Ludwig avançait en tête d’une petite troupe sur son noble destrier à la robe bai. Derrière lui, suivaient dix autres cavaliers, tous fidèles des dieux de l’ordre. Ces fiers guerriers venant des quatre coins du monde avaient combattus contre les hordes de mort-vivants des semaines durant. Mais la vague d’horreurs non-mortes était intarissable. Acculé dans cette cité, ils livreraient aujourd’hui, leur dernier combat. Mais comme Ludwig, le désespoir n’était pas de mise pour ces braves cavaliers. Ils se devaient de vaincre. L’Humanité ne devait s’éteindre. Il fallait survivre pour continuer le combat contre les forces du mal.
Tous avaient prêtés fidélité à Ludwig car c’était en lui que le désir de vaincre était le plus ardent. Désormais, ils attendaient sur leurs calmes destriers, les ordres de leur frère. Pour cette ultime bataille, ils s’étaient équipés des plus saintes reliques des dieux. Des armures intégrales d’or, des plastrons d’un noir de jais, des épées couleurs sang et or. Les chevaliers de l’ordre avaient une prestance époustouflante qui contrastait avec cette ville sombre sous les nuages maussades.
A leur côté se tenaient un détachement entier de la Garde Noire. Au nombre de trente, les gardes se tenaient immobiles, prêt à en découdre. Rien n’émanait de sous leurs casques. Pas une voix, pas un souffle, pas un sentiment. Ils semblaient aussi morts que ceux qu’ils s’apprêtaient à combattre. Un seul garde, celui qui commandait la troupe, avait le visage à découvert. Cet homme au visage sévère et aux yeux perçants était Friedrich Von Hoffenbach, le père de Ludwig. Lui et son fils avaient combattus, des jours durant contre la vermine non-morte jusqu’à ce qu’ils se retrouvent encerclés dans cette morne bourgade. Les pertes avaient terribles, mais ils possédaient encore assez de forces pour livrer un ultime combat honorable. Ils avaient la possibilité de se battre et de probablement mourir, une dernière fois côte à côte.
Friedrich n’était pas aussi confiant que le reste de la troupe. Il connaissait son fils et savait que quelque chose le dérangeait, que quelque chose n’allait pas. Le commandant de la Garde Noire avait une entière confiance en son fils. Mais d’un autre côté, la tâche qu’ils avaient à accomplir était si lourde que le plan à mettre en place n’autoriserait aucun grain de sable dans son mécanisme. Il fallait que son fils trouve une solution et règle le problème au plus vite. Car après des années d’expérience, il pouvait le sentir, les morts approchaient. Cette bourgade, ce sépulcre, se refermait sur eux.
Sans le paraître aux yeux des hommes, Ludwig était soucieux. Etrangement, la menace mort-vivante était le cadet de ses soucis. Il était facile de déterminer l’issue de l’affrontement. La victoire ou la mort. Ce qui l’inquiétait c’était la force de défense de la ville. Combien de temps ce simulacre d’alliance allait-il encore tenir ? Quand est-ce que les orques commenceront à attaquer les alliés ? Quand est-ce que les nains et les elfes se trahiront ? Quand est-ce que les sbires du Chaos et les seigneurs de la non-vie montreront leurs vrais visages ? La liste des interrogations était longue. Ludwig n’avait aucune confiance en cette alliance hétéroclite. L’enjeu était tellement énorme qu’il devait se préparer à chaque possibilité.
Ayant eu connaissance du plan de défense de la ville, Ludwig avança sa troupe jusqu’à l’endroit le plus opportun de la ville. Un endroit facile à défendre et loin du gros des troupes de défense. Lorsque l’alliance se délitera, il préférait être à distance afin d’aider ceux qui le méritent et éliminer ceux qu’il faudra. A ce sujet, Ludwig ne savait pas vraiment qui il faudrait aider lorsque le moment sera venu. Il n’était arrivé que récemment dans la ville et n’avais eu le temps de s’entretenir avec les autres commandants. Il n’avait pu sonder leurs volontés et leur loyauté. Il aurait donc sa réponse lors de l’ultime moment, pendant les combats.
Bien que ne voulant pas l’admettre, laissant ses craintes pour lui, Ludwig avait une théorie concernant l’identité de deux des commandants. Ce mal au ventre qui le tiraillait depuis son arrivée en ville lui était familier. Seulement deux fois dans sa vie il avait eu les tripes à ce point nouées. La première fois, dans cette fameuse chaumière à proximité de Nuln lorsqu’il avait rencontré l’Inquisitrice Alicia de Meissen. Et la deuxième fois à Wissenburg, dans ce lieu de perdition, où il avait croisé la route de « Red Karla », la noble damnée. Impossible d’oublier ces deux rencontres. Les deux étaient ancrées dans son esprit. La deuxième l’était plus profondément car gravée à jamais dans sa chair. Alors plongé dans l’inconscience après avoir échoué à la vaincre, la grâce d’Arianka avait protégé l’esprit de Ludwig. Mais même la grande déesse n’avait pu empêcher la noble de ravager le noble visage du jeune homme. Ludwig n’éprouvait aucune colère envers elle, seulement de la douleur et de la tristesse. Il avait échoué cette fois-ci… Et si l’occasion devait se représenter à nouveau, n’échouerait pas. Il la sauverait ou il la tuerait…
Ludwig avança au pas dans les rues de Tottenburg. Les hommes avançant au rythme des sabots claquant sur les pavés humides. Plongé dans ses réflexions, Ludwig tourna la tête pour voir dans quel état d’esprit était son père. Un éclair zébra le ciel au même instant, dévoilant le visage ravagé de Ludwig, normalement dissimulé sous son capuchon. Le visage de Friedrich et de son fils se crispèrent au même instant lorsqu’une larme carmina roula sur la joue gauche de Ludwig.
Friedrich connaissait désormais la cause des soucis de son fils. Ludwig se retourna brusquement et regarda l’horizon. Mannslieb, couleur sang, disparaissait derrière les collines sylvaniennes. Les nuages sombres, gorgés de pluie, se confondaient maintenant avec la nuit. Seule Morrslieb, qui faisait quatre fois sa taille habituelle, éclairait la bourgade de Tottenburg.
- Elle était ici. Red Karla était ici, songea Ludwig alors que la larme de sang continuait son périple sur sa joue intact.
Ludwig secoua la tête pour se reprendre. Les morts approchaient. Tous pouvaient désormais sentir cette étrange sensation sur leur peau qui témoignait de l’utilisation de sorts nécromantiques. Levant le bras, il intima à la troupe de stopper. Levant sa longue épée de cristal, façonné à l’identique de Laihtendrung, Ludwig ameuta ses troupes.
- En formation ! Qu’Illuminas éclaire notre voie, qu’Arianka guide nos esprits et que Solkan guide nos lames !
Seul le cliquètement des armures était maintenant audible. Tout comme sa troupe, Ludwig Von Hoffenbach, l’élu d’Arianka, la lame de Solkan et le soleil d’Illuminas, était prêt. Qui que soit l’ennemi de l’ordre face à eux, ils étaient en marche. Et leur avancée, serait implacable…