebecca chevauchait aux côtés de Geralt. Sa magnifique chevelure était coiffée en une immense natte qui terminait entre ses cuisses, et elle portait un manteau de voyage doublé en satin bleu nuit dont les plis brillaient avec éclat. Derrière eux, les Papillons chantaient ou se chamaillaient bruyamment. Astrid était étrangement assise sur le pommeau de sa selle.
- "Un chasseur de monstre aguerri comme toi doit nous trouver bien tapageurs et lents pour des traqueurs." rit la jeune femme. "Oswald m'a rapporté hier que les Corbeaux s'éloignaient mais ne t'inquiète pas, Dedrik m'a proposé une solution pour donner ... disons un coup de fouet à notre petite bande. Après tout, il faut aussi prendre le temps de s'amuser."
Elle qui montait en amazone sur son beau cheval, elle faisait face au Loup Blanc et délaça un peu l'avant de son corset malgré l'air froid qui régnait dans la forêt.
- "Tu dois me prendre pour une jeune fille complètement écervelée, dégénérée même, incapable d'endosser des responsabilités." Elle jeta un coup d'oeil à la procession derrière eux. "Et quand on constate qui sont mes amis, je conçois tout à fait qu'on puisse se méprendre à mon sujet. Mais sache que si je suis ici, c'est justement parce qu'il est pour moi primordial de m'acquitter de ma mission. Je suis une femme de parole. Or il y a quelques temps, des amis d'Altdorf m'ont demandé de les aider. Ce sont des amis à qui ... je peux difficilement refuser quoi que ce soit. Vois-tu, ils avaient chargé l'un de leurs fidèles d'organiser une expédition jusqu'en la lointaine Inja afin d'en ramener la dépouille d'une créature fabuleuse. Selon les légendes, cette bête n'est faite que de pure magie, une magie si pure qu'aucun homme, jusqu'à aujourd'hui, n'a réussi à l'utiliser. Enfin passons ... Il s'avère que leur agent s'est fait dénoncer par une cellule ennemie agissant elle aussi à Altdorf, et dont les intérêts divergeaient de ceux de mes amis. C'est ainsi que cet agent s'est fait arrêter à Talabheim, par un répurgateur altdorfer. Néanmoins cet agent, comme tous les intérêts de mes amis dans l'Oeil de la Forêt, était sous ma responsabilité. Sitôt j'ai appris son arrestation, j'ai donc envoyé Oswald la sauver afin de lui permettre de reprendre sa mission. Et c'est là qu'il a disparu à nouveau ... Cet agent s'appelle Dokhara de Soya, et c'est Lucrétia von Shwitzerhaüm qui l'a enlevée. C'est en traquant la seconde que nous arriverons à la première. Et toi ? Qu'as-tu perdu de si précieux que tu souhaites récupérer à tout prix ?"