Hans Zimmer écouta Lucrétia lui remonter les bretelles. Ses yeux s’écarquillaient peu à peu et il regarda avec épouvante le fétiche qu’il tenait dans la main.
- « D’solé madame, je pensais que, enfin, je croyais que c’était qu’une babiole comme ça. » tenta-t-il de s’excuser en laissant tomber l’araignée en bois.
Il murmura une prière à Taal et et se précipita vers son arbalète avant d’y engager un carreau. Pendant ce temps, Marcus et Dokhara se dépêchèrent de démonter les tentes et de plier bagage.
Autour d’eux, rien que la forêt, sombre, menaçante, immuable. Une brise fraîche faisait s’agiter les branches hautes des arbres qui entouraient le gîte des voyageurs. Hans tenait fermement son arbalète contre lui, les mains tremblantes, et scrutait attentivement les taillis environnants. Lucrétia, non loin de lui, pouvait entendre ses dents claquer par moment.
- « Ce maudit palefrenier n’a pas plus de jugeote que la carne qui lui sert de monture … » grommelait Marcus Freeh en roulant un sac de couchage, à peine assez fort pour que Dokhara l’entende. Pour un soldat comme lui, contrevenir aux ordres de la sorte était une faute lourde. « Finissez donc d’empaqueter, Madame de Soya, je m’en vais seller les chevaux. »
Une corde claqua soudainement et un vireton fendit l’air pour se perdre quelque part entre les troncs. Tous se retournèrent d’un coup, croyant à une attaque, et regardèrent Hans. Ce dernier eut un hoquet anxieux et s’essuya le front, d’où perlaient de grosses gouttes de sueur malgré la fraîcheur ambiante.
- « Excusez-moi … j’ai cru voir une ombre dans le sous-bois. » dit-il d’un ton honteux en grattant ses favoris grisonnants, avant d’encocher un nouveau carreau et de reprendre sa garde.
La troupe fut rapidement prête à partir et n’attendit plus. La nuit tombait sur la Drakwald. Marcus alluma deux torches. Il ouvrait la voie, monté sur son cheval, puis venaient Lucrétia et Dokhara, et enfin Hans, une torche dans une main et la bride de la mule de bât dans l’autre. Personne ne parlait, tous sondaient la forêt aussi loin que le permettait la lumière des flammes. La tension était palpable et les montures renâclaient nerveusement. Sentaient-elles l’appréhension de leurs cavaliers, ou quelque danger à proximité ? Toujours est-il que les craintes des aventuriers étaient fondées : à deux reprises, la lumière des torches se refléta sur des amas de filins argentés quelque part entre les troncs épais, sous-entendant des toiles qui s’enfonçaient dans la végétation épaisse. Il y avait bien des araignées géantes dans ces bois.
Ils chevauchèrent pendant plusieurs heures, s’éloignant de leur dernier campement. Marcus, la carte achetée à Ravenstein dépliée sur l’encolure de son roncin, tâchait de suivre les sentiers qui permettaient de border les bois denses sans y pénétrer. L’obscurité n’aidait pas, et la brume qui se levait peu à peu non plus. La troupe du revenir sur ses pas à plusieurs reprises, jusqu’à ce que pilotage de Marcus associé aux repérages aériens de Lucrétia ne permettent aux aventuriers de déboucher sur une petite éminence forestière dont le flanc était partiellement dégagé. Il y avait là un tumulus oublié que l’on devinait à peine sous la mousse et les fougères. Un chêne vénérable poussait sur l’un de ses côté et déchaussait des pierres taillées à une autre époque. L’entrée de la sépulture antique était fermée par une lourde dalle de pierre que l’on devinait sous le lierre grimpant et les arbres alentours jetaient leur couvert sur quelques pierres dressées çà et là dont le lichen cachait les gravures.
- « Nous devrions nous arrêter ici pour le reste de la nuit. » conseilla Marcus.
Il avait probablement raison, car le campement pourrait s’adosser à la pente dans laquelle le tumulus était encastré, évitant ainsi à ses occupants d’avoir à surveiller leurs arrières. L’aire était relativement découverte et seuls quelques arbres et buissons masquaient la vue jusqu’au sous-bois en contrebas. Si quelque chose venait de la forêt, les aventuriers auraient le temps de le voir venir grâce à la lueur des lunes jumelles. Cette dernière se reflétait sur les massifs de fougères tandis que l’on remontait le camp. Nos héros allaient certainement peu dormir cette nuit, mais il était nécessaire de trouver du repos pour pouvoir continuer le périple.
A des lieux de là, une main ramassa l’araignée en bois abandonnée sur l’humus noir de la Drakwald.
L’aube pointait peu à peu et Marcus était déjà debout, en train de replier son couchage. Hans se réveilla en bâillant et sortit de la tente alors que le soldat était en train de la démonter.
- « Eh beh ça va non, t’as une minute, par Sigmar ? Si j’ai survécu à cette nuit c’pas pour me prendre un piquet de tente sur le museau au réveil. » maugréa le palefrenier en jetant un regard noir à son ami. Hans Zimmer n’était pas du matin. Il salua les baronnes si elles se trouvaient à proximité, demanda à Dokhara si elle avait bien dormi et détacha les mules et les chevaux pour aller les faire boire avant le départ ; il avait repéré une bauge remplie d’eau en contrebas. « Promis, j’touche à rien ! » lança-t-il, de meilleure humeur. La nuit était passée et la tension de la veille était redescendue. Pendant que Marcus pliait le camp, le palefrenier descendit la petite colline en direction de l'orée de la forêt, les cinq bêtes derrière lui.
- « Il nous reste peu de provisions, Madame. » annonça Marcus en refermant son sac à dos en cuir. « La carte indique qu’il y a un relais fortifié à une demi-douzaine de lieues d’ici. On peut y être à la mi-journée. Peut-être qu’on pourra y acheter des vivres et glaner quelques informations sur les sentiers à suivre … et ceux à éviter. »
Une série de hennissements terrifiés retentirent soudainement depuis la forêt en contrebas, en direction de là où Hans avait amené les bêtes pour qu’elles s’abreuvent. Haendel, le cheval de Dokhara,, surgit en trombe du sous-bois et galopa à travers le champ de fougères pour revenir vers le campement. Le roncin de Marcus suivait non loin et gravit lui aussi la petite colline. Les deux animaux étaient paniqués, yeux écarquillés, oreilles couchées, membres tremblants. Marcus essaya de les attraper par la bride en soufflant des « là, lààà » apaisants mais Haendel se cabra en hennissant et faillit frapper l’homme d’arme de ses sabots ferrés. Marcus se jeta au sol et roula sur le côté, puis se releva dans la poussière et jeta un regard à Lucrétia. La vampire pouvait y lire un message clair, qui lui disait que quelque chose de grave venait certainement de se passer, et que le briscard attendait les ordres.